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L'aménagement de la forêt dense humide

GEORGE N. BAUR

GEORGE N. BAUR est chargé de recherches forestières à la Commission forestière de la Nouvelle-Galles du Sud (Australie). Il a été titulaire d'une bourse «André Mayer» en 1961-62. Les bourses «André Mayer» sont attribuées par la FAO pour promouvoir les recherches sur des questions présentant de l'intérêt pour les Etats Membres et se rapportant au programme de travail de l'Organisation. Elles sont destinées aussi bien à des chercheurs expérimentés qui veulent poursuivre plus ou moins indépendamment certains travaux, qu'à des jeunes gens ayant montré des aptitudes pour la carrière de chercheur et qui méritent de se perfectionner tant dans des institutions cotées que sur le terrain.

Depuis la création de cette bourse en 1956, il en a été attribué 75 dont 9 pour la foresterie et les produits forestiers.

Quelques observations d'un boursier André Mayer

La forêt dense humide, appelée aussi «forêt de pluies», peut être définie comme une formation végétale dense et haute composée essentiellement, mais pas invariablement, d'essences hydrophiles, feuillues, à feuillage persistant, disposées en strates ou étages plus ou moins distincts. Les fûts ont parfois des formes bizarres: contreforts, racines-échasses, billes cannelées; le sous-bois est souvent garni d'une masse d'arbrisseaux où s'accrochent en général des lianes et des épiphytes.

Jusqu'à des temps historiques encore assez récents, ce type de végétation occupait près d'un dixième de la superficie terrestre. De nos jours, malgré les destructions qu'elle a subies au cours du siècle dernier, la forêt dense est encore très étendue dans les régions humides des tropiques, notamment dans l'Amérique tropicale, en Afrique centrale et occidentale, dans le sud-est de la région Asie-Pacifique. En de nombreux pays de ces régions, c'est elle qui fournit le bois d'oeuvre et une quantité d'autres produits que l'on utilise pour les besoins locaux et qui constituent, en outre, de précieux articles d'exportation. Il est donc tout naturel que l'on ait essayé, dans différentes régions, d'aménager graduellement ces forêts par un traitement sylvicole en vue de les exploiter en régime de production régulière (figure 1).

On a cherché également à aménager la forêt dense humide par des interventions plus radicales et plus directes: abattage et reboisement, méthode «taungya» d'exploitation agro-sylvicole, plantations d'enrichissement. Nous ne nous occuperons pas ici de ces méthodes bien que nous en appréciions tout l'intérêt.

L'aménagement des peuplements naturels a été envisagé de différentes manières suivant les pays. Plusieurs des procédés utilisés paraissent avoir donné des résultats appréciables et il est intéressant de les comparer. Mais avant d'en juger, il est bon de se rendre compte du mécanisme de croissance dans la forêt dense humide abandonnée à elle-même: la maxime qui définit la sylviculture comme une «écologie appliquée» est une vérité fondamentale de la science forestière.

MODE DE CROISSANCE

Floraison et fructification

La foret dense primitive, à l'état de maturité, se compose typiquement de plusieurs strates distinctes de végétation, à savoir, pour simplifier: un étage dominant d'arbres très élevés et de grand diamètre; des arbres plus petits formant un sous-étage qui se décompose à son tour en plusieurs étages distincts; au-dessous, un étage d'arbrisseaux et enfin au sol, une végétation d'herbacées et de semis. En général, des lianes montent jusqu'à la cime des arbres où elles se mêlent à l'étage dominant.

Le mode de floraison de végétaux qui se développent dans des conditions micro-climatiques aussi différentes est forcément des plus varié. Certaines essences fleurissent d'une manière presque continue: ce sont en général des espèces de sous-étage et d'arbrisseaux et aussi des espèces caractéristiques des stations altérées récemment, celles que l'on appelle des espèces «secondaires» telles que, en Afrique occidentale, la Trema guineensis (Taylor, 1960). Peu d'essences de l'étage dominant, celui qui, d'ordinaire, intéresse le plus les forestiers, appartiennent à cette catégorie. Ces arbres de haute taille ne fleurissent pour la plupart, même dans les meilleures conditions, qu'à certaines saisons de l'année, et très souvent à des intervalles très irréguliers. Par exemple, beaucoup de diptérocarpes malaisiens ne fleurissent que tous les 2 à 7 ans, tandis que chez le Triplichiton, une essence africaine de valeur, on n'a enregistré que cinq bonnes floraisons dans les années 1933 à 1958 (Mackensie, 1961).

Après la floraison, les fruits de la plupart de ces arbres mûrissent rapidement, en général dans les six mois et, dans les climats nettement saisonniers de ces pays, l'émission des graines a lieu ordinairement au début de la saison humide. La dissémination se fait de diverses manières, mais en général, à tous les étages de la forêt, par les oiseaux et d'autres animaux. La dissémination par le vent ne joue pratiquement que pour les espèces de l'étage dominant et les nombreuses lianes qui s'y trouvent.

Chez la plupart des espèces, les semences ne conservent leur vitalité que pendant un délai très court. Celles de nombreux diptérocarpes, par exemple, la perdent complétement trois semaines après la récolte (Barnard, 1954). Par contre, chez quelques espèces à gros fruits comme les Bertholettia du Brésil et les Gmelina d'Australie, les graines peuvent encore germer quelques années après leur émission tandis que chez certaines espèces «secondaires», telles que Musanga cecropioides, elles restent en réserve dans le sol et attendent pour germer d'être exposées à la chaleur et à la lumière (Keay, 1960). Chez quelques autres espèces au contraire, la germination est inhibée par la forte lumière et les semis n'apparaissent que dans des stations ombragées: Guarea cedrata en est un exemple (G. Gilbert, cité par Jones, 1955-56).

Développement des semis

Les semis des arbres de la forêt dense humide, si l'on considère leur premier comportement, peuvent se grouper en trois grandes catégories, à savoir: les espèces «secondaires», les véritables essences d'ombre, et celles qui attendent une trouée dans la voûte pour se développer. Ces trois classes ne se distinguent pas absolument l'une de l'autre, mais suffisamment pour permettre de comprendre le mécanisme de la régénération dans la forêt dense humide.

Les espèces «secondaires» ne peuvent survivre et se développer (et, dans la plupart des cas, germer) que dans un éclairage presque complet. En général, ce sont des espèces à croissance très rapide tout au moins dans leur premier âge et elles sont souvent protégées par des poils urticants (Laportea spp.), des épines (Fagara spp.) ou par leur myrmicophilie (Cecropia spp., Barteria spp., Macaranga spp.). Beaucoup ne vivent pas très longtemps et restent de petits arbres; d'autres, au contraire, dont la croissance se ralentit ensuite, peuvent atteindre une très grande taille (Goupia glabra, Laportea gigas). La plupart n'ont qu'une valeur économique assez limitée, à part quelques exceptions notables telles que Ochroma lagopus qui donne le bois de balsa ou «bois de liège» du commerce, Didymopanax morotonei utilisé à la Trinité pour la fabrication des allumettes et Cecropia spp. utilisé au Pérou pour fabriquer de la pâte à papier.

Les véritables essences d'ombre sont typiquement celles de l'étage dominé, qui exigent un ombrage épais pour leur premier développement. Cependant, certains de ces arbres finissent par s'élever jusqu'à l'étage dominant: par exemple, beaucoup de Lauraceae dont Ocotea rodiaei qui donne le bois «Greenheart» de couleur verdâtre si apprécié et le noyer du Queensland, Endiandra palmerstonii. Certains diptérocarpes à croissance lente tels que Balonocarpus heimii et le groupe Balau des Shorea spp. de Malaisie appartiennent aussi à cette catégorie. En général, le taux d'accroissement de ces espèces est faible (figure 2).

FIGURE 1. - Usine de l'African Timber and Plywood (Nigeria) Ltd. à Sapele (Nigeria): Chargement de sciages et de contre-plaqués destinés à l'Europe.

FIGURE 2. - Bouquet de jeunes Meranti tembaga (Shorea leprosula) environ 18 mois après le départ de la végétation provoqué en supprimant par annellation et empoisonnement les individus gênants. A noter que la croissance de Shorea est égale à celle des espèces secondaires associées. Réserve forestière de Pasoh, Malaisie.

Parmi les espèces de la troisième catégorie, celles qui attendent pour se développer une percée dans la voûte de la forêt, on trouve la plupart des essences de valeur qui constituent en définitive la grande masse de l'étage dominant, aussi est-ce à ce groupe que s'intéressent le plus les forestiers. On y trouve beaucoup de Meliaceae, de Dipterocarpaceae et Flindersia spp. Comme chez les essences d'ombre, les graines peuvent germer dans le sol vierge de la forêt, par contre les semis ont un développement très stationnaire tant qu'ils ne reçoivent pas un plus fort éclairage: ils demeurent dans un état qui ressemble au repos végétatif tout en conservant leur faculté de développement, qui est même assez rapide dès que les conditions d'éclairement s'améliorent. Chez les essences qui fructifient régulièrement tous les ans (par exemple Terminalia superba et T. ivorensis) cette vie latente peut ne durer qu'une année, au bout de laquelle d'ailleurs la plupart des semis sont morts tandis qu'une nouvelle chute de graines vient les remplacer. Chez beaucoup d'arbres qui fructifient irrégulièrement, tels que ceux du groupe Meranti des Shorea spp. de Malaisie, les semis survivent pendant plus longtemps et parfois jusqu'à 10 ans. Il se constitue par conséquent dans le sol une réserve de régénération capable de profiter à tout moment d'une ouverture accidentelle dans la voûte de la forêt. Cette régénération est plus ou moins conséquente suivant les périodes et suivant les endroits, mais on peut en avoir une idée d'après des études effectuées dans la forêt vierge à diptérocarpes du Bornéo occidental où l'on a enregistré sur une certaine période d'années une réserve de 25000 semis d'essences de valeur en moyenne par hectare, avec un minimum, au cours de la même période, de 10000 semis par hectare (Nicholson, 1958). En sortant de leur sommeil végétatif, ces semis se développent en général un peu plus lentement que les espèces «secondaires» et par conséquent, pendant la vie relativement courte de ces dernières, ils sont retardés, parfois dominés et déformés sous leur masse. Mais quand les espèces secondaires disparaissent, il reste encore généralement une réserve suffisante de semis qui arrivent à dominer à leur tour la masse du recrû. Quelques espèces de cette troisième catégorie, comme Shorea leprosula, sont capables de se développer aussi rapidement que la plupart de leur associés «secondaires».

Cette faculté de survivre pendant des périodes prolongées, avec une croissance presque nulle, pour réagir ensuite rapidement dès que les conditions de végétation s'améliorent, est un des principaux caractères écologiques de beaucoup d'arbres précieux de la forêt dense humide. C'est une faculté d'ailleurs assez répandue et ces arbres la conservent en général pendant une grande partie de leur existence, ce qui leur permet de résister tout en étant surcimés par les autres pour reprendre leur activité de croissance dès que les conditions s'améliorent. Mais elle n'est pas réservée uniquement aux espèces de valeur et on la trouve aussi chez beaucoup de lianes, notamment chez des plantes envahissantes de la Nigeria comme Acacia ataxacantha et Calamus spp. et d'autres plantes grimpantes du même genre.

Accroissement

La surface terrière globale dans une forêt vierge d'âge exploitable varie, selon les types de formation, de moins de 23 à plus de 70 m2/ha, et atteint normalement dans beaucoup des meilleurs peuplements de 36 à 46 m2/ha. Dans des peuplements aussi serrés l'accroissement se réduit, comme l'a fort bien dit G.G.K. Setten1, à une «stagnation dynamique»: tout accroissement est en effet équilibré au bout d'un certain nombre d'années par la mortalité dans le peuplement. Dans ces conditions, les taux d'accroissement individuels varient dans des mesures extrêmes: pendant une quinzaine d'années et peut-être plus, certains sujets peuvent gagner en moyenne 1,3 cm de diamètre par an sinon plus, tandis que leurs voisins de la même espèce et de même taille initiale ne bougeront pratiquement pas. Ces grandes différences dépendent de différentes causes, notamment de la santé et du développement de la cime des arbres, et de la mesure dans laquelle les cimes peuvent s'étaler librement (R.W.J. Keay, pers. comm.; Dawkins, 1956, 1958).

1 Ancien chef des travaux de recherche à l'Institut de recherche forestière de Kepong, Malaisie

Au-delà de ces différences on peut reconnaître un rapport général entre le diamètre et le taux d'accroissement dans les différentes espèces (Jones, 1955-56; Keay, 1961; Schultz, 1960). Chez de nombreuses espèces qui attendent une éclaircie dans la voûte pour se développer, le taux d'accroissement en diamètre atteint, en général, son maximum dans les tailles intermédiaires, à savoir de 25 à 63 cm d.h.p., la courbe de croissance s'élevant dans les classes de plus petite taille et descendant dans celles de plus grande taille. Cette irrégularité du taux d'accroissement implique en premier lieu que si l'on considère la variation entre des troncs de même grandeur, dans la forêt dense humide, les catégories de taille sont l'indicateur le moins sûr des catégories d'âge. En deuxième lieu, les arbres traversent plus vite la phase de leur taille moyenne que celles de leur petite taille et de leur grande taille. Ainsi, même si l'on recrute un même nombre d'arbres chaque année, on aura l'impression d'un déficit chez les fûts de taille moyenne. Le fait a été souvent remarqué surtout chez certaines espèces importantes d'Afrique occidentale (Khaya ivorensis, Entandrophragma cylindrica, Terminalia superba), mais les taux d'accroissement montrent qu'il s'agit, dans beaucoup de cas, d'un déficit plus apparent que réel.

MÉCANISME DE L'ACCROISSEMENT DANS LA FORÊT VIERGE

Ce que nous venons de dire permettra de mieux comprendre le mécanisme général de l'accroissement dans la forêt vierge dense. L'étage supérieur dominant se compose d'arbres de grande taille souvent reliés l'un à l'autre par une végétation de lianes: ce sont typiquement des essences de lumière dont la plupart ont dû attendre une percée dans la voûte pour se développer. Au-dessous on trouve plusieurs étages d'arbres et d'arbrisseaux qui sont pour la plupart des essences d'ombre, qui comptent aussi des individus encore jeunes d'espèces de lumière. Au sol se trouve en général une réserve de jeunes tiges qui vivent au ralenti tandis que le terrain contient une autre réserve de graines viables qui attendent pour germer que les conditions d'éclairage et sans doute aussi de température, s'améliorent.

Parmi ces conditions, la présence de l'étage dominant est la plus critique, étant donné qu'il recouvre tous les autres. En dernière analyse, trois cas peuvent se présenter. Un des arbres peut périr et se briser sur place. Les branches en se détachant laissent dans la voûte une petite trouée. L'éclaircie est insuffisante pour que les espèces «secondaires» puissent s'y insérer, mais elle suffit en général à tirer de leur léthargie végétative les semis qui attendent cette occasion, tandis que tout autour, les arbres plus petits trouvent de meilleures conditions végétatives et peuvent alors accélérer leur croissance souvent jusqu'à occuper la trouée.

Ou bien, ce qui est probablement le plus fréquent, un des grands arbres est renversé par une tornade. L'arbre, souvent porteur d'une large cime reliée aux arbres voisins par des lianes, s'effondre au sol en entraînant le reste et laisse une déchirure qui peut atteindre une surface d'un demi-hectare. Dans la clairière ainsi formée, la régénération en sommeil se réveille et les espèces «secondaires» occupent la place en formant un bosquet de jeunes arbres de même âge.

Il peut enfin aussi se produire une dévastation plus grande comme lorsqu'un cyclone ravage tout un secteur qui est bientôt occupé par des espèces «secondaires» et par les jeunes semis soudain tirés de leur léthargie. Des faits de ce genre ont été souvent enregistrés, comme par exemple en Malaisie, la «forêt de cyclone» à Kelantan (Browne, 1949); les effets sont comparables à ceux des abattages massifs effectués dans certaines régions de la Malaisie pendant l'occupation japonaise (1942-45).

Dans les trois cas il se produit une trouée dans la voûte et si le type de régénération diffère, il donne toujours lieu à un groupe d'arbres sensiblement du même âge qui remplacera l'arbre ou le peuplement disparus. La plupart du temps, la forêt vierge dense est donc un ensemble composite ou une mosaïque de petits peuplements équiennes. Tous ces groupes d'arbres diffèrent par leur étendue et leur composition, et étant donné les différences de taux d'accroissement, ils finissent par se confondre: dans un groupe de jeunes arbres, certains sujets à croissance rapide, trouvant des conditions favorables, dépasseront bientôt des sujets plus lents d'un groupe plus ancien. Les unités qui composent la mosaïque n'ont rien de stable, car les nouvelles éclaircies coïncident rarement avec les anciennes et si certaines essences occupent l'éclaircie et y remplacent en fin de compte les vieux arbres, c'est en grande partie le fait du hasard et ce ne sont pas forcément les mêmes que l'on trouvera dans d'autres percées du même secteur.

TRAITEMENT DE LA FORÊT DENSE HUMIDE

Les traitements sylvicoles appliqués à la forêt vierge dense sont grosso modo de deux sortes. Le premier type est le traitement d'amélioration, le deuxième type peut être qualifié d'implantation de la régénération, quoiqu'en général il ne se borne pas à cela.

TABLEAU 1. - Indications pour le traitement de la forêt dense humide


Situation

Traitement

1.

Forêt actuellement inaccessible à l'exploitation:

(3)

1x.

Forêt exploitable immédiatement ou dans un proche avenir:

(3)

2.

Pas de crédit disponible pour le traitement:

Réserve et protection

2x.

Capitaux disponibles pour le traitement:

Traitement d'amélioration (par exemple, Congo: uniformisation par le haut)

3.

Aménagement en vue d'avantages indirects (par exemple, protection des bassins hydrologiques, tourisme), avant tout:

Traitement en fûtaie jardinée (par exemple, Porto Rico)

3x.

Aménagement en vue de la production de bois d'oeuvre, avant tout:

(4)

4.

Abondance d'arbres des classes de tailles moyennes; le taux de redevance encourage à conserver les arbres d'essences utiles de diamètre moyen:

(5)

4x.

Arbres relativement peu nombreux dans les classes de taille moyennes:

(6)

5.

Il serait dangereux d'ouvrir de grandes trouées dans le peuplement:

Traitement en fûtaie jardinée (par exemple, Nouvelle-Galles du Sud)

5x.

L'ouverture de grandes trouées n'est pas dommageable

Jardinage par trouées (par exemple, Nord du Queensland)

6.

Régénération d'essences utiles suffisante dans la forêt vierge ou apparaissant aussi tôt après l'exploitation:

(7)

6x.

La régénération spontanée est insuffisante:

(8)

7.

Régénération capable de réagir positivement à une soudaine exposition complète à la lumière et à l'air:

Coupe rase (Coupes progressives) (Malaisie et Nord Bornéo)

7x.

La régénération nécessite un abri partiel pendant quelques années:

Coupes progressives après exploitation (par exemple, T.S.S. - méthode tropicale des coupes progressives - de la Trinité)

8.

La régénération se développe spontanément après ouverture de la voûte et débroussaillage:

(9)

8x.

La régénération ne se développe pas spontanément:

Régénération artificielle combinée éventuellement avec quel que autre type de traitement (par exemple, la Réunion, Nord Queensland, en partie)

9.

La régénération une fois provoquée répond bien à une exposition à la pleine lumière:

Coupes progressives avant exploitation (par exemple, T.S.S. en Nigeria)

9x.

La régénération, après son départ, demande un abri pendant quelques années:

Coupes progressives prolongées (par exemple, Andamans)

FIGURE 3. - Destruction des arbres indésirables dans une foret dense humide par la méthode de la collerette avec application d'une solution de 200 g d'arsenic de soude par litre. Kemasul F.R., Malaisie.

Les traitements d'amélioration sont une phase transitoire dans probablement tous les cas de transformation en forêts aménagées de peuplements précédemment non aménagés (par exemple, les traitements «timber stand improvement» (T.S.I.) appliqués aux Etats-Unis aux forêts mixtes de pins et de feuillus et en Australie aux forêts d'eucalyptus). L'aménagement de la forêt dense humide étant une pratique encore assez récente, les interventions d'amélioration sont nécessairement inséparables du traitement même lorsqu'on insiste principalement sur l'installation de la régénération. Les opérations consistent en premier lieu à supprimer les arbres défectueux, mal venus ou les essences peu prisées qui n'ont sur place aucune valeur commerciale. Le dégagement de cette surface terrière inutilisée permet aux arbres des espèces utiles et à la régénération de se développer plus rapidement; on dégage, en général, pour favoriser le développement du recrû, mais on peut le faire aussi dans des secteurs qui ne pourront vraisemblablement pas être exploités ni soumis à un traitement de régénération pendant longtemps: cela permet aux espèces qui pourraient avoir une certaine utilité de donner un plus grand volume de bois quand on procédera à l'abattage et cela laisse la forêt dans des conditions meilleures pour les traitements de régénération appliqués plus tard. Dans l'ancien Congo belge (Donis et Maudoux, 1951), «l'uniformisation par le haut» était un traitement de ce genre et l'on a recommandé récemment des opérations analogues pour certaines forêts de la Malaisie (Wyatt-Smith, 1962).

Les traitements d'implantation et l'entretien ultérieur du peuplement sont considérés, en général, comme étant à la base des divers systèmes sylvicoles appliqués dans les forêts denses humides. Comme nous l'avons déjà dit, les traitements consistent surtout en opérations d'amélioration qui, d'ailleurs, sont bien réduites au cours des révolutions successives. Les méthodes appliquées sont de deux sortes: les unes visent à produire un peuplement équienne et régulier, les autres à conserver un type de forêt irrégulier et d'âges différents.

Le choix du type de traitement applicable à chaque cas dépend pour une part de considérations économiques et politiques locales mais aussi des caractéristiques sylvicoles des principales essences qui composent le peuplement, comme il a été dit précédemment. Dans le tableau, 1 nous avons essayé de dégager les divers facteurs économiques et sylvicoles qui peuvent se présenter, en indiquant le type de traitement qui pourrait le mieux convenir à chaque combinaison de ces facteurs. Les rubriques 1 à 4 sont essentiellement économiques et les rubriques 5 à 9 essentiellement sylvicoles: l'importance prépondérante accordée aux considérations économiques n'est pas sans raison, mais reflète la prépondérance des facteurs économiques pour la détermination rationnelle des opérations forestières à accomplir.

Traitement de la forêt

Tous les traitements appliqués à la forêt dense humide comportent un certain nombre d'opérations sylvicoles. Certaines peuvent s'effectuer ensemble ou indépendamment, mais dans tous les cas il y a un petit nombre d'opérations distinctes auxquelles il faut procéder.

Les préparations du sol, qui ont pour but de faciliter la germination des graines, sont rarement appliquées dans la forêt dense humide, mais le débardage au tracteur remplit parfois cet office. Dans le nord du Queensland, on ratisse les déchets végétaux qui couvrent le sol autour des semenciers pour provoquer la régénération d'essences utiles dans les endroits qui en manquent (Anon., 1954).

L'ouverture de la voûte est une opération très importante dans la plupart des cas. On la fait en quatre opérations:

a) Délianage (CC)2. Dans la plupart des secteurs, cette opération est indispensable et répond à plusieurs buts. On la fait notamment pour faciliter l'accès dans le peuplement, pour ouvrir dans la voûte un passage suffisant à la lumière, pour détruire un groupe de plantes nuisibles très envahissantes.

b) Exploitation (F). Normalement, c'est l'opération qui laisse les plus grandes trouées dans la voûte. Quand on enlève un arbre abattu, en général, l'ouverture qu'il laisse est agrandie du fait des dégâts que subissent les arbres voisins au moment de sa chute.

c) Suppression du sous-étage (Ru). Très souvent, les essences d'ombre, du sous-étage ont un feuillage très épais et il faut les supprimer pour provoquer le départ de la régénération et lui dégager le passage. Le plus souvent, l'opération se fait par la méthode dite de la collerette, avec empoisonnement de l'arbre à l'arsénite de soude, mais aussi à l'aide de poisons de type hormonique (à savoir 2,4,5-T), ou par l'annélation simple sans empoisonnement; quant aux petits arbres, ils peuvent être simplement abattus.

d) Suppression de l'étage supérieur (Ro). C'est une opération essentielle qui consiste à éliminer les grands arbres sans valeur qui occupent beaucoup d'espace au détriment des autres. On la fait généralement par la méthode de la collerette avec empoisonnement (figure 3).

2 Les symboles CC, F. Ru, Ro, etc. ont été utilisés dans le tableau 2 pour indiquer ces diverses opérations.

La régénération artificielle (P), par plantation d'enrichissement ou plus rarement par semis (par exemple, à la Réunion; Miguet, 1955), s'applique surtout aux peuplements naturels (figure 4). Cette opération a un double but: tout d'abord de régénérer artificiellement des endroits où il n'a pas été possible de provoquer la régénération naturelle (par exemple, dans le Queensland du Nord; Anon., 1954), et en deuxième lieu, d'implanter dans un secteur des essences de valeur qui y sont rares ou qui ne s'y trouvent pas naturellement, en espérant qu'elles continueront à se multiplier d'elles-mêmes au cours des périodes de révolution suivantes (par exemple, la Trinité; Moore, 1957).

Le débroussaillage (C) est largement pratiqué pour éliminer la végétation buissonnante, palmiers sans tige, grandes herbes et toute autre végétation de sous-bois qui pourrait gêner l'implantation ou le départ de régénération. Cependant, on s'est rendu compte que cette opération risque souvent de détruire accidentellement beaucoup de semis pré-existants d'essences utiles, et on tend maintenant à la limiter aux endroits où la densité du sous-bois empêcherait l'implantation de la régénération naturelle (par exemple, les collines de Malaisie où le sol est envahi par les palmiers sans tige, Eugeissona triste).

Les coupes de dégagement ont pour but de faciliter au maximum l'accroissement des semis de régénération en supprimant les fûts sans valeur ou de moindre valeur qui pourraient gêner la croissance des arbres utiles. On peut distinguer deux types d'opération:

a) Suppression des individus gênants (A). Il s'agit, en général, d'une opération sélective que l'on applique aux jeunes peuplements dans lesquels les fûts indésirables (c'est-à-dire la plupart des espèces «secondaires» à croissance rapide) sont éliminés lorsqu'ils surciment ou concurrencent de quelque autre manière les gaulis des essences de valeur.

b) Eclaircie (T). Cette opération qui s'applique aux peuplements de recrûs plus anciens a pour but de favoriser les meilleures tiges du peuplement en supprimant les tiges moins bien venues de la même espèce ou d'autres espèces qui les concurrencent.

Le sondage d'orientation (S), qui est l'opération finale, n'a pas à proprement parler un caractère sylvicole. Toutefois, sur l'exemple de ce qui a été fait en Malaisie (Barnard, 1950), on y a recours maintenant aux divers stades du traitement de la forêt pour s'orienter quant à la suite des opérations à effectuer. On délimite en général des bandes transversales de faible surface (1 milliacre, 1/160e d'acre, 1/40e d'acre [4m2, 25m2, 100m2]) dans le secteur soumis au traitement et on note la composition et l'état de la régénération dans chacune de ces parcelles. Les résultats de ce sondage permettent d'en déduire le type de traitement qui convient au secteur (Barnard, 1950; Dawkins, 1958; Wyatt-Smith, 1960).

TABLEAU 2. - Suite des opérations dans les traitements typiques appliqués a une régénération équienne

Année

Coupe rase (Malaisie)

Coupes progressives avant exploitation (Nigeria)

Coupes progressives après exploitation (Trinité)

Coupes progressives prolongées (Andamans)

Révolution

70 ans

100 ans

60 ans

?

n - 5

(Ru)

(1)

S, CC, Ru

 



C, Ru* (9)

n - 3

(C)

(2)

n - 2

(CC)

(3)

n - 1



 

CC

CC

n

S, F, Ro, Ru

(4)

F

F

F. Ru*

n + 1




Ru*, Ro* (P) (8)

L, C, CC

n + 2

(L)

(5)

CC, L, Ro

L

L, C, CC

n + 3







L

L, C, CC, Ro

n + 4

CC, L


n + 5

S. (CC, L, T, Ru)

(6)


CC, L, Ro


n + 6






T

T

n + 9

S (7)



n + 10

S (CC, L, T, Ru)

(6)




D'après les séries d'opérations les plus fréquemment employées; les symboles indiquant les opérations sont ceux qui ont été indiqués dans la section sur les opérations de traitement, plus:
* traitement à caractère uniquement sélectif (c'est-à-dire partiel, incomplet).

(1) Opération effectuée uniquement dans certaines stations ou en cas de nécessité (indiqué en général par S).

NOTES: (1) Uniquement dans certains secteurs (par exemple, forêts denses humides à climat saisonnier du secteur nord-ouest) où la régénération est difficile à s'implanter.
(2) Dans les forêts envahies par le palmier sans tige ou le bambou.
(3) Dans les forêts particulièrement envahies par les lianes (en général secteurs abandonnés par la culture nomade).
(4) D'abord S. ensuite F suivi par la suppression des arbres indésirables à d'aide du poison.
(5) Uniquement quand on veut obtenir des feuillus à bois dur dont la croissance est plus lente (par exemple, Balanocarpus, certains Shorea spp.) qui demandent de plus grands soins (rarement utilisés dans la pratique).
(6) S à 5 ans (parcelles de 1/4 de ch.2 - environ 100 m2 -) et 10 ans (parcelles de 1/2 ch.2 - environ 200 m2 -) suivi des opérations indiquées pour dégager les arbres les plus utiles.
(7) On propose S à n + 9, qui donnera probablement les mêmes résultats que le S de Malaisie à n + 10 (voir n° 6 ci-dessus).
(8) Ouverture partielle de la voûte Pour produire un abri léger; on peut effectuer une plantation d'enrichissement pour implanter dans le secteur des espèces exotiques intéressantes (par exemple, Chlorophora, Terminalia spp.) surtout comme semenciers en prévision des révolutions futures.
(9) On s'arrange pour que le début des opérations coïncide avec une bonne année de graines qui se produit à peu près tous les 4 ans: ainsi 4 a 5 coupes annuelles recevront le traitement initial (C, Ru*) en même temps avec opérations suivantes dans les années n - 1, n, etc. prévues dans le plan d'exploitation, Pour les divers compartiments.

FIGURE 4. - Erables du Queensland (Flindersia brayleyana), de 6 ans, plantés en forêt dense humide sous traitement, dans une clairière dépourvue de régénération naturelle. Réserve 99 Ouest, Queensland.

FIGURE 5. - Déchargement de grumes débusquées de la foret dense humide sur la rive d'un fleuve d'où elles seront transportées par voie d'eau jusqu'à l'usine de Sapele. Okomu F.R., Nigeria.

FIGURE 6. - Régénération de Kapur (Dryobalanops aromatica) en voie de croissance rapide après avoir été tiré de son «sommeil» végétatif par un dégagement récent réalisé par abattage et annellation avec empoisonnement. Kluang F. R. Malaisie.

FIGURE 7. - Vue générale d'un secteur où les arbres ont été abattus et empoisonnés environ 18 mois auparavant suivant le système de coupes progressives malais. Remarquer les troncs morts et empoisonnés et les fûts d'arbres jeunes restés sur pied avec un recru dense d'espèces secondaires (parmi lesquelles beaucoup de Trema sp.) et une régénération d'espèces utiles. Pasch, F. R. Malaisie.

Régénération des peuplements équiennes

Dans la plupart des régions où l'on fait de sérieux efforts pour aménager la forêt dense naturelle, le principal objectif est d'obtenir des peuplements équiennes. Il y a à cela différentes raisons:

1. Les mauvais résultats des abattages sélectifs effectués autrefois. Dans la plupart des cas, on a commencé à exploiter la forêt dense humide d'une manière désordonnée et par des abattages extrêmement sélectifs. C'était là une dégradation des peuplements plutôt que de la sylviculture, mais le fait que cette méthode n'a pas abouti à une régénération intéressante a fait naître dans beaucoup de régions un préjugé contre les systèmes d'aménagement en fûtaie jardinée.

2. Le développement des méthodes d'exploitation forestière mécanisée qui, pour être rentables, exigent un fort volume d'abattage par hectare et qui, dans la forêt dont le rendement est en général faible, conduisent à exploiter le peuplement au maximum consenti (figure 5).

3. Le fait que les peuplements équiennes sont beaucoup plus faciles à aménager.

4. Les opérations d'abattage ne se font pas sans endommager les arbres laissés sur pied: dans ces conditions il serait préférable de tout enlever.

5. L'amélioration des normes d'utilisation, de telle sorte que le forestier est moins souvent obligé de détruire des arbres de grande dimension et bien formés, mais d'espèces non commercialisables.

6. Le fait que la plupart des espèces de valeur sont des essences de lumière dont la régénération est facilitée dans des peuplements équiennes (figure 6).

On peut distinguer quatre principaux systèmes de régénération de la forêt dense humide en peuplement équienne (voir tableau 1, nos 7, 7x, 9 et 9x). Dans trois de ces systèmes on considère indispensable la présence d'un couvert, soit pour faciliter l'implantation des semis de régénération, soit pour en favoriser le développement dans les premières années, tandis que le quatrième n'exige par cette protection. On trouvera au tableau 2 des détails sur la série de traitements appliqués couramment dans ces quatre systèmes, mais ces séries ne sont que rarement appliquées selon une formule rigide, étant donné que les traitements changent suivant les conditions locales et les résultats du sondage d'orientation; il faut noter d'ailleurs que, dans tous les cas, on conserve des fûts d'essences de valeur qui n'ont pas atteint l'âge de maturité, de telle sorte que la forêt soumise au traitement n'a jamais l'aspect d'un peuplement équienne ayant succédé à une coupe à blanc.

Il faut noter aussi, que dans les régions de la Malaisie où la suppression du sous-étage précède la coupe principale2, il ne s'agit plus de coupe à blanc, mais plutôt de coupes progressives préparatoires. Au Nigeria, la voûte de protection est constituée 5 ans avant la coupe principale et supprimée bientôt après celle-ci; à la Trinité, elle est formée au moment de la coupe d'exploitation et supprimée environ 5 ans après; dans les Andamans, elle est formée au moment de la fructification, de 2 à 5 ans avant la date prévue pour la coupe d'exploitation et conservée environ 3 ans après cette coupe. Dans d'autres régions, on utilise des modifications de ces systèmes qui ne sont pas notées dans le tableau 2.

2 Voir note 1, tableau 2.

La régénération en forêt inéquienne

Les systèmes à peuplements équiennes sont certainement plus simples à appliquer et on peut constater dans des circonstances très diverses qu'ils conviennent bien à l'aménagement de la forêt dense humide. Toutefois, dans bien des cas, on préfère des systèmes à peuplements inéquiennes et cela pour d'excellentes raisons. Les exemples ci-après s'ajoutent au cas des forêts étendues où, encore aujourd'hui, on continue à faire de l'abattage sélectif d'une manière désordonnée sans essayer réellement d'aménager la forêt.

On s'oriente alors vers la formule inéquienne pour les raisons suivantes:

1. Elle permet de laisser sur pied des fûts de petit diamètre, sains et actuellement sans grande valeur. On le fait en réalité aussi dans la plupart des systémes à peuplements équiennes mais, surtout lorsque ces arbres sont en grand nombre et que les taux de redevance donnent un bénéfice plus élevé pour un certaine volume de grumes de grande dimension, on est fortement tenté de conserver sur pied un trop grand nombre de ces arbres non encore exploitables pour qu'un aménagement équienne soit possible.

2. Elle permet de conserver le répartition existante de la forêt en classes de dimension.

3. Le sol est protégé contre l'action des agents météorologiques et une érosion possible. Toutefois, même dans le système radical de coupe rase appliqué en Malaisie, le sol est rarement mis à nu pendant longtemps.

4. On évite le risque de destruction par les cyclones, les peuplements équiennes étant plus vulnérables que les peuplements inéquiennes (Wadsworth et Englerth, 1959).

5. Elle assure une meilleure protection contre les autres méfaits du climat. Cet argument a probablement une plus grande importance pour la forêt humide tempérée que pour la forêt humide tropicale (Baur, 1962).

6. Elle conserve à la forêt un aspect plus attrayant, et c'est là un argument important quand il s'agit d'une forêt d'intérêt touristique.

7. Elle permet de conserver des espèces invendables pour le moment mais qui pourraient trouver un débouché plus tard dans le courant de la période de révolution.

FIGURE 8. - Régénération dense d'érables du Queensland (Flindersia brayleyana) obtenue par un traitement normal de la foret dense humide appliqué 8 ans auparavant. Réserve 99 Ouest, Queensland.

Les principaux inconvénients des systèmes à peuplements d'âges mêlés sont, comme il a été dit, les suivants:

a) Les essences les plus importantes de la forêt dense humide sont des essences de lumière.

b) Il est préférable d'effectuer un petit nombre d'opérations importantes d'abattage concentrées sur un secteur restreint plutôt que d'en effectuer plus souvent de moins importantes.

c) Pendant les opérations d'abattage, les fûts que l'on voudrait conserver sur pied sont souvent endommagés (Dawkins, 1958).

Deux exemples de systèmes à peuplement inéquienne suffiront probablement pour en illustrer les principaux caractères. Dans ces deux exemples, ce qui apparaît le plus, c'est l'importance accordée aux opérations d'amélioration par suppression des espèces indésirables, à tel point que le premier exemple pourrait peut-être être considéré comme celui d'une technique d'amélioration plutôt que d'une technique d'implantation.

Porto Rico. Le traitement de la forêt des monts Luquillo est encore plutôt expérimental bien que des secteurs appréciables aient déjà été aménagés. L'objectif est de former un peuplement ayant une surface terrière d'environ 18 m2/ha équilibrée en ce qui concerne la répartition des fûts par classes de diamètre et par groupes d'essences, entretenue sur un cycle de révolution de 5 ou 10 ans. Les peuplements ont été très dégradés par les abattages des périodes précédentes et comme il s'agit d'un important bassin de réception qui a de plus une valeur touristique, il faut y éviter des trouées excessives dans la voûte du peuplement. Le traitement consiste à supprimer des arbres là où les cimes se rejoignent, tout en évitant des trouées de plus de 8 m de diamètre et en laissant un dégagement d'à peu près 2 m autour des cimes des arbres laissés sur pied. Le traitement consiste surtout à exploiter les arbres de plus grande taille et à enlever ceux des espèces les moins utiles ou les moins bien venus. En fin de compte le peuplement sera aménagé comme une véritable forêt jardinée dans laquelle les essences d'ombre devraient prédominer (Wadsworth, 1947; 1952; 1957).

Queensland du Nord. Les forêts denses humides du haut-plateau de Atherton ressemblent par bien des côtés à celles des monts Luquillo, car les unes et les autres sont classées comme forêts humides sub-montagnardes et se trouvent dans une zone cyclonique. La demande de bois d'oeuvre est assez importante dans la région, mais il y a un fort écart de prix entre le bois d'oeuvre des espèces les plus demandées (par exemple Flindersia brayleyana) et le bois de celles qui le sont moins et, dans une même espèce, entre les billes les plus grosses et les billes les plus petites. Il s'ensuit que les exploitants sont portés à laisser sur pied les billes de petit diamètre (quoique déjà marchandes) qui sont destinées à augmenter de valeur par unité de volume avec la croissance. C'est ce qui a fait adopter un système d'aménagement inéquienne qui, après la phase initiale centrée surtout sur l'amélioration, se rapprochera du système de jardinage par trouées très employé dans les forêts australiennes d'eucalyptus (Jacobs, 1955). On envisage une période de révolution de 15 à 20 ans avec la suite d'opérations ci-après:

1. Délianage et suppression du sous-bois sans valeur.

2. Suppression complète de tous les semis ou buissons de Laportea moroides (une espèce urticante).

3. Marquage des arbres ayant une circonférence minimum, mais avec l'objectif suivant:

a) Laisser sur pied comme semenciers tous les fûts des essences de valeur supérieurs à cette taille là ou la réserve de régénération est faible;

b) Supprimer tous les fûts inférieurs à cette taille mal venus ou malingres;

c) Eclaircir toutes les formations denses de tiges inférieures à cette taille.

4. Exploitation des fûts marqués, suivie d'une nouvelle éradication de L. moroides.

5. Suppression des fûts sans valeur et éventuellement, pour favoriser le développement d'essences qui pourraient devenir intéressantes, suppression des essences de moindre valeur.

6. Travail du sol dans les secteurs où se trouvent des semenciers mais où la régénération se fait mal, et plantation d'enrichissement dans ceux où les semenciers sont en nombre insuffisant.

7. Coupes de dégagement au bout de 3 à 4 ans.

Les limites de circonférence au-dessous desquelles on conserve normalement les fûts vont de plus de 2,50 m - 76 cm d.h.p. - pour les essences les plus précieuses, jusqu'à 1,80 m - 58 cm d.h.p. - pour celles de moindre valeur.

TABLEAU 3. - Rendements escomptés de la forêt dense humide traitée

Pays

Révolution

Rendement de l'exploitation initiale

Accroissement annuel de la Nouvelle récolte (1)

Production (1)

Années

ft/ac

m3/ha

ft/ac

m3/ha

ft/ac

m3/ha

Malaisie

70 ans

-

860 (2)

60

30-60 (3,4)

2,1-4,2

2100-4200

145-290

Nigeria

100

-

400 (5)

28

60 (5)

4,2

6000 (6)

420

Trinité

60

-

1300 (7)

91

89 (8)

6,2

5000

350

Porto Rico

-

5-10

?

?

60 (9)

4,2

300-600

21-42

Nord du Queensland

-

15-20

c.400 (10)

28

40 (11)

2,8

600-800

42-55

NOTES:
(1) L'accroissement est un accroissement moyen annuel pour les peuplements équiennes et un accroissement partiel pour les peuplements non équiennes; la production a été calculée en multipliant l'accroissement par le nombre d'années de la révolution.
(2) Vincent, 1960.
(3) Cousens, 1957 - d'après un échantillonnage général effectué dans une forêt régénérée avant 1940 à Perak suivant l'ancien système de «régénération par coupes d'amélioration» (une forme de coupes progressives avant exploitation qui est l'ancêtre direct du système nigérien actuel).
(4) La valeur la plus élevée a été obtenue dans des parcelles faisant partie des peuplements bien garnis d'une ancienne forêt régénérée (33 à 50 ans d'âge).
(5) Rosever, 1952.
(6) Dans la coupe définitive sont compris environ 140 m3/ha, obtenus des abattages intermédiaires.
(7) Chiffres communiqués par D. Moore (communication personnelle); production de grumes de sciages: 8,87 m3/ha; de bois de feu: 85 m3/ha.
(8) Parcelle mentionnée par Moore, 1957.
(9) Accroissement en grumes de sciage seulement, Wadsworth, 1957.
(10) Exploitation partielle seulement
(11) Parcelle mentionnée par Volck, 1960.

RENDEMENTS ESCOMPTÉS

Bien que très différents, tous ces modes de traitement de la forêt dense humide ont ceci en commun qu'ils représentent une adaptation du mode de croissance et de régénération naturel de la forêt vierge: le système de coupe rase appliqué en Malaisie n'est pas moins naturel que le système de jardinage appliqué à Porto Rico (figure 9).

Quant aux rendements en bois d'oeuvre obtenus avec ces modes de traitement, il est assez difficile de les évaluer: en effet, la forêt dense le plus anciennement aménagée que connaisse l'auteur est le magnifique peuplement de Kapur (Dryobalanops aromatica) qui se trouve dans la réserve forestière de Kanching en Malaisie et qui a été régénéré il y a déjà une cinquantaine d'années, mais dans la plupart des autres régions, il n'a été entrepris d'aménagement sérieux que depuis la guerre de 1939-45. Au tableau 3, nous avons essayé d'évaluer les rendements probables dans les différentes régions.

On trouve dans ce tableau 3 des accroissements annuels atteignant jusqu'à 6 m3/ha, mais en réalité, il est rare que l'on puisse obtenir dans un grand massif de forêt dense humide aménagée plus de 3,5 m3/ha. Ces chiffres sont à comparer avec les accroissements de 14 à 42 m3/ha que l'on obtient couramment sur l'emplacement d'anciennes forêts denses humides avec des plantations de certains Pinus, Araucaria et Eucalyptus.

FIGURE 9. - Peuplement de Meranti tembaga (Shorea leprosula), de 34 ans d'âge avec un volume d'accroissement moyen annuel de 4,2 m3/ha.

Ce secteur a été régénéré par le «Regeneration Improvement Felling System» appliqué en Malaisie avant la guerre 1941-45 et sur lequel est basé le système de coupes progressives avant exploitation appliqué en Nigeria. Pasch, F. R., Malaisie.

On pourrait en proposer plusieurs explications:

1. Quelques espèces (notamment plusieurs résineux et eucalyptus) ont la faculté de produire des volumes de bois bien supérieurs à la plupart des autres. Des plantations de Flindersia brayleyana dans le nord du Queensland et de Tectona en Inde et à la Trinité, produisent rarement comme moyenne annuelle plus de 10,5 m3/ha.

2. On utilise des normes différentes pour calculer le volume de l'accroissement; cette détermination se fait souvent pour les plantations d'après leur rendement en pâte, en poteaux, etc., et pour les peuplements naturels d'après la production en grumes de sciage d'assez grand diamètre.

3. L'intensité différente d'aménagement: dans les plantations, pratiquement tout l'accroissement se rapporte à des arbres utilisables, tandis que dans la forêt dense même aménagée, une grande partie de cet accroissement se perd sur des espèces inutilisables et sur le sous-bois.

On pourrait dire que la production maxima absolue de la plupart des essences qui composent la forêt dense humide est d'environ 10 m3/ha/an et que, dans une forêt aménagée, il ne faut guère compter utiliser plus d'un tiers de cette production. On comprendra aisément par un simple calcul d'intérêt composé, que si l'on veut récupérer le coût du traitement de la forêt dense humide, il faudra réaliser cet accroissement limité aussi rapidement que possible, en concentrant le taux maximum d'accroissement sur les arbres qui seront en fin de compte exploités: dans les peuplements équiennes, on estime qu'il s'en trouve ordinairement de 75 à 100 à l hectare. On peut en conclure à coup sûr que les opérations de dégagement constituent la phase la plus importante du traitement de la forêt dense humide.

On ne peut douter que la forêt dense humide est actuellement aménagée avec succès et avec profit dans beaucoup de régions du monde et que l'on pourra étendre cet aménagement pendant des générations à des secteurs encore plus grands. Il n'en reste pas moins que les considérations ci-dessus confirment fortement la conclusion de Wadsworth (1960):

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