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Conservation des sols et des eaux


Aménagement pour la conservation des sols et des eaux


Aménagement pour la conservation des sols et des eaux

T. Michaelsen

L'auteur est spécialiste de la conservation des forets, Division des ressources forestières, FAO, Rome.

L'auteur décrit différents scénarios dans lesquels la conservation des sols et des eaux est considérée comme un aspect important de l'aménagement durable de la forêt. Il fait brièvement le point des connaissances - encore fragmentaires - en matière d'hydrologie forestière, principalement dans les zones tropicales; il décrit certaines options d'aménagement et les effets de chacune sur la conservation des terres et des eaux et présente certaines considérations importantes dont il faut tenir compte dans les grandes opérations de construction de routes, de défrichement, etc. Enfin, il évoque certaines spécificités des zones semi-arides. L'équilibre hydrologique des forêts naturelles, une fois détruit, ne peut jamais être pleinement rétabli; il faut donc prendre à temps les mesures vitales nécessaires pour protéger de la destruction les forêts essentielles à la conservation des ressources hydriques et éviter que les terres ne soient consacrées à d'autres usages, y compris les plantations forestières. Par ailleurs, il est prouvé qu'en respectant certaines règles élémentaires, il est possible d'exploiter la forêt sans provoquer de pertes de sol, d'eau et d'éléments fertilisants, inacceptables du point de vue écologique. Les effets bénéfiques des arbres et des plantations forestières sur la conservation des sols et des eaux ne sont pas automatiques. Ils dépendent en grande partie du type d'aménagement et de la présence d'une couverture végétale appropriée. Il ne sera possible de protéger et d'aménager efficacement les forêts et les arbres que si ces ressources sont considérées comme intéressantes pour les usagers des terres et pour les communautés rurales qui vivent à proximité.

AMÉNAGEMENT POUR LA CONSERVATION DES SOLS ET DES EAUX

L'aménagement des forêts pour la conservation des sols et des eaux peut répondre à des préoccupations différentes et viser des objectifs différents ou, plus généralement, un ensemble d'objectifs complémentaires ou opposés. Les scénarios peuvent être très divers selon qu'il s'agit simplement d'établir quelques règles fondamentales permettant de réduire les dégâts subis par les sols et les eaux au cours des opérations forestières telles que construction de routes, préparation du terrain, lutte contre les ravageurs et exploitation ou de protéger des bassins versants municipaux dans des zones montagneuses tropicales où la nécessité de maintenir intact le couvert forestier peut exclure toute activité susceptible de le modifier.

La notion de durabilité, quand il s'agit de conservation des sols et des eaux, n'est pas différente de ce qu'elle est dans les autres aspects de la foresterie et de l'utilisation des terres en général. Il s'agit de maintenir la productivité du milieu pour assurer un rendement soutenu. Dans les projets de conservation des sols et des eaux, on a toujours considéré que c'était là le principal objectif. Mais, en pratique, on a dû constater à maintes reprises que cet objectif à long terme était rarement atteint: les solutions techniques proposées étaient trop coûteuses pour être appliquées sur une vaste échelle ou, si elles l'avaient été, pour être entretenues par les utilisateurs des terres, y compris l'Etat et les organismes publics. Le problème est donc de traduire dans la réalité le principe de la durabilité de la conservation des sols et des eaux en forêt. Il est de plus en plus clair que cela dépend directement de la façon dont les personnes les plus directement touchées - en général les populations qui vivent dans la foret ou à proximité - perçoivent les avantages de la conservation.

Principaux scénarios de conservation des sols et des eaux dans un aménagement forestier durable

Bassins versants aménagés en vue d'un objectif unique. Il s'agit souvent de petits bassins versants situés en zone accidentée très arrosée et qui alimentent en eau une zone municipale. Ce sont par exemple les bassins qui alimentent le barrage de Guma à Freetown (Sierra Leone), le barrage de l'Hermitage à Kingston (Jamaïque) et la prise d'eau de Rio Piedras à San Pedro Sula (Honduras). Ces bassins sont relativement petits (en général guère plus de 2 000 ha), mais ont une importance énorme du fait qu'ils alimentent en eau des zones urbanisées. Dans la plupart des cas, cette importance a été reconnue par des administrations municipales clairvoyantes assez tôt pour que ces bassins aient été protégés contre l'agriculture itinérante et l'urbanisation anarchique. En général, leur fonction hydrologique a été protégée parce que l'eau était beaucoup plus précieuse que les bénéfices aléatoires et temporaires qui pouvaient être tirés du défrichement, de l'exploitation du bois de feu, du pâturage, etc. Même si c'est là une mesure impopulaire, le seul «aménagement» dans ces bassins versants doit être une surveillance efficace assurée par des gardes forestiers ou des gendarmes pour protéger le couvert forestier.

Bassins versants, réserves de faune et grands parcs nationaux. Associer dans un même bassin versant les fonctions d'alimentation en eau et de réserve naturelle de faune et de flore ou de parc national ne présente généralement guère de problèmes techniques. Les services de la faune responsables des réserves assurent généralement une protection suffisante pour les besoins des services responsables du bassin versant ou de l'approvisionnement en eau. On trouve des exemples de tels bassins versants au Kenya (parcs nationaux du Mont Kenya et d'Aberdare) et en Tanzanie (parc national du Kilimanjaro).

Il en va de même des forêts naturelles situées dans des bassins versants, qui sont protégées parce qu'elles contiennent des espèces végétales rares ou pour des raisons culturelles ou religieuses.

Alors que des aménagements hydrauliques ont été réalisés avec succès en aval des parcs nationaux et des autres zones où la forêt a été préservée, il a rarement été possible de restaurer pleinement le couvert forestier en amont des nouveaux barrages menacés par des taux élevés de sédimentation. Dans ce genre de situation, la durabilité exige des initiatives résolues et rapides. Non seulement il vaut mieux prévenir que guérir, mais il n'y a parfois aucune possibilité de guérison parce que, une fois que les bassins versants ont été colonisés par l'homme, il est difficile de persuader les habitants de s'en aller, et une fois que la forêt a été coupée, il est difficile de rétablir l'équilibre hydrologique original.

Forêts utilisées pour les loisirs et bassins versants. Partout dans le monde, les forets sont menacées par le tourisme local et international de masse: randonnées, ski, camping, pêche, chasse, etc. La vogue de l'«écotourisme», qui a fait affluer en forêt des groupes de citadins avides d'observer la nature là où seuls les plus aventureux se risquaient autrefois, et qui a créé d'importantes recettes pour les organisateurs, risque d'être victime de son propre succès. Le havre de paix qu'étaient autrefois les forêts où l'on se retirait pour tout oublier est remplacé par un réseau d'autoroutes alpines qui permettent aux skieurs d'accéder directement aux pentes, dont la configuration a été modifiée et où fourmillent les hôtels, les remonte-pentes et les pare-avalanches. L'afflux de touristes étrangers transforme rapidement les cultures locales, les forêts et les paysages dans l'Himalaya, dans les Andes et en Afrique orientale. Quand la pression est aussi intense, il n'est plus évident qu'il soit possible d'associer l'utilisation des forêts pour les loisirs aux fonctions de conservation des sols et des eaux. Il est essentiel de surveiller et de réglementer avec soin non seulement les pratiques d'aménagement forestier, mais aussi les effets sur l'environnement des activités récréatives et des infrastructures qu'elles rendent nécessaires.

Conservation des sols et des eaux dans les forêts naturelles aménagées. En ce qui concerne les interventions de l'homme, ce qui compte n'est pas tellement leur nature, mais leurs modalités. Les effets positifs ou négatifs de l'exploitation des forêts naturelles sur la conservation des sols et des eaux dépendent du tracé des routes et des pistes, de la qualité de leur construction, de leur drainage et de leur entretien, des techniques d'abattage et de débardage et du degré de mécanisation utilisée, des interventions sylvicoles, y compris les coupes de sauvetage, la protection contre les ravageurs et contre le feu, etc. effectuées entre les cycles d'exploitation. Comme l'a indiqué Hamilton à plusieurs reprises (FAO, 1986), des routes forestières mal tracées, négligées et non entretenues en terrain accidenté dans un climat tropical humide peuvent être une cause d'érosion et de perturbation des sols beaucoup plus graves que la culture itinérante qui, aux yeux des services officiels, est la principale cause de dégradation.

Il faut toutefois bien savoir que la construction de routes, quelle que soit leur qualité, jointe à une exploitation commerciale du bois, rend les forêts naturelles extrêmement vulnérables: celles-ci deviennent en effet accessibles, mais sans grand intérêt commercial pour 20 ans. Face aux revendications des paysans sans terre qui cherchent à nourrir leur famille, les politiciens n'ont alors que trois solutions possibles: fermer les yeux et tolérer une colonisation spontanée; chercher à maîtriser le changement d'utilisation des terres au moyen de programmes de réforme agraire, de transmigration, de colonisation, etc.; ou faire ce qu'il faut pour que la forêt apporte des avantages aux habitants de la zone, non seulement en leur donnant du travail au moment de l'exploitation, mais aussi en leur fournissant des aliments, de l'eau, du fourrage, des matériaux de construction et des revenus en permanence.

Bruijnzeel (1990) résume très bien ce qui peut être fait pour maintenir à long terme la productivité du terrain après l'exploitation forestière. Il indique qu'en Malaisie et au Suriname, «on a observé un fort accroissement du ruissellement et de la concentration d'éléments fertilisants dissous (principalement nitrate et potassium) après des coupes sélectives. Pour réduire les pertes, il faut choisir avec le plus grand soin le tracé des routes et les techniques d'exploitation et maintenir une bande tampon adéquate, etc. L'accroissement des pertes d'éléments fertilisants signalé jusqu'ici est temporaire, d'ampleur relativement limitée, et ne devrait pas menacer la productivité future. Il faudrait étudier plus à fond divers substrats géologiques, notamment du point de vue du volume et de la nature des sédiments qu'ils produisent». (italiques ajoutées)

Plantations forestières et conservation des sols et des eaux. L'idée que la plantation d'arbres est synonyme de conservation des sols et des eaux est très répandue dans la presse et dans l'opinion publique. En outre, on croit généralement que la meilleure façon de faire reverdir la terre est d'interdire l'accès aux plantations. Ces deux idées appellent certaines réserves: i) les plantations de plusieurs essences, notamment de teck, de pin et d'eucalyptus, ainsi que d'Alnus nepalensis, peuvent être le théâtre d'une grave érosion peu après la fermeture du couvert, quatre à 15 ans après la mise en place; en tel cas, des éclaircies précoces sont recommandées pour favoriser le rétablissement d'une couverture au sol. Les plantations peuvent avoir un effet bénéfique sur le régime des eaux si elles sont bien planifiées et si elles sont gérées en vue de cet objectif. Les plantations forestières dans des bassins versants ont généralement plusieurs objectifs. Si l'unique objectif est la conservation des sols et des eaux, il faut préférer la régénération naturelle chaque fois que possible. Sur certains terrains érodés, il peut être nécessaire de planter des essences pionnières et des graminées pour faire démarrer la reprise de la végétation; ii) si l'on interdit aux habitants d'accéder aux plantations établies sur d'anciens parcours dégradés, ils s'arrangent en général pour faire péricliter les arbres ou bien ils vont faire paître leurs troupeaux ailleurs, sur des terres qui, le plus souvent, sont encore plus marginales, provoquant ainsi des dégâts en aval.

Utilisation mixte des terres et conservation des sols et des eaux. En région tropicale et subtropicale, la plupart des bassins versants ne sont pas entièrement boisés; ils abritent souvent une population dense d'agriculteurs de subsistance. L'utilisation qu'ils font du bassin versant n'est pas automatiquement «bonne» ou «mauvaise»: des terrasses bien aménagées peuvent être aussi stables que des plantations forestières, et des herbages fauchés ou alternativement pâturés et mis en défens peuvent avoir des taux d'érosion et de ruissellement presque aussi faibles que des terrains boisés. Mais il est rare que les forêts de montagne aient été remplacées par d'autres utilisations des terres bien gérées et durables. C'est pourquoi beaucoup de zones de montagne appellent des travaux de restauration.

Rôle des arbres et des forêts dans le cycle de l'eau et dans la conservation des sols et des eaux

Notre propos n'est pas de décrire complètement le cycle de l'eau et le rôle des arbres et de la végétation ligneuse. Mais la connaissance de l'hydrologie des forêts tropicales et subtropicales s'est beaucoup améliorée depuis une dizaine d'années, de sorte que nous comprenons mieux ce que les arbres et les forêts peuvent et ne peuvent pas faire pour rendre durable telle ou telle utilisation des terres envisagée.

Interception et infiltration. L'interception de l'eau par la végétation, ligneuse ou non, a deux conséquences, à savoir: i) quand le régime des précipitations est caractérisé par des averses de faible intensité, l'essentiel de l'eau ne parvient pas jusqu'au sol mais retourne directement dans l'atmosphère en s'évaporant des feuilles, des tiges, des branches, etc.; et ii) même quand les pluies sont très fortes, les gouttes ne frappent pas directement le sol, de sorte que l'arrachage des particules de sol, qui est généralement la première étape de l'érosion, ne se produit pas. En outre, selon les conditions locales, l'interception peut prendre trois autres formes importantes: interception du brouillard et des précipitations «horizontales»; interception par les cimes des arbres en l'absence de couverture au sol ou de litière; et pluies violentes. L'interception des précipitations «horizontales» est importante dans les déserts froids tels que ceux du nord du Chili ou dans les forêts de brouillard d'Amérique centrale à partir d'une altitude d'environ 2 000 m. Il y a bien d'autres exemples de conditions locales particulières dans lesquelles cette interception contribue de façon importante à l'humidité du sol.

L'interception par les cimes des arbres, plusieurs mètres au-dessus du sol n'aide pas à protéger celui-ci et peut, dans certains cas, accroître l'érosion en concentrant l'eau sur les feuilles, qui tombe ainsi au sol en gouttes plus grosses que les gouttes de pluie. C'est souvent le cas avec des essences à grandes feuilles telles que le teck, mais cela arrive aussi avec d'autres essences. Cela risque d'être un facteur d'érosion sur les terrains en pente quand la plantation est assez dense pour que le couvert se ferme et empêche le développement d'un sous-étage, y compris d'un sous-étage agroforestier.

Dans le cas des pluies tropicales violentes - plus de 100 mm en deux heures - le pouvoir d'interception n'a plus guère d'effet sur le ruissellement superficiel, mais le couvert forestier peut néanmoins assurer une protection mécanique contre l'impact direct des gouttes sur la surface du sol.

Les taux d'infiltration sous un couvert forestier naturel non modifié sont généralement élevés et le ruissellement est un phénomène relativement rare, sauf dans le cas de pluies exceptionnellement violentes. L'influence du couvert forestier tient principalement à ce que le sol est couvert de litière et qu'il conserve sa teneur en matières organiques. En outre, les racines, vivantes ou mortes, créent des espaces interstitiels plus importants que ceux qui résultent de la texture du sol. Toutefois, une fois que ces espaces sont saturés, l'infiltration dépendra de la texture du sol, indépendamment du couvert végétal et de l'utilisation des terres, sauf peut-être dans le cas des herbages surpâturés où le taux d'infiltration peut être réduit par le piétinement.

Utilisation de l'eau par les arbres. L'utilisation de l'eau par les arbres et la végétation forestière fait depuis longtemps l'objet d'un débat parfois passionné et qui a d'importantes incidences pratiques. Dans les zones tempérées, on a planté des arbres pour assécher les marécages et faire baisser la nappe. L'étude célèbre de paires de bassins versants effectuée au laboratoire d'hydrologie de Coweeta en Caroline du Nord (Etats-Unis) depuis 1934 a prouvé très clairement qu'il était possible d'accroître le rendement d'eau en réduisant la végétation forestière (Swank et Crossley, 1988).

Toutefois, des recherches ultérieures effectuées en région tropicale et subtropicale ont prouvé que ces résultats ne peuvent s'appliquer directement dans les tropiques, ne serait-ce qu'à cause du risque d'érosion lié à la fréquence et à l'intensité des pluies. Dans les tropiques, on ne peut recommander d'éclaircir la végétation pour accroître le rendement d'eau. Bien au contraire, l'observation du bassin versant de Phewa Tal au Népal a montré que, dans certains cas, l'accroissement de l'infiltration qui a suivi le reboisement de pâturages communaux dégradés a plus que compensé la consommation d'eau des arbres, et que les sources ont commencé à rester en eau plus longtemps pendant la saison sèche.

La question des essences exigeantes en eau est une des raisons qui a amené la FAO à étudier Les effets écologiques des eucalyptus (FAO, 1985). On a constaté que les eucalyptus produisaient autant de biomasse par unité d'eau consommée que d'autres essences. Il est vrai que les plantations d'eucalyptus utilisent normalement plus d'eau que la végétation naturelle, à cause de la quantité de biomasse qu'ils produisent. C'est pourquoi il n'est pas recommandé de les planter dans les bassins versants où l'on estime plus important de produire de l'eau que du bois. Il en va de même d'autres essences à croissance rapide, y compris les pins. Dans ces bassins versants, il convient donc, autant que possible, de préserver une végétation naturelle. Rappelons en outre que dans les montagnes des régions tropicales, il n'y a guère de possibilités d'accroître la production d'eau en éclaircissant la végétation.

Forêts et précipitations. Il n'y a pas de preuve que même les déboisements les plus massifs aient réduit les précipitations moyennes annuelles, ni que les programmes de reboisement les feraient augmenter. Sauf exceptions localisées, les précipitations sont déterminées par les conditions de l'atmosphère, par les systèmes de basse pression et non pas par l'état du terrain (Pereira, 1989).

On peut donc dire d'une façon générale que le déboisement n'est pas une cause de sécheresse, comme le laisse parfois entendre la presse. La dégradation des terres qui suit la suppression du couvert forestier, du fait notamment de pratiques culturales inadaptées, de surexploitation et de surpâturage, peut donner l'impression que les pluies ont diminué; mais cette impression n'est pas confirmée par les relevés météorologiques à long terme.

Forêts et inondations. Même s'il est vrai que le couvert forestier non altéré maintient des taux d'infiltration élevés et une forte capacité de rétention d'eau, cela ne veut pas dire que la forêt naturelle puisse réduire le ruissellement de façon illimitée. Lorsqu'il tombe plus de 100 mm d'eau en deux heures sur la côte nord de la Jamaïque ou 400 mm en 24 heures en Thaïlande du Sud ou au Honduras, aucun pouvoir d'infiltration et aucune capacité de rétention d'eau ne peuvent être suffisants et l'eau excédentaire ruissellera et provoquera des inondations en aval (Hamilton, FAO, 1988).

Comme l'a fait observer Hamilton (FAO, 1986), les forestiers ne devraient pas céder à la tentation de justifier leurs demandes de crédit pour le reboisement par la promesse d'une maîtrise des crues, car cette promesse ne saurait être honorée parce que: i) les conditions primitives de la forêt naturelle ne peuvent être rétablies que partiellement et ii) les dévastations sont «causées» par des précipitations exceptionnelles dont le volume dépasse de loin la capacité de rétention de n'importe quelle terre, boisée ou non, et par le fait que les plaines inondables en aval sont habitées.

Les divers types d'aménagement en vue d'une conservation durable des sols et des eaux.

La conservation des sols et des eaux est rarement l'unique objectif de l'aménagement forestier; ce peut être le cas par exemple pour de petits bassins versants municipaux où les pentes sont fortes. Mais, en général, les aménagements forestiers ont des objectifs multiples.

Végétation naturelle et plantations. Les services forestiers nationaux ont souvent eu recours aux plantations quand le principal objectif était la restauration des terres alors que la régénération de la végétation naturelle aurait produit le même effet dans des conditions économiquement et biologiquement plus rationnelles. Leur argument était que les populations locales respecteraient moins la régénération naturelle qu'une plantation (généralement constituée de pins exotiques). On a maintenant compris que la participation active des populations locales dès le stade de la planification était essentielle, et il est temps que les services forestiers changent d'optique et de méthodes.

Il sera de moins en moins nécessaire d'avoir recours à des plantations monospécifiques coûteuses d'essences exotiques pour protéger les sols. L'objectif devrait être de restaurer de façon durable la végétation naturelle au moyen de plans d'aménagement du pâturage et de la forêt en vue d'utilisations multiples, appliqués avec la participation active de la population locale.

Aménagement des plantations pour la conservation des sols et des eaux. Si, compte tenu de la vocation des terres et des objectifs à long terme, une plantation forestière est la meilleure option possible pour l'aménagement d'un bassin versant, il n'en faut pas moins choisir entre plusieurs formules, de façon à optimiser l'effet de la plantation sur la conservation des sols et des eaux.

Comme on l'a dit plus haut, les plantations ne protègent pas nécessairement bien le sol, à moins que l'on ne veille à favoriser et maintenir la production de litière et de végétation au sol, principalement par des éclaircies et des élagages précoces. Pour favoriser la végétation herbacée et la végétation au sol, on peut modifier les espacements, et en particulier prévoir des espacements plus larges entre les rangées (qui, si possible, suivront les courbes de niveau) que dans les rangées: 2 x 4 m plutôt que 3 x 3 m, etc.

Souvent, un certain pâturage en forêt est souhaitable pour réduire le risque d'incendie. Ce pâturage devrait être contrôlé et géré; il sera préférable de prévoir un taux de charge important pendant des périodes brèves, suivies de longues périodes de mise en défens. Quand on peut compter sur la collaboration des éleveurs, cette pratique «sylvicole» peut déboucher sur une coopération constructive entre forestiers et agriculteurs/éleveurs et amener les deux groupes à s'intéresser autant l'un que l'autre à la protection des forêts.

Même si l'aménagement est la considération primordiale, il ne faut pas négliger le choix des essences plantées. Toutefois, le plus souvent, la décision de planter au lieu de compter sur la végétation naturelle est inspirée par les types de bois et de produits secondaires de la forêt dont on a besoin. Le choix des essences plantées dépendra donc de ces besoins mais aussi d'une analyse des paramètres de la station, et des objectifs tels que la conservation des sols et des eaux. Le choix des essences devra toujours être fondé sur des critères et des objectifs locaux. On ne saurait donc recommander d'utiliser telle ou telle espèce, de préférer les plantations mixtes ou monospécifiques, etc.

Quand il faut planter pour restaurer un bassin versant, on s'attache, plus qu'autrefois, non seulement à reconstituer un couvert végétal, mais aussi à combattre certaines des causes initiales de la dégradation: surexploitation pour la production de bois de feu, surpâturage, broutage, mauvaises pratiques agricoles, etc. En tels cas, il faut tout d'abord mettre en place un système de planification participative et rallier les utilisateurs des terres au choix des espèces à planter et aux objectifs visés (production de fourrage, de bois de feu, de matériaux de construction, etc.) pour que la protection soit assurée à long terme, car l'objectif officiel de «reverdir» le bassin versant n'est pas suffisant.

Les systèmes agroforestiers sont-ils durables? La durabilité des systèmes agroforestiers dépend de trois grands facteurs: maintien du taux de production de biomasse; coût d'opportunité de la journée de travail des agriculteurs; maintien de la productivité du site et autres paramètres environnementaux. On pense en général - le plus souvent à tort - que la présence d'un grand nombre d'arbres suffira à stabiliser les sols et à assurer la conservation de l'eau (Wiersum, 1984; Young, 1988). Or, ce ne sont pas les cimes qu'il faut regarder pour savoir si les arbres protègent efficacement les sols, c'est plutôt la végétation au sol et la litière.

Conservation des sols et des eaux en cas de défrichement et d'exploitation forestière

Défrichement. L'impact du défrichement sur la conservation des sols et des eaux dépend presque uniquement des méthodes et des techniques utilisées. Les méthodes les plus respectueuses de l'environnement sont celles qu'emploient les petits agriculteurs itinérants qui n'utilisent que des outils manuels et pratiquent une plantation sur brûlis sans labours; à l'autre extrême, on trouve les abattages mécaniques ou le dragage, suivis de désouchage au bulldozer.

Si l'on utilise des moyens mécaniques, mais en suivant les courbes de niveaux et en disposant les déchets en andains pour freiner le ruissellement et l'érosion, l'impact est mitigé. Il est possible de faire encore mieux en respectant les cours d'eau naturels, en laissant intactes des bandes tampons et en évitant d'intervenir sur les terrains les plus en pente qui, en général, se prêtent de toute façon mal aux utilisations prévues. Malheureusement, il est rare que ces précautions simples et efficaces soient prises lors des opérations de défrichement si elles ont dans l'immédiat un coût, si minime soit-il.

Construction et entretien des routes et des pistes. Un des motifs les plus fréquemment invoqués et les plus justifiés pour critiquer l'exploitation des forêts tropicales est la dévastation très visible provoquée par les routes forestières mal construites et mal entretenues.

L'investisseur qui construit la route à l'origine n'est en général pas responsable de son entretien à long terme de sorte que des kilomètres et des kilomètres de routes sont construits à bon compte, sans système de drainage suffisant, sans protection des talus et avec des gradients trop forts.

Il n'est pas excessif de dire qu'une opération forestière ne peut pas être durable si le réseau de routes et de pistes n'est pas dessiné, construit et entretenu de façon à protéger l'environnement.

Exploitation forestière. Les principes qui s'appliquent au défrichement sont aussi valables pour les opérations d'exploitation forestière, à une importante exception près: une mécanisation très poussée peut être la meilleure solution si elle permet d'éviter le débardage au sol. Il n'en faut pas moins être très attentif à la construction des routes et des pistes, des parcs à bois, etc.

Une exploitation forestière moderne peut être respectueuse de l'environnement et donc être compatible avec un aménagement durable. Mais cela entraîne presque toujours des coûts plus élevés; à en juger par l'expérience des défrichements et de la construction des routes, il faut donc pour que cela soit possible qu'il y ait plus d'interaction entre les bénéficiaires immédiats des opérations et ceux qui en subiront les effets à long terme, y compris les populations d'aval, ainsi qu'entre les agents économiques et les écologistes.

Conversion à d'autres utilisations. Une bonne partie de la déforestation en cours dans les régions tropicales et subtropicales est due non pas à l'abattage des arbres et aux autres opérations d'exploitation, mais au défrichement pour convertir les zones forestières à d'autres utilisations. Cela amène à s'interroger sur au moins deux points très importants, à savoir: les méthodes de défrichement et la durabilité de la «nouvelle» utilisation des terres.

Comme on l'a vu plus haut, les atteintes à l'environnement qui résultent du défrichement sont très différentes selon les méthodes employées. Si l'utilisation envisagée des terres n'est pas viable, la production vivrière et les revenus diminueront rapidement et il faudra défricher de nouvelles terres. C'est pourquoi de plus en plus d'aménagistes pensent que la déforestation est liée au paupérisme et aux mauvaises pratiques agricoles.

D'un autre côté, même les forestiers et les services des forêts devraient se féliciter des défrichements effectués avec toutes les précautions voulues afin d'utiliser les terres de façon plus rentable et durable, sauf bien sûr quand il s'agit de forêts importantes sur le plan écologique ou présentant des caractères exceptionnels. Les forestiers devraient s'attacher à délimiter et protéger ces forêts et non pas à protéger indistinctement toutes les terres boisées.

Techniques de conservation des sols et des eaux en vue d'un aménagement forestier durable en zones semi-arides

Importance de la végétation naturelle. Le remplacement de la végétation naturelle sur de vastes zones par des monocultures de rente, de caractère agricole (coton, etc.) ou forestier (pin, eucalyptus, etc.) s'est souvent révélé désastreux sur le plan financier - à cause des fluctuations des marchés, de la hausse des coûts de la main-d'œuvre, des contingentements, de la concurrence des produits de remplacement, etc. - ou sur le plan écologique - à cause de l'accroissement de l'érosion hydrique ou éolienne, des doses excessives de pesticides, etc. C'est pourquoi on en revient à s'intéresser à l'aménagement polyvalent de la végétation naturelle existante, souvent dégradée. Cette option, loin d'être facile, suppose une réactivation des droits coutumiers de pâturage et des mécanismes régulateurs traditionnels, le développement et la commercialisation des produits des forêts et des parcours semi-arides (huiles essentielles, fruits, noix, viande, peaux, miel, bois, fourrage, soie, laine, etc.) et la réorientation des services gouvernementaux et non gouvernementaux offerts aux communautés rurales.

La restauration à grande échelle de l'hydrologie forestière dans les zones semi-arides, telle qu'elle est pratiquée par le Gouvernement espagnol en zone méditerranéenne, n'est en général pas une option possible dans les pays tropicaux et subtropicaux car elle est fondée sur le dépeuplement graduel des montagnes et exige d'importants investissements publics. Toutefois, les grands programmes de boisement peuvent attirer de précieux financements extérieurs qui permettent d'amorcer la relance et la diversification de l'économie de montagne, comme cela se passe actuellement en Turquie et au Pakistan, entre autres. D'un autre côté, si ces projets conservent le caractère de travaux publics exécutés et financés par l'Etat, ils peuvent n'avoir que des effets éphémères ou même être refusés par les populations rurales, comme l'ont été les programmes de conservation au Lesotho (FAO, 1990) ou les travaux de restauration des zones de montagne du début des années 70 en Iran.

Préparation du terrain pour la plantation. Avant de planter des essences forestières en zone aride, il faut généralement aménager le terrain pour assurer la rétention et l'infiltration de l'eau: ces aménagements mécaniques peuvent consister à tracer des billons ou des sillons simples ou doubles en courbes de niveau, à creuser des fosses, ou des impluviums, ou même à construire des terrasses comme cela se fait en Ethiopie et en Chine.

Si la restauration des terres va au-delà du simple reboisement et s'intègre dans un programme global de développement rural en montagne, il faudra maximiser par tous les moyens la rétention d'eau et l'infiltration; cela favorisera en effet le développement zootechnique et agricole en aval, comme le montre le projet actuellement exécuté avec l'assistance du PNUD et de la FAO dans le bassin de Suketar au Pakistan.

Le fait qu'il soit possible de restaurer ainsi les terres prouve une fois de plus que dans les zones semi-arides la dégradation est due à l'action de l'homme et non à un effet naturel de désertification. Les précipitations sont restées remarquablement stables pendant des millénaires, avec les fluctuations naturelles typiques des zones semi-arides, comme le prouve l'histoire du Yémen entre autres.

Rôle du fourrage et de l'élevage. Le fourrage et le bétail jouent dans le développement forestier en milieu semi-aride un rôle très important qu'il ne faut pas sous-estimer. Trois aspects de l'aménagement des terres peuvent aider à améliorer le dialogue entre les forestiers et les éleveurs: la réalisation du potentiel des arbres fourragers; la récupération et la conservation de l'eau pour maximiser la production fourragère; le pâturage contrôlé pour réduire les risques de feu.

Les grands projets de reboisement en milieu semi-aride peuvent avoir des effets néfastes sur les bassins versants si l'on n'a pas tenu compte des considérations ci-dessus. Outre qu'ils suscitent l'hostilité des éleveurs, ils risquent de les amener à déplacer leurs troupeaux dans des zones marginales s'ils sont chassés de leurs parcours traditionnels, car il est rare que les programmes de reboisement prévoient la réduction du cheptel. A moyen terme, une telle réduction n'est d'ailleurs pas nécessaire car les parcours restaurés produisent souvent plus de fourrage après le reboisement qu'avant.

Brise-vent et rideaux-abris. Les plantations d'arbres en brise-vent permettent non seulement de conserver l'eau et de réduire l'érosion éolienne, mais ils peuvent être essentiels à l'agriculture dans les zones arides ou dans des zones tempérées très venteuses, par exemple en Europe du Nord-Ouest. Cet effet a été clairement prouvé au Danemark par deux fois depuis un quart de siècle, premièrement lorsqu'on a coupé les haies pour créer de vastes champs d'un seul tenant lorsque les grandes machines agricoles sont apparues, et deuxièmement, quand on a coupé les brise-vent pour obtenir du bois de feu après la crise pétrolière de 1973. Les deux fois, l'érosion éolienne est repartie de plus belle, et il a fallu reconnaître le rôle essentiel des rideaux-abris qui, le plus souvent, ont dû être replantés.

Eléments d'une stratégie pour l'avenir

Un aménagement forestier durable en vue de la conservation des sols et des eaux doit être intégré dans le cadre socioéconomique d'ensemble. Il ne peut pas se traduire par la création d'îlots de verdure dans une mer de dégradation et de pauvreté. Si les organismes publics sont inefficaces hors de la forêt, ils ont toutes chances de l'être encore plus en forêt. Le premier principe directeur doit donc être d'envisager les forêts dans le contexte socioéconomique national et local.

Deuxièmement, il faut distinguer six scénarios différents: i) forêts naturelles qu'il faut protéger en l'état pour la conservation des eaux, de la faune et des ressources génétiques; ii) forêts naturelles qui peuvent être exploitées pour le bois et les autres produits conformément à un plan d'aménagement; iii) plantations forestières; iv) défrichement pour remplacer la forêt par des cultures arbustives, des pâturages, des systèmes agroforestiers, l'agriculture, ou l'urbanisation; v) forêts naturelles en zones semi-arides; et vi) rideaux-abris et autres plantations à finalité écologique. Chaque cas appellera des mesures différentes avec parfois des chevauchements, une utilisation polyvalente des terres, des zones tampons, etc.

Troisièmement, il est essentiel que les populations et les communautés concernées participent à la planification et aux bénéfices de l'opération. Si les utilisateurs de la terre et les populations locales en général n'ont pas intérêt à protéger la forêt, aucune police au monde ne pourra les empêcher de la détruire.

Enfin, il faut appuyer en permanence les institutions, y compris les organismes publics, les organisations d'agriculteurs et de paysans, etc., pour assurer une stabilité à long terme, faute de quoi les accords, les plans d'aménagement, les droits de pâturage, etc. n'auront aucune crédibilité.

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