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Le facteur topographique

La pente influence puissamment l'importance de l'érosion mais l'existence d'érosion et de ruissellement intense sur des pentes douces (glacis de 2 % au Sahel ou sur les plateaux européens) indique par contre qu'il n'est pas besoin d'une forte pente pour déclencher ce phénomène: l'action pluviale y suffit (Fauck, 1956; Fournier, 1967).

TABLEAU 10 : Effet de la pente sur le ruissellement (KR %) et l'érosion (t/ha/an) à Séfa au Sénégal: cultures sarclées de 1955 à 1962, sol ferrugineux tropical lessivé à tâches et concrétons (d'après Roose, 1967)

Pente %

Erosion moyenne et t/ha/an

Ruissellement moyen annuel %

1,25

5,0

7

1,50

8,6

22

2,00

1 2,0

30

L'influence de la pente sur l'évolution des versants est bien connue des géomorphologues, au point que certains d'entre eux, caractérisent l'âge du paysage par l'inclinaison et la forme des pentes. De fortes pentes et des vallées encaissées se rencontrent dans un relief jeune comme celui des Alpes, tandis que dans un relief adulte ou sénile comme on en trouve sur le vieux continent africain, ce sont des plateaux, des glacis à pentes douces et de vastes pénéplaines qui s'offrent aux regards.

La pente intervient dans les phénomènes d'érosion du fait de sa forme, de son inclinaison et de sa longueur.

LA FORME DES VERSANTS

Il est très délicat d'estimer l'influence de la forme concave, convexe, homogène ou gauchie d'une pente. Le facteur est trop souvent négligé ce qui explique pour une large part la divergence des résultats trouvés par les auteurs. En effet à mesure que les parcelles d'érosion vieillissent et sont soumises à une forte érosion, elles deviennent de plus en plus concaves puisque la base de la parcelle reste fixe (le canal de ruissellement) et que le milieu de la parcelle s'érode plus vite que le haut. D'où la nécessité de réajuster chaque année la pente des parcelles pour ne pas fausser les résultats par défaut. D'après Wischmeier (1974), à pente moyenne égale, une pente gauchie ou concave diminue les transports solides (par sédimentation localisée) tandis qu'une pente convexe l'augmente en fonction de l'inclinaison du segment le plus pentu. La présence de pentes concaves dans le paysage indique qu'il doit y avoir des piégeages, des colluvions et des alluvions dans la vallée. En général, l'érosion sur versant est supérieure au transport solide dans la rivière: ce n'est pas le cas en zone méditerranéenne où la cause principale des transports solides est l'énergie et le volume du ruissellement (Heusch, 1971: Arabi, Roose, 1989).

L'INCLINAISON DE LA PENTE

Lorsque l'inclinaison de la pente augmente, l'énergie cinétique des pluies reste constante mais le transport s'accélère vers le bas car l'énergie cinétique du ruissellement augmente et l'emporte sur l'énergie cinétique des pluies dès que les pentes dépassent 15 %. Zingg, en 1940, a montré que les pertes en terre croissent de façon exponentielle avec l'inclinaison de la pente. Aux Etats-Unis, l'exposant est voisin de 1,4.

Hudson et Jackson (1959) soulignent le fait qu'en Afrique centrale, à cause de l'agressivité climatique, l'effet est exagéré par rapport à celui qu'on mesure en Amérique: ils obtiennent des exposants de l'ordre de 1.63 en moyenne sur des rotations complètes (y compris prairies et jachères) et jusqu'à 2,02 sur sols argileux et 2,17 sur sols sableux cultivés en maïs de façon extensive. Un exposant voisin de 2 semblerait plus adapté aux conditions africaines (Hudson, 1973).

A Séfa (au Sénégal), Roose (1967) observe en effet que l'érosion et le ruissellement croissent de façon très rapide pour de faibles variations de pente (0,5 %) (voir tableau 10).

En Côte d'Ivoire, sur des cultures vivrières entre 1964 et 1976, Roose (1980) obtient un exposant supérieur à 2 sur des cultures extensives peu couvrantes telles que arachide, maïs et manioc.

Par contre, Lal (1976) trouve au Nigeria que l'érosion croît avec la pente selon une courbe exponentielle d'exposant 1,2 sur un sol ferrallitique remanié enrichi en graviers (alfisol) lorsque le sol est nu, mais que les pertes en terre sont indépendantes de la pente (de 1 à 15 %) si on laisse les résidus de culture en surface. Le ruissellement quant à lui dépendrait plus des propriétés hydrodynamiques du sol que de la pente elle-même.

Sur les parcelles d'érosion du Centre ORSTOM d'Adiopodoumé en Basse Côte d'Ivoire, Roose (1980) a comparé, pour des pentes de 4, 7 et 20 % l'érosion sur des sols nus et des sols couverts d'une plantation d'ananas, les résidus ayant été brûlés, enfouis ou laissés en surface. Il constate la croissance de l'érosion plus que proportionnelle avec la pente mais il souligne l'existence de seuils de pentes en-dessous desquels les processus d'érosion sont faibles et au-dessus desquels l'érosion s'accélère brusquement. Par exemple lorsque les résidus sont enfouis, l'érosion reste très faible sur des pentes inférieures à 7 % mais dépasse largement la tolérance au-delà de 20 % de pente. Si les résidus sont laissés à la surface du sol sous forme de paillage, même au-delà de 20 % l'érosion est négligeable. De même lors du second cycle de culture, les plantations eurent lieu en août de telle sorte que les plants d'ananas couvrent bien le sol avant les pluies agressives du mois de juin suivant. On observe qu'il y eut très peu d'érosion quelle que soit la pente ou le mode de gestion des résidus de culture. Il y a donc des interactions entre l'effet pente, le couvert végétal et le mode de gestion des résidus de culture (tableau 11). En Afrique de l'Ouest, on a remarqué que la végétation naturelle épargnée par les feux protège remarquablement le relief (Roose, 1971 ; Avenard et Roose, 1972). C'est ainsi qu'on peut observer en Basse Côte d'Ivoire, des pentes de plus de 65 % sur un matériel ferrallitique sablo-argileux protégé par la forêt dense secondaire. Si on défriche manuellement la forêt sans détruire le réseau racinaire qui donne cohésion à l'horizon humifère, le sol peut résister un à deux ans à l'agressivité des pluies. Mais lorsqu'on défriche mécaniquement la forêt ou la savane en décapant l'horizon humifère et fertile de surface, l'érosion et le ruissellement prennent des proportions catastrophiques d'autant plus que la pente est forte.

A Adiopodoumé, on dispose de trois parcelles sous forêt dense secondaire et de trois parcelles cultivées en 1966-1967 et maintenues en jachères nues labourées avant la saison des pluies de 1968 à 1972. Les pentes varient de 4,5 à 65 %. On a réuni au tableau 12, les moyennes des pertes en terre (en t/ha/an) et du ruissellement (en % des pluies annuelles) observées durant la période de 1956 à 1972 (Roose, 1973).

TABLEAU 11 : Ruissellement (KR %) et érosion (t/ha) sur sol nu et ananas en fonction des résidus de culture (d'après Roose, 1980)

Adiopodoumé: 12 cases d'érosion sous pluies naturelles 1975-1977: cycle de 16 mois, sol ferralitique, pentes 4 - 7 - 20 %

RUISSELLEMENT (KR % des pluies)

1er cycle: 3337 mm

Sol nu

Brûlis

Enfouis

Mulch

Moyenne/ pente

Pente

4 %

44,6

7,3

1,7

0,9

13,6


7 %

34,7

4,4

1,0

0

10,0


20 %

29,3

7,5

3,4

0,1

10,3

Moyenne/traitements

36,2

6,4

2,0

0,6

11,3

Notes:

Le ruissellement n'augmente pas forcément avec la pente. Forte influence des résidus de culture si plantation à une date voisine des périodes critiques (cycles).

EROSION (t/ha)

1er cycle: 3337 mm

Sol nu

Brûlis

Enfouis

Mulch

Moyenne/ pente

Pente

4 %

45

1,2

0,7

0,1

11,8


7 %

13,6

4,1

0,45

0

35,2


20 %

410

69

33,2

1

128,3

Moyenne/traitements

197

24,8

11,5

0,38

58,4

Notes:

Plantation en août; les ananas couvrent bien le sol avant les pluies de juin-peu d'érosion quel que soit le traitement.
Forte influence pente sur l'érosion.

TABLEAU 12 : Erosion (t/ha/an) et ruissellement (KR %) en fonction des pentes sous forêt, culture et sol nu au Centre ORSTOM d'Adiopodoumé (Basse Côte d'Ivoire) (d'après Roose, 1973)

Adiopodoumé 1956-1972.
Sol ferrallitique sur matériaux argilo-sableux tertiaires.
Pluie moyenne: 2100 mm.

Pente %

Erosion t/ha/an

Ruissellement KR %


forêt

sol nu

culture

forêt

sol nu

culture

4,5

-

60

19

-

35

16

7

0,03

138

75

0,14

33

24

23

0,1

570

195

0,6

24

24

65

1,0

-

-

0,7

-

-

On constate que l'érosion augmente plus vite que la pente et que sa croissance est plus rapide sous culture que sur parcelle nue. Sous culture (manioc puis arachide), si on prend pour base l'érosion moyenne sur la pente de 4,5 % (E= 18,8 t/ha/an) on voit que les pertes en terre quadruplent lorsque la pente passe à 7 % (soit 1,5 fois plus forte) et quadruple encore lorsqu'elle s'élève à 23 % (pente 5,1 fois plus forte que la référence). Sur parcelle nue, la croissance de l'érosion est moins rapide, mais elle débute plus haut (E = 60t/ha/an). Il semble bien que sur forte pente il y ait interaction entre les effets de la pente et la diminution du couvert végétal due aux carences hydriques et minérales dont souffrent les plantes du fait de l'érosion sur fortes pentes. A côté de cet aspect quantitatif il faut noter que les formes d'érosion changent avec la pente et le profil du sol. Sur faible pente (4 %), l'énergie des gouttes de pluie disloque les agrégats et libère les particules fines: les suspensions stables de colloïdes peuvent migrer sur de grandes distances à travers le réseau hydrographique. Les sables, par contre, s'accumulent à la surface du sol à laquelle ils donnent une allure tigrée du fait de l'alternance de plages sombres (de sol à nu en relief) et de traînées de sable jaune dans les creux. La surface du sol est presque plane sur des pentes de 4 %. Mais dès qu'on atteint 7 % de pente, ces zones basses s'approfondissent en rigoles évasées et les transports de sable s'organisent dans ces griffes: il apparaît des microfalaises et des microdemoiselles coiffées de faible hauteur (2 à 4 cm) qui montrent bien l'ampleur du décapage du sol par l'érosion en nappe. Enfin sur des pentes de plus de 20 %, le réseau d'évacuation du ruissellement et des particules de toutes tailles (jusqu'à 5 ou 10 mm de diamètre) se creusent et se hiérarchisent, si bien que la surface du sol devient extrêmement accidentée, du fait de rigoles profondes (5 à 20 cm) et des multiples figures burinées par la pluie et le ruissellement et protégées par divers objets tels que des graines, des racines, des feuilles, des poteries ou même des mottes de sols durcis ou encroûtés. Aux Etats-Unis, Smith et Wischmeier (1960) ont prouvé que sur des parcelles soumises aux pluies naturelles durant 17 ans et de pente de 3 à 18 %, une équation du second degré s'ajuste mieux que les fonctions logarithmiques en réalité très voisines proposées par les autres chercheurs américains. Cette équation est de la forme:

où E. l'érosion, s'exprime en t/ha, S en % et L en pieds (figure 22).

En ce qui concerne le ruissellement, Wischmeier (1966) montre qu'en général il augmente avec la pente sur de petites parcelles mais de façon variable en fonction de la rugosité de la surface du sol et de sa capacité à retenir l'eau (type de culture et niveau de saturation du sol avant la pluie).

En Côte-d'Ivoire, le ruissellement ne se comporte pas du tout de la même façon que l'érosion vis-à-vis de la pente. A Adiopodoumé sous culture, le coefficient de ruissellement atteint 16 % sur une pente de 4,5 %. Il se stabilise autour de 24 %, que les parcelles aient 7 ou 23 % de pente. Sur jachère nue, le ruissellement diminue franchement (35-33-24 %) lorsque la pente augmente de 4 à 7 et 23 % et ce phénomène se confirme au cours des années d'expérimentation. Cette diminution du ruissellement lorsque la pente augmente se constate non seulement pour les coefficients de ruissellement moyens mais aussi sur les coefficients maxima, donc lorsque le sol est saturé (KRmax = 98-95-76 %). Ces tendances se sont confirmées les années suivantes (1975-1977) sous cultures d'ananas (tableau 11). Sur sol nu le ruissellement a baissé de 44 à 35 et 29 % lorsque la pente augmente de 4 à 7 et 20 %. Sous culture d'ananas, le ruissellement augmente légèrement ou même diminue selon le mode de gestion des résidus de culture. Ici également, il y a interaction entre l'effet de la pente et l'état de la surface du sol sur le ruissellement.

FIGURE 22

: Facteur topographique (d'après Wischmeier et Smith, 1978)

Ces phénomènes avaient déjà été signalés par Hudson (1957) en Rhodésie, où il constate que l'érosion croît de façon exponentielle avec la pente, mais que le ruissellement augmente d'abord rapidement (jusque vers 2 % de pente), puis se stabilise.

Lal (1975) observe aussi au Nigeria que le ruissellement se stabilise au-dessus d'une certaine pente et dépend du type d'utilisation des résidus de la culture et du type de sol.

La diminution du coefficient de ruissellement sur sol nu pourrait s'expliquer au moins partiellement par les faits suivants (Roose, 1973):

- Lorsque la pente augmente, la surface inclinée offerte à la pluie est d'autant plus grande que la pente est forte. En d'autres termes, si on a mesuré la surface de la parcelle sur le terrain, sans tenir compte de sa projection verticale, il s'ensuit une erreur qui atteint 0,3 % pour une pente de 4,5 %, 0,7 % pour une pente de 7 % et 2 % pour une pente de 20 %.

- Lorsque la pente augmente, la forme de l'érosion change; elle burine dans le sol de multiples figures et augmente de ce fait sa surface donc le nombre de pores capables d'absorber de la pluie au moins dans la phase initiale.

- Lorsque la pente est faible, l'énergie du ruissellement n'est pas suffisante pour transporter au loin les particules sableuses relativement grossières. Lors d'une pluie, celles-ci vont être libérées par effet "splash" puis traînées lentement vers les parties basses. Au passage, elles peuvent être happées par les pores dont elles colmatent l'orifice. De plus, elles s'organisent horizontalement en microstrates; c'est le phénomène de glaçage bien connu des agronomes. Sur pente forte au contraire, toutes les particules arrachées par l'énergie des pluies sont exportées de la parcelle et on peut penser que les pores restent ouverts en plus grand nombre car l'érosion décape considérablement la surface du sol. En tout cas on constate sur le terrain que les phénomènes d'encroûtement sont beaucoup plus lents sur pente forte et les effets d'un binage beaucoup plus durables que sur pente faible.

- Enfin, la pente hydraulique augmente avec la pente topographique, c'est à dire que les fortes pentes drainent plus rapidement que les pentes faibles.

Si l'érosion croît de façon exponentielle avec la pente et ceci malgré une diminution de ruissellement, c'est que la charge solide totale du ruissellement (suspension + charge de fond) augmente substantiellement avec la pente.

Woodruff avait déjà démontré aux Etats-Unis en 1948 que si la contribution de l'énergie cinétique des gouttes de pluie est capitale à faible pente, elle devient secondaire par rapport à l'énergie du ruissellement au-delà de 16 % de pente. Heusch (1969-1970 et 1971) quant à lui, a montré que sur les marnes du pré Rif au Maroc, que la position dans la toposéquence est quelquefois plus importante que l'inclinaison des pentes pour l'érosion et le ruissellement. Sur la toposéquence de vertisols sur marne, l'érosion et le ruissellement mesurés augmentent au pied du versant, là où la pente diminue. Ceci serait dû à des phénomènes de drainage oblique très intenses dans ces sols fissurés jusqu'au niveau d'altération de la roche marneuse peu perméable. Sur les fortes pentes qui coïncident avec les sommets des collines (pentes concaves), les pluies s'infiltrent directement jusqu'au niveau imperméable, puis drainent rapidement jusqu'en bas des versants (faibles pentes), où elles ressurgissent (Roose, 1971) et c'est de là que démarrent les ravines qui montent à l'assaut des collines par érosion régressive. Il faut bien admettre aussi avec Heusch (1971) que plus la pente topographique est forte, plus la pente hydraulique est forte. Ce qui signifie que l'eau circule rapidement à l'intérieur du sol, ce qui doit lui permettre d'absorber à nouveau une certaine quantité d'eau avant la saturation de la porosité. Les sols sur forte pente et sommet de colline étant plus vite asséchés vont donc moins ruisseler. Dans ces paysages marneux à forte pente, l'érosion se manifeste principalement par sapement de berges, par divagation des oueds, par ravinement et glissement de terrain (Heush, 1971).

Des fonctionnements un peu semblables ont été décrits et étudiés sous les savanes soudaniennes du Centre-Ouest de Côte-d'Ivoire par une équipe multidisciplinaire de l'ORSTOM (Valentin et al., 1987). Les sols ferrallitiques rouges gravillonnaires de sommet de toposéquence sont résistants et perméables si bien qu'on y découvre rarement de traces importantes d'érosion. Sur les versants ferrugineux tropicaux déjà plus fragiles, naissent des petites ravines discontinues et dans les bas-fonds sableux hydromorphes naissent de plus grosses ravines qui progressent de façon remontante dans le paysage. Bien que le fonctionnement de ces séquences en région soudanaise soit très différent de celui des marnes en région méditerranéenne, la position topographique semble souvent importante dans l'explication du développement de l'érosion.

LA LONGUEUR DE LA PENTE

En théorie, plus la pente est longue, plus le ruissellement s'accumule, prend de la vitesse, acquiert une énergie propre qui se traduit par une érosion en rigoles puis en ravines plus importantes. Ainsi, Zingg (1940) trouve que l'érosion croît de façon exponentielle (exposant: 0,6) avec la longueur de la pente. Hudson (1957-1973) estime qu'en région tropicale, une plus haute valeur de l'exposant est plus appropriée. Wischmeier et al. (1958), après avoir examiné 532 résultats annuels sur parcelles d'érosion, en concluent que les relations entre l'érosion et la longueur de pente varient plus d'une année à l'autre que d'un site à l'autre. L'importance de l'exposant (de 0,1 à 0,9) est fortement influencée par l'évolution du sol, la couverture végétale, l'utilisation des résidus de culture, etc... Finalement, en 1956, un groupe de travail de l'Université de Purdue au Nebraska (Etats-Unis) a décidé d'adopter, pour l'usage courant sur le terrain, l'exposant 0,5 pour exprimer l'influence moyenne de la longueur de la pente sur les pertes en terre. L'influence de la longueur de pente sur le ruissellement est encore moins nette. Elle est tantôt positive, tantôt négative ou tantôt nulle, en fonction de l'humidité préalable et de l'état de surface du sol (Wischmeier, 1966).

En Afrique, à Séfa au Sénégal (Roose, 1967) furent comparées 3 parcelles de 1,25 % de pente dont l'une, de longueur de pente double des deux autres, portait en alternance les cultures des deux autres (strip cropping ou culture alternée le long des pentes). En général, le ruissellement observé est plus faible sous cette parcelle longue (KR = 19 % par rapport à 21,8 %), tandis que l'érosion est supérieure (E = 6,08 par rapport à 5,55 t/ha/an) à celle observée sur les deux parcelles courtes: la différence de comportement n'est guère significative.

A Agonkamé au Sud Bénin (Verney et al., 1967; Roose, 1976), les conclusions sur deux parcelles voisines (pente = 4,5 %) ne confirment pas nettement non plus l'augmentation de l'érosion avec la longueur de pente. Sous fourré naturel en effet, érosion et ruissellement sont plus faibles sur la pente longue (60 m). Mais l'année suivante, sur sol défriché et dessouché, les ruissellements sont voisins tandis que l'érosion sur la parcelle courte (30 m) est nettement plus forte que sur la parcelle longue (E = 27,5 contre 17 t/ha/an). A Boukombé au Nord Bénin (Willaime, 1962), les observations effectuées sur trois parcelles cultivées en mil de 3,7 % de pente et de 21,32 ou 41 m de longueur, montrent qu'il n'y a guère de différence de ruissellement (KR = 4 %) ni d'érosion (E = 0,8 - 1 et 0,7 t/ha). L'influence de la longueur de pente n'est donc ni très prononcée, ni très constante.

En Côte d'Ivoire, Lafforgue et Valentin (1976) ont simulé 12 pluies totalisant 652 mm pour un indice d'agressivité de 1161 sur 4 parcelles de 6 % de pente sur une ancienne prairie retournée. Le sol est ferrallitique sablo-argileux; tous les débris végétaux ont été soigneusement extirpés du terrain. Sous l'effet de la longueur de pente passant de 1 à 2 - 5 et 10 m, le ruissellement évolue de 27, 29, 23 à 20 % mais l'érosion augmente de 8, 8,6 à 11,3 et 13,7 t/ha/an. Ceci parce que la turbidité (charge solide des eaux) croît de 5 à 27 g/l. Pour ces faibles longueurs de pente, le ruissellement diminue tandis que l'érosion et la charge solide augmentent lorsque la pente augmente. Mais rien ne prouve que la croissance de l'érosion reste semblable lorsque la longueur de pente dépasse des valeurs de 50, 100 ou 150 m.

Aux Etats-Unis, Meyer, Decoursay et Romkens (1976) étudièrent l'effet de la longueur de pente en trois sites plus ou moins sensibles à l'érosion en rigoles. Ils ont montré que l'effet de la longueur de pente se fait sentir après une distance plus ou moins longue et que la croissance de l'érosion peut être plus ou moins rapide en fonction de la sensibilité à l'érosion en rigoles de ces sols. On trouve encore ici une interaction entre l'effet de la longueur de pente et la sensibilité du matériau à l'érosion en rigoles (figure 23).

L'équation de Ramser a été prévue pour calculer l'écartement entre deux structures antiérosives. En pratique, les ingénieurs chargés de la conservation des sols ont adapté empiriquement l'équation de Ramser liant la dénivelée entre deux structures antiérosives (H en mètres) directement à l'inclinaison de la pente (P en %) en négligeant toutes les interactions avec la couverture pédologique et le système de production.

Equation de Ramser : (1)

a = 2
b varie de 2 à 4 si climat plus agressif

où a et b sont des paramètres que l'on fait varier empiriquement de 25 % en fonction de l'agressivité climatique ou des risques particuliers d'érosion (voir figure 24).

D'après la figure 24 (tirée de Combeau, 1977), sur une pente de 10 %:

- de Guinée, au climat agressif,

H =

1,37

m et l'espacement = 14 mètres,

- du Burkina, moins agressif,

H =

1,62

m et l'espacement = 16 mètres,

- de Tunisie,

H =

3

m et l'espacement = 30 mètres.

FIGURE 23 :

Effet de la longueur de pente en trois sites plus ou moins sensibles à l'érosion en rigoles (d'après Meyer, Decoursay et Romkens, 1976)

La sensibilité à l'érosion en rigole (riliability) peut être estimée par des mesures:

- résistance au cisaillement (shearing stress)
- le volume du ruissellement (overland flow)
- la variabilité au test de la goutte (drop test).

En effet, la stabilité structurale des mottes maintient une:

+ forte rugosité
+ forte turbulence

donc une charge unitaire plus élevée.

L'équation de Ramser est tout à fait incomplète car elle ne tient compte que de la pente en % (voir figure 24).

En réalité, l'équation de Ramser est tout à fait incomplète car elle ne tient pas compte des interactions possibles entre l'effet de la pente, le type de sol, les états de surface et la position topographique. On a même vu que l'effet de la longueur de pente n'est pas évident sur l'érosion en certaines stations d'Afrique !

Il nous semble quant à nous, peu souhaitable de développer des modèles tenant compte de la longueur de pente, mais bien d'observer sur le terrain la naissance des rigoles dans les champs et ensuite de proposer aux gestionnaires de terres des structures antiérosives cloisonnant le paysage à des distances raisonnables d'un point de vue technique et acceptables d'un point de vue économique pour le paysan (5 à 50 m).

Saccardy (1950), en Algérie, s'est appuyé sur une évaluation de l'intensité maximale des pluies de l'ordre de 3 mm/minute pendant une demi-heure, a proposé pour les pentes:

< 25 % H3 = 260 P (2)
> 25 % H2 = 64 P (3)

où H est la différence d'altitude entre deux banquettes (en mètre), P la pente du terrain en %.

FIGURE 24 :

Divers formules liant l'espacement entre les structures antiérosives et l'inclinaison des pentes (%) en fonction des pays d'application (d'après Combeau, 1977)

1. Utilisation de la formule de Ramser H = 0,305 (2 + [P/4]) au Congo et en Guinée.
2. Utilisation de la formule de Ramser H = 0,305 (2 + [P/3]) en conditions moins dangereuses.
3. Sols très érodés; écartement très réduit, Burkina Faso (Ouahigouya), Mali (Sikasso).
4. Autre proposition pour Burkina Faso (Ouahigouya).
5. Autre proposition pour Burkina Faso (Boulbi).
6/7/8. Propositions diverses pour Boukombé (Bénin).
7'. Banquettes de Dabou (Côte d'Ivoire) et haies isohypses.
9. Formule de Ramser modifiée (Afrique du sud).
10. Formule de Saccardy (Algérie H3 = 260 P + 10.
11. Formule de Bugeat (Tunisie) H = 2,20 + 8 P.
12. Formule de l'Etat de Washington (USA) H = 0,305 (0,58 + [P/1,7]).

Ecartements entre les structures antiérosives en fonction des équations de Saccardy (d'après Heusch, 1986)

si pente

<

25 %

H3

=

260 P

si pente

>

25 %

H2

=

64 P

P %

0,03

0,05

0,10

0,15

0,20

0,25

0,30

0,35

0,40

0,45

0,50

dH (m)

1,98

2,35

2,96

3,39

3,73

4,01

4,38

4,73

5,06

5,37

5,66

dist. (m)

66,0

47,10

29,80

22,90

19,00

16,50

15,20

14,30

13,6

13,1

12,7

D'après Heusch (1986): "il n'existe pas de justification théorique ou expérimentale de ces formules". Le facteur SL de Wischmeier, pour la distance donnée par l'équation de Saccardy, n'est pas constant: il croit progressivement de 0,4 pour une pente de 3 % et 66 m de long, à 11 pour une pente de 50 % et un écartement de 12,7 m. Tout au plus, peut-on admettre que la formule (3) peut aussi s'écrire:

ce qui revient à admettre que l'énergie vient de l'eau de ruissellement si la pente est égale ou supérieure à 25 %.

Cette incertitude sur l'influence de la longueur de pente sur les phénomènes d'érosion en nappes et rigoles, remet en cause la généralisation de l'usage des techniques antiérosives du type des terrasses, banquettes et fossés de diversion qui sont trop souvent appliquées sans discernement sous des climats très variés. Si ces terrassements se justifient en milieu subdésertique où les pluies sont inférieures à 400 mm par an, il sont avantageusement remplacés par des méthodes biologiques dans les zones où la végétation peut couvrir le sol et intercepter les pluies (Roose, 1974). Du point de vue scientifique, ce facteur topographique et ses interactions multiples mériteraient d'être précisés car l'influence de la pente n'est pas indépendante du couvert végétal, des techniques culturales, du type de sol et probablement du climat (Roose, 1973; 1977). Cependant, en attendant de disposer de données suffisantes on peut s'appuyer sur l'indice topographique de Wischmeier ou sur une équation exponentielle du type SL = C x L0,5 x S1,2 à 2 où C est un coefficient dépendant des conditions locales, en particulier du climat, L est la longueur de la pente en mètres et S est l'inclinaison de la pente en %. Elle devrait donner satisfaction dans la plupart des cas (Hudson, 1973: Roose, 1977).

En pratique sur le terrain, plutôt que d'appliquer systématiquement des modèles plus ou moins mis au point en d'autres circonstances physiques et humaines, il nous semble souhaitable de chercher un compromis entre l'observation sur le terrain de la distance à partir de laquelle se développe l'érosion en rigoles - et d'autre part, la fréquence des obstacles que le paysan peut accepter sur ses terres.

Les conséquences pour la lutte antiérosive

Pour lutter contre l'érosion en nappe et en rigole, on a vu qu'il était généralement plus efficace de réduire l'inclinaison de la pente plutôt que la longueur de pente. Cependant on constate sur grandes cultures qu'il est nécessaire de cloisonner le paysage par des structures linéaires, des microbarrages perméables, qui permettent de réduire l'énergie du ruissellement tout en favorisant l'évacuation de ceux-ci au bas de talus bien protégés. Ceci ne veut pas dire qu'il suffit d'établir des structures antiérosives pour réduire les effets néfastes de la longueur de pente, mais il faut faire jouer toutes les interactions au niveau des états de surface, en particulier favoriser la rugosité du sol et le couvert végétal sur les champs cultivés entre les structures perméables filtrantes. Ceux-ci vont réduire l'effet de la longueur de pente et de l'inclinaison de la pente sur l'érosion. Notons que l'effet de la longueur de pente sur l'érosion en nappe est faible car le ruissellement en nappe a une vitesse limitée par la rugosité du sol. Par contre, la longueur de pente peut avoir une incidence importante sur l'érosion en rigole.


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