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Propositions d'améliorations

[planche photographique 22]

Le "minifundio", face à son isolement physique sur les hautes terres, a besoin en premier lieu d'une assistance technique plus présente. L'intervention de l'Etat doit s'accroître sous différentes formes: organisation de cours pratiques de formation à l'agriculture de montagne, entraînement à l'utilisation d'engrais, de semences améliorées et bien sûr de pratiques conservatoires...etc. Il est nécessaire, dans les meilleurs délais, d'intensifier les relations entre "minifundistes", techniciens et ingénieurs agronomes et de coupler des actions de recherche et de développement.

C'est dans cet esprit que s'est développé le programme de coopération internationale entre la Direction Nationale Agricole (DNA) du Ministère équatorien de l'Agriculture et l'ORSTOM. Ce projet, relativement pionnier au niveau du pays ainsi que de la région andine (De Noni, Viennot, 1987 et 1989), a mis en place des stations d'étude implantées chez l'agriculteur et co-géré avec ce dernier. Les sites sont équipés de grandes parcelles de ruissellement de 1000 m2 de surface (50 m x 20 m) où sont étudiés les effets de l'érosion en condition de culture améliorée par des ouvrages simples de conservation. Les stations ont été installées en 1986 en même temps que les parcelles de 100 m2 mentionnées auparavant (voir tableau 46) de telle manière à pouvoir comparer les effets de l'érosion en conditions de culture traditionnelle (parcelles de 100 m2) et améliorée (parcelles de 1000 m2). Parallèlement à la construction des parcelles, une enquête de terrain socio-agronomique a été réalisée pour déterminer dans la zone d'études les différents systèmes de cultures; l'accent ayant été mis en particulier sur l'identification de méthodes de conservation. Face à l'absence de pratiques traditionnelles, il a été décidé, pour contrer l'énergie du ruissellement, de tester l'efficacité d'ouvrages perméables isohypses simples qui évolueraient progressivement en pseudo-terrasses (Roose, 1971, 1986 et 87). Pour être proche du paysan, on a choisi des matériaux qu'il utilise communément sur le terrain, en général pour clore les parcelles. On distingue les 3 principaux types de matériaux suivants: les murets en mottes de terre ou en blocs de cendre volcanique indurée ("cangahua") et plus simplement les bandes enherbées en pâturage ou cultivées (quinoa ou lupin). Les méthodes testées, pour la période 1986-88, ont donné les résultats au tableau 47.

Ces résultats démontrent que des systèmes de conservation simples, à la portée du paysannat local - billonnage selon les courbes de niveau associé à des bandes enherbées ou à des murets de terre - font diminuer notablement l'érosion. C'est systématiquement sur les parcelles améliorées, quelles que soient les stations, que les poids de terre sont minimaux et l'érosion admissible, en général inférieure à 8 t/ha/an et le plus souvent voisine de 1 t/ha/an.

Les rendements y sont également meilleurs: par exemple à Mojanda, la récolte de pommes de terre a été de 4,3 t/ha sur la parcelle témoin et de 7.6 t/ha sur la parcelle améliorée.

A Riobamba, pour la période allant du 20 septembre au 12 novembre 1987 (date de semis), 3 pluies érosives ont donné lieu à 33,8 t/ha de terre perdue sur la parcelle traditionnelle dont le sol a été préparé pour le lit de semences. Pour ces mêmes dates et pour un labour identique, l'érosion sur la parcelle améliorée n'est que d'une 1,1 t/ha. Le même phénomène est observé sur la station de Tumbaco: la seule pluie du 19 octobre 1987, en pleine jachère, le semis n'ayant lieu qu'un mois plus tard le 18 novembre, a provoqué une perte en terre de 34 t/ha. Pour la période considérée, la parcelle améliorée ne perd que 140 kg.

Bien qu'encourageants, ces résultats préliminaires nous montrent que tous les problèmes ne sont pas maîtrisés et, qu'avant d'entreprendre des actions de sensibilisation et de vulgarisation, il est indispensable d'effectuer des observations préalables en conditions expérimentales et en milieu paysan. Cette remarque est fondée sur l'exemple fourni par les transformations morphométriques des murets en mottes d'herbe de la station de Mojanda. Au départ, ceux-ci étaient constitués par deux rangées superposées de mottes de terre d'une hauteur d'environ 30 cm. Puis, progressivement, l'agriculteur au cours de l'année culturale, bien plus que l'érosion qui est insignifiante sur cette parcelle (0,2 à 0.3 t/ha/an), a induit avec la large lame de sa pioche ("asadon") des déplacements considérables de terre, du haut vers le bas de la parcelle. Les travaux de labour ou de piochage, qui commencent toujours au pied des murets, donnent lieu à un surcreusement à la base de ceux-ci, puis la terre est tirée vers la bas de la parcelle jusqu'à ce qu'un autre muret fasse obstacle. Ces déplacements simultanés de terre, par creusement à l'avant des murets et par remblaiement à l'arrière de ceux-ci, nous ont obligé à surélever à plusieurs reprises la hauteur des talus. Sur 20 mois d'observation, celle-ci est passée de 30 cm à 1,30 m; le profil rectiligne initial du versant évoluant progressivement vers un profil en terrasses. On estime que, chaque année, le poids de terre qui s'accumule de cette façon derrière les murets est d'environ 40 tonnes par 100 m linéaire.

CONCLUSIONS

Les Andes, parce qu'elles sont un obstacle orographique majeur à l'échelle planétaire, constituent un milieu naturel propice aux manifestations érosives. En outre en Equateur, ce phénomène est exacerbé, depuis deux décennies au moins, par l'impact sur le milieu du minifundio qui a connu une histoire troublée le conduisant à une marginalisation sur des terres inhospitalières. Grâce à un travail conjoint avec ce petit paysannat local, le projet DNA-ORSTOM a ouvert une voie pionnière et a démontré expérimentalement que la maîtrise de l'érosion, face aux contraintes naturelles et au poids de l'histoire, n'est pas un défi impossible. Sur la base d'ouvrages simples adaptées aux conditions du milieu et acceptés par les hommes, ce type d'opération devrait permettre, à l'échelle d'une génération, de conserver la fertilité des sols, de garantir la qualité des récoltes et globalement d'améliorer les conditions de vie des agriculteurs.

 

Chapitre 14 : Montagne méditerranéenne en Algérie


Problématique
Diagnostic: les conditions expérimentales
Les risques
Propositions d'améliorations: influence du système cultural


Eric Roose, Directeur de Recherche en Pédologie, ORSTOM, Montpellier, France
M. Arabi, Ingénieur à l'INRF, Institut National de Recherches Forestières, Médéa, Algérie

INTENSIFICATION DE L'AGRICULTURE ... SANS DÉGRADATION

Problématique

La région nord de l'Algérie est de loin la plus productive, mais aussi une zone très fragile: les montagnes sont jeunes, les roches molles comme les argilites, marnes et schistes alternant avec des roches dures comme les calcaires et les grès. Le climat méditerranéen semi-aride offre des pluies fines peu énergétiques, mais saturantes pendant l'hiver frais et des averses orageuses dangereuses durant les mois torrides de l'été.

Les sols (régosols, vertisols gris, sols bruns calcaires, sols rouges fersiallitiques) sont souvent battants à la pluie, caillouteux, pauvres en matières organiques et carencés en phosphore et azote.

Suite à une succession de colonisations (romaine, turque puis française) et une récente pression démographique (51 habitants par km2 en montagne), on peut observer fréquemment des signes de surpâturage (6 moutons à l'hectare) sur des montagnes complètement dénudées. L'érosion en nappe et rigoles, en ravine et en masse, la divagation des oueds et la dégradation des berges, la destruction des routes et l'envasement accéléré des réservoirs en 15 à 20 ans, sont les signes d'une dégradation poussée et généralisée des paysages de cette zone.

Face à ces graves problèmes d'érosion, les forestiers et les ingénieurs du génie rural ont développé, de 1940 à 1970, une stratégie d'équipement lourd du milieu rural (DRS) qui comporte:

- la reforestation des hautes vallées et des sommets des montagnes;
- la correction des torrents et des ravines;
- le terrassement des terres de culture: on a aménagé des banquettes algériennes sur plus de 300 000 hectares en 30 ans (coût 5 à 10 000 FF/ha).

L'objectif principal était de ralentir l'envasement des barrages car le nombre de sites favorables à la construction des réservoirs d'eau est limité.

Mais, en 1977, l'échec la DRS en milieu rural fut clair. Les paysans refusent le système des banquettes qui leur fait perdre 10 à 20 % de surface cultivable et n'améliore guère la productivité des terres, la production de bois est toujours déficitaire et la vitesse d'envasement ne fait que croître ! Les projets de terrassement furent arrêtés pour des raisons économiques (deuxième crise pétrolière) (Heusch, 1986). Les forestiers ont continué leur oeuvre de reforestation et de correction torrentielle (RTM), mais à part quelques projets d'amélioration foncière (sous-solage des sols bruns à croûte calcaire), on ne fit plus grand chose pour stabiliser les terres cultivées chez les paysans (Roose, 1987).

Les premières mesures d'érosion sur parcelles de ruissellement (Kouidri, Arabi et Roose, 1989) ont conforté l'hypothèse selon laquelle l'érosion en nappe des versants n'apporte qu'une faible part (0,2 à 1 t/ha/an) aux transports solides des oueds (Heusch, 1970; Demmak, 1982). Ceci pourrait expliquer pourquoi l'envasement des réservoirs était peu réduit, même si on avait beau reforester ou terrasser les pentes.

L'essentiel se passe autour des oueds: ravinement, éboulement en masse des versants entaillés par la divagation des oueds sont les sources majeures de sédiments directement mobilisés par la rivière lors des plus fortes crues.

Néanmoins, le ruissellement en nappe issu des versants peut être très élevé... jusqu'à 80 % des plus fortes averses tombant sur un sol battu, fermé ou compacté par les surpâturages, les routes, les pistes de bétail, les jachères abandonnées à la vaine pâture.

C'est ce ruissellement qui s'échappe des pentes dénudées qui va créer les ravines, les pointes de crue très dangereuses, le sapement des berges et une sédimentation importante dans les réservoirs.

Aujourd'hui, les industries connaissent des difficultés et tournent au ralenti. Le gouvernement algérien propose le retour à la terre, l'intensification de l'agriculture de montagne, mais il espère que cela pourra se faire sans accélérer la dégradation des montagnes et l'envasement des réservoirs d'eau si indispensables au développement de l'irrigation et au développement tentaculaire des villes.

Pour intéresser le paysan à préserver sa terre et la qualité des eaux de surface, il semble indispensable de répondre d'abord aux problèmes immédiats des paysans: comment améliorer leurs revenus et leur sécurité en améliorant la gestion de l'eau et des nutriments sur les terres en production ?

L'intervention prioriaire n'est plus de fixer les terres ravinées, mais bien d'analyser et d'améliorer les systèmes de production et l'équilibre hydrique et minéral des meilleurs terres. La restauration des forêts et l'aménagement des versants ravinés reste la préoccupation majeure de l'Administration forestière.

Selon cette nouvelle approche, s'est développé de 1985 à nos jours un programme de coopération dans le domaine de la recherche et formation avec la participation d'une douzaine de chercheurs de l'INRF et de l'ORSTOM.

Ce programme, nommé "Gestion conservatoire de l'eau et de la fertilité des sols" couvre trois sous programmes:

- deux enquêtes sur l'efficacité de la DRS, d'abord par l'Administration forestière pour localiser les aménagements les plus intéressants, ensuite par une équipe multidisciplinaire de chercheurs pour analyser scientifiquement les raisons des échecs et des réussites.

- l'aménagement de petits bassins versants (terroirs de 20 à 300 ha) près de Médéa, Mascara et Tlemcen.

- l'évaluation quantitative du ruissellement et de l'érosion avec un simulateur de pluies et un réseau de parcelles de ruissellement et de ravines.

Nous nous bornerons ici à rapporter les principaux résultats acquis près de la station INRF de Ouzera (Arabi et Roose, 1990), mais des résultats voisins ont été acquis près de Tlemcen (Mazour, 1992).

Diagnostic: les conditions expérimentales

Quinze parcelles de ruissellement (22,2 x 4,5 m) ont été installées sur les champs des paysans autour de la station de recherche de Ouzera à 90 km au sud d'Alger.

Le paysage comporte une série de plateaux calcaires (900 à 1 200 mètres d'altitude), de versants raides (12 à 40 % de pente) et de vallées profondes où coulent des oueds par intermittence.

Les sols sont liés à la lithologie et à la position topographique (Pouget, 1974; Aubert, 1987). Il s'agit:

- des lithosols jaune clair sur colluvions de grès calcaires, riches en CaCO3, mais pauvres en matière organique;

- des vertisols gris + foncés sur marnes, bien structurés, 2 % de matières organiques, saturés en calcium, pH 7 à 8, très résistants à la battance, mais sensibles au ravinement et aux mouvements de masse;

- des sols fersiallitiques rouges sur des grès tendres, pauvres en matière organique, fragiles et instables en surface;

- des sols bruns calcaires sur des colluvions, 2 à 3 % de matière organique, au profil peu profond, mais bien structuré en surface.

Dans cette zone montagneuse (Atlas Blidéen), la couverture forestière a diminué entre 1982 et 1991 de 18 à 13 %, alors que la vigne et les vergers ont crû de 2 à 7 % et de 8 à 14 %. Cela est caractéristique de la croissance de la population et du développement de l'agriculture de montagne. Les pratiques culturales sont réduites à deux labours pour contrôler les adventices, suivis d'un cover crop pour enfouir les engrais (N33, P45, K90) et réduire un peu la taille des mottes.

TABLEAU 48 : Ruissellement (% des pluies), érosion (t/ha/an), rendements (t/ha et revenus nets en dinars (28 Da = 1 US $) pour les 15 parcelles d'érosion de la station INRF de Ouzera, Algérie (d'après Arabi et Roose, 1992)


Ruissellement moyen
KRAM %

Ruissellement
max.
KRMax %

Erosion t/ha/an
Med. Max 0

Récolte
t/ha/an

Revenu net
Da/ha/an
28Da = 1 US$

Système agro pastoral, vertisol, 12 % pente






1 - Réf. internationale jachère non travaillée

18,2

7 à 86

2,7 (6)

0

0





4,8 grain


2 - Amélioré: rotation blé-légumineuses intensifs

0,6

1 à 8

0,11 (0,2)

3,1 paille

36 200





5 haricots


3 - Amélioré par pâturage de Médicago

0,6

0 à 9

0,05 (0,3)

6,5 grain

35 800





2,2 paille


4 - Réf. locale: blé et jachère paturée extensifs

2,1

7 à 16

0,19 (0,3)

0,7 grain

2 500





0,2 paille


Système sylvo pastural, sol brun calcaire, pente 40 %






5 - Réf. internationale, sol nu

11,3

34

1,8 (2,7)

-

-

6 - Forêt de pin riche en litière

0,5

1 à 3

0,02 (0,04)

-

-

7 - Mattoral surpaturé

12.0

3 à 25

1,7 (2,1)

-

-

8 - pâture de diss + litière

0,8

2 à 7

0,03 (0,04)

-

-

Verger d'abricot, sol rouge fersiallitique, pente 35 %






9 - Réf. internationale, sol ne

15,5

25 à 50

9 (20) ­

-

-

10 - Amélioré = abricotier + rotation blé/légumineuse, engrais + bandes

0,6

0 à 9

0,09 (0,2)

0,8 fruits

42 200





6,0 haricots






2,0 paille


11 - Réf. locale: abricotier 8x8 m

3,1

11 à 12

0,66 (1,3)

0,7 fruits*

10 000*

Vigne sur pente 30 % sol brun calcaire caillouteux






12 - Réf. internationales, sol nu

9,5

16 à 36

1,53 (2,3)

-

-

13 - Réf. locale = vigne 30 ans + 2 labours

1,5

3 à 8

0,11 (0,2)

2,8 raisin

34 300

14 - Amélioré = vigne + outillage + herbicides

4,3

8 à 26

0,13 (0,2)

3,0 raisin

35 100

15 - Amélioré = vigne + rotation blé/légumineuses. 2 labours + engrais

0,2

0 à 3

0,004 (0,1)

4,0 raisin






3,4 haricots

65 400





1,5 paille


Med = médiane: Max = maximum en 1990 * La récolte d'abricots est très faible à cause d'une attaque d'insectes.

La moyenne des précipitations de ces 40 dernières années est de 680 mm à Médéa, mais entre 1986 et 1990, les pluies à la station de Ouzera (distante de 7 km) ont varié de 408 à 566 mm et l'indice d'agressivité des pluies (RUSA de Wischmeier) a tourné autour de 46.

L'objectif de ces essais est de comparer les risques potentiels de ruissellement et d'érosion sur une parcelle nue travaillée (témoin international) à quatre systèmes de production (une vigne, un verger, un système agropastoral et un système sylvopastoral) répartis sur quatre sols représentatifs de cette zone méditerranéenne semi-aride à hiver doux.

Les améliorations au témoin régional consistent en des labours dressés grossiers, l'usage d'herbicides et de pesticides, de graines sélectionnées, d'une fertilisation équilibrée, une jachère fourragère de légumineuses, des cultures associées en rotation sous le verger. Les paramètres observés sont la pluie (hauteur, intensité, érosivité), le ruissellement (KRAM, le coefficient annuel moyen, et KR max %, le coefficient maximum pour une forte averse en % de la pluie), l'érosion (suspensions fines et sédiments grossiers), la production de biomasse et de fruits, le revenu net et les paramètres de la surface du sol (surface fermée, ouverte et couverte, humidité de surface).


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