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3. Conclusions et recommandations

A l'évidence, Tilapia nilotica est une des meilleurs, si pas la meilleure espèce de Cichlidae pour l'élevage en pisciculture. Sa large valence écologique et son taux de croissance élevé lui ont permis de bien tirer parti de la production primaire d'une multitude d'écosystèmes lacustres africains non seulement dans sa zone biogéographique originelle mais bien au-delà, à la suite d'introduction diverses. Il n'est donc pas étonnant que cette espèce s'adapte bien à l'étang de pisciculture dans lequel sa croissance sera très bonne si les conditions environnementales (qualité d'eau et alimentation) sont adéquates. Cependant, en conditions défavorables (sous-alimentation, mauvaise qualité d'eau, etc.), T. nilotica s'adaptera grâce à un phénomène de néoténie qui se traduit par une reproduction précoce et le nanisme. Le résultat de cette adaptation biologique remarquable ne fera pas l'affaire du mauvais pisciculteur qui récoltera une très grande quantité de petits poissons à faible valeur marchande.

Il est donc fondamental de maîtriser la reproduction de T. nilotica et de produire des quantités adéquates d'alevins d'âge connu, à bonne potentialité de croissance, pour la mise en charge d'étangs de production de poissons marchands. Le pisciculteur devra donc choisir une stratégie adéquate selon ses infrastructures, son niveau de technicité et la rentabilité économique de sa production. Trois choix concrets sont possible: reproduction en étangs, en hapas et en cages, ou en tanks, raceways et arènes.

A l'évidence, dans les conditions rurales rustiques à niveau monétaire faible, sans disponibilité d'aliments complets équilibrés (granulés), et où le niveau de technicité des pisciculteurs potentiels est rudimentaire, il sera préférable de s'orienter vers la pisciculture semi-intensive en étangs en vue de valoriser une série de sous-produits agricoles produits localement. Parmi les différentes méthodes de production d'alevins en étangs, la technique d'élevage par classes d'âge séparées conduira toujours aux meilleurs résultats. Ceci implique de disposer d'une série d'étangs de reproduction de 2 à 4 ares dont la surface totale devrait représenter environ 10% de la surface de l'ensemble des étangs de la pisciculture. Ces étangs seront mis en charge avec des femelles de poids compris entre 100 et 200 g accompagnées de mâles légèrement plus gros à une densité de 1 à 4 géniteurs/m2 (selon l'alimentation disponible) dans un rapport des sexes / égal à 3/1. Un sennage bi-hebdomadaire devrait conduire à une récolte de 20 à 200 alevins de ± lg/m2/mois selon la qualité et l'intensité de l'alimentation. Par contre, une vidange complète bi-mensuelle de l'étang devrait permettre une récolte de 10 à 100 alevins de 10 à 20 g/m2/mois selon l'alimentation distribuée. Ces résultats ne seront atteints qu'en condition de température continuellement favorable (température journalière moyenne de l'eau > 25°C.). Au fur et à mesure que l'on s'écarte de ces conditions, il faut s'attendre à des réductions plus ou moins importantes et saisonnières de la production d'alevins. Dans le cas de sennages bi-hebdomadaires, il faut disposer d'étangs de prégrossissement (± 20% de la superficie des étangs) pour amener les petits alevins récoltés (± 1 g) à un poids de l'ordre de 20 g, poids souhaitable pour la mise en charge des étangs de production. Cela peut se faire en une ou deux étapes successives dans des étangs de 2 à 4 ares avec des mises en charge de 50 à 20 alevins/m2 (selon l'âge et l'alimentation disponible). Après deux à trois mois, la récolte de fingerlings de ± 20 g devrait être de l'ordre de 80% de la mise en charge.

La reproduction en hapas, poches fixes de petites tailles en filet moustiquaire, permet un contrôle aisé et une identification de la reproduction et de l'alevinage aussi bien en étangs, qu'en tanks ou en grandes cages. A une densité de 5 géniteurs/m2 avec un rapport des sexes femelles/mâles de 3/1, on obtient des productions de l'ordre de 40 à 70 larves/m2/jour soit en extrapolant 1200 à 2100 larves/m2/mois mais cela nécessite un nourrissage régulier complet et équilibré ainsi qu'une récolte très fréquente.

La reproduction et l'alevinage peuvent également s'effectuer complètement en grandes cages flottantes de 16 m2 avec filets à mailles fines en y disposant 4 petites cages à géniteurs de ± 1 m2 avec chacune 10 géniteurs (/ = 2/1) ce qui donne (avec une alimentation équilibrée et intensive) une production de l'ordre de 400 alevins/m2/mois. Sans alimentation artificielle, il est possible de profiter d'un lac eutrophe en y disposant des doubles cages (48 et 20 m2). A une densité de 4 géniteurs/m2 (/ = 3/1) la production d'alevins peut être de l'ordre de 50 ind/m2/mois.

La reproduction et l'alevinage en tanks, raceways et arènes correspond à un niveau d'intensification qui ne se justifie qu'en pisciculture industrielle et est donc hors de portée de l'activité rurale traditionnelle. Les coûts de ce type d'élevage, qui présente l'avantage d'occuper peu d'espace et de permettre un contrôle et une gestion efficace des conditions environnementales et du stock de poissons, sont toutefois élevés (infrastructures, énergie et alimentation). Cette activité ne peut se justifier que si le prix de vente du tilapia est très élevé ce qui est rarement le cas en Afrique intertropicale vu le faible pouvoir d'achat des populations.

La reproduction sera effectuée de préférence dans le système le plus simple: les tanks circulaires d'un diamètre de 3 à 5 m avec en périphérie des moellons installés tous les 70 cm ce qui délimitera le territoire des mâles, les femelles circulant au centre. Une densité de géniteurs de 5 ind/m2 avec un rapport des sexes / de 3/1 devrait donner de bons résultats. Le système des arènes de HALLER et PARKER, intéressant d'un point de vue éthologique mais plus coûteux et plus difficilement réalisable d'un point de vue technique, ne semble pas donner une aussi bonne production de larves que les tanks.

La croissance des larves récupérées régulièrement lors des vidanges partielles et rapides des tanks de reproduction sera effectuée en tanks de prégrossissement avec recalibrage régulier des alevins et diminution progressive de la densité de stockage: de 4000 larves/m2 dans des bacs peu profonds (20 à 30 cm d'eau) à 1600 ind de 1g/m3 puis 1000 ind de 10g/m3 jusqu'au stade de fingerlings (20 à 30 g).

A des fins d'expérimentation précise, il est parfois utile de pouvoir assurer la production de T. nilotica en aquarium. Une production régulière d'alevins de T. nilotica peut être assurée à partir d'un stock minimal de géniteurs de 5 à 6 mâles et 10 à 12 femelles maintenues dans un seul aquarium de 400 l. La reproduction s'effectue dans un aquarium de 200 l avec un mâle territorial auprès duquel on introduit une femelle prête à pondre. Une semaine après l'éclosion on sépare, de la mère, les larves qui sont nourries de nauplii d'artémias. Les alevins de 0,2 g sont alors transférés par groupe de 50 dans des aquariums de 701 et sont nourris ad libitum 5 à 6 fois par jour avec des aliments riches en protéines.

En conclusion, la diversité des résultats de production d'alevins de T. nilotica en étangs, en hapas et cages ou en tanks, raceways et arènes montrent clairement qu'il serait nécessaire, à l'avenir, d'expérimenter de façon comparative et rigoureuse pour préciser selon ces différents systèmes les meilleures densités, le rapport optimal des sexes, ou la taille la plus adéquate des géniteurs. Cela devrait se faire, au cours d'un cycle annuel complet sous diverses conditions climatiques, et selon des protocoles précis qui ne feraient varier qu'un seul facteur à la fois. En plus des paramètres précédents, il faudrait examiner les effets de différents types d'alimentation sur la reproduction et l'alevinage sans oublier de mesurer l'ensemble des coûts de production. Ce n'est qu'à ce prix que l'on pourra vraiment recommander les techniques les plus adéquates selon les conditions du milieu.


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