3. La demande de lait et produits laitiers en Afrique

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3.1. La consommation de lait et de produits laitiers en milieu rural
3.2. La consommation des laits et produits laitiers en zone urbaine


Le lait et les produits laitiers occupent une place non négligeable dans la tradition alimentaire de nombreuses ethnies africaines; les importations ont d'autre part mis à la disposition des populations urbaines du continent une large gamme de produits appréciés pour leurs qualités nutritionnelles et gustatives (ex. Ie lait concentré sucré). Malgré ce terrain favorable, il faut bien reconnaître que les laits et produits laitiers n'occupent pas une place prépondérante dans la ration alimentaire de l'africain moyen: 17,5 kg/hab/an, c'est 20 à 25 fois moins que ce que consomme l'Européen type. En dépit des efforts déployés depuis de longues décennies, cette consommation moyenne n'évolue pas sensiblement; elle aurait même tendance à régresser en tenant compte de l'évolution démographique que connaît l'Afrique. A cela, il y a une cause incontournable: le consommateur africain ne dispose pas de revenus suffisants pour avoir un accès satisfaisant aux laits et produits laitiers. Aussi, face à une demande solvable aussi faible, l'éleveur africain n'a pas cherché à développer sa production. Dans le même temps, les fournisseurs extérieurs tendent à réduire leur offre, car les exportations vers l'Afrique - entre autres -représentent en définitive une charge intolérable pour les gouvernements et autorités diverses chargés de subventionner des excédents encombrants. En somme, on peut se demander si la satisfaction immédiate du consommateur dans un monde solidaire et la recherche de l'autosuffisance alimentaire à long terme sont compatibles en Afrique, ou si elles n'empruntent pas plutôt des chemins qui divergent...

3.1. La consommation de lait et de produits laitiers en milieu rural

Le lait est inscrit dans la culture des peuples d'éleveurs en Afrique: coutumes, rites, chants... Iouent les bienfaits de cet aliment. Les langues locales sont riches de termes propres aux différentes préparations et aux nombreux produits obtenus à partir de lait; proverbes et dictons ramènent souvent au lait alors que l'accueil du visiteur étranger, le paiement de certains impôts mettent en jeu le lait et ses dérivés.

Les périodes de fêtes sont l'occasion de consommer en plus grandes quantités les laits et produits laitiers (beurre pour les fêtes orthodoxes coptes d'Ethiopie, lait caillé pendant le Ramadan en Afrique de l'Ouest), ou au contraire d'en restreindre, voire même d'en interdire la consommation.

Malgré toutes les valeurs économiques, nutritionnelles ou symboliques attachées au lait dans les sociétés pastorales africaines, celui-ci reste peu consommé en zone rurale où les quantités disponibles pour l'alimentation humaine sont faibles; le veau continue d'absorber la part la plus importante si bien que sur une production faible, le prélèvement à chaque traite est des plus modestes: seuls les jeunes enfants, les vieillards et les femmes enceintes en bénéficient régulièrement dans la famille de l'éleveur (autoconsommation). Quant aux agriculteurs (au sens strict), ils n'y ont accès que de façon exceptionnelle. Ceci reste largement vrai aujourd'hui, même si dans plusieurs régions d'altitude du Burundi et d'Éthiopie le beurre fut longtemps la seule matière grasse employée. Il est à noter également que ce beurre a un usage cosmétique important auprès des femmes d'Éthiopie ou du Sénégal. Enfin, de nombreux Africains accordent au lait des vertus sédatives et curatives: il sera donc acheté pour les malades par de nombreuses ethnies. Par contre, dans les régions où l'élevage bovin n'est pas pratiqué de façon traditionnelle, la consommation des laits et produits laitiers est pratiquement inconnue (Agriculteurs de Côte d'Ivoire, zone humide).

La sous-consommation de lait en zone rurale provient également des fortes variations de la production dues aux facteurs climatiques et sanitaires. La saison sèche, plus ou moins longue et sévère suivant ]es régions, restreint les quantités de fourrages et de pâtures nécessaires à une production régulière de lait; la pénurie de lait durant cette saison sèche tient à une moindre productivité des vaches traites et à la priorité donnée au veau; les quantités alors disponibles ne représentent plus qu'un tiers à un quart de la production en saison des pluies.

La productivité de l'ensemble du troupeau est également affectée par son état sanitaire souvent précaire. Les agressions sont multiples et amoindrissent les capacités de production, si bien que sur de vastes zones humides du continent africain l'élevage bovin est impossible, de telle sorte que le lait ne fait pas partie des habitudes alimentaires des populations concernées.

Enfin, parmi les éléments restrictifs de la consommation de lait et produits laitiers en Afrique il faut ajouter les difficultés, voire l'impossibilité de conserver des produits hautement périssables, ce qui limite la distribution au delà de quelques kilomètres: la fabrication de lait acidifié/lait caillé autorise une conservation et un transport sur des distances plus conséquentes, mais c'est la production de beurre ou ghee qui reste la méthode essentielle de préservation sur une longue période.

Tableau Xlll: Consommation de lait et produits laitiers en zone rurale

 

BKF

BUR

CIV

ETH

MALI

SNG

Korhogo

Bouaké

Habitudesde
consommationdes
laitsetproduitslaitiers
+ + + - ++ + +
Produitsconsommés defaçon
traditionnelle
Lait
frais
Lait
caillé
Lait

Lait
caillé
Beurre

Laitfrais
Lait caillé
  Beurre
Lait
frais
Lait
caillé
Lait
frais
Lait
caillé
Lait
frais
Lait
caillé
Beurre.
de.
beurre
Part estimée de
l'autoconsommationen%delaproduction
60-70 30-50 50-60 80-90 60-70 60-70 80
Consommation kg EqL/hab./an en zone rurale 12,6 2,9 5,0 1,0 16,0 23,0 21,5

Études GRET

Les quantités consacrées à l'autoconsommation restent modestes en valeur absolue du fait de la faible productivité du troupeau: on peut l'estimer à 0,1 litre/hab./an en saison humide et concerne l'ensemble des membres de la famille. En Ethiopie, cette autoconsommation est évaluée à 0,5 litre/ménage/jour.

En général, sur tout le continent africain c'est en terme de pénurie chronique de lait et produits laitiers dont il faut parler en milieu rural, la consommation étant très faible, voire nulle pour de trop nombreux Africains. Le manque de moyens monétaires ou d'échange reste l'obstacle principal à l'accès aux laits et produits laitiers.

Il faut toutefois noter que la pression commerciale exercée par les multinationales de l'agro-alimentaire et l'habileté des commerçants locaux ont créé une consommation de lait et produits laitiers importés - poudres et laits concentrés - omniprésents en brousse et achetés de-ci de-là, parfois par identification à la modernité.

3.2. La consommation des laits et produits laitiers en zone urbaine


3.2.1. Critères de la consommation de lait et produits laitiers en Afrique
3.2.2. Consommatior des laits et produits latiers en zone urbaine
3.2.3. Typologie des consommateurs de lait et produits laitiers en milieu urbain
3.2.4. Conclusion sur la consommation de lait et produits laitiers en zone urbaine
3.2.5. Lait frais et lait caillé servis par abonnement


L'urbanisation est un des phénomènes majeurs marquant le développement actuel de l'Afrique. L'exode rural est à l'origine de ce phénomène et les paysans exilés maintiennent autant que faire se peut leurs habitudes alimentaires. Ils continuent à consommer le lait et les produits laitiers qui font partie de leur régime alimentaire traditionnel, d'où le développement généralisé des ventes de lait local frais ou caillé par abonnement pour être sûr de retrouver le produit de son village, de son enfance. Dans ce comportement d'achat, ce sont les ressorts socioculturels qui sont déterminants. Mais le statut socio-économique a son importance également. Car la ville est surtout devenu le lieu de nouveaux comportements acquis au contact des Européens. Elle est "le lieu privilégié des extraversions de la consommation alimentaire: les populations urbaines progressivement gagnées par un mimétisme généralisé adoptent le modèle alimentaire véhiculé par les expatriés, puis par la bourgeoisie elle-même aliénée aux standards internationaux diffusés par les grandes entreprises multinationales de l'agro-alimentaire et soutenus par une politique d'importation croissante de produits alimentaires " (A. Dubresson, ORSTO M, 1989).

Il faut aussi reconnaître que ce comportement alimentaire a été facilité par des prix relativement bas - pour les produits de base -élément-clef de la pression des multinationales pour imposer leurs produits, dont la qualité, la simplicité et la sécurité d'utilisation constituent par ailleurs des facteurs très favorables à une demande soutenue. Ces mécanismes se sont mis en place en dehors de toute prise en considération de la production locale puisque dans l'Afrique de l'Ouest principalement la consommation de lait et produits laitiers en milieu urbain est principalement assurée par les importations. Ainsi, bien que la Côte d'Ivoire ne soit pas pour une bonne partie un pays de tradition d'élevage et que la population ne connaisse pas traditionnellement le lait et les produits laitiers, leur consommation est devenue - en milieu urbain - une des plus élevée en Afrique subsaharienne.

3.2.1. Critères de la consommation de lait et produits laitiers en Afrique


3.2.1.1. Consommation et revenu
3.2.1.2. Consommation et prix des produits
3.2.1.3. Comportement des consommateurs face aux laits et produits laitiers traditionnels
3.2.1.4. Comportement des consommateurs face aux laits et produits laitiers importés


3.2.1.1. Consommation et revenu

Il est évident que le faible revenu général des populations africaines constitue l'obstacle majeur à un accès régulier et important au lait et aux produits laitiers. Dans bien des cas, le prix d'un litre de lait frais peut représenter 30 à 50 %, voire 100 % du salaire journalier d'un ouvrier... Iorsque cet emploi existe:

Le faible niveau de consommation de lait et produits laitiers en Afrique trouve son origine essentielle dans la faiblesse des revenus des populations tant en zone rurale, que dans les villes. Sans une amélioration des conditions de vie en Afrique subsaharienne, la consommation de lait et produits laitiers ne progressera pas et le mil, les haricots, le maïs, le manioc ou le riz demeureront la base de l'alimentation pour la plus grande partie des Africains. Les compressions de salaire engendrées par l'application des PAS, la dévaluation du FCFA et les crises socio-politiques qui secouent de nombreux pays du continent ont déjà pour conséquence une baisse de la consommation en général, affectant le lait et les produits laitiers en particulier.

Or, le lait et les produits laitiers jouissent, surtout en milieu urbain d'une excellente notoriété; l'élasticité revenu, certes délicate à calculer, est estimée pour l'Afrique subsaharienne à ei = 0,80 à 0,85, ce qui laisse présager une rapide augmentation de la demande... le jour où les Africains disposeront d'un niveau de vie satisfaisant.

3.2.1.2. Consommation et prix des produits

Une même évidence peut être formulée en ce qui concerne le rôle des prix dans la demande de lait et produits laitiers. Même si les qualités du lait frais sont largement reconnues et appréciées, le prix qui en est proposé au consommateur est trop souvent rédhibitoire; dès lors, la poudre de lait permettant d'obtenir 1 litre de lait reconstitué de 30 à 50 % moins cher qu'un litre de lait frais constitue un substitut très recherché (surtout en Afrique de l'Ouest).

L'élasticité-prix obtenue pour le lait frais au Burkina Faso est de ep = -1,35 indiquant une extrême réserve des consommateurs face à des prix jugés excessifs... au regard de trop modestes revenus.

La dévaluation du FCFA en renchérissant le prix des produits importés (dont la poudre) va encore freiner la consommation. Dès l'annonce de cette dévaluation, les prix de nombreux produits laitiers ont doublé, tant à Abidjan qu'à Dakar ("Le Monde" du 13/I/94) révélant le comportement spéculatif des opérateurs de la filière des produits importés. La situation a évoluée (stabilisation des prix, retour à des prix plus bas), mais il ne sera réellement possible de juger de l'impact de cette mesure qu'à la fin de l'année.

3.2.1.3. Comportement des consommateurs face aux laits et produits laitiers traditionnels

- les habitudes alimentaires

Tant en Afrique de l'Ouest que sur les hauts plateaux de l'Est, le lait est fortement présent dans les habitudes alimentaires des ethnies pastorales et dans une moindre mesure auprès des agriculteurs qui les côtoient. Seuls les habitants de la zone de Bouaké, parmi les sept villes étudiées, ne sont pas des consommateurs traditionnels de lait et produits laitiers, car l'élevage bovin ne s'est pas développé dans cette zone de forêt où sévit la trypanosomiase.

- Les pratiques religieuses:

Le temps du Ramadan chez les musulmans d'Afrique de l'Ouest, ou les périodes de fêtes chrétiennes (Pâques, Noël, Epiphanie, chez les chrétiens orthodoxes coptes d'Ethiopie) vont influencer le niveau de consommation, en la favorisant (aspect festif) ou en diminuant (jeûne). Ces variations peuvent entraîner des fluctuations notables de prix à travers une pénurie "organisée" à l'occasion de ces fêtes.

- La saison conditionne le niveau de la demande et donc les prix. Plus faible en saison des pluies et en saison froide, la consommation de lait et produits laitiers s'accroît nettement en saison sèche et chaude alors que l'offre locale est à son minimum; les laits caillés, acides, les yaourts, possèdent un réel pouvoir rafraîchissant et réhydratant: ils peuvent être alors demandés par des fractions plus larges de la population.

Les enquêtes réalisés au cours de cette étude se sont déroulées en saison des pluies (hémisphère Nord) et n'apportent que peu de données chiffrées sur ces variations saisonnières de la demande, variations dont l'amplitude est pourtant importante.

- Variations de la demande de lait et produits laitiers au cours du mois

Les salaires sont souvent versés selon un rythme mensuel. D'une façon générale, il a été noté une forte demande sur la première quinzaine du mois quand il y a suffisamment de liquidités dans les ménages. Sur la deuxième quinzaine, on assiste à un très net fléchissement de la demande de lait et produits laitiers, la consommation se portant alors sur des produits jugés moins onéreux.

3.2.1.4. Comportement des consommateurs face aux laits et produits laitiers importés

L'urbanisation rapide de l'Afrique subsaharienne et une certaine rupture avec le milieu traditionnel ont entraîné des modifications plus ou moins profondes dans les habitudes alimentaires. Sur la période 1970-1985, ces modifications ont été consécutives à la hausse des revenus de nombreuses catégories socio-professionnelles (fonctionnaires, commerçants, professions libérales...) et les effets d'ostentation et d'imitation ont joué en faveur des produits importés dont par ailleurs les prix s'avéraient particulièrement attractifs.

Cette demande de produits importés est forte sur les poudres de lait (sous toutes ses formes: vrac et conditionnée) et dans une moindre mesure sur le beurre et les fromages. En fonction des cours mondiaux, la demande de lait et produits laitiers importés peut présenter de fortes fluctuations d'une année à l'autre et les importateurs vont moduler leurs commandes en fonction de ces fluctuations, jouant un rôle d'amortisseurs entre l'offre mondiale et la demande finale. Le Burkina Faso marque une préférence pour les laits concentrés. Les importations n'ont pas été chiffrées en Ethiopie - où elles seraient d'un modeste niveau -, et sont assurées pour une part non négligeable par le marché parallèle au Burundi où les flux d'importations ont été sous-estimés.

3.2.2. Consommation des laits et produits laitiers en zone urbaine

La consommation de lait et produits laitiers en zone urbaine varie assez largement d'un pays àl'autre, et même d'une ville à l'autre, en Côte d'Ivoire par exemple, mais un certain nombre d'éléments peuvent être valablement retenus.

Pour l'ensemble des villes, la consommation de lait liquide et de lait caillé reste très faible et toujours inférieure - sauf pour Bujumbura - à 12 litres/hab./an soit moins de 1 litre par mois.

Le lait frais local est difficile à commercialiser et ne concerne qu'une part très étroite de la population servie le plus souvent par abonnement à domicile; quant au lait UHT importé, si sa présence est constante dans la plupart des grandes villes africaines, sa consommation n'est le fait que des expatriés;

Le lait caillé, très apprécié par l'ensemble de la population est une façon traditionnelle de conserver le lait sur plusieurs jours et donc de le commercialiser sur plus longue distance; malgré tous ces avantages, il semble que sa consommation ne soit pas aussi importante que ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Il est cependant souvent utilisé en sauce (dégué, riz, couscous)

Le beurre local n'est consommé de façon appréciable que sur les hauts plateaux (Ethiopie) suivant des traditions culinaires très ancrées: c'est aussi semble-t-il la principale forme de consommation de lait et produits laitiers dans ces régions.

D'une façon générale en Afrique de l'Ouest, le beurre ou toute autre forme de présentation de la matière grasse laitière (ghee, huile de beurre...), ne fait l'objet que d'une consommation marginale en zone urbaine et le beurre d'importation sera apprécié et à la portée des seuls expatriés.

L'ensemble de la consommation des produits d'origine locale reste particulièrement faible en Afrique de l'Ouest et elle est même marginale en zone urbaine par rapport à la consommation des produits importés. Cette situation que l'on peut qualifier d'extrême n'est que le résultat d'une inadaptation voire de l'inexistence de politique d'approvisionnement des villes à partir de la production locale, cette dernière n'étant malheureusement pas toujours possible: tout reste donc à construire en ce domaine, et les contraintes constituant un frein pour un approvisionnement normal des centres urbains restent nombreuses: organisation et coût de la collecte, conditionnement, définition de normes acceptables de qualité, etc.

Mise à part la consommation relativement marginale des produits frais (lait, liquide, yaourt...), des fromages et du beurre, deux types de produits se sont imposés au consommateur africain:

- les laits en poudre
- les laits concentrés

Les laits en poudre conditionnés (aussi appelés laits instantanés) en boîtes de 390 g à 5 kg sont d'un large usage pour les nourrissons; ce produit, facile à utiliser et à conserver connaît une bonne diffusion aussi bien en zone urbaine que rurale. Les usages du lait en poudre conditionné sont parfaitement ciblés: l'alimentation infantile et l'utilisation dans le café matinal. Mais nous n'avons pas d'indications sur les quantités consommées, la distinction n'étant pas faite - ou trop peu - avec la poudre de lait vendue en vrac: d'une façon générale, les laits en poudre conditionnés, relativement plus chers, sont particulièrement prisés par la clientèle solvable rencontrée parmi les expatriés et les classes aisées. Nestlé et les fabricants Hollandais dominent ce marché très rentable.

La poudre en vrac a trois destinations principales qu'il est difficile de cerner avec précision:

* poudre vrac utilisée comme matière première dans les unités industrielles de lait reconstitué; dans ce cas, le consommateur final la retrouve sous une autre forme de lait et produits laitiers:

* poudre vrac servant dans le circuit informel à fabriquer du lait caillé, du yaourt, des bouillies où on le retrouve mélangé avec de la farine de mil (dégué), de riz, le tout additionné de sucre ou de lait concentré sucré. Fabriqués par les femmes trouvant dans cette activité une possibilité de gagner un peu d'argent, ils sont très appréciés des consommateurs dans toute l'Afrique de l'Ouest: c'est sans doute une des formes majeures de consommation de la poudre dans cette région.

Les kiosques, cafétérias, salons de thé, etc.. proposent aussi ce type de produits reconstitués, consommés sur les lieux de vente par de nombreux Africains en cours de journée, mais le plus souvent le matin: ce mélange nourrissant consommé avec du pain constitue pour beaucoup le repas principal de la journée.

* Enfin, la poudre vrac est fréquemment reconditionnée par les épiciers de quartiers en doses variant de 20 g à 1 kg à partir de sacs de 25 kg. Peu lucrative pour l'épicier, cette vente permet un accès à ce produit pour les plus faibles niveaux de revenus. Ces doses de poudre servent dans le café au lait, à l'alimentation infantile mais aussi à la fabrication de yaourt ou de bouillies "maison" très appréciées dans les familles africaines. L'usage familial de la poudre de lait est largement répandu et peut constituer une des bases du régime alimentaire en zone urbaine.

Le lait concentré est une alternative à la poudre dans la consommation de lait et produits laitiers en Afrique: les utilisations vont dans le même sens que pour la poudre: café au lait, alimentation infantile, sucrage et épaississement des multiples variantes de bouillies préparées en circuit informel (kiosques, femmes fabriquant du yaourt, du dégué...) mais aussi dans le cadre familial; le lait concentré sucré sur du pain peut également servir de repas sur les lieux de travail (employé(e)s, fonctionnaires...). Au Burkina Faso, le lait concentré vient en tête des importations de lait et produits laitiers; au Sénégal et en Côte d'ivoire (ainsi qu'au Nigeria et Cameroun...) des usines de lait concentré sucré fonctionnent à partir de lait reconstitué à base de poudre 0 % et d'huile de beurre. Ce produit jugé nourrissant est d'autre part apprécié comme gourmandise tant par les enfants que pour les adultes; on le retrouve aussi bien en zone rurale qu'en ville et son succès n'est limité que par son prix, aussi le trouve-t-on en mini-boites de 78 g ou 170 g accessibles pour beaucoup. On pourrait à ce sujet définir la notion de seuil psychologique de prix pour les laits et produits laitiers entre autres: le consommateur désireux de se procurer un produit laitier quelconque effectuera l'acte d'achat non pas en fonction de ses besoins - personnels ou familiaux -mais en fonction de l'argent dont il dispose; ainsi le consommateur ne va pas acheter 1 kg de poudre de lait mais achètera de la poudre de lait pour 750 FCFA. Si le prix vient à doubler, il achètera toujours pour 750 FCFA mais s'en procurera 0,5 kg. Ce comportement explique le succès des conditionnements en petites doses.

Le consommateur a alors le sentiment d'avoir toujours accès à un produit qu'il désire acquérir, seule la dilution - modulable sur une large échelle pour le lait en poudre et le lait concentré - sera modifiée, mais psychologiquement, la satisfaction ne sera pas affectée dans la même proportion que la dilution. Ce qui a son importance.

Si l'on prend en compte cette dimension affective de la consommation, il est permis de se demander si la présence de poudre de lait et des laits concentrés sur les marchés africains n'est pas devenue indispensable, en assurant pour bon nombre de consommateurs un minimum alimentaire que la production locale n'est pas près d 'assurer tant sur le plan quantitatif - et donc en terme de prix également -que sur le plan qualitatif (présentation, hygiène) ?

3.2.3. Typologie des consommateurs de lait et produits laitiers en milieu urbain


3.2.3.1. Les non-consommateurs absolus
3.2.3.2. Les consommateurs occasionnels
3.2.3.3. Les consommateurs réguliers fréquence peu élevée)
3.2.3.4. Les consommateurs réguliers (fréquence élevée)
3.2.3.5. La consommation hors domicile


Le comportement des consommateurs de lait et produits laitiers en milieu urbain est assez homogène, à quelques nuances près sur l'ensemble des pays, et reste soumis d'abord au pouvoir d'achat des populations. Malgré l'absence de données pour certains pays, nous retiendrons la typologie suivante:

3.2.3.1. Les non-consommateurs absolus

Ils sont sans doute beaucoup plus nombreux que ne l'indiquent les données des différentes enquêtes, car le niveau de vie de larges fractions de la population reste très bas et étant donné la taille de certains foyers - plus de 20 personnes par foyer est une situation fréquente en Afrique - même si le lait et les produits laitiers sont achetés de temps à autre, bon nombre d'adultes ne consomment jamais ce type de produits, introduisant une différence entre foyers non-consommateurs et individus non-consommateurs.

En terme de foyers, cette non-consommation (achats nuls ou très rares) toucherait de 2 à 30 % des ménages selon les villes. Si le pouvoir d'achat reste la principale raison de non-consommation, par contre il est rare que soit évoqué un rejet pour des raisons physiologiques (produits indigestes ou provoquant la nausée) et jamais pour des raisons religieuses. L'aspect socio-culturel de la non-consommation (habitudes alimentaires) est toutefois invoqué à Bouaké (chez les Baoulés), mais la vie urbaine tend à gommer plus ou moins rapidement ces différences d'origine ethnique.

3.2.3.2. Les consommateurs occasionnels

Pour ces consommateurs, le lait fait partie des habitudes alimentaires mais pour des raisons financières, ils n'y auront accès que de temps à autre; période de Ramadan pour les musulmans, fêtes chrétiennes en Ethiopie... Des achats occasionnels seront effectués pour des malades (vertus curatives attribuées au lait au Burundi) ou pour des enfants en bas âges (cas très général).

Pour ces consommateurs occasionnels, les produits les plus fréquemment achetés sont les plus traditionnels: lait frais et lait caillé chez les musulmans, beurre en Ethiopie.

3.2.3.3. Les consommateurs réguliers fréquence peu élevée)

Avec des fréquences de consommation peu élevées (2 à 5 fois par mois): le niveau reste modeste, de 5 à 15 kg/hab./an d'EqL, et demeure limité par le pouvoir d'achat. Mais les habitudes alimentaires et le souci d'apporter un aliment sain et de bonne valeur nutritionnelle à divers membres de la famille entraînent à des achats répartis régulièrement tout au long de l'année avec une fréquence plus grande pour certaines circonstances et lors de la saison sèche.

3.2.3.4. Les consommateurs réguliers (fréquence élevée)

Avec une fréquence de consommation de plusieurs fois par semaine, voire quotidienne, ils ne sont qu'une faible part de la population (sauf à Korhogo !) en général inférieure à 10 %. Bien évidemment, il s'agit des classes les plus aisées - expatriés, cadres, commerçants, professions libérales - habitant dans les quartiers résidentiels, possédant un bon niveau d'équipement électroménager - réfrigérateur - et automobile. Cette classe privilégiée tend à se rapprocher des standards européens de consommation pour de nombreux produits, sauf pour les fromages dont la présence demeure marginale sur les tables africaines.

3.2.3.5. La consommation hors domicile

C'est une composante de la consommation de lait et produits laitiers en milieu urbain; sans doute difficile à apprécier quantitativement, elle semble pourtant se situer à un niveau élevé. Nous avons noté que les kiosques et dans une moindre mesure les cafés-bars-restaurants constituent une étape fréquente pour de nombreux citadins: café au lait, dégué, tartines de lait concentré sucré, etc. sont alors très appréciés. Sur Addis Abeba, les quantités de lait ainsi consommées seraient de 10 0001/jour, soit plus de 3 500 T/an, de l'ordre de 10 % du lait distribué sur la ville. A Bujumbura, les kiosques distribuent environ 40001/jour (1400 T/an) mais seulement une partie est consommée sur place, alors qu'à Bobo-Dioulasso 200 T de poudre de lait et 500 T de lait concentré sont transformés (et distribués) annuellement par le biais des kiosques et cafés. Des observations de même nature peuvent être faites à Korhogo et Bouaké et sans doute dans l'ensemble des villes d'Afrique de l'Ouest, le kiosque se révélant tout autant comme centre de rencontre et de convivialité que comme lieu de restauration.

Nous estimons à 10 % de la consommation totale la part de lait et produits laitiers écoulée hors domicile, des écarts sans doute importants, mais non chiffrés, pouvant être observés d'une ville à l'autre.

À la typologie socio-économique du consommateur urbain, il est utile d'ajouter une typologie géographique, c'est à dire une observation des tendances dégagées dans les différents quartiers des villes.

Le temps et les efforts déployés lors de l'enquête sur la consommation ont permis de toucher plusieurs milliers de personnes (cf. tableau XVII), mais les résultats obtenus ne font que renforcer une évidence de base: le niveau de consommation est fortement corrélé au niveau de vie.

Dans les couches les plus favorisées de la population, les habitudes alimentaires traditionnelles s'estompent face à de nouveaux comportements liés au pouvoir d'achat alors que dans les milieux populaires, la fréquence et le niveau des achats de lait et de produits laitiers seront liés aux disponibilités monétaires, c'est à dire faibles. Or, le choix du quartier d'habitation est lui-même fortement lié au revenu.

- dans les quartiers résidentiels, le type d'habitation tendra à se rapprocher du standard européen: eau, électricité, voirie... sont omniprésents et fonctionnent normalement. Dès lors, l'équipement ménager, la possession d'un moyen de transport moderne - automobile le plus souvent - iront de pair avec la consommation d'une large de gamme de lait et de produits laitiers : lait liquide (frais, UHT), lait caillé, yaourt, beurre, lait concentré sucré... Les achats se feront dans les boutiques de proximité, mais plus fréquemment dans les supérettes situées en centre ville. Le passage d'un colporteur apportant à domicile du lait frais et du lait caillé est très largement répandu. Ce service par "abonnement" fonctionne dans toutes les villes et reste l'accès le plus sûr aux produits traditionnels appréciés en tant qu'élément socio-culturel fort vis à vis du village, de la brousse, où chaque Africain a de la famille - au sens large - et un passé récent.

- dans les quartiers populaires, les maisons en dur côtoient les concessions en banco qui s'étendent à la périphérie de toutes les villes. Si l'eau et l'électricité sont assez répandues (50 à 70 % des foyers), elles n'impliquent pas la possession d'un réfrigérateur, équipement-clef dans la consommation régulière d'une large gamme de lait et produits laitiers. Dans ces conditions, les achats se feront au coup par coup dans des boutiques de quartier et porteront sur des produits non périssables: poudres de lait et laits concentrés. Les produits frais ne peuvent occuper qu'une place marginale.

C'est aussi dans ces quartiers populaires que l'on trouvera le plus grand nombre de kiosques où les adultes viendront compléter la modeste consommation de lait et produits laitiers enregistrée à domicile.

3.2.4. Conclusion sur la consommation de lait et produits laitiers en zone urbaine

L'analyse de la consommation de lait et produits laitiers en zone urbaine requiert des moyens sans commune mesure avec ceux attribués à cette étude. C'est ainsi qu'elle fut souvent incomplète (Sénégal) ou partielle (Ethiopie). Dans les familles élargies, c'est à dire composées d'un grand nombre de personnes (parfois de 15 à 20), il n'est pas possible de dégager un comportement alimentaire homogène, en particulier en ce qui concerne les enfants dont le régime alimentaire n'a pas été suffisamment décrit, alors qu'ils devraient être un des moteurs essentiels de la consommation de lait et produits laitiers au foyer: l'âge du sevrage, la part de lait et produits laitiers dans leur nourriture entre 2 et 8 ans, le fait qu'ils bénéficient ou non de lait dans le cadre scolaire, etc. sont autant d'éléments nécessaires pour déterminer la place des laits et produits laitiers dans le comportement alimentaire en zone urbaine.

De même, dans la consommation hors domicile, il conviendrait d'estimer la part revenant aux collectivités (hôpitaux, écoles, armée...) ?

Enfin, la corrélation établie entre consommation à domicile et revenu doit être analysée avec précaution: en effet, il est fréquent en Afrique que le revenu d'un foyer soit le fait d'un nombre élevé de personnes vivant sous le même toit; dans ces conditions, l'augmentation du revenu n'est que la somme de revenus modestes et ne traduit pas une élévation du niveau de vie et donc n'entraîne pas une augmentation de la consommation per capita.

La très grande hétérogénéité des foyers africains dans leur composition (d'une structure européenne à 4 ou 5 personnes jusqu'à la structure clanique regroupant plusieurs dizaines de personnes), et dans leur revenu où l'informel tient souvent une place centrale, rend délicate l'analyse pour une enquête ayant privilégié le foyer au détriment de l'individu, dont les habitudes et le comportement alimentaire demeurent flous.


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