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2.3.4 La faune sauvage

On trouvera au tableau 2.3.4 la liste des espèces d'acacias notoirement appréciées des mammifères, des oiseaux et des insectes comestibles; celle des arbres broutés par les herbivores sauvages figure au tableau 2.2.1.1. Les arbres fournissant un aliment aux abeilles sont énumérés au tableau 2.2.1.2. Les espèces mentionnées comme exclusivement broutées par le bétail le sont également, à n'en pas douter, par les herbivores sauvages, mais l'incidence de ces derniers n'est pas commentée dans la littérature que nous avons étudiée.

L'aménagement de réserves de gibier exige un niveau de gestion élevé, non seulement pour se prémunir contre le surpâturage, mais aussi pour maintenir un équilibre approprié entre les différentes espèces, donc entre les prédateurs et leurs proies, de même qu'entre les animaux qui broutent et les végétaux par eux consommés. Les girafes, par exemple, broutent généralement les arbres supérieurs à 2 m (Pellew, 1983b; Prins et Jeugd, 1993). En Tanzanie, Prins et Jeugd (1993) ont découvert une étroite corrélation entre les épidémies de peste bovine et de charbon (anthrax) chez les herbivores sauvages, le repeuplement en A. tortilis et l'envahissement subséquent des broussailles lorsque diminue la pression exercée par le broutage. Ces auteurs estiment également qu'on a exagéré la mortalité des arbres due aux éléphants, la prévention de la régénération naturelle étant due principalement à l'impala.

Comme nous l'avons déjà vu à la section 2.2.1.1, l'intensité du broutage des herbivores varie selon les espèces; certaines se contentent de paître mais équilibrent leur régime en saison sèche par le broutage, tandis que d'autres se satisfont du seul broutage. Cela peut s'expliquer en termes de valeur nutritive et de quantité de fourrage arboré ingéré par ces deux groupes d'herbivores. Etant donné que la ration d'entretien du bétail est de 0,09 MJ/kg (0,65 UF/kg) de matière sèche et que la valeur nutritive du fourrage arboré varie entre 0,04 et 0,06 MJ/kg (de 0,25 à 0,40 UF) par kilo de matière sèche, le seul fourrage arboré ne suffit pas aux besoins du bétail, alors qu'il suffit aux ovins, qui n'ont besoin que de 0,05 MJ/kg (0,35 UF/kg); mais il s'agit là d'un broutage d'entretien, insuffisant pour les besoins de la production. Un fourrage arboré équivalant à 0,03 MJ/kg (0,19 UF/kg) suffit cependant aux chèvres, tant pour l'entretien que pour la production. Cela explique pourquoi seuls les dromadaires, les chèvres et certains herbivores sauvages parviennent à survivre dans ces zones arides ou semi-arides où le fourrage "aérien" constitue l'essentiel de la ration alimentaire; cela explique également pourquoi ces animaux sont moins sensibles aux sécheresses catastrophiques que le bétail et les moutons. Il s'ensuit également que, pour maintenir la productivité annuelle en bétail et en moutons, il faut instaurer un équilibre entre pâturage et broutage, le fourrage arboré constituant de 20 à 30 pour cent de la ration alimentaire en saison sèche. En Afrique de l'Ouest, on considère comme optimale une densité de 25 à 30 Faidherbia albida à l'hectare, associés à du mil africain, avec un couvert végétal de 30 à 60 pour cent (Le Houérou, 1983c).

Il existe une différence notable entre le pâturage du bétail domestique et celui du herbivores sauvages indigènes, le premier se montrant plus sélectif dans sa façon de paître et s'adaptant moins facilement à la gamme des plantes locales. C'est pourquoi Erkkilä et Siiskonem (1992), travaillant en Namibie où l'envahissement broussailleux d'Acacia mellifera subsp. detiens et de Dichrostachys cinerea peut représenter un grave problème, recommandent d'encourager le broutage des herbivores sauvages indigènes, en particulier les girafes. Notons cependant que l'envahissement par les broussailles ne pose de véritable problème qu'en Afrique australe; dans la plupart des régions semi-arides de l'Afrique au Nord de l'Equateur, le problème est mineur ou inexistant.

2.3.5 Variétés ornementales

Nous énumérons au tableau 2.3.5 les essences plantées à des fins ornementales dans les rues ou les jardins. Leur popularité semble limitée, sans doute en raison d'une croissance plutôt lente; on leur préfère les variétés exotiques à croissance rapide, surtout au Moyen-Orient.

2.3.6 Agroforesterie

Le terme d'agroforesterie est un substantif d'acception très large appliqué à tous les modes de faire-valoir et pratiques agricoles en vertu desquels on plante délibérément des essences pérennes sur des superficies affectées aux cultures et/ou au pâturage. On opte, selon les cas, pour un morcellement des parcelles ou pour l'aménagement du calendrier. Pour prétendre à l'appellation de " système agroforestier ", un mode de faire-valoir doit permettre une bonne interréaction économique et écologique entre espèces ligneuses et non-ligneuses (CIRAF, 1983).

Le système traditionnel de rotation des cultures, caractérisé par des périodes de mise en jachère jusqu'à ce que le sol ait recouvré sa fertilité, est efficace mais lent; la rapidité de la repousse dépend largement de la régénération naturelle des essences ligneuses indigènes. L'accroissement démographique régulier obligeant à augmenter constamment les superficies cultivées pour produire davantage d'aliments, il importe de trouver des moyens plus sûrs et plus rapides de régénérer les sols.

Les systèmes d'agroforesterie semblent permettre une régénération des sols plus rapide et plus durable que les jachères traditionnelles; judicieusement planifiée, ils devraient offrir, outre de nouvelles sources de bois de feu et de perche, d'aliments naturels, de produits phytothérapiques, etc. une meilleure protection contre l'érosion. Mais cela est-il forcément vrai des régions les plus sèches?

Les systèmes d'agroforesterie se sont surtout développés dans les régions tropicales humides, où la croissance des arbres et la régénération des sols sont plus rapides. En revanche, on n'a guère essayé des les implanter dans les zones les plus sèches. Kessler et Breman (1991) ont observé que les disponibilités en eau limitaient la production primaire dans la partie septentrionale du Sahel, en Afrique de l'Ouest, tandis que dans la partie sud du Sahel et au Soudan ce sont les disponibilités en éléments nutritifs qui constituent le facteur critique. Les espèces ligneuses influent sur le bilan hydrique par l'interception de l'eau de pluie, la transpiration, l'évaporation et les infiltrations d'eau; elles influent également sur la redistribution des éléments nutritifs par le recyclage des minéraux et l'amélioration de la fertilité. A mesure qu'on progresse vers le sud, les avantages de l'agroforesterie augmentent bien plus qu'en proportion des précipitations. Les auteurs en concluent que, dans les régions les plus sèches, la possibilité d'accroître les disponibilités en éléments nutritifs par des systèmes d'agroforesterie reste limitée; on obtiendrait, selon eux, de meilleurs résultats en optant pour des brise-vent. En fait, Le Houérou (1989) recommande pour le " bassin arachide ", au Sénégal, où la pression démographique sans cesse croissante nuit gravement à la rotation Faidherbia-mil, un système réticulé de brise-vent. Il préconise une intégration plus poussée de l'agroforesterie et de la production animale aux fins de restaurer la fertilité des sols et d'augmenter la traction animale, sans pour autant réduire la superficie des terres cultivées. Ce plan suppose l'établissement d'un premier périmètre de brise-vent constitués d'A. albida ou de F. albida, subdivisé en une seconde série de brise-vent faits d'A. holosericea, elle-même subdivisée en une troisième série de brise-vent constitués par des espèces fourragères, selon l'importance des précipitations: Combretum aculeutum, Bauhinia rufescens ou Feretia apodanthera, avec, planté dans les interlignes, Ziziphus mauritaca pour une meilleure protection.

Les "jardins gommiers" traditionnels de la province de Kordofan, au Soudan, préfiguraient, en quelque sorte, l'agroforesterie: on y pratiquait une rotation aux termes de laquelle la terre était cultivée pendant 4 à 6 années, après quoi elle était abandonnée pendant 9 ans ou plus à une jachère de buissons d'Acacia senegal, issus de rejets de souche. On abattait alors les arbres et la terre était rendue à la culture (Hunting Technical Services, 1964; Seif el Din, 1981). Malheureusement, en raison de l'accumulation de toute une série de facteurs défavorables: sécheresses au Sahel, pression démographique accrue obligeant à augmenter les superficies cultivées, faibles prix perçus par les gemmeurs pour leur gomme, prix de vente élevé du bois de feu, le système a été virtuellement détruit. Les tentatives de rétablissement des "jardins gommiers" par l'introduction de jeunes plants n'ont connu qu'un demi-succès car pendant plusieurs années le volume des précipitations a été inférieur à la normale.

Des tentatives similaires effectuées au Tchad, dans le cadre de projets d'agroforesterie, avec Faidherbia albida n'ont connu qu'un succès mitigé, en raison des faibles précipitations et des conflits qui déchiraient alors le pays. Il se peut qu'une partie des problèmes rencontrés tienne à la provenance des plants (voir section 4.4). F. albida se prête excellemment à l'agroforesterie dans les régions à forte pluviosité des zones semi-arides, l'absence de feuillage pendant la saison des pluies garantissant un bon régime de luminosité aux cultures. L'incorporation au sol, en début de saison sèche, d'une litière de feuilles et d'excréments d'animaux brouteurs pas trop desséchés permet de bonifier les sols, comme en témoignent les rendements accrus tirés des cultures sous couvert.

Dans les régions les plus sèches de l'Inde, Acacia nilotica, subsp. indica a été largement utilisée en agroforesterie; plusieurs rapports récents font cependant état de croissance réduite des cultures sous couvert.

La concurrence racinaire pour l'eau semble jouer un rôle important; mais on connaît mal encore les effets d'une forte teneur du sol en tanin (Adjets et Hadi, 1993). Des essais comparatifs devraient être réalisés avec subsp. cupressiformis, dont le couvert est fin, pour déterminer si l'ombrage joue, lui aussi, un rôle, vu que les deux espèces font également concurrence aux cultures pour l'eau du sol.

Le mode de faire-valoir des terres et des arbres est un facteur capital qui peut compromettre le succès des systèmes agroforestiers. Quand les terres n'appartiennent à personne, rien n'incite au développement; et si elles appartiennent à l'État, leur utilisation en vertu du droit coutumier ne confère pas automatiquement la propriété des arbres. Autre complication possible: les changements de politique des gouvernements successifs: ainsi, quand des terres ont été redistribuées par un gouvernement communiste auquel a succédé un régime démocratique, des différends surviennent quant aux droits de propriété. Raintree (1987) a énuméré certains des problèmes juridiques complexes rencontrés. Ces problèmes ne varient pas seulement d'un pays à l'autre, mais parfois même selon les régions d'un même pays. Avant de s'atteler à leur tâche, les responsables des projets d'agroforesterie envisagés devront s'assurer que nulle chausse-trape ne les guette quant à la propriété des terres et des arbres.


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