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Troisième partie: Rôle de l'acacia dans l'économie rurale


3.1 Le genre acacia au Sahel
3.2 Le genre acacia dans la corne de l'Afrique
3.3 Le genre acacia en Afrique de l'Est
3.4 Le genre acacia en Afrique Australe
3.5 Le genre acacia en Afrique du Nord
3.6 Le genre acacia au proche et au Moyen-Orient


3.1 Le genre acacia au Sahel


3.1.1 Afrique de l'ouest
3.1.2 Soudan


Guinko (1990) affirme que plus de 80 pour cent des espèces ligneuses du Sahel sont des acacias. Nous donnons ci-dessous la liste de leurs communautés.

Les herbages sahéliens semi-désertiques (White 1983, carte n°54a) se rencontrent sur les sols sablonneux profonds du Sahel septentrional, où les précipitations annuelles sont inférieures à 250 mm et où la végétation consiste le plus souvent en un mélange de buissons, d'arbustes et de vastes formations herbacées. Les principales espèces ligneuses sont Acacia ehrenbergiana, A. laeta, A. tortilis, Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Commiphora africana et Leptadenia pyrotechnica. À l'exception d'Acacia ehrenbergiana et de Leptodenia pyrotechnica, toutes ces variétés sont également présentes dans la partie australe du Sahel.

La région nord du Sahel est considérée comme trop sèche pour y faire pousser des cultures sous pluie, sauf aux alentours des oasis et le long des cours d'eau. Le nomadisme pastoral est la seule pratique acceptée; il s'agit le plus souvent d'un pâturage de transhumance, écologiquement valable, mais qui déplaît aux gouvernements car il est difficile d'administrer des populations nomades.

Au sud, où les précipitations annuelles se situent entre 250 et 500 mm, on trouve des formations herbeuses boisées à acacias et des broussailles à feuillage caduc (White 1983, carte n°43); c'est-là le type de végétation le plus courant sur les sols sablonneux du Sahel méridional. En Afrique de l'Ouest, les principales espèces ligneuses sont Acacia laeta, A. tortilis, Adansonia digitata, Balanites aegyptiaca, Boscia senegalensis, Calotropis procera, Combretum aculeatum, C. glutinosum, Commiphora africana, Leptadenia pyrotechnica et Maerua crassifolia; toutes ces variétés se propagent vers l'est, en direction du Soudan.

L'acacia à gomme, Acacia senegal, est caractéristique des régions de sables profonds du Soudan. On le rencontre fréquemment en peuplements purs, peut-être d'origine secondaire; il s'agirait alors de gommiers adultes abandonnés au terme de jachères forestières. Il arrive que les peuplements purs du buisson Guiera senegalensis dominent les jachères épuisées des terres sablonneuses du Sahel méridional.

A mesure que les pluies s'intensifient, l'agriculture sous pluie devient plus aisée. Le pâturage de saison sèche et, là où il s'en trouve, les résidus de cultures constituent une précieuse source d'aliments pour le bétail; ils sont appréciés des pasteurs nomades qui investissent le nord du Sahel pendant les pluies et migrent vers le sud pendant la longue saison sèche.

Les affleurements rocheux et les sols pierreux peu profonds permettent la propagation de ce que l'on appelle la " brousse à feuillage caduc " (White, 1983); il s'agit d'une brousse dense et impénétrable dominée par Acacia mellifera et Commiphora africana. On y trouve aussi des associations de Boscia senegalensis, de Dichrostachys cinerea et d'Euphorbia candelabrum. Cette brousse est caractéristique des versants Nord et Est du massif du Djebel Marra, au Soudan.

Acacia mellifera est souvent la variété dominante des dépressions argileuses, mal drainées, situées sous le vent de certaines grandes saillies rocheuses (djébels); là encore, elle forme des fourrés quasiment impénétrables.

Haddid (1976) a décrit la végétation des bords du Nil, là où le fleuve traverse le Sahara. Les terres limoneuses au bas des terrasses moyennes hébergent Acacia nilotica subsp. nilotica, A. seyal et Tamarix nilotica.

Plus au sud, dans la vallée du Nil, où les précipitations annuelles varient entre 400 et 570 mm, on trouve sur les terres argileuses crevassées de vastes étendues couvertes de fourrés impénétrables d'Acacia mellifera alternant avec des zones d'argile nue, ou, là où le sol est couvert d'une mince couche de sable, de Schoenefeldia gracilis. Quand les précipitations dépassent 570 mm, A. mellifera cède la place à A. seyal, souvent en peuplements purs, parfois associée à Balanites aegyptiaca. On trouve aussi Acacia senegal sur les sols argileux des régions où les précipitations annuelles dépassent 600 mm, l'excédent de pluie venant compenser la faible teneur en eau du sol. Ces observations recoupent le postulat de Smith (1949), selon qui les essences qui ont besoin de 2 x mm de précipitations annuelles sur des sols sableux en nécessitent 3 x mm sur des terres argileuses.

On croit généralement que les populations rurales savent bel et bien que les arbres constituent une ressource naturelle qu'il convient de protéger. Dans certains cas, cette prise de conscience est assez récente; elle s'est faite au vu des ravages occasionnés par la sécheresse et la désertification au cours des trois dernières décennies. D'autres populations, en revanche, apprécient depuis longtemps certains arbres, comme Faidherbia albida, à leur juste valeur, sachant l'intérêt qu'il présente pour les cultures et le bétail, ou Acacia senegal, recherché pour sa gomme. Les pasteurs nomades, en revanche, forcés par des années de sécheresse à abandonner leur habitat, sont moins sensibles à la nécessité d'assurer la pérennité de ressources qu'ils croient sans doute encore abondantes. On en voit la démonstration dans le bassin de Ouadi Aribo, dans la province de Darfour, au Soudan, où, vers la fin des années 1970, les tribus de chameliers abandonnèrent leurs pâturages frappés par la sécheresse pour une zone de transhumance considérée comme un havre pour le bétail, car Faidherbia albida y abondait. Les nouveaux arrivants pratiquèrent un écimage impitoyable, gaspillant ainsi d'abondantes ressources en fourrage, naguère soigneusement entretenues. De même, les nomades qui avaient perdu tous leurs dromadaires furent forcés de s'établir sur les rives du Nil, au nord du Soudan, où il eurent tôt fait de couper tous les arbres (principalement Acacia nilotica et A. tortilis) pour les vendre comme bois de feu. Ce n'est que lorsque les dunes eurent gagné assez de terrain pour menacer leurs villages qu'ils comprirent le rôle que ces arbres avaient joué dans la fixation des sols et l'ombrage (Wickens, ouvrage sous presse).

Nous résumons au tableau 3.1.1.3 les diverses utilisations de l'acacia dans l'alimentation, comme fourrage, comme combustible, en médecine, comme tanin, etc.).

3.1.1 Afrique de l'ouest

3.1.1.1 Mauritanie

La Mauritanie est totalement aride. Dans la partie occidentale de la côte Atlantique (White, 1983, carte n°68a), elle forme un étroite bande allongée en bordure de l'océan. Large de 40 à 50 km, elle s'étend, au nord, de la limite australe des buissons succulents, au Saguia el Hamra (27°N), au sud, jusqu'à la limite septentrionale du Sahel (20°N). Elle se caractérise par une assez forte humidité, des températures moins élevées et l'absence de gelées. Parmi les espèces sahéliennes qui s'étendent, en direction du nord, vers le désert côtier de Mauritanie, citons Acacia tortilis, Balanites aegyptica et Salvadora persica, ainsi que des graminées: Panicum turgidum et Stipagrostis pungens (White, 1983).

A l'intérieur s'étend la zone de transition régionale du Sahara (White, 1983, cartes nos 67 et 69-73). Ici, l'on ne trouve d'acacias que dans les lits pierreux des oueds et sur les graviers alluviaux des plaines de lavage, où poussent généralement des variétés sahéliennes telles qu'Acacia tortilis, subsp. raddiana, A. ehrenbergiana, Balanites aegyptica, Calotropis procera, Capparis decidua, Maerua crassifolia, Salvadora persica et Ziziphus maurita, ainsi que la graminée Panicum turgidum.

Les formations herbeuses boisées en acacias et les broussailles à feuillage caduc du Sahel (White, 1983, carte n°43) s'étendent le long de la rive mauritanienne du Sénégal. On a établi dans cette région des plantations d'Acacia senegal; leur gomme appartient aux propriétaires terriens mauritaniens, non aux agriculteurs.

3.1.1.2 Sénégal

Un certain nombre de variétés d'acacias poussent en abondance au Sénégal. Sur la frontière nord avec la Mauritanie, le long de la vallée du Sénégal, on trouve, sur les riches terres alluviales irriguées par le fleuve, des peuplements denses d'Acacia nilotica subsp. nilotica. La régénération naturelle prévalait, sauf en cas de surpâturage et de piétinement excessif du sol. A l'exception des très jeunes peuplements, Acacia nilotica a été largement dévasté par les sécheresses successives.

Acacia seyal abondait dans la région dite " sylvopastorale " du Sénégal, une vaste zone de 50.000 km, rocheuse et sablonneuse à l'est, ainsi qu'A. tortilis subsp. raddiana et, à l'est, Sclerocarya birrea et Pterocarpus lucens. On le trouve aussi en peuplements purs isolés sur les argiles lourdes et le long des basses terres salées qui occupent le centre du Sahara occidental; du milieu des années 1940 au milieu des années 60, c'est lui qui a permis l'approvisionnement en énergie de Dakar, Thiès et Mhour.

Les peuplements de Faidherbia albida sont concentrés dans le bassin arachidier des Sérer. Les pratiques agricoles et les traditions des populations sérères favorisent la régénération naturelle de cet arbre, d'autant plus apprécié qu'il se prête à des usages multiples: enrichissement et conservation des sols, production de fourrage, fabrication d'ustensiles domestiques, etc. On a également encouragé la régénération de Faidherbia albida dans le cadre de projets spécifiques et, aujourd'hui, en recourant à la foresterie communautaire et à l'agroforesterie.

Plus au sud, dans les régions soudano-sahélienne, on trouve d'autres variétés, dont Acacia sieberiana.

La régénération des acacias, notamment celle d'A. tortilis et d'A. senegal, est grandement facilitée après ingestion par le bétail. Quant aux autres variétés, leur régénération est irrégulière et se produit fréquemment par rejet de souche.

3.1.1.3 Burkina Faso et Niger

Guinko (1991) a mis en relief l'importance des acacias pour les divers groupes ethniques qui habitent les savanes épineuses et les terres broussailleuses du Burkina Faso (Gourmantchés, Mossis, Peuhls, Samos, Sonraiis et Touaregs) et du Niger (Béribéris, Hausas, Peuhls, Touaregs et Zarmas). Dans ces pays sans littoral, il était inévitable que l'acacia constituât l'une des sources principales de bois de feu, surtout dans les régions les plus sèches, où il est extrêmement difficile, sinon impossible, de planter d'autres essences.

3.1.2 Soudan

Au sud du désert Libyque, où les précipitations annuelles varient entre 75 mm et 300 mm, l'essentiel de la végétation consiste en formations herbacées semi-désertiques, on trouve, à l'est, A. tortilis subsp. spirocarpa et un maquis désertique, Maerua crassifolia, remplacés, à l'ouest, par A. mellifera et un maquis de Commiphora africana (Harrison et Jackson, 1958). Les tribus de chameliers s'y installaient jadis pendant la saison des pluies, migrant ensuite vers le sud à la saison sèche. Trois décennies de précipitations insuffisantes ont entièrement détruit la végétation et la région n'est désormais plus habitable (Asher, 1988).

Dans le Darfour, on trouve de vastes peuplements de Faidherbia albida sur les terrasses alluviales de l'Ouadi Aribo. Ces terres font l'objet d'une culture intensive à la saison des pluies et sont fortement broutées par le bétail transhumant pendant la saison sèche. Ces peuplements sont généralement constitués d'arbre du même âge, adultes ou âgés; on n'y décèle guère de signes de régénération naturelle. Vu l'insuffisance coutumière des précipitations, des troupeaux de méharis migrants envahissent régulièrement cette zone à la saison sèche, depuis vingt ou trente ans. De nombreux arbres ont été grossièrement mutilés par un élagage massif et l'on craint une dévastation catastrophique des peuplements de F. albida (Hunting Technical Services, 1977).

On trouve aussi des peuplements épars de Faidherbia albida jusqu'à 2.500 m d'altitude, sur les flancs recouverts de cendres volcaniques du massif de Djébel Marra; on les y apprécie surtout comme pâturage arboré de saison sèche. La température ambiante empêche d'y cultiver le sorgho et le millet à plus de 2.200 m. Les cultivateurs attribuent les rendements améliorés des cultures sous couvert aux excréments des animaux qu'on y mène paître. F. albida fournit également un engrais vert, des haies de broussailles, du bois de feu, du tanin et des substances médicinales. Quoique les arbres se régénèrent bien à partir de semences, de rejets de souche et de drageons, la mortalité n'en est pas moins élevée en raison d'un émondage excessif. Les peuplements de F. albida sont de plus en plus jeunes mais ne semblent pas menacées pour l'instant. Bien que la loi proscrive l'abattage des arbres sur pied, cet interdit ne semble guère respecté sur les terres communales (Miehe, 1986).

Acacia senegal fournit la gomme arabique, l'une des principales exportations du Soudan. Jadis, les populations rurales de la " ceinture du gommier " du Soudan, qui s'étend de l'est du Darfour aux rives du Nil, dans le Kordofan oriental, pratiquaient un système de jachère arborée. Constituant des peuplements quasiment purs en période de jachère, A. senegal augmentait la fertilité des sols et réduisait leur érosion; en outre, la récolte de gomme assurait aux populations un revenu en saison sèche. L'accroissement démographique et la multiplication des têtes de bétail, et, partant, la pression désormais plus forte exercée sur les terres arables et les pâturages, amenèrent à réduire progressivement la durée des jachères, parfois jusqu'à leur complète disparition. On augmenta la superficie des terres cultivées dans l'espoir de compenser ainsi la baisse des rendements, mais sans grand succès. La capacité de charge des terres de pacage a, elle aussi, considérablement diminué, au détriment de l'élevage.

3.2 Le genre acacia dans la corne de l'Afrique


3.2.1 Somalie
3.2.2 Djibouti


3.2.1 Somalie

La végétation type de la plus grande partie de la Somalie a été décrite par White (1983, carte n°42). Il s'agit, pour l'essentiel, d'une brousse de type masaï-somali, à feuillage caduc, constituée d'acacias et de buissons de Commiphora. Cette végétation a pour caractéristique d'être très dense. Pratiquement impénétrable, ce maquis de buissons décidus s'élève de 3 à 5 m au-dessus du sol; ça et là, un arbre isolé peut atteindre 9 m. Dans les régions du Kenya et de la Somalie où les précipitations sont inférieures à 250 mm, la végétation est à mi-chemin entre la brousse et le maquis. Elle est faite de buissons et d'arbres rabougris, principalement Acacia reficiens subsp. misera, qui forment un maigre couvert au-dessus des buissons. Les habitants pratiquent pour la plupart un nomadisme pastoral.

Lawrie (1954) a décrit le rôle du genre acacia dans la vie de ces pasteurs nomades. Selon lui, "les nombreuses variétés d'acacias jouent un rôle capital, pour ainsi dire vital, dans la vie des nomades somaliens. On peut même avancer que sans ces arbres, toute vie nomade serait, sinon impossible, du moins des plus difficultueuses ". Ces acacias fournissent le pâturage nécessaire au bétail, un matériau de construction pour les huttes démontables, des haies de protection, du bois de feu, des fibres, et nombre d'autres articles de première nécessité (voir tableau 3.2.1).

Bien que l'on ait délimité, en principe, de vastes aires tribales de pacage, dont certaines d'ailleurs se chevauchent, la propriété - tribale ou individuelle - des terres reste inconnue, de sorte que personne n'est responsable de la gestion des pâturages (Lawrie, 1960). Les effets combinés de la désertification, de la sécheresse et des troubles civils d'aujourd'hui ont probablement eu des conséquences désastreuses pour la vie nomade. Dans le passé, toutes les tentatives faites pour gérer pâturages et points d'eau de façon plus rationnelle se sont soldées par des échecs. Seul un gouvernement particulièrement fort pourra promouvoir le développement de l'élevage parmi les diverses factions tribales de nomades somaliens.

Au sud de Mogadiscio, dans la région du golfe de la Somalie australe, le couvert, qui atteint de 6 à 8 m, consiste en A. bussei, A. mellifera, A. senegal, A. tortilis, Delonix elatoa, Dobera glabra, Cadaba spp., Commiphora spp. et Terminalia spp. On estime que les stocks actuels d'A. bussei, principale source de charbon de bois de Mogadiscio, seront épuisés dans deux ans, le repeuplement ne parvenant pas à suivre le rythme de l'exploitation (Bird et Shepherd, 1989). Les coupes sont effectuées par un petit groupe de travailleurs locaux ou migrants, qui en tirent pour l'instant des revenus importants; mais les perspectives d'avenir ne sont pas brillantes. Il est intéressant de noter que Trump (1986), parlant de cette région du Golfe, donne pour A. bussei une liste d'utilisations analogue à celle que donnait Lawrie en 1954, ce qui semble indiquer que le mode de vie nomade n'a guère évolué. Là encore, les variétés d'acacias figurent parmi les essences les plus appréciées des populations nomades, et les plus utilisées, mais ce sont aussi les plus vulnérables.

L'élevage est la principale activité des populations locales, la culture n'étant pratiquée que sur les sols à textures plus lourdes. Les actuels baux de fermage et de pâturage sont ambigus: ils résultent de l'amalgame des droits territoriaux accordés aux tribus, avant 1960, pour l'exploitation de parcelles individuelles, avec un accès commun et des pâturages communaux, et d'une législation ultérieure édictée par la République somalienne, abolissant les titres traditionnels de propriété foncière, toutes les terres étant réputées appartenir à l'État. Les anciens baux doivent être enregistrés à nouveau et peuvent être consentis pour une durée allant jusqu'à 50 ans. Ne peuvent être inscrites comme propriétés communales que les seuls étangs ou bassins de rétention entretenus par les villageois. Quant aux terrains de parcours, ils sont ouverts à tous. Dans la pratique, les populations locales continuent de respecter les droits traditionnels. Mais c'est le ministère de l'agriculture qui attribue désormais les doits d'exploitation individuels. Un autre organisme, la National Range Agency, est responsable des terrains de parcours. Ces deux entités sont indépendantes l'une de l'autre (Bird et Shepherd, 1989).

3.2.2 Djibouti

Dans les formations herbacées semi-désertiques et les maquis de Djibouti (White, 1983, carte n°54b), Acacia nilotica subsp. tomentosa forme des peuplements purs, ou quasiment purs, sur les sols limoneux et argileux soumis à des inondations périodiques. Ziziphus abyssinica leur est associé, mais sur un mode mineur, et aussi A. ehrenbergiana, en association avec Salvadora persica, sur les sites plus secs. La couche végétale comprend l'aquatique Apogeneton nudiflorum et des ilôts d'Echinochloa colona et de Cyperus rotundus. L'élevage semble être la seule activité des populations; le pâturage arboré est donc indispensable à la survie du bétail.

Certaines aires de pacage peuvent être librement utilisées tout au long de l'année, par les Assayamara tandis que d'autres sont des propriétés tribales (ou dersos). La tribu contrôle strictement les animaux qui paissent dans les dersos et le début de la saison de pâturage; mais l'on ne contrôle ni les taux de charge, ni la fin de la saison de pâturage. Cependant, quand certains peuplements d'arbres du derso sont considérés comme utiles (notamment A. nilotica, Ficus spp. et Ziziphus mauritania), ils sont la propriété de groupes familiaux.

Les arbres ont un feuillage persistant (à condition que l'intervalle entre deux inondations ou deux saisons des pluies ne dépasse pas 10 à 12 mois) sont émondés pour fournir du fourrage aux petits ruminants et aux dromadaires. Une partie des gousses au moins est récoltée et stockée. On les fait ingérer, légèrement broyées, aux chèvres et aux chamelles laitières pendant la saison sèche. Alors que la chamelle dévore la gousse tout entière, la chèvre n'en mange que la cosse et recrache, dit-on, les graines. On se sert de gousses broyées additionnées d'eau pour traiter le diabète et les ulcères. Curieusement, le bois n'est pas utilisé comme combustible et on laisse pourrir les branches élaguées alors même qu'on manque de bois de feu à Djibouti. Des pratiques rituelles sont peut-être à l'origine de cette pratique; il vaudrait la peine d'étudier la question, dans la mesure où cela pourrait avoir une incidence sur les plantations de bois de feu. On a proposé de peupler d'Acacia nilotica des pâturages épuisés, à raison de 100 arbres par hectare, et de faire des plantations de Sporobolus helvolus, une plante herbacée, à raison de 625 plants à l'arpent (soit 1.250 plants à l'hectare) (Audru et al., 1992).

3.3 Le genre acacia en Afrique de l'Est


3.3.1 Les Pokot
3.3.2 Les Mbeere


3.3.1 Les Pokot

Situé au nord-ouest du Kenya (1°30'N 35°25'E) le foyer national du Pokot s'étend au sud du lac Turkana, à l'est et au nord-est du Mont-Elgon. La végétation consiste en broussailles à feuillage caduc, constituées d'acacias et de buissons de Commiphora (White, 1983, carte n°42). Les arbustes dominants sont Acacia mellifera, qui peuvent atteindre 8 à 10 m de haut, et A. reficiens subsp. misera. Les Pokot sont un peuple de pasteurs et d'agriculteurs; leur mode de gestion traditionnel du milieu continue d'assurer leur survie. Les Pokot se fondent sur une stratégie à trois volets: 1) intégration de deux activités connexes: la garde des troupeaux et une agriculture de subsistance, 2) utilisation des arbustes à divers usages, et 3) participation de tous, hommes, femmes et enfants, au bon entretien des terres de parcours. Les Pokot pratiquent une agriculture itinérante sur les pentes abruptes de la vallée du Rift et font paître leurs troupeaux (bovins, ovins, caprins, ânes et dromadaires) dans les plaines en contrebas. Pasteurs et cultivateurs ne sont pas complètement séparés: de temps à autre, un mariage rapproche les deux communautés. Il arrive aussi qu'un jeune cultivateur se fasse pasteur, dans l'espoir de gagner assez d'argent pour avoir sa propre ferme. Enfin, l'on échange les excédents tirés de l'élevage (lait, viande, sang, peaux et cornes) contre les produits excédentaires de la ferme (céréales, haricots, cucurbitacées et épices).

On maintient la productivité des basses terres par un élevage mixte: les chèvres sont cinq fois plus nombreuses que les zébus, parfois même davantage. Elles broutent les acacias, empêchant une prolifération excessive. L'utilisation intensive de branches d'acacias pour la confection de haies (2 500 m environ pour une famille comptant 4 adultes, 8 enfants, 40 têtes de bétail et 200 chèvres) et le brûlage annuel des terrains de parcours aident aussi à conserver une couverture d'herbacées et de buissons représentant, respectivement, 24 et 30 pour cent. L'efficacité d'une telle gestion est manifeste dans les régions que les Pokot ont été forcés d'abandonner: en cinq ans, ce ratio est passé à 50 et 13 pour cent, respectivement. L'effet d'étouffement produit par les buissons d'A. mellifera sur la végétation au sol, joint au fait qu'il est, chaque année, parmi les derniers arbres à se garnir de feuilles et parmi les premiers à les perdre, sont visiblement des facteurs déterminants dans le rapport herbacées/ligneuses de la composition de la couverture végétale.

La médecine locale utilise différentes parties de l'acacia, dont elle tire notamment des fibres et de la gomme. On installe aussi des ruches fixes dans les branches supérieures, où nichent toute sorte d'oiseaux. Les fourrés d'acacias servent de refuge au petit gibier à plume et à poil que chassent les Pokot. Ce système traditionnel de gestion, fondé sur l'intégration de pâturages de basses terres médiocrement productifs et de terres cultivées d'un meilleur potentiel, leur a permis, non seulement de survivre, mais aussi de pratiquer le troc. Jusqu'ici, les Pokot ont victorieusement résisté à toutes les sollicitations visant à les convaincre d'adopter des méthodes "plus rentables", notamment dans les zones agricoles (Conant, 1989).


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