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Cinquième partie: Aménagement a buts multiples des formations d'acacias: un bref survol


5.1 Perspectives d'avenir
5.2 Orientations de la recherche


Au Sahel, en Afrique du Nord et au Proche-Orient, les anciennes formations d'acacias se sont dégradées au point d'interdire toute régénération, ou bien elles ont complètement disparu, notamment en Afrique du Nord. La demande en combustible en est assurément la cause principale; mais le surpâturage, qui provoque un arrêt de la croissance et empêche toute régénération, a aussi joué un rôle, de même que la multiplication de projets agricoles d'envergure. Ainsi, au Soudan, même les grands peuplements d'A. mellifera qui dominent les sols argileux du Nil et de ses affluents sont menacés. Et dans la vallée du Nil, de vastes superficies naguère exploitées pour fournir Khartoum en charbon ont fait l'objet de coupes claires en vue de l'irrigation, tandis qu'à l'ouest, la nécessité de fournir el Obeid en combustible empiète chaque jour davantage sur les peuplements de la réserve forestière d'El Ain, où le taux de croissance ne parvient pas à suivre le rythme de l'abattage. Le plan de gestion de la réserve forestière d'El Ain, qui concerne aussi des produits non ligneux, ne permet d'alimenter durablement en combustible que les villages locaux, mais pas la ville d'El Obeid (Vogt, 1994). On trouve une situation similaire au Nigéria, où le bois de feu destiné à la ville de Kano doit être transporté sur 600 km.

Il est évident que les besoins en combustible des populations urbaines ont un impact profond sur les ressources forestières des zones rurales et ont une incidence, non seulement sur les populations, mais aussi sur l'environnement, la vie sauvage, etc. Il se peut qu'une plus grande propagation des pratiques de l'agroforesterie, jointe à la pratique d'éclaircies sélectives des rideaux-abris communaux pour se procurer du bois d'œuvre et du combustible, suffise à satisfaire les besoins des collectivités rurales. Mais pour ce faire, la coopération des populations locales est capitale. De ce fait, les nombreux projets locaux en cours de lancement connaîtront sans doute plus de succès que les projets non communautaires du secteur public.

Il faut également répondre aux attentes des pasteurs, ce qui ne suppose pas seulement des pâturages et du fourrage arboré pour leur bétail, mais aussi des arbres pour le bois de feu et les haies. La plupart des terrains de parcours appartiennent à l'État et seules des mesures aussi impopulaires que draconiennes permettraient de ramener le cheptel en deçà de la capacité de charge des terres de pacage; il importe donc de maintenir un taux de charge rationnel permettant la régénération naturelle et la bonification des sols. Faute de telles mesures, la détérioration des terrains de parcours se poursuivra. Le réensemencement et le reboisement à grande échelle de ces terrains de parcours ne sont pas, à proprement parler, " rentables " si l'on envisage la question du seul point de vue économique, donc sous l'angle de la capacité de charge et des rendements escomptés de l'écoulement des produits. En agroforesterie, la constitution de "banques de fourrage", dans le cadre des rotations prévues, permettrait au bétail de tenir pendant la difficile saison sèche. Il faudrait également répartir judicieusement les points d'eau et en rationaliser l'emploi, sans doute en prévoyant une rotation, de manière à minimiser le surpâturage dans leur voisinage immédiat. Dans l'idéal, les terres arides devraient essentiellement servir à l'élevage des très jeunes bêtes, qu'on déplacerait ensuite vers des régions de plus fortes précipitations ou vers des zones irriguées, où elles consommeraient les résidus de récoltes et autres sous-produits.

Ce serait là un système de gestion idéal des formations d'acacias au bénéfice des populations rurales, puisque cela permettrait, en même temps, de satisfaire leurs besoins en combustible, en fourrage, en substances médicinales, etc. et de préserver l'environnement et la faune sauvage. Mais qu'adviendrait-il alors des populations urbaines? Un pourcentage élevé -encore que mal connu - de campagnards ont trouvé refuge dans les villes en raison des troubles civils et de la famine. Beaucoup rejoindraient probablement leur ferme une fois le calme revenu. La foresterie ne peut, à elle seule, satisfaire les besoins en combustible des grandes agglomérations de l'Afrique et du Proche-Orient; mais elle peut néanmoins en satisfaire une bonne partie, à la condition que les peuplements naturels restants (en particulier les formations d'acacias, et notamment les peuplements purs d'A. seyal et/ou d'Acacia nilotica) soient rationnellement gérés et leur régénération assurée. Une production durable exige une gestion adéquate.

Souvenons-nous cependant que le rôle essentiel des acacias et des autres arbustes et buissons est de stabiliser l'environnement et, ce faisant, de combattre la désertification, étayant ainsi l'économie rurale et nationale. Tout programme de reboisement à venir devra être conçu en fonction de la lutte contre la désertification.

5.1 Perspectives d'avenir

La désertification, qui résulte de la surexploitation des terres, du surpâturage et du déboisement, est un processus insidieux qui a pour effet de dégrader l'environnement. On estime généralement impossible de renverser la tendance et de ramener la terre à son état antérieur. La tâche se trouve compliquée, notamment au Sahel, par des décennies de précipitations inférieures à la moyenne; en outre, l'explosion démographique et la multiplication du cheptel ont créé des pressions supplémentaires et ne pourront probablement pas être enrayées avant qu'il soit trop tard. Le milieu naturel impose une limite à la capacité de charge (en êtres humains et en bétail) des régions les plus sèches, même si l'on a recours à l'irrigation et aux engrais. L'éventualité d'un changement climatique (Parry, 1990) vient encore noircir les perspectives d'avenir.

Au cours des dernières décennies, la dégradation de l'environnement a pris une telle ampleur que sa réhabilitation dépasse les moyens financiers de l'aide internationale et ne saurait être rentable, à moins de trouver des modes de régénération des sols efficaces, peu onéreux et fondés sur la participation. La nouvelle stratégie devrait consister à empêcher toute nouvelle avancée de la désertification et se concentrer sur la protection des zones de plus fortes précipitations; dans un second temps, on s'attaquerait à la remise en valeur des terres, en allant des zones protégées vers les zones de désertification. Mais cela ne signifie aucunement qu'il faille cesser toute aide aux régions frappées par la désertification; nous pensons simplement que la prévention devrait prendre le pas sur les mesures curatives.

5.2 Orientations de la recherche

Nombre des attributs des acacias, tels qu'exposés dans le présent rapport, se fondent sur un tout petit nombre d'observations et d'appréciations. L'utilité d'une espèce dépend beaucoup de son abondance et, si elle doit servir d'aliment ou de fourrage, de sa disponibilité saisonnière, ainsi que de la valeur comparative des autres essences disponibles. Les préférences exprimées dans la littérature pour telle ou telle espèce sont parfois ambiguës. Lorsqu'une ressource vient à s'épuiser, l'être humain s'adapte; ou bien il trouve un produit de remplacement. De sorte qu'une fois disparue, une espèce préférée sera, au bout du compte, remplacée. Les assertions contradictoires concernant, par exemple, les préférences exprimées en matière de bois de feu et de fourrage, se sont invariablement révélées relatives, de sorte qu'il est très difficile d'en tirer des conclusions.

Il se peut que les divers attributs de la série polyploïde du complexe A. tortili soient suffisamment semblables pour que ses diverses sous-espèces soient considérées comme pratiquement interchangeables (quant à leurs produits, mais pas quant aux conditions écologiques indispensables); de sorte que des informations fondées sur le seul nom de l'espèce ne semblent pas poser de problème particulier. En revanche, l'interprétation des données relatives à A. nilotica pose des problèmes si l'on ne précise pas la sous-espèce dont on parle. Cette espèce consiste, elle aussi, en un complexe polyploïde de sous-espèces, mais si subsp. nilotica et tomentosa ont pour habitat les berges des cours d'eau, soumises à inondations saisonnières, et sont souvent sempervirentes ou semi-sempervirentes, subsp. adstringens et subsp. leiocarpa poussent sur des steppes boisées et dans les maquis, tandis que subsp. kraussiana préfère les formations herbacées sèches et les vallées fluviales où elle ne peut être inondée; toutes trois ont un feuillage caduc (Sahni, 1968; Fagg et Barnes, 1990). On pense aussi que la teneur en tanin varie beaucoup selon les sous-espèces, ce qui a une incidence non seulement sur leur valeur comme agents tannants, mais aussi sur leur sapidité, donc sur l'intérêt qu'elles présentent comme fourrage.

On n'a guère étudié encore les variations saisonnières et les provenances des acacias africains, non plus que la présence dans le fourrage de tanins concentrés et de gallotanins. On admet généralement que les acacias à phyllodes ont une forte teneur en tanin et semblent donc moins appétables au cheptel; ils n'en constituent pas moins un fourrage de saison sèche intéressant. La sélection des provenances pourrait permettre de trouver des espèces susceptibles de s'acclimater au Sahel. Nous recommandons aussi le lancement d'essais comparatifs portant sur la croissance, le rendement et la disponibilité saisonnière.

Bien que l'on sache que les graines de certains acacias sont régulièrement consommées en Afrique, on n'a guère étudié encore leur rôle dans le régime alimentaire humain, quand bien même les études portant sur les acacias d'Australie ont révélé que ces semences étaient plus riches que les céréales en protéines et en acides aminés alimentaires. Les rares travaux effectués sur ce sujet en Afrique se sont fondés sur un petit nombre d'échantillons et de nouvelles analyses s'imposent.

Quant à la gomme, si elle constitue, depuis de longues décennies déjà, un produit commercial de première importance, on ne sait pas grand chose de sa production, encore qu'on ait commencé à s'intéresser, ces dernières années, aux aspects physique, chimique et macro-moléculaire de la production de gomme (Fenyo et al. 1991). C'est pourtant là un domaine de recherche capital, car aussi longtemps que l'on continuera d'ignorer comment s'effectue la production de la gomme, on ne pourra planifier la gestion des formations d'acacias pour en produire.


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