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Chapitre 3 Principes


L'eau ressource rare
Principes pour l'aménagement et la répartition des eaux
L'efficacité
L'efficience
Les effets sur l'équité et la répartition
Santé publique et nutrition
L'impact sur l'environnement
L'impact financier
L'acceptabilité politique et pour les populations
La durabilité
La faisabilité administrative
La réforme des politiques dans l'agriculture
Choix stratégiques et compromis


Ce chapitre commence en exposant le concept de l'eau en tant que bien rare (et donc économique) ainsi que certaines des raisons pour lesquelles elle n'est pas considérée comme telle. L'utilisation économiquement efficiente de l'eau est un des principes de base recommandé pour le réexamen des politiques, conjointement aux critères d'efficacité, d'effets sur la répartition, d'impact environnemental, d'implications budgétaires, d'acceptabilité, de durabilité et de faisabilité.

Certaines implications liées à ces critères de réforme des politiques sont commentées, à la fois en général et pour le secteur de l'agriculture. Le mouvement de réforme des politiques correspond aux tendances actuelles dans le domaine des politiques agricoles. Ce chapitre entreprend, ensuite, d'illustrer certains choix stratégiques et compromis tels que les priorités intersectorielles, l'autosuffisance alimentaire, les questions de diplomatie internationale, le choix entre centralisation et décentralisation, entre des méthodes de gestion publiques ou privées, entre des politiques orientées vers l'offre ou vers la régulation de la demande.

L'eau ressource rare

En dépit du fait qu'un peu partout l'eau manque, la plupart des sociétés ne la traitent pas comme un bien ou un service économique. Si l'eau était traitée comme une autre marchandise ses tarifs seraient fixés au moins pour couvrir le coût des prestations, stockage, traitement et distribution compris, de façon à assurer la continuité de l'approvisionnement. Le prix devrait être suffisamment haut pour refléter l'importance de la demande, pour encourager un déplacement de la consommation vers ceux qui y mettent la plus haute valeur, en s'assurant d'autre part que les besoins essentiels de tous soient couverts. Il ne doit pas dépasser les capacités de paiement de ceux qui ont besoin d'eau, pauvres compris.

Les marchandises sont achetées et vendues sur des marchés. Des agents privés interviennent pour fournir et distribuer ces marchandises. Sur un marché qui fonctionne bien, le bénéfice retiré de l'utilisation d'une unité marginale de marchandise (la dernière à être vendue) est le même pour tous les consommateurs, de sorte que le bien-être général ne peut être accru par une réaffectation.

De toute évidence ce ne sont pas là les conditions dans lesquelles l'eau est distribuée et utilisée dans la plupart des cas. Le secteur de l'eau se caractérise par un approvisionnement basé sur l'offre, une réticence à utiliser la tarification de manière active, une affectation par des moyens non économiques, et la persistance d'usages peu productifs dans des secteurs importants. Bien que les paysans et les entreprises industrielles développent souvent leurs propres approvisionnements en eau, de façon individuelle ou par regroupement, et que des vendeurs privés soient actifs dans de nombreuses villes, l'entreprise privée dans l'approvisionnement des systèmes d'eau potable en ville ou en zone rurale et dans la grande irrigation, reste l'exception plutôt que la règle.

Dans la plupart des pays, la réponse instinctive quand l'eau devient un problème est d'envisager une augmentation de l'offre. La tarification est rarement utilisée pour l'affectation des ressources ou pour réguler activement la demande. La tarification de l'eau est généralement considérée comme une composante du recouvrement des coûts et dans beaucoup de cas, pas seulement en agriculture mais aussi dans l'approvisionnement et l'hygiène des villes, elle n'atteint même pas cet objectif. Il en résulte le paradoxe suivant qu'une ressource de plus en plus rare est subventionnée, décourageant ainsi la préservation des ressources et la réduction du gaspillage. Le tarif moyen, pour les projets hydrologiques financés par la Banque Mondiale - probablement des exemples au-dessus de la moyenne - ne représente qu'environ un tiers du coût marginal d'approvisionnement.

En général les autorités répondent au manque d'eau par des moyens qui ne jouent pas sur les prix, tels que le rationnement, l'interdiction de certains usages, l'exhortation, ou l'arrêt de l'approvisionnement. Si ces mesures peuvent être efficaces, elles peuvent aussi revenir cher aux usagers et causer des désagréments, et elles ne prennent pas en compte la valeur relative de l'eau dans ses différents usages.

Les avantages retirés de l'utilisation de l'eau varient largement d'un secteur à l'autre, de même qu'à l'intérieur de chaque secteur. Des variations allant jusqu'à des facteurs 10 ou plus sont courantes lorsqu'on compare la valeur de l'eau pour différents usages à l'intérieur des secteurs industriels et agricoles, et on retrouve des écarts similaires en comparant la valeur de l'eau dans ses usages municipaux et agricoles (Bhatia et Falkenmark, 1992). En général les usages de l'eau à plus haute valeur se trouvent dans la production de cultures spécialisées, dans la production industrielle, dans la consommation des ménages et dans certains usages de loisir. La consommation à valeur la plus basse se retrouve en général dans les cultures à faible valeur, dans le refroidissement industriel, et l'assimilation des déchets (Gibbons, 1986). Ceci montre la possibilité qui existe d'accroître les bénéfices globaux retirés de la consommation d'eau en réaffectant les réserves insuffisantes.

Un autre signe du manque de développement des marchés est le rôle mineur joué par les entreprises privées dans les approvisionnements en grandes quantités. Ce n'est pas par hasard si c'est dans le secteur de l'eau que la privatisation a le moins avancé et qu'elle a, sauf pour le Royaume-Uni, largement pris la forme de concessions et d'accords de gestion, plutôt qu'une vente totale des parts de l'état.

De gros intérêts qui dépendent de prix bas participent à la préservation du statu quo. L'agriculture irriguée et les industries ayant besoin de gros volumes d'eau ou de courant hydroélectrique bon marché, peuvent exercer une influence politique considérable.

Parfois la mise en place d'un marché de l'eau plus intégré est freiné par des facteurs physiques. Il peut ne pas y avoir de méthode pratique de transférer de l'eau qui est en surplus dans un secteur - ou qui est gaspillée - à un autre qui pourrait en faire un usage plus économique. Dans la région de Beijing, l'eau en surplus de l'agriculture devrait ainsi être puisée dans les nappes souterraines et pompée plus haut vers la ville en surplomb. Cela impose une limite sur la quantité transférable.

Les barrières physiques au développement de marchés de l'eau sont souvent renforcées par des obstacles juridiques issus des règles en vigueur concernant les droits de propriété. Des utilisateurs spécifiques peuvent avoir des droits légalement établis sur l'utilisation de l'eau, qu'ils perdent s'ils n'utilisent pas l'eau pour l'usage prévu. Dans d'autres cas des ambiguïtés concernant la propriété de l'eau empêchent son transfert d'un utilisateur habituel à l'autre. Les droits des tiers (l'intérêt public compris) dans les cas de transferts d'eau est un autre facteur à prendre en considération, et en effet son rôle est nécessaire à l'intégration des préoccupations environnementales dans le processus de transaction.

Le passage à un système basé sur le marché entraîne des coûts de transition qui peuvent être lourds. L'installation de compteurs entraîne des coûts assez importants qui doivent être comparés aux économies d'eau attendues. Les entreprises risquent de devoir dépenser des sommes assez importantes pour adapter leurs équipements ou même pour mette en place un système de production entièrement nouveau utilisant l'eau de façon plus productive. Pour les ménages, les campagnes pour promouvoir des dispositifs permettant d'économiser l'eau coûtent cher et prennent beaucoup de temps. D'un point de vue social, faire en sorte que l'eau soit transférée d'un secteur vers l'autre peut avoir des effets déstabilisants (un éventuel déclin des communautés liées à l'agriculture irriguée par exemple).

Il y a aussi un manque de confiance dans les instruments économiques. L'élasticité de la demande par rapport aux prix est largement considérée comme étant insuffisante pour que la tarification de l'eau parvienne à restreindre la demande et à redistribuer les ressources. Cette opinion est issue d'une époque où les prix de l'eau étaient trop bas pour être considérés comme ayant de l'importance par la majorité des consommateurs. Une masse grandissante d'informations venant à la fois des pays développés et en développement, principalement dans les secteurs urbains et industriels, montrent que les consommateurs réagissent aux prix de l'eau là où ils sont fixés de manière réaliste. Là où la facturation est utilisée activement dans l'agriculture - par exemple pour les ventes d'eau souterraine et dans les transferts d'eau - il semble que les paysans réagissent comme des économistes s'y attendraient (Winpenny, 1994).

Le traitement économique de l'eau, et particulièrement sa tarification, doit être mis en perspective avec la notion de bien social, prenant en compte les besoins de base des pauvres et leurs capacités réduites à les payer. Dans ce contexte, et pas seulement pour le simple approvisionnement en eau salubre pour les ménages, il est capital pour certains pays de fournir de l'eau pour l'irrigation afin de subvenir aux besoins alimentaires de base.

Principes pour l'aménagement et la répartition des eaux

L'idée avancée dans la première partie de ce chapitre était que la reconnaissance du manque croissant d'eau devait être un principe sous-jacent à toute tentative de réforme de ce secteur. En d'autres mots, l'eau devrait être traitée comme une ressource économique.

Cependant un certain nombre d'autres critères, qui sont souvent liés, entrent en jeu quand il s'agit de planifier et de gérer les systèmes d'eau, et différents pays leur accordent une importance variable. Ils comprennent:

· l'efficacité,
· l'efficience,
· les effets sur l'équité et la répartition,
· la santé publique et la nutrition,
· l'impact sur l'environnement,
· l'impact financier,
· l'acceptabilité politique et pour les populations,
· la durabilité, et
· la faisabilité administrative.

D'autres critères peuvent être pertinents dans certaines circonstances telles que l'impact sur l'autosuffisance alimentaire, le développement régional, l'équilibre urbain-rural, un désir d'autosuffisance en eau, etc.

Ces critères sont brièvement commentés ci-dessous.

L'efficacité

L'eau est un sujet sensible dans la plupart des sociétés. Réformer les comportements des gens vis à vis de l'eau est une tâche ingrate et difficile, avec des coûts politiques et administratifs substantiels. Il est par conséquent important que les politiques suivies retirent des bénéfices proportionnels dans la réalisation effective de leurs objectifs. L'efficacité est ainsi liée au critère d'acceptabilité discuté plus bas.

Face à des hausses du prix de l'eau, la réaction la plus évidente est l'élasticité de la demande par rapport aux variations du prix. Il apparaît de plus en plus que certaines catégories de demande sont assez élastiques, dans ce sens, pour que des variations de prix induisent des réponses au niveau de la demande. Même là où la demande n'est pas élastique relativement au prix (là où la quantité consommée ne baisse pas proportionnellement à la hausse de prix), les prix, comparés à d'autres options pour équilibrer l'offre et la demande, peuvent cependant réussir à réduire la consommation.

Dans beaucoup de cas, un ensemble de mesures semble être le plus efficace. Une augmentation des tarifs de l'utilisation d'eau peut être accompagnée d'une campagne d'information et d'éducation, de subventions pour l'installation d'équipements permettant d'économiser l'eau, ainsi que de conseils gratuits sur les moyens de réduire la consommation et le gaspillage. Le contrôle effectif de la pollution de l'eau pourrait amener à combiner des réglementations (dispositif d'injonction et de contrôle de l'exécution) - appliquées de manière effective - et un système "pollueur payeur" assorti de taxes et de redevances.

L'efficience

Le critère d'efficacité veut que les bénéfices économiques des politiques menées soient supérieurs à leurs coûts. Par exemple, dans le cas du développement de nouvelles sources d'approvisionnement, la valeur de l'eau produite doit être supérieure aux coûts de production, auxquels il faut ajouter les coûts environnementaux. Dans un objectif de protection des ressources, la réduction de la consommation ne vaut que tant que la valeur unitaire de l'eau économisée est supérieure au coût nécessaire pour la fournir. Au-delà, le coût de la protection, en termes d'avantages perdus, est trop élevé (Winpenny, 1994).

L'efficacité s'applique aussi aux politiques qui impliquent une redistribution de l'eau entre les différents utilisateurs, par exemple à l'intérieur du secteur de l'agriculture, ou de l'agriculture vers un usage municipal ou environnemental. La redistribution vers des usages à plus haute valeur entraîne des avantages sociaux nets correspondant à la différence entre la valeur de l'eau dans ses usages anciens et nouveaux.

Dans la mise en oeuvre des politiques il ne faut pas perdre de vue les besoins, tels qu'ils les perçoivent, de gens qui, à l'intérieur de leur communauté, ont généralement été en harmonie avec les limites naturelles des ressources rares. Il y a un risque de voir les considérations culturelles disparaître derrière des concepts économiques et d'ingénierie.

Les effets sur l'équité et la répartition

II est important que les politiques soient perçues comme étant "justes" dans leur impact respectif sur les différents groupes socio-économiques. Les groupes méritants, qui peuvent être des mères déjeunes enfants, des ménages pauvres ou des petits paysans et qui recevaient un approvisionnement jugé inadéquat ou obtenu à un coût personnel ou social élevé, doivent tirer bénéfice des réformes et ne doivent surtout pas se retrouver dans une situation pire. Il est important que la consommation de ces groupes-cible ne soit pas réduite en dessous de niveaux socialement désirables.

Les groupes les plus pauvres, qui ont peu d'influence et qui ne peuvent se faire entendre, tendent à être servis dans les derniers en matière de services publics de distribution de l'eau. Les paysans les plus pauvres se trouvent souvent en bout des systèmes d'irrigation, là où l'approvisionnement est irrégulier. Les consommateurs urbains les plus pauvres tendent à être les derniers sur la liste pour être raccordés à un système de canalisations et d'égouts. Là où les politiques conventionnelles ont échoué vis à vis des pauvres, les mesures de gestion de la demande peuvent, en comparaison, s'avérer utiles. Par exemple, les pauvres pourraient payer moins en étant raccordé aux canalisations, avec un compteur et à un tarif économique, que ce qu'ils payent maintenant à des fournisseurs privés.

Les effets d'un trou budgétaire énorme dans le sous-secteur de la distribution de l'eau et les besoins permanents de subventions pour les zones pauvres lient fortement l'équité aux critères de santé publique et d'impact financier.

Une préoccupation connexe est qu'aucune nouvelle mesure ne fasse bénéficier les consommateurs plus aisés d'avantages disproportionnés et que les inégalités extrêmes dans la consommation d'eau soient réduites.

Santé publique et nutrition

Malgré les avancés réalisées dans le cadre de la Décennie internationale de l'eau potable et de l'assainissement, plus d'un milliard de gens n'ont pas accès à l'eau potable, et 1,8 Milliards n'ont pas d'équipements sanitaires acceptables (Banque Mondiale, 1992). Ce retard s'accroît en termes absolus.

Il ne fait maintenant aucun doute que l'accès à l'hygiène et à l'eau potable reste le problème environnemental numéro un sur l'échelle des souffrances humaines (Banque Mondiale, 1992). Une situation universellement acceptable en terme d'approvisionnement en eau et d'hygiène bénéficierait à des centaines de millions de personnes qui souffrent aujourd'hui de maladies telles que la diarrhée, l'infection par l'ascaride lombricoïde, le schistosomiase, le trachome et le dracunculose (ver de Guinée) (Banque Mondiale, 1992).

Ces estimations montrent l'importance des bénéfices pour la santé publique que l'on peut tirer à aménager les réseaux de l'eau de manière à assurer universellement et suffisamment l'approvisionnement en eau, des équipements sanitaires et une évacuation salubre. Cependant il y a aussi des risques de santé publique liés à certains systèmes d'approvisionnement en eau, comme par exemple la création d'habitats propices à la malaria, la diffusion de la bilharziose dans les systèmes d'irrigation, l'accroissement de la pollution due à une augmentation de la consommation d'eau, etc.

En appliquant le critère de santé publique à l'approvisionnement en eau il faut prendre suffisamment en compte les bénéfices, en terme de niveaux nutritionnels nationaux, tirés d'une sécurité alimentaire suffisante basée sur les cultures irriguées locales.

L'impact sur l'environnement

Les impacts sur l'environnement des dispositifs d'approvisionnement, d'utilisation et d'évacuation de l'eau sont potentiellement très vastes. Barrages et réservoirs, aqueducs, dérivations de rivières, gros systèmes d'irrigation, consommation industrielle et municipale, pompage des eaux souterraines, etc., peuvent avoir un impact hydrologique massif affectant tout à la fois d'autres utilisateurs, les générations futures, l'agrément et la faune. Il en va de même pour l'évacuation des eaux usées et la contamination des masses d'eau douce par les rejets de l'agriculture, les effluents industriels et les eaux d'égout non traitées.

Là ou c'est possible, ces effets sur l'environnement doivent être inclus au processus d'évaluation de projet. Ces effets devraient être intégrés dans l'évaluation économique, comme coûts ou comme crédits, selon des méthodes reconnues (Dixon et al., 1988; Winpenny, 1991). Dans la pratique, seulement certains effets peuvent être quantifiés et même dans ces cas, seulement de façon partielle et imparfaite. Les effets sur l'environnement des politiques menées peuvent s'avérer difficiles à chiffrer, mais ils doivent cependant être rigoureusement traqués à l'aide des listes de contrôle reconnues telle que le Environmental Assesment Sourcebook (Banque Mondiale, 1991).

Les critères d'environnement s'appliquent avec une rigueur particulière aux nouveaux grands aménagements pour le développement de l'approvisionnement en eau. De façon moins évidente, quand il ne s'agit pas d'infrastructures ou d'installations, les nouvelles mesures et programmes, ajustement structurel et réforme sectorielle compris, peuvent aussi avoir un impact non négligeable sur l'environnement. Les mesures de régulation de la demande, telles que l'utilisation rationnelle de l'eau, sont beaucoup plus salutaires pour l'environnement, évitant l'impact majeur des projets d'approvisionnement et réduisant les coûts induits par la pollution.

L'impact financier

Beaucoup des pays qui ont de graves problèmes d'eau ont aussi des finances publiques fragiles. L'impact financier des politiques de l'eau est un critère important à la fois pour la gestion macro-économique générale et pour le financement adéquat de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement. Une politique durable serait une politique qui aurait un impact positif sur les finances publiques au niveau national et local à travers par exemple une taxe, une hausse des prix, une redevance, une réduction des subventions, ou le fait d'éviter des dépenses de capitaux majeures. Elle doit, de la même manière aider la situation financière des sociétés de services de l'eau, de l'irrigation, etc.

La stricte application d'une facturation de l'eau selon des critères économiques, basée sur le principe de "coût marginal", pourrait même générer, pour les sociétés de services de l'eau, des recettes "excessives" comparé à l'alternative du prix coûtant moyen. Ces recettes pourraient contrevenir aux taux de rentabilité autorisés et fixés par les instances de contrôle, et pourraient soulever un mécontentement des usagers. Dans de tels cas, les recettes globales pourraient être ajustées en baissant les redevances qui ne sont pas liées à la consommation, comme la part fixe d'un système de double prix, ou en réduisant le prix des premières tranches dans une structure tarifaire par tranche croissante.

Le rendement financier d'un ajustement spécifique des prix dépend de l'élasticité des prix relativement à la demande. Bien que l'élasticité varie beaucoup d'un type de consommation à l'autre, la plupart des estimations globales ne dépassent pas la valeur de 1,0. Là où c'est le cas, des augmentations de tarif permettront d'accroître les recettes globales.

L'acceptabilité politique et pour les populations

II est préférable que les changements de politiques soient acceptables pour les groupes concernés et ne rencontrent pas de résistance sérieuse au niveau politique. Cependant, c'est là un conseil dans l'absolu, tout changement de politiques entraînant immanquablement des gagnants et des perdants. Quoi qu'il en soit, il faut préparer le terrain avec soin. Il est souhaitable que les efforts investis pour introduire de nouvelles mesures (sacrifices en terme d'image, usure du crédit politique, ressources nécessaires pour faire avancer la législation, vaincre les résistances de la population et des lobbies, etc.) soient proportionnels aux bénéfices retirés de ces mesures. Des mesures qui apportent peu mais à un coût politique élevé et en soulevant un fort mécontentement dans la population, sont de toute évidence indésirables.

Des mesures ont plus de chances d'être acceptées s'il apparaît qu'elles s'attaquent à un problème grave, si leurs coûts et les bénéfices retirés semblent équitablement répartis, s'il y a un fort soutien des politiciens et des personnalités les plus importants de la communauté, si elles sont accompagnées de suffisamment de campagnes d'information, et si la population fait preuve de civisme.

Il peut aussi y avoir des inquiétudes quant à des effets négatifs non prévus résultant de mesures conflictuelles là où les objectifs se croisent, ou résultant directement des mesures mises en oeuvre.

Il sera alors tentant pour les politiciens de soutenir une approche préventive plutôt que curative, et de s'éloigner de toute politique reposant sur des changements majeurs de comportements (par exemple l'introduction de redevances ou de mesures d'économie d'eau), par opposition à une politique qui consisterait en un "bricolage" technologique (par exemple l'aménagement de nouvelles ressources). Cependant la première peut s'avérer préférable à long terme.

La durabilité

Certaines mesures ont un impact immédiat et ponctuel alors que d'autres ont des effets qui durent ou même s'accroissent. Des mesures à court terme, prises en réponse à une urgence telle que la sécheresse par exemple, ont peut-être un impact immédiat mais qui s'estompe rapidement quand le moment critique de l'urgence est passé. Les politiques qui ont un effet à long terme sur l'utilisation de l'eau, telles que les adaptations technologiques et les changements dans les habitudes des utilisateurs, sont plus durables.

Les meilleures mesures sont celles dont l'impact s'accroît avec le temps, parce que leurs composantes se renforcent mutuellement, ou parce qu'elles incitent à poursuivre dans cette voix et à cumuler les effets.

La faisabilité administrative

La mise en oeuvre des politiques ne doit pas dépasser les capacités des départements ou des agences concernées. Par exemple, mesurer la consommation implique d'organiser un certain nombre de tournées des usagers et d'avoir un personnel chargé de la facturation. La décision de procéder à des économies d'eau doit être soutenue par un personnel qualifié qui puisse conseiller les ménages, les industries et les paysans sur les technologies et une meilleure gestion et utilisation de l'eau. Ainsi, les aménagements visant à augmenter les approvisionnements ne sont pas la solution facile qu'ils semblent être à première vue s'ils nécessitent une surveillance et un entretien intensif.

De nouvelles politiques ne sont utiles que si leur mise en oeuvre est effective et qu'il y a un suivi rigoureux. Par exemple, le système de transfert d'eau dans certains états des Etats-Unis nécessite une autorisation officielle pour chaque transaction. Le contrôle de la pollution de l'eau implique une surveillance et des inspections régulières ainsi qu'une détermination à pénaliser ceux qui seraient en infraction. Un système de redevances nécessite la collecte régulière de recettes et une détermination à poursuivre les mauvais payeurs, ceci assorti d'aménagements administratifs appropriés de sorte que les fonds collectés soient reversés au secteur de l'eau.

La réforme des politiques dans l'agriculture

Le développement agricole durable dépend d'une utilisation durable de l'eau. Aujourd'hui les gouvernements reconnaissent que la recherche d'une croissance économique durable nécessite, entre autres, des réformes à la fois au niveau de l'économie globale et au niveau des secteurs spécifiques. Les politiques, au niveau de l'économie globale, essaient de créer un environnement macro-économique favorable, alors que les politiques du secteur de l'eau, par exemple, cherchent à encourager une utilisation plus rationnelle des ressources chez les usagers.

L'accent qui est mis actuellement sur les réformes macro-économiques et sur la libéralisation de l'économie a plusieurs conséquences importantes pour l'irrigation. La reconnaissance de la valeur de l'eau (et le coût élevé que représente le fait de passer d'une source d'eau à un service qu'on installe jusqu'à l'exploitation) fait du secteur de l'eau une cible prioritaire des réformes. L'irrigation reste néanmoins un gros consommateur de ressources dans cette période de transition. Même une irrigation réussie consomme de grosses quantités de capital et de devises et retient un personnel qualifié rare.

Comme beaucoup de personnel dans le secteur public, les responsables de l'irrigation doivent trouver un difficile juste milieu entre d'une part, un contrôle plus strict des finances, la nécessité d'imprimer un leadership plus actif et positif et une meilleure planification de la répartition des ressources, et d'autre part la nécessité contradictoire d'un apport d'idées venant d'en bas (des clients paysans). Les contraintes financières seront certainement l'influence dominante. L'irrigation, en tant qu'institution du secteur public, dépend d'allocations budgétaires pour obtenir des financements. Beaucoup soutiennent que cela incite peu à faire des économies et peut même avoir l'effet inverse.

A mesure que les méthodes du secteur privé sont appliquées dans l'irrigation et qu'on va vers plus de participation des usagers, les dirigeants s'aperçoivent que:

· les institutions sont plus à l'écoute des efforts fournis par les paysans eux-mêmes et moins enclin à prendre toutes les décisions clés avant d'en informer les paysans;

· les directions recherchent plus de consensus sur les priorités, plus d'information sur les fondements des décisions, et un point de vue commun sur les facteurs externes qui affectent la gestion;

· les programmes d'irrigation recherchent et reçoivent plus d'autonomie;

· les personnels de direction voient leurs responsabilités financières s'accroître et doivent de plus en plus justifier de l'emploi des fonds; et

· les personnels de direction dépendent moins de leurs ministères et gouvernements et plus des finances générées par la facturation des services. (FAO, 1993a)

Choix stratégiques et compromis


Priorités entre les secteurs
Importer de l'eau ou des denrées alimentaires?
Considérations d'ordre intérieur versus international
Mode de gestion
Combiner les mesures


De nombreux pays sont confrontés à la perspective d'une raréfaction de l'eau à long terme, et pour certains ce danger les touche déjà. Des choix difficiles doivent être faits dans des domaines tels que les suivants:

Priorités entre les secteurs

Sur fond d'accroissement de la population, de besoins alimentaires en augmentation, d'industrialisation et d'urbanisation, les besoins concurrents en eau de l'agriculture, de l'industrie et des ménages doivent faire l'objet de médiations. La production hydroélectrique, la navigation, le contrôle des crues, les pêcheries, les loisirs et l'environnement sont d'autres demandeurs d'importance.

Importer de l'eau ou des denrées alimentaires?

Un pays déficitaire en eau et poursuivant une politique d'autosuffisance alimentaire risque d'être forcé d'importer de l'eau à un moment ou à un autre. Si c'est l'eau qui devient le facteur déficitaire, la meilleure solution peut être de "l'importer" sous forme de denrées alimentaires, surtout si ces denrées sont disponibles à des termes de l'échange avantageux. Un pays déficitaire en eau comme l'Egypte importe régulièrement des denrées alimentaires (Allan, 1992). La Californie obtient 73 % de son approvisionnement journalier en eau en important des denrées alimentaires, bien qu'elle "exporte" aussi de l'eau par ses ventes de coton et de fruits et légumes (Comeau, 1993).

Considérations d'ordre intérieur versus international

Les politiques intérieures de l'eau d'un certain nombre de pays les mènent à terme à des situations conflictuelles avec leurs voisins. C'est le cas pour l'utilisation d'un fleuve ou d'un lac commun et pour la pollution d'une masse d'eau commune. Les utilisateurs en amont sont naturellement en position de force et pourraient même se servir de leurs politiques de l'eau pour obtenir des concessions dans d'autres domaines. Cependant, s'ils poussent leur avantage trop loin, ils encourent le risque de sanctions financières et diplomatiques internationales, et en dernier recourt d'un conflit armé. Les utilisateurs en aval peuvent, du fait de leurs propres politiques de l'eau, accroître leur dépendance vis à vis de leurs voisins en amont, et ce à leurs risques et périls.

Mode de gestion

II y a de nombreuses façons de gérer les ressources nationales en eau, mais le choix entre une gestion et un contrôle centralisés et décentralisés est un des choix fondamental. Le premier pourrait prendre la forme d'agences de bassin comme en France, le second pourrait se présenter comme la délégation de pouvoirs vers un certain nombre d'agences et de services publics régionaux, urbains ou techniques passant des accords entre eux comme c'est le cas en Californie. Les traditions politiques et les structures du pouvoir, ainsi que l'équilibre entre le centre et les régions, influenceront le choix du modèle.

Un autre choix stratégique concerne les rôles relatifs joués par les secteurs publics et privés dans l'exploitation du secteur de l'eau. Bien que l'exploitation par l'administration et les services publics soit encore la norme, un nombre grandissant de pays privatisent l'exploitation. Il y a aussi l'option qui consiste à autoriser des sociétés privées à posséder la totalité de l'actif, comme au Royaume-Uni, ou bien de leur donner la concession, les actifs restant propriété de l'état, comme en France.

Il faut ensuite décider du style de gestion, qui se polarise entre autoritaire (par exemple les autorités de l'irrigation dans certains pays de l'Asie du Sud) et participatif (à travers par exemple les associations d'utilisateurs).

Combiner les mesures

Ne rien faire ou reporter les changements est toujours une option possible et peut être, dans certains cas, tout à fait rationnel. Cependant, alors que le coût de l'inaction ne doit pas être ignoré, elle offre un point de référence utile à l'aune duquel on peut juger de l'impact des moyens d'action proposés de par ailleurs. Si on choisit d'agir alors un choix fondamental doit être fait entre des politiques orientées sur l'offre et d'autres axées sur la gestion de la demande.

Une autre option encore est l'utilisation de mesures d'injonction et de contrôle de l'exécution" (réglementations, quotas, instructions) plutôt que d'instruments économiques reposant sur des incitations (prix, taxes, redevances, marchés). Dans la pratique il s'agira de choisir un équilibre entre ces deux types de mesures, les deux étant nécessaires.


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