Table des matières - Précédente - Suivante


6. Aspects techniques des aménagements forestiers réalisés dans le cadre de la SED

6.1. L'aménagement contrôlé de Tientiergou
6.2. L'aménagement "orienté" de Degma


6.1. L'aménagement contrôlé de Tientiergou

Les travaux du Projet Energie 11 ont commencé dans la région de Tientiergou, au sud-est de Niamey. Ce village est situé à environ 50 km au sud-est de Niamey et à 15 km à l'ouest de Say. Le climat est de type soudano-sahélien (pluviosité moyenne en 40 ans: 600 mm). Le massif de Tientiergou, tel que défini par le Projet Energie II, est constitué par le plateau de 30 000 ha de brousses tâchetées qui entourent ce village et dont la mise en valeur concerne une vingtaine de hameaux riverains.

6.1.1. Aspects sociaux et fonciers

La population est formée par les Peuhls "nobles" (60%), les Peuhls "rimaïbés", anciens captifs (20%) d'implantation ancienne, et par divers groupes récemment arrivés, perçus comme des "étrangers". Le chef de village est maître des terres et son autorité se transmet à son lignage. Les autres composantes de la société villageoise ne peuvent que jouir du droit de culture qui est individuel. L'espace sylvo-pastoral et les mares relèvent de l'autorité du chef de village, mais leur usage est collectif pour plusieurs villages. En outre, les villages reconnaissent une autorité suprême de l'Etat sur l'ensemble des terres du pays. Hormis la famille du chef de villageois, tous les villageois accèdent aux champs par le paiement annuel de la dîme (1/10ème des récoltes).

L'agriculture et l'élevage occupent la quasi totalité de la population active et assurent la subsistance et les revenus. Les villageois pratiquent des activités secondaires importantes pour acquérir d'autres revenus (artisanat, petit commerce, vente du bois,...). Beaucoup de jeunes gens partaient en émigration chaque année pendant la saison sèche, mais avec la crise ils préfèrent trouver des activités sur place, d'où un intérêt croissant pour la coupe du bois. L'élevage de la région souffre d'un manque d'espace. Toute mise en défens est ressentie comme une nouvelle diminution de l'espace pastoral déjà bien entamé par les cultures.

6.1.2. Les ressources pastorales et l'exploitation forestière

Le Projet Energie II a volontairement choisi de ne pas heurter les pasteurs, car la production de viande (en particulier, depuis la dévaluation du F CFA) est l'une des premières ressources du Niger. Les aménagements doivent sylvo-pastoraux ou ne pas être. Les éleveurs utilisent les ressources sylvo-pastorales et profitent indirectement des marchés ruraux. Certaines caisses villageoises fournissent une aide aux éleveurs au niveau de la pharmacie vétérinaire.

On peut supposer que le plateau est parcouru par les animaux résidents (20 000 bovins et 35 000 petits ruminants) et par les animaux étrangers (10 000 bovins et 18 000 petits ruminants). Le plateau est surtout utilisé en saison des pluies et en début de saison sèche. Ensuite, le bétail se répartit entre le plateau et l'espace agricole, où il émigre. D'ores et déjà, les éleveurs ont constaté la raréfaction des espèces appétées suivantes: Boscia salicifolia, Tephrosia bracteolata, Aristida funiculata, Indigofera diphylla, Andropogon gayanus, etc.

La production de biomasse du plateau a été estimée par Bagoudou (1992) en utilisant la formule de Boudet (1991) qui donne un potentiel théorique de production (lié avec la pluviosité), que l'on a multiplié par le taux de couverture. Ceci donne 600 kg/ha/an, dont un tiers est considéré comme disponible pour les animaux. Les besoins d'une UBT (Unité de Bétail Tropical de 250 kg) sont de 6,25 kg par jour, soit 2 250 kg/an. On voit qu'une UBT a besoin de plus de 11 ha. En fait. il s'est avéré par la suite que ces données étaient exagérées. En année normale il y a peu de transhumants et l'espace agricole (cultivé ou en jachère) fournit en abondance des tiges de mil, des herbacées spontanées et des rejets ligneux. Achard (1990) estime à environ 6 000 UBT la charge potentielle du plateau (6 ha/UBT).

D'ailleurs, si on supprimait le parcours, il est probable qu'une partie importante de glacis se couvrirait d'herbacées et qu'il n'y aurait plus assez d'eau, au niveau des zones arborées. pour faire vivre des espèces souvent classées soudaniennes comme Combretum nigricans (Aubréville, 1944).

Tant du point de vue du maintien du capital écologique (sol, biodiversité) que de celui du revenu monétaire à l'unité de surface, il semble de loin préférable de ne pas cultiver ces plateaux et de les réserver à l'élevage, à la coupe du bois et la cueillette. La méthode qui présente le moins de risque s'apparente à celle du furetage traditionnel, car elle conserve la structure générale de la brousse tigrée ou tachetée.

Actuellement, compte tenu des données écologiques et socio-économiques, les services forestiers fixent des quotas à ne pas dépasser (qui restent des "garde-fous" contre la sur-exploitation). Les connaissances sur l'accroissement étant très approximatives, l'inventaire n'est qu'une étape. Ensuite, un suivi est indispensable pour réajuster au fur et à mesure les quotas en fonction de la productivité réelle, constatée à grande échelle, en condition réelle d'exploitation). Les méthodes de gestion sylvo-pastorale suivantes sont proposées aux villageois:

- L'élagage et l'exploitation sont soumis aux règles suivantes:

• coupe de Combretum micranthum et Guiera senegalensis de diamètre (à la base) supérieur à 6 cm;

• coupe de Combretum nigricans et Combretum glutinosum de diamètre (à la base) supérieur à 8 cm;

• récolte des espèces de bois d'oeuvre de diamètre (à la base) supérieur à 35 cm; protection des fruitiers et des arbres à brèdes;

• émondage des espèces fourragères à plus de 2 m de hauteur;

• protection des forêts situées en bord de mare et de thalweg;

• utilisation des branchages des arbres exploités pour couvrir le sol à la périphérie des zones végétalisées;

• date de coupe pour les Combrétacées: en fin de saison sèche.

- La durée entre les coupes de parcelles est fixée à six ans, ce qui correspond à six parcelles par forêt villageoise. Une rotation courte ne nuit pas à la survie de la forêt et simplifie la délimitation des parcelles. La taille des parcelles est d'environ 300 ha.

- La taille des forêts villageoises est d'environ 1 800 ha pour un village de 250 habitants, à l'intérieur d'un territoire facilement accessible à pied quotidiennement pour les hommes et le bétail (environ 8 km de rayon).

- La production annuelle d'une parcelle de la région de Tientiergou est estimée à 300 ha x 1,2 m3 = 360 m3/an.

- Un aménagement de la faune pourra être envisagé si la loi interdisant la chasse est révisée.

- Les récoltes de gomme, fruits, brèdes, petits bois, seront réservées en priorité aux femmes et enfants du village.

- Le pâturage est réservé en priorité aux éleveurs du village et à quelques transhumants bien identifiés (sauf en cas de sécheresse catastrophique imposant l'accueil de "réfugiés pastoraux").

- L'interdiction de pâturage est imposée sur une courte période: pendant la fin de saison sèche, après la coupe d'une parcelle et la saison des pluies qui suit.

6.1.3. Aider à l'émergence de groupements villageois multi-professionnels

L'ordonnance de 1993 sur les principes d'orientation prévoit l'octroi de concessions rurales, à ces groupements villageois dénommés "marchés ruraux", à l'intérieur d'une zone de brousse afin qu'ils en aient la gestion (élevage, coupe du bois, cueillette), alors qu'ils n'avaient jusqu'à présent aucun droit officiel sur les terres non cultivées.

Les marchés ruraux sont organisés autour d'un bureau qui comprend des représentants des principales catégories socio-professionnelles (agriculteurs, éleveurs, bûcherons). Après une période d'animation, actuellement faite par le projet, mais qui pourrait être sous-traitée à des ONG, le groupement est constitué avec son président, son trésorier, etc. Toujours pendant la période d'animation, est préparé un "plan provisoire d'aménagement forestier" qui constituera, en quelque sorte, le contrat entre le village et l'administration. Les agents du projet viennent lever les coordonnées géographiques des points remarquables de la forêt, et surtout des points de limite, à l'aide d'un appareil "Global Positioning System" (GPS). Pour chaque village, on a soin de relever deux ou trois points facilement repérables sur la carte. Ce travail de levé doit être fait en une journée. Ces données sont envoyées à la cellule de cartographie de Niamey qui le reporte sur un Système d'Informations Géographiques, sur lequel le fonds topographique de la région a, au préalable, été digitalisé.

Le plan de la forêt villageoise est alors tiré et présenté aux villageois, qui peuvent alors dire s'ils sont effectivement d'accord avec le tracé provisoire, et demander au besoin des modifications. On leur indique approximativement la taille d'une parcelle qui permet d'exploiter, en un an, le sixième du stock de gros bois de la forêt. On leur demandera dans quelle zone ils souhaitent que se trouve cette première parcelle, en la calant sur des points de repères ayant été levés au sol et cartographiés. Toutes les données concernant les forêts villageoises aménagées sont ainsi stockées, au fur et à mesure de leur établissement, sur le SIG central du Service de l'Environnement.

6.2. L'aménagement "orienté" de Degma

Pour l'approvisionnement en bois-énergie des centres urbains, des marchés ruraux ont été installés. Actuellement il y en a deux types, tels qu'ils ont été définis par l'ordonnance 92-037:

- le "marché rural orienté", qui se caractérise par l'exploitation unique du bois mort;

- le "marché rural contrôlé", qui se définit par l'exploitation du bois mort et celle du bois vert, tout en respectant certaines normes techniques.

Ainsi selon le type de bois disponible dans une forêt donnée, soit un marché rural orienté, soit un marché rural contrôlé est proposé. C'est en ce sens que la forêt de Degma (zone de Torodi), d'une superficie de 4 223 ha, a bénéficié de l'installation d'un "marché rural orienté".

Les techniciens forestiers, prévoyant que l'épuisement du bois mort à plus ou moins long terme entrainera inéluctablement des coupes de bois vert, souhaitent accélérer le passage des exploitations "orientées" vers celles dites "contrôlées".

L'opération s'est déroulée en trois étapes pour une durée de sept mois et demi:

- l'élaboration de la carte du terroir villageois;
- le recueil des données d'inventaires;
- la recherche des informations sur la vie socio-économique du village;
- la conception du plan d'aménagement.

Contrairement aux méthodes d'inventaire pour l'établissement d'une carte, ce sont des coordonnées de certains points de repère de la forêt et du village qui sont relevés au GPS. Ces coordonnées sont introduites dans un logiciel AGIS qui dessine la carte et calcule les superficies des différents terroirs qui composent la forêt: à savoir le terroir agricole, le terroir sylvo-pastoral et le terroir forestier.

Un inventaire a permis à l'équipe d'estimer le stock de bois exploitable, le nombre de pieds et le taux du sol cultivable par rapport à la surface totale de la forêt. Le nombre de placettes inventoriées était de 180 (surface de 0,09 ha)' soit un taux de sondage de 0,48%. Le quota est fixé à 4 stères/année/ha de la parcelle à exploiter. Avec six parcelles (rotation de six ans), on aura un quota annuel de 0,67 stère/ha pour toute la forêt. Le nombre de pieds comptés est de 695 par ± 63, avec un taux de recouvrement moyen de 61,5% et un taux de sol cultivable de 31%.

Sur le plan socio-économique, plusieurs enquêtes ont permis de faire le point des activités de la population, l'habitat, le niveau de formation, le nombre de ménage, le nombre de bûcherons, le revenu, la taille du village, etc.

En définitive, les résultats des enquêtes et ceux de l'inventaire ont conduit à l'élaboration d'un plan d'aménagement de la forêt qui prend en compte quatre éléments: le diagnostic, le plan d'exploitation, le plan de suivi, de contrôle, et de formation et les infractions et les sanctions.

7. Conclusions et perspectives de développement des aménagements forestiers au Niger

Depuis la création de structures villageoises relativement performantes, l'arbre acquiert une valeur monétaire importante aux yeux des populations. L'Etat n'a plus qu'un simple suivi à réaliser, la pérennité des forêts est assurée et le Trésor Public est alimenté. L'arbre a une valeur; il s'agit de s'en servir pour les besoins des villages, mais aussi pour maintenir le capital par des actions de restauration. C'est le principe de la Stratégie d'Energie Domestique.

Les perspectives de développement des aménagements forestiers ou sylvo-pastoraux sur ces nouvelles bases (SED et acquis de la première phase du projet) sont nombreuses et résolument optimistes, à condition d'adopter et d'encourager les dispositions et mesures ci-dessous:

- adopter une approche souple et moins techniciste, en prenant en compte également les savoir-faire locaux;

- identifier et vulgariser, lorsque cela est nécessaire, les techniques de régénération les plus efficaces et facilement maîtrisables, notamment sur le plan des coûts;

- promouvoir des structures villageoises de gestion très légères, comme les marchés ruraux par exemple;

- renforcer la formation des membres des structures villageoises de gestion;

- mettre en place un cadre institutionnel adéquat, plus incitatif sur les plans fiscal et foncier. allant dans le sens d'une véritable décentralisation, en vue de renforcer les capacités locales de gestion des ressources, de planification et de maîtrise du développement;

- encourager l'intensification de l'agriculture et de l'élevage, afin de réduire leur pression sur les ressources forestières.

Les prochaines années seront cruciales. Les résultats obtenus restent encore institutionnellement fragiles. Il est en effet difficile de perdre certaines habitudes (...). Le contrôle forestier des entrées en ville est redevenu aussi inefficace qu'avant le projet, après avoir pourtant démontré qu'il pouvait en être autrement. Très récemment, les commerçants-transporteurs ont sollicité la réouverture à l'exploitation incontrôlée des zones délimitées des marchés ruraux, soit tout simplement de revenir sur la loi, et certains forestiers les auraient peut-être suivis (...). La Direction de l'environnement leur a heureusement opposé un non catégorique. Il faut donc aller vite, plus vite, créer encore des marchés pour occuper le terrain et franchir le point de non retour (Madon, 1994).

Etude de cas réalisée à partir des documents suivants: Hamadou (1994); Montagne et al. (1994); Peltier (1991); Peltier et al. (1994 a et b); Madon (1995); Bertrand (1990); Seed et CTFT (1991).


Table des matières - Précédente - Suivante