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Chapitre 2: Méthodologie et aperçu des zones de l'enquête


Déroulement de l'enquête
Nature et contraintes de l'étude
Types de cas analysés
Choix des zones à étudier
Caractéristiques des quatre zones de l'enquête


Déroulement de l'enquête

Après sélection et formation des candidats burkinabé et ivoiriens destinés à mener l'enquête dans chacun des deux pays, des données ont été recueillies en octobre, novembre et décembre 1996 dans les provinces du Sanguié et du Bulkiemdé au Burkina Faso et dans la région de Korhogo en Côte d'Ivoire. La recherche s'est poursuivie en janvier 1997 dans le Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire (voir cartes en annexe).

Nature et contraintes de l'étude


Etude qualitative
Contrainte de base
Contraintes supplémentaires


Etude qualitative

Essentiellement qualitative, l'étude a fait appel à des entrevues semi-structurées en profondeur et à des discussions avec des groupes relativement homogènes. Une quarantaine d'informateurs-clés et les membres d'un peu plus de 100 exploitations agricoles ont été interviewés. En tout 145 cas ont été analysés: 56 femmes et 89 hommes.

Les unités de production retenues pour l'enquête ont délibérément été sélectionnées en vertu des difficultés auxquelles elles avaient été confrontées à la suite d'un (ou de plusieurs) cas de SIDA dans leur entourage immédiat. Il s'agit donc d'un échantillon raisonné qui a permis de recueillir des informations d'une très grande richesse mais qui n'a aucune valeur statistique ou épidémiologique.

Contrainte de base

Il avait été initialement prévu que l'enquête ferait appel à la méthode de diagnostic rapide et aurait recours à des techniques participatives pour mobiliser activement les agriculteurs touchés par l'étude. Le caractère très délicat du sujet d'enquête et la connotation négative qui entoure encore le SIDA presque partout en milieu rural ont vite incité les enquêteurs à modifier leurs plans de départ et à se limiter à des méthodes de diagnostic rapide, même si, assez souvent, en Côte d'Ivoire, il a été possible de discuter, en petit comité, de sujets connexes, comme de l'éducation sexuelle ou des rapports physiques entre jeunes gens.

Contraintes supplémentaires

Soulignons deux obstacles supplémentaires rencontrés au cours de l'étude. Le premier se rapporte à la difficulté presque insurmontable d'obtenir un ensemble de données comparables dans les deux pays de l'enquête, malgré l'existence d'un plan de travail de terrain et d'un canevas de rédaction identiques et en dépit d'équipes de consultants dont le profil était fort semblable. Dans un pays comme dans l'autre, le deuxième écueil se rapporte au manque de disponibilité des candidats retenus pour mener à bien la recherche. Puisque le statut de pigiste y est pratiquement inconnu, à peu près tous les candidats, dont le profil se rapprochait des compétences requises, occupaient déjà des postes au moment de la sélection. Aucun d'entre eux n'a pu se libérer sept jours sur sept pendant toute la durée du travail, même si au départ, tous s'étaient déclarés maître de leur temps. Le moment le plus critique s'est situé vers la fin de la recherche, en pleine période d'analyse des données et de rédaction. L'achèvement du travail de terrain suivi du retour dans la capitale se sont vite accompagnés d'une reprise des activités habituelles d'enseignement et de recherche.

Types de cas analysés

Au Burkina Faso, l'équipe n'a travaillé que sur des cas de sidéens déjà décédés. En revanche, en Côte d'Ivoire, le tiers des cas analysés porte sur des malades qui ont été personnellement interviewés. Comme ceux-ci ne connaissaient pas forcément la cause exacte de leur état, à aucun moment donc ils n'ont été prévenus que l'équipe s'intéressait spécifiquement au SIDA. La recherche a plutôt été présentée comme une étude des conséquences et des modifications entraînées au sein d'une unité de production par un décès ou une maladie grave.

Choix des zones à étudier


Critères retenus
Complexité et diversité des situations


Critères retenus

Durant la phase préparatoire de l'enquête il est très rapidement apparu que la propagation du VIH/SIDA était fortement liée à la mobilité spatiale. Au moment du choix des zones de l'enquête, l'attention s'est donc concentrée sur des régions où la mobilité des agriculteurs est très grande: régions pourvoyeuses de main-d'œuvre pour les centres urbains ou les pays côtiers, notamment la Côte d'Ivoire, dans le cas du Burkina Faso; région d'accueil ou région pourvoyeuse pour le Sud-Ouest et le Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire dans le cas de ce pays. L'hypothèse de départ était donc que l'on y rencontrerait une certaine concentration d'agriculteurs qui seraient (ou auraient été) affectés par la pandémie. Le choix précis des villages où l'enquête s'est déroulée a été arrêté après discussion, au niveau national, régional ou local, avec des personnes directement concernées par la prévention ou le traitement du SIDA.

Complexité et diversité des situations

L'enquête a démontré que la mobilité entre également en jeu durant la phase terminale de la maladie et que la plupart des sidéens qui vivent en dehors de leur région retournent mourir dans leur village d'origine. Une grande partie des cas analysés concerne donc des personnes qui, lorsqu'elles sont tombées malades, vivaient et travaillaient en dehors des unités de production qui les ont prises en charge et où l'enquête s'est déroulée. C'est le cas, notamment, de 87 des 88 décès analysés au Burkina Faso. Les malades ne travaillaient pas dans leur village d'origine mais ils y sont revenus mourir en dernière extrémité. Cela ne signifie nullement que leur retour inopiné n'a pas causé de perturbations et réajustements majeurs.

Mais, contrairement à ce qui se passe en Afrique de l'Est et en Afrique centrale, les effets du SIDA en milieu rural burkinabé apparaissent moins dévastateurs. La propagation de la pandémie repose encore dans une large mesure sur des apports extérieurs. Une deuxième vague dans la transmission du fléau commence tout juste à se faire sentir. A très brève échéance, cette nouvelle génération de diffusion (de l'intérieur, en plus de l'extérieur des communautés rurales), risque de provoquer une flambée de la propagation de la maladie.

En Côte d'Ivoire, une grande proportion des cas analysés appartenaient à l'unité de production qui les a pris en charge pendant la maladie et au décès. Les effets du SIDA sur les systèmes de production y sont par conséquent plus notoires et durables.

La mobilité spatiale d'une grande partie des habitants de la sous-région entraîne des chaînes de répercussions qu'il est très complexe de prévoir ou même de suivre. Par exemple, un agriculteur peut travailler au sein d'une unité de production pendant une période de l'année et, dans une autre, le reste du temps. Sa maladie est donc susceptible d'affecter la disponibilité en main-d'œuvre de deux exploitations agricoles. Tel autre travaillera et vivra à 1 000 km de chez lui pendant des années mais, en phase terminale de la maladie, il reviendra dans son village d'origine. L'exploitation au sein de laquelle il travaillait perdra donc un actif mais ce n'est qu'indirectement que l'unité de production responsable de la prise en charge finale sera perturbée par la venue du malade.

Caractéristiques des quatre zones de l'enquête


Burkina Faso
Côte d'Ivoire


Burkina Faso

Le Burkina Faso est un pays essentiellement agricole de 10 millions d'habitants. Le secteur agricole constitue la principale source d'emplois et occupe 90 pour cent de la population active. La part de l'agriculture dans le PIB a été estimée à 42 pour cent en 1970, 32 pour cent en 1990 et 44 pour cent en 1992. Ces chiffres indiquent que la part de l'agriculture dans le PIB fluctue d'une année à l'autre et montrent que plus de 90 pour cent de la population contribue pour moins de 50 pour cent au PIB, ce qui met en évidence la faible productivité du secteur. La faible fertilité des sols et le peu de disponibilité en eau constituent des contraintes majeures à la production agricole.

Ces aléas naturels engendrent une fluctuation inter-annuelle de la production et des revenus agricoles. Face à cette situation, les ménages s'appuient de plus en plus sur les revenus issus de l'élevage pour assurer leur sécurité alimentaire. L'analyse de la structure du revenu des ménages avant la dévaluation du franc CFA montre que, dans la partie sahélienne et centrale du Burkina Faso (la partie concernée par cette étude), le revenu provenant de l'élevage domine les autres sources de revenus. L'élevage joue un rôle d'épargne et de réserve de richesse pour faire face aux mauvaises campagnes agricoles et aux besoins de liquidités.

Provinces de l'enquête. Deux provinces du Centre, contiguës, ont été choisies pour l'enquête: le Sanguié, habité par l'ethnie Gourounsi, et le Bulkiemdé, où prédominent les Mossi. Ces deux provinces se rapprochent donc pour ce qui est des ressources et contraintes essentielles. Toutes deux ne jouissent annuellement que d'une saison des pluies durant laquelle tombent de 700 à 900 mm de pluie. La savane sèche y prédomine et, dans les deux cas, les sols sont dégradés et érodés. Le sorgho, le mil, l'arachide et un peu de maïs et de vouandzou sont cultivés en saison des pluies. A peu près 70 pour cent des parcelles sont consacrées aux céréales. En saison sèche, une proportion non négligeable des producteurs s'adonne au maraîchage.

La densité de bovins par exploitation est la plus faible de tout le pays (2 dans le Sanguié et 1 dans le Bulkiemdé), tandis que le nombre moyen de petits ruminants (9 dans le Sanguié et 10 dans le Bulkiemdé) se rapproche de la moyenne nationale. Dans le Sanguié, où une grande partie de la population est chrétienne, l'élevage de porcs constitue une activité associée à la fabrication de bière locale car les résidus solides servent à leur alimentation. Une enquête récente indique que les motivations de vente des animaux sont à 75 pour cent d'ordre social (maladies, mariages, funérailles) et pour parer à l'insécurité alimentaire. Dans un cas comme dans l'autre, le niveau d'équipement est très faible. La traction animale n'est presque jamais utilisée, de même que les engrais et pesticides. L'achat de semences améliorées est réservé aux cultures maraîchères.

Sans constituer des activités professionnelles exclusives, certaines activités d'appoint représentent des sources importantes de revenus monétaires supplémentaires pour les agriculteurs. Tels sont le travail de la forge; la construction des cases et greniers; la sculpture et la boucherie; les réparations de motos et vélos et le transport avec charrette; le travail contractuel non-spécialisé dans les champs d'autrui; le tissage et la vannerie; la coiffure; le petit commerce; la confection de plats cuisinés et de bière de sorgho.

Comme le laissent entrevoir la pression démographique élevée, en fonction des ressources disponibles, et les taux annuels de croissance de la population très faibles (47 habitants par km2 et 1,8 pour cent de croissance annuelle dans le Sanguié, contre 95 habitants par km2 et 1,4 pour cent de croissance dans le Bulkiemdé), de nombreux habitants de ces deux provinces sont contraints pour survivre de quitter leur village d'origine en direction de centres urbains ou d'autres régions agricoles plus prospères, qu'il s'agisse du Burkina Faso ou de pays côtiers, notamment la Côte d'Ivoire.

Côte d'Ivoire

En 1995, la Côte d'Ivoire comptait une population avoisinant 14 millions d'habitants dont un peu plus du quart étaient d'origine étrangère. Doté d'un potentiel très diversifié en ressources naturelles, le pays est subdivisé en deux grandes régions agro-climatiques: la région de forêts (140 000 km2) et la région de savane (180 000 km2) qui se caractérisent par une situation démographique et des systèmes d'exploitation agricole très différents. L'agriculture est pratiquée sur environ 70 pour cent de la superficie totale et occupe 60 pour cent de la population. Avec une population rurale estimée à 8,5 millions d'habitants, la densité moyenne de la population rurale est relativement faible (22 habitants par km2).

L'économie ivoirienne repose principalement sur l'agriculture. En 1993, le produit intérieur brut (PIB) de la Côte d'Ivoire se chiffrait à 9,2 milliards de dollars EU. Le secteur agricole contribuait à environ 33 pour cent de ce PIB et, si l'on inclut les produits agro-industriels, à 66 pour cent des recettes d'exportation (Banque mondiale, 1994). En zone forestière, les principales cultures de rente sont le café et surtout le cacao, tandis qu'en zone de savane le coton prédomine. A ces cultures d'exportation, il convient d'ajouter l'huile de palme et l'hévéa. Bien que le pays ne soit pas autosuffisant d'un point de vue alimentaire, la production des denrées alimentaires est très diversifiée: igname, manioc, plantain, riz et diverses autres céréales, sans compter une multitude de fruits tropicaux et de légumes.

Les résultats agricoles sont à la base du relatif développement économique et social dont a joui le pays au cours des années 60 et 70.

En dépit des effets de la crise économique, aujourd'hui encore, l'agriculture demeure l'un des piliers du développement économique du pays.

Notons que les performances en termes de production ont été obtenues au prix d'une grande consommation de l'espace naturel. Le couvert forestier est passé de 16 millions d'hectares, au début du siècle à 12 millions en 1960 et à 2,5 millions actuellement.

Départements de l'enquête. Les deux départements retenus en Côte d'Ivoire présentent des caractéristiques beaucoup plus contrastées que les deux provinces du Burkina Faso. Le département de Korhogo, dans le Nord, ne bénéficie que d'une saison des pluies mais les précipitations annuelles atteignent en moyenne 980 mm et permettent de pratiquer la culture du coton. Plusieurs bas-fonds, aménagés ou non, autorisent également la culture du riz. Le caractère intensif de ces deux cultures force les unités de production à mobiliser une partie importante de leur main-d'œuvre sur une courte période de temps. D'autres céréales, comme le sorgho et le mil, sont également produites en plus d'ignames et d'un peu d'arachides. La traction animale est largement répandue. Petits ruminants et porcins sont également élevés par la population sénoufo qui habite la région.

Même si l'agriculture reste l'activité prédominante, quelques personnes n'en exercent pas moins certaines activités extra-agricoles. C'est ainsi que l'on trouve forgerons, potiers, mécaniciens et tisserands. D'autres personnes, des femmes en particulier, s'adonnent à la vannerie, au petit commerce et à la confection de nourriture. En comparaison avec les provinces de l'enquête du Burkina Faso, la région de Korhogo apparaît relativement bien nantie. Son potentiel de production agricole reste toutefois bien en-deçà de certaines autres régions de la Côte d'Ivoire. Ici encore, l'on assiste à des départs à l'intérieur de la zone ou, le plus souvent, en direction des régions forestières.

Le département de Daloa (Centre-Ouest) présente un potentiel de production agricole nettement supérieur aux trois autres régions. Les terres, généralement riches, permettent la culture du cacao et du café. Les précipitations annuelles, réparties en deux saisons, atteignent entre 1 200 et 1 800 mm, ce qui favorise de nombreuses autres cultures: le coton, sur une petite échelle, l'igname, la banane, le maïs, le riz et l'arachide, pour ne citer que les plus importantes. La présence de la trypanosomiase et le peu d'utilité que représenterait l'attelage dans les plantations de café/cacao expliquent le faible taux de traction animale dans cette région forestière. En revanche, l'élevage de petits ruminants et de volailles est pratiqué, de même que la chasse et la pêche.

L'une des caractéristiques les plus marquantes qui différencie le Centre-Ouest de la Côte d'Ivoire des trois autres zones, c'est que la terre peut y être achetée et vendue. A défaut de pouvoir devenir propriétaire terrien, un agriculteur peut également avoir accès à la terre, grâce à divers arrangements qui permettent de cultiver la terre d'un propriétaire en échange d'une partie de la récolte. Ce type de contrat n'est en vigueur ni dans le Nord du pays ni dans le Centre du Burkina Faso.

Zone d'accueil, par excellence, le département de Daloa abrite une multitude de groupes ethniques très diversifiés: populations locales bété, gouro, niaboi et kouya; ivoiriens venus de régions moins favorisées d'origine baoulé, guére, malinké et sénoufo; et non-ivoiriens en provenance du Burkina Faso et du Mali, du Sénégal, de la Guinée, et du Libéria. En plus d'être une région d'accueil, le département de Daloa exporte de la main-d'œuvre vers les centres urbains: nombre de jeunes dont les familles sont originaires de la zone préfèrent aller tenter leur chance en ville plutôt que de poursuivre la vie d'agriculteurs de leurs parents. Le tableau 2 qui suit résume certaines des caractéristiques essentielles des quatre zones de l'enquête.

Tableau 2: Caractéristiques des quatre zones de l'enquête



Burkina Faso

Côte d'Ivoire

Prov. Du Sanguié

Prov. Du Bulkiemdé

Dépt. de Korhogo

Dépt. de Daloa

Pluviométrie (mm/an)

monomodale 700-900

monomodale 700-900

monomodale 980-/+200

bimodale 1200-1800

Sols

dégradés + érosion

dégradés + érosion

souvent dégradés

riches

Végétation

savane sèche

savane sèche

savane

zone forestière

Cultures vivrières

sorgho, mil, arachide, maïs et voandzou (peu)

sorgho, mil, arachide, maïs et voandzou (peu)

riz, sorgho, mil, maïs, igname, arachide

ignames, bananes, maïs, riz, arachide

Cultures de rente

maraîchage

maraîchage

coton

cacao, café, maraîchage

Elevage

petits ruminants surtout

petits ruminants surtout

bovins, porcins, petits ruminants

négligeable

Type de migrations

pourvoyeuse de main-d'œuvre

pourvoyeuse de main-d'œuvre

pourvoyeuse de main-d'œuvre

à la fois, zone d'accueil et pourvoyeuse de main-d'œuvre


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