TOWARDS PRIVATE LANDOWNERSHIP: THE STATE'S ROLE IN THE MODERNIZATION OF LAND TENURE IN MOROCCO

A clear trend has emerged in Morocco towards the privatization of state, collective and religious orders' landholdings. This trend is encouraged through state policy and programmes. Government incentives to privatization include efforts to streamline the process of land registration and to make it more widely accessible; the adoption of policies to limit land fragmentation as well as to minimize joint holdings (multiple title holders) of private parcels in order to maintain efficiency of private holdings; the standardization and regulation of tenant contracts; and the conversion of state and church-owned lands to private holdings. Observation of the behaviour of rural producers reveals a hesitation on the part of collective rights holders to initiate land improvements, construction projects or plantations compared with private right holders. This is explained in terms of a heightened tenure security of private holders as well as the fact that they are not restricted in their decision-making concerning production strategies and by more reliable access to credit.

HACIA LA PRIVATIZACIÓN DE LAS TIERRAS: EL PAPEL DEL ESTADO EN LA MODERNIZACIÓN DE LOS REGÍMENES DE TENENCIA EN MARRUECOS

En Marruecos ha surgido una clara tendencia en favor de la privatización de las tierras públicas, colectivas y en poder de instituciones religiosas. Esta tendencia es promovida por políticas y programas del Estado. Los incentivos gubernamentales para la privatización incluyen la racionalización y mejora de los procesos de registro de tierras, con el propósito de hacerlos más accesibles; la adopción de políticas para limitar la fragmentación de la tierra y para minimizar las propiedades conjuntas (múltiples propietarios de un solo título) de explotaciones privadas, a fin de mantener su rentabilidad; la estandarización y regulación de los contratos de arrendatarios; y la conversión de las tierras colectivas y en poder de instituciones religiosas en propiedades privadas. A diferencia de los propietarios de derechos privados, se observa que los productores que disponen de derechos colectivos no se deciden a emprender mejoras en los predios, o proyectos de construcción o plantaciones. Esto se explica por una mayor seguridad en la tenencia por parte de los titulares privados, vinculada a su vez a que ellos no se ven limitados en la toma de decisiones relativas a las estrategias de producción, y a que disponen de un mejor acceso al crédito.

Vers la privatisation des terres: le rôle de l'Etat dans la modernisation des régimes fonciers au Maroc

Bensouda Korachi Taleb
Directeur des aménagements fonciers, Ministère de l'agriculture, Rabat

Une tendance nette est apparue au Maroc en faveur de la privatisation des terres domaniales, collectives et de celles à statut religieux. Cette tendance est encouragée par des politiques et des programmes de l'Etat. Les encouragements du gouvernement à la privatisation incluent des efforts de rationalisation du processus d'immatriculation afin de le rendre plus ouvertement accessible; l'adoption des politiques visant à réduire le morcellement et à minimiser l'indivision (droits en commun) des exploitations privées afin d'en maintenir la rentabilité; la standardisation et la régulation des baux ruraux; et la transformation des terres collectives et des terres à statut religieux en exploitations privées. L'observation du comportement des producteurs ruraux révèle une hésitation de la part des tenanciers des terres collectives, si on les compare aux tenanciers privés, à entreprendre des améliorations foncières, des projets de construction et de plantation. Cela est dû à une plus grande sécurité de tenure des titulaires privés, liée au fait qu'ils ne sont pas limités dans leur prise de décisions concernant les stratégies de production et qu'ils ont un meilleur accès au crédit.

Historique du pays

Milieu physique et occupation du sol
Le Maroc comprend quatre grands ensembles agroclimatiques: le Maroc atlantique, aux plaines et plateaux fertiles; les zones de montagne du Rif et de l'Atlas; les hauts plateaux du Maroc oriental; et le domaine prédésertique saharien couvrant 64 pour cent du territoire national.
Au Maroc, les précipitations, généralement modestes, sont extrêmement irrégulières au cours d'une même année ou d'une année à l'autre. La plus grande partie du pays reçoit moins de 500 mm. Au sud de l'Anti-Atlas, la pluviométrie tombe à moins de 100 mm.
La superficie totale du pays est estimée à 71 millions d'hectares ainsi répartis: 9,2 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU), 5,8 millions d'hectares de forêt, 3,2 millions d'hectares de nappe alfatière, 21 millions d'hectares de parcours, et 31,8 millions d'hectares incultes. La SAU représente donc environ 13 pour cent de la surface totale, mais elle connaît une augmentation sensible au détriment des zones réservées au parcours. Ainsi, les surfaces cultivées sont passées de 5 849 700 ha en 1980 à 7 393 500 ha en 1990 (Ministère de l'agriculture et de la mise en valeur agricole).
La surface irriguée de manière pérenne couvre 800 000 ha représentant 10 pour cent de la SAU alors que le potentiel irrigable est estimé à 1 300 000 ha. Le reste de la SAU est constitué par les zones à agriculture pluviale - le bour - dont le potentiel de production est lié à la pluviométrie et à sa répartition.

Population et emploi en milieu rural
La population du Maroc a été estimée en 1993 à 26 millions d'habitants dont 12,9 millions vivent en milieu rural. Depuis 1960, la part relative de la population rurale ne cesse de décroître. La population totale a connu durant les deux dernières décennies un taux de croissance annuel de 3 pour cent, mais ce taux n'atteint que 1,7 pour cent pour la population rurale, en raison essentiellement d'un fort exode vers les agglomérations urbaines. Malgré la baisse relative, la population rurale continuera à augmenter en valeur absolue.
Les études statistiques réalisées en 1986-1987 sur l'emploi en milieu rural ont montré que 43,5 pour cent de la population rurale était active et que le taux d'occupation, (nombre d'actifs occupés rapporté au nombre total des actifs) atteignait 95 pour cent. Le chômage était donc faible. Le problème demeure celui du sous-emploi qui intéresse 23 pour cent de la population âgée de plus de 15 ans. D'autre part, en 1992, on a estimé que le secteur agricole fournissait plus de 50 pour cent de l'emploi total du pays.

Les principaux indicateurs économiques
La production agricole représentait en 1991 près du cinquième du produit national brut (PNB) du Maroc. La part relative du PNB attribuable à l'agriculture subit des fluctuations importantes liées principalement aux conditions de pluviométrie. Ainsi, la production agricole représentait moins de 15 pour cent du PNB en 1981, année marquée par un important déficit pluviométrique.
En ce qui concerne les échanges extérieurs agricoles, l'évolution de la balance agricole durant la décennie 1982-1992 montre que le solde a été déficitaire durant une première période allant jusqu'en 1985, période frappée par une série de campagnes agricoles particulièrement sèches. Les années 1987-1990 ont connu un rétablissement de la balance avec un solde bénéficiaire croissant. Toutefois, les années 1990-1992 n'ont pas connu la consolidation de cette tendance, le solde étant redevenu déficitaire à la suite, notamment, des années de sécheresse en 1991 et 1992 et des restrictions à l'importation imposées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) appliquée par les pays de la CE.
En 1983, le Maroc a entamé un programme de restructuration économique profonde en vue de rétablir les équilibres globaux de la balance des paiements, de la balance commerciale et des finances publiques. La toile de fond de cette restructuration est la privatisation de l'économie nationalisée peu après l'Indépendance et la libéralisation du commerce.

La politique de développement agricole
La stratégie de développement retenue par les premiers plans de développement économique et social (à partir de 1960) a accordé une grande place à l'irrigation en tant que facteur technique pour asseoir une agriculture non aléatoire, susceptible de contribuer pour une bonne part à la satisfaction des besoins alimentaires de base. Depuis lors, la politique d'irrigation n'a cessé de gagner de l'importance. Ainsi, l'objectif a été formalisé dans le Programme national d'irrigation (1993-2000) d'irriguer 1 million d'hectares à l'horizon 2000 dans le cadre de la politique des grands barrages.
En ce qui concerne les zones d'agriculture en sec, les actions sectorielles qui y ont été menées depuis l'Indépendance n'ont permis d'atteindre que des objectifs limités. Une nouvelle stratégie d'intervention dans ces zones fut par conséquent mise en oeuvre à partir de la fin des années 70. Le modèle retenu consiste à entreprendre dans des zones bien délimitées des interventions concourant au développement de ces zones, dans le cadre de projets de développement intégré (PDI). Ces projets prennent en compte l'ensemble de l'activité de l'exploitation agricole située dans son environnement économique et social. Les PDI ont porté sur une superficie de 2 284 000 ha intéressant 233 000 agriculteurs drainant un investissement de 3,5 milliards de dirhams (DH).
Dans les zones de parcours, l'Etat a entrepris, à partir des années 70, des programmes d'amélioration pastorale concernant 33 périmètres totalisant une superficie de 700 000 ha. Onze périmètres ont été créés et délimités par décret à ce jour, sur lesquels des opérations d'ensemencement, de plantation d'arbustes fourragers, de travaux du sol et de mise en défens ont été réalisées sur une superficie d'environ 55 000 ha.
Des programmes de reboisement et de conservation des ressources forestières et de sols sont aussi en cours. L'objectif de ces programmes est de compenser le déboisement auquel les forêts sont soumises (les prélèvements directs en combustibles ligneux sont trois fois supérieurs aux possibilités de la forêt) et de freiner la dégradation des sols due à l'érosion.
La mise en oeuvre de l'ensemble de ces programmes et des autres actions que mène le Ministère de l'agriculture et de la mise en valeur agricole dans le monde rural a nécessité la mise en place de structures d'intervention et d'encadrement. Le Ministère a en outre entrepris des actions d'appui dans tous les domaines se rattachant à la production agricole, notamment en matière de financement, de subvention, de prix, de recherche, de vulgarisation et de formation.

Les régimes fonciers

Le système foncier marocain
Le système foncier marocain se caractérise par une pluralité de statuts juridiques de la terre qui se sont constitués tout au long de l'histoire du pays. Quatre grandes étapes de la formation du système peuvent être distinguées: avant l'Islam, avec l'Islam, sous le protectorat, et depuis l'Indépendance.

Avant l'Islam. Le régime foncier dominant était la terre de tribu dont l'étendue et la localisation dépendaient de la charge démographique, de la capacité du groupe tribal à asseoir et à maintenir sa domination sur le territoire, et des conventions passées avec les tribus voisines. La propriété privée était confinée dans quelques vallées et oasis. La terre n'étant pas rare, elle appartient à la tribu pour autant que celle-ci ait des hommes pour l'occuper et qu'elle dispose de la force militaire nécessaire pour la préserver contre les invasions.

Avec l'Islam. La conquête musulmane s'accompagne de transformations foncières importantes. Sur toutes les terres de conquête, une distinction est faite entre la propriété éminente (raqaba) et l'usufruit (intifâa ou menfâa). Le droit éminent appartient à la communauté musulmane (oumma) et est exercé par le souverain au nom de la communauté. L'usufruit est accordé aux occupants des terres en tant que groupe social: la tribu.
La progression de l'Islam s'est traduite par une adoption massive de la nouvelle religion par les tribus autochtones. La soustraction de ces tribus au régime fiscal de kharaj - une taxe imposée sur les non-musulmans en contrepartie de l'usufruit des terres - a eu pour conséquence une baisse des rentrées fiscales de l'Etat. Cette situation a amené ce dernier à procéder à une réforme d'importance historique consistant à déclarer les terres encore soumises à l'impôt de kharaj, terres de kharaj à titre définitif.
A partir de cette réforme, on distingue trois catégories de statuts fonciers:

Sous le protectorat. A la fin du siècle dernier, des changements importants sont intervenus dans les rapports fonciers suite à la pénétration européenne. Le mouvement de colonisation avait déjà commencé avant l'instauration du protectorat français, mais ce n'est qu'à partir du moment où les français eurent de l'emprise sur le pouvoir que la vraie colonisation s'amorça par la confiscation, l'installation de périmètres de colonisation, aussi bien sur les terres réclamées par l'Etat que sur les terres collectives, et par des achats privés de terres melk. Ce mouvement fut renforcé par l'arrivée en grand nombre de colons d'Algérie ayant déjà l'expérience de l'agriculture en Afrique du Nord et disposant en général de capitaux importants. Vers la fin du protectorat, les colons avait occupé environ 1 million d'hectares, soit près d'un cinquième des terres cultivables et, en général, les meilleures.
Parallèlement à cette installation, l'Etat colonial entreprit de mettre en place l'arsenal juridique nécessaire pour légaliser l'occupation des terres par les colons. C'est ainsi qu'il étendit le domaine de l'Etat, en y distinguant le domaine public et le domaine privé de l'Etat, restaura et renforça la tutelle de l'Etat sur les terres collectives et instaura le régime de l'immatriculation foncière pour garantir les droits des acquéreurs.
Un nouveau système d'immatriculation des immeubles fut donc institué, inspiré de l'Acte Torrens australien, aboutissant à l'inscription sur les livres fonciers qui seule établit et constitue le droit de propriété et tout autre droit réel sur l'immeuble concerné. La décision d'immatriculation, en produisant un effet de purge juridique des droits antérieurs, rend le titre foncier délivré définitif et inattaquable. Une fois cette immatriculation accomplie, l'immeuble est irrévocablement soumis au Code foncier des immeubles immatriculés promulgué en 1915.
En outre, et dans le double objectif de protéger la propriété coloniale et de retenir la paysannerie à la campagne pour limiter l'exode rural et les dangers de l'urbanisation, un dispositif juridique de protection des terres de tribu, dites terres collectives, fut mis en place. Ainsi, le dahir (décret) du 27 avril 1919 relatif à ces terres, les rend inaliénables, insaisissables et imprescriptibles.
Malgré les empiétements ultérieurement autorisés sur ces terres, ces dispositions ont été efficaces dans la mesure où près de 10 millions d'hectares de terres collectives, dont 1 million de terres cultivables, ont été préservés contre les démembrements. Cependant, les collectivités sont maintenues dans un état de dépendance totale et soumises à la tutelle de l'administration: les jemâa qui les représentent (assemblées des délégués) ne peuvent prendre aucune décision importante sans son autorisation.
Ainsi, à la veille de l'indépendance du pays, le régime foncier institué par la colonisation se caractérise par l'émergence de la grande propriété privée capitaliste dont le droit de propriété est garanti par l'instauration de l'immatriculation foncière et le cantonnement de la grande masse de la paysannerie marocaine sur des terres collectives. En plus, ces terres collectives, malgré les mesures de protection dont elles font l'objet, vont connaître diverses formes d'appropriation de la part des colons, de certains notables, de melkites riverains, ou des ayants droit mieux placés que les autres. La propriété melk s'étend ainsi au détriment des autres statuts fonciers et se consolide par concentration et par introduction de processus de production capitalistes.

Depuis l'Indépendance. En 1956, après l'Indépendance, le Maroc entreprit la récupération du patrimoine foncier détenu par les colons. Dans le cadre de la réforme agraire, une partie du patrimoine récupéré des anciens colons fit l'objet de redistribution à de petits agriculteurs et à des paysans sans terre (80 pour cent des distributions se sont faites entre 1971 et 1980). La gestion de l'autre partie a été confiée dans un premier temps à l'administration, puis à des sociétés d'Etat créées à cet effet.
Pour sauvegarder la productivité des terres attribuées, les bénéficiaires des distributions ont été regroupés en coopératives ayant pour objet de faciliter l'exploitation des lots, notamment en assurant les travaux mécaniques, l'approvisionnement en facteurs de production et la commercialisation de la production. Afin d'éviter tout morcellement ultérieur, les lots attribués sont déclarés, en vertu de dispositions légales particulières (dahir n° 1.72.277 du 29 décembre 1972) impartageables, inaliénables sauf au profit de l'Etat et insaisissables. Au décès de l'attributaire, un seul de ses héritiers prend possession du lot, à charge pour ce dernier d'indemniser de leurs droits les autres cohéritiers.
Ainsi, le démantèlement du secteur de la colonisation donne naissance à deux statuts fonciers nouveaux: le statut de la réforme agraire et le statut des terres domaniales gérées par des sociétés d'Etat. Néanmoins, il est à noter qu'en termes de superficie ces nouvelles catégories - qui s'appliquent à moins de 2 pour cent de la SAU3 - restaient insignifiantes par rapport aux terres sous un statut de melk privé (81 pour cent de la SAU) ou de terres collectives (11,9 pour cent).
L'une des premières lignes de force du développement agricole du Maroc indépendant a été l'extension de l'irrigation, qui s'est concrétisée dans la politique des grands barrages, et dont l'objectif était d'irriguer 1 million d'hectares. Le modèle mis au point pour atteindre cet objectif comporte une importante composante concernant le régime juridique des terres situées dans les périmètres d'irrigation.
Les pouvoirs publics ont constaté les obstacles aux conditions nécessaires à une mise en valeur intensive dans le cadre des terres collectives, des terres guich et des terres habous4: la diversité de statuts juridiques, les morcellements excessifs, les propriétés consécutives aux dévolutions successorales et l'existence de modes de faire-valoir indirects dont la précarité décourage l'investissement. Le principe adopté était que la propriété privée immatriculée constitue le statut le plus dynamique et le plus adéquat à une modernisation des processus de production. Les pouvoirs publics ont ainsi élaboré une politique foncière novatrice et axée sur la substitution de formes modernes de propriété et d'exploitation aux institutions traditionnelles, dont les principes généraux sont:

Ces transformations d'ordre juridique sont accompagnées de mesures d'incitation à l'investissement (crédit et subventions), qui permettent l'ouverture des exploitations à la modernisation. La réorientation des efforts de l'Etat en matière de développement agricole vers les zones d'agriculture pluviale (zones bour), amorcée ces dernières années, s'accompagne d'une extension de ces transformations juridiques à ces régions.
Le sens de l'évolution actuelle laisse prévoir, dans un avenir proche, un régime foncier unifié et simplifié dans lequel ne subsisteront que deux catégories de terres: les terres du domaine public et la propriété privée.

Quelques caractéristiques des régimes fonciers marocains

Les terres melk
Selon le recensement agricole de 1973-1974, les terres sous statut melk couvrent 74,3 pour cent de la SAU totale au niveau national, terres sur lesquelles sont situés 89 pour cent de l'ensemble des exploitations ayant de la SAU. La superficie moyenne par exploitation, très faible, ne dépasse pas 4,10 ha et la terre est inégalement répartie entre les exploitations.

L'indivision. L'indivision est la situation juridique où au moins deux personnes sont titulaires en commun de droits de même nature exercés sur un même bien ou sur un même ensemble de biens, sans qu'il y ait division matérielle de leurs parts. La propriété melk individuelle est souvent menacée de tomber dans l'indivision et ce, suite à l'application de la loi successorale du droit musulman. En effet, la propriété melk individuelle n'est qu'une situation provisoire, et celles qui résultent d'un achat récent tomberont inéluctablement dans l'indivision au décès de l'acheteur.
Les effets de telles situations sont généralement négatifs. D'abord, il existe une incertitude concernant les exploitations réelles constituant la propriété indivise. Ensuite, il y a une confusion quant au titulaire du pouvoir de décision. Enfin, si elle arrive à éviter ou à retarder le morcellement, l'indivision ne peut pas éviter le partage de revenus.
Les statistiques relatives à l'indivision des terres melk ne sont pas disponibles au niveau national. Cependant, des enquêtes régionales en ont révélé l'importance grandissante. A titre d'exemple, dans la région du Gharb, le nombre de propriétés dans l'indivision représente en moyenne 62 pour cent du nombre total de propriétés de la région. Cette moyenne atteint 80 pour cent dans les grandes exploitations.
L'intensité de l'indivision, nombre moyen d'indivisaires par propriété indivise, y est de 7,36, mais varie entre 5 et 20 selon les secteurs et selon la dimension des exploitations. La part moyenne par indivisaire, qui est de 1,09 ha, est largement inférieure à la superficie de l'exploitation supposée viable.

Le morcellement des terres melk. Les terres melk, en tant que propriété privée, sont les seules susceptibles de dévolution successorale. Qu'elles soient immatriculées ou non, les terres melk relèvent des règles de transmission successorale instituées par la chari'a et reprises par la moudawana, Code du statut personnel marocain. Les partages portent sur toutes les parcelles des propriétés du décédé et la répartition des quotes-parts des héritiers est effectuée en tenant compte des différences de qualité des sols, des cultures en place, et des avantages de localisation des parcelles.
Il ressort du recensement agricole de 1973/1974 que la SAU, estimée à l'époque à 7,2 millions d'hectares, est répartie en 8,8 millions de parcelles qui, ramenées au nombre d'exploitations (1 467 000), donne un nombre moyen de parcelles par exploitation de six et une superficie moyenne par parcelle de 0,8 ha. Toutes les catégories d'exploitations sont touchées par le morcellement, le nombre moyen de parcelles par exploitation variant entre 5,48 pour les très petites exploitations à près de 10 pour les très grandes. Cette situation, qui prévalait il y a 20 ans, a certainement dû évoluer dans le sens d'une aggravation.

Les terres collectives et guich
Avec les mutations subies par la société tribale, les tribus ont procédé progressivement à des modifications du mode de gestion et de fonctionnement des terres collectives. Ainsi, les terres collectives de parcours demeurent franchement communes, à l'usage de tous les membres du groupement, sans qu'aucune limite ne leur soit assignée. Par contre, les terres cultivables de cette catégorie font l'objet d'une répartition précise par tente ou par famille.
La superficie totale des terres collectives au Maroc s'élève à environ 10 millions d'hectares. Selon le recensement agricole de 1973/1974, la superficie des terres collectives cultivables s'élève à 1 009 900 ha exploités individuellement; la superficie restante, de l'ordre de 9 000 000 d'hectares, est destinée au parcours et est exploitée en commun. De nos jours, ces terres collectives sont régies par une série de textes législatifs et réglementaires 5.
Cependant, les terres collectives de parcours, qui sont souvent des terrains revêtant un caractère marginal pour les cultures annuelles, sont exploitées en commun, sans aucune division préalable entre les membres de la tribu. La jouissance pastorale est régie par la coutume et le mode de gestion des parcours reste assujetti aux décisions de la collectivité.
A l'origine, la superficie totale des terres guich (voir note 2, p. 74) s'élevait à 768 705 ha. Actuellement, cette superficie atteint à peine 208 783 ha, presque 73 pour cent de la superficie initiale du guich ayant changé de statut et ayant été intégrée aux autres statuts, notamment le melk privé, le collectif et le domanial. Actuellement, ces terres représentent 4,4 pour cent de la SAU nationale et englobent 2,9 pour cent des exploitations.
Généralement, le partage des terres collectives entre les ayants droit est bloqué au niveau des terres situées dans les périmètres d'irrigation et celles situées en zone bour favorable 6 . La conclusion que l'on peut tirer est que le statut des terres collectives évolue irrémédiablement vers le statut privé. Toutes les pratiques de fait et de droit (occupations, améliorations, etc.) sont utilisées pour montrer que la terre est appropriée et devient privée. 

Les terres habous
Le habous (voir note 4, p. 75) est aussi une institution en voie de disparition. Par exemple, le dahir n° 1-69-28 du 25 juillet 1969 transfert à l'Etat la propriété des terres agricoles ou à vocation agricole constituées en habous, situées à l'intérieur des périmètres d'irrigation. Le dahir du 8 octobre 1977 autorise le Ministère des habous à procéder à la liquidation de certains immeubles habous privés et à prélever le tiers de leurs prix. Les terres habous ne représentent que 1,1 pour cent de la superficie cultivable du pays.

Le régime foncier des terres distribuées dans le cadre de la réforme agraire
En 1965, une étude fut entreprise pour déterminer les formes de distribution à adopter dans le cadre d'une opération plus importante, intervenant après la première récupération par l'Etat des terres détenues par les colons. La formule retenue pour ces distributions est la distribution de lots individuels en propriétés suffisamment grandes pour assurer le plein emploi de la main-d'oeuvre familiale. Cette formule visait aussi à l'intégration des propriétaires dans le cadre de coopératives. En outre, en 1972, fut introduite l'attribution de lots collectifs dont la propriété et l'exploitation devaient être assurées de façon collective entre tous les attributaires d'un même lotissement.
La superficie totale distribuée dans la cadre de la réforme agraire s'élève à 320 000 ha et a bénéficié à 24 000 attributaires regroupés dans 725 coopératives. Les distributions opérées entre 1971 et 1980 représentent près de 80 pour cent de la superficie totale distribuée. La taille moyenne des lots distribués a oscillé entre 5 ha dans les périmètres irrigués et 25 ha dans les zones bour défavorables.
Par souci de maintenir l'unité des exploitations attribuées, et d'éviter leur transfert à des personnes ne remplissant pas les conditions requises pour en bénéficier, les lots sont déclarés impartageables, insaisissables et incessibles, sauf au profit de l'Etat. En cas de décès de l'attributaire initial, le lot doit être dévolu à un seul de ses héritiers, à charge pour lui d'indemniser les cohéritiers du montant de leurs droits. En cas de non-respect de ces interdictions et obligations, l'attributaire est passible de déchéance de son droit sur le lot, ce dernier faisant retour à l'Etat en vue de le réattribuer à une autre personne.

Les terres du domaine privé de l'Etat
Origine et importance foncière. L'Etat, grâce aux actes législatifs de récupération, d'expropriation et de transfert des terres, a disposé dans son patrimoine foncier de terres agricoles ou à vocation agricole d'une superficie de 1 039 685 ha. De ce patrimoine foncier, plus de la moitié (576 198 ha) a été distribuée ou affectée; le cinquième (216 469 ha) est classé non mobilisable à court terme; et environ le quart (247 018 ha) a été affecté aux sociétés d'Etat. Pour ce qui est des terres gérées par les sociétés d'Etat, leur caractéristique principale réside dans la nature de cette gestion qui, malgré les efforts entrepris pour en intensifier la mise en valeur, revêt un caractère administratif et bureaucratique.

Les modes de faire-valoir
Un des traits les plus communs de l'économie rurale de l'Afrique du Nord est la dissociation entre propriété foncière et exploitation agricole. Cette dissociation plonge ses racines dans l'histoire et intervient à partir du moment où des inégalités apparaissent dans la répartition de la propriété foncière et des moyens de production nécessaires à son exploitation.
Ainsi, on constate l'émergence des systèmes de métayage et de location fondés sur l'association de facteurs de production différents. Ces associations intègrent le partage des risques et celui des résultats en fonction des apports de chacun. Le recensement agricole de 1973/1974 fait apparaître une superficie exploitée en mode de faire-valoir indirect de 12,6 pour cent, mais certaines enquêtes locales ont montré que ce pourcentage pouvait atteindre 30 pour cent dans certaines régions.

Forces et faiblesses des modes de tenure collectifs et privés

Investissement et financement
Les exploitations en propriété privée. Les données montrent que l'investissement agricole privé est lié à la taille de l'exploitation 7. Ainsi la grande propriété agricole a tendance à mobiliser des moyens de production tels que les équipements en matériel, les constructions, les aménagements fonciers, le cheptel de rente et les plantations en vue de maximiser la productivité agricole. La petite propriété, quant à elle, vise essentiellement l'augmentation de la production en vue de satisfaire en priorité les besoins d'autoconsommation familiale en recourant à l'acquisition de cheptel de rente.
Dans le cas particulier des secteurs irrigués et des zones bour d'agriculture intensive où l'eau d'irrigation n'est pas un facteur limitant, le volume et l'intensité de l'investissement sont deux facteurs très importants. Les principales raisons résident dans le fait que ces propriétés exercent une agriculture non aléatoire, rémunératrice et offrant aux organismes de crédit les garanties requises.

Investissement et financement dans le secteur de la réforme agraire. Depuis sa création, le secteur de la réforme agraire a bénéficié d'un encadrement technique intensif et du soutien de l'Etat pour en faire un secteur moderne pilote. De ce fait, en moyenne 4,3 pour cent du crédit agricole est attribué annuellement aux coopératives de la réforme agraire, alors que celles-ci ne représentent que 2,9 pour cent de la SAU nationale.

Investissement et financement dans les terres de tenure collective. A l'exception du melk où la propriété est occupée à titre individuel et définitif, situation propice à l'investissement et au développement agricole, les autres statuts ne permettent pas d'améliorer les structures de production. On constate, dans les terres de tenure collective, de faibles investissements privés en matière de construction en dur, d'aménagement foncier et de plantation, en raison de l'instabilité dans l'occupation de la terre. On cite par exemple le cas du Gharb (nord-ouest du pays), où une étude réalisée en 1986 sur les terres de tenure communale des Chrarda (région du Gharb) a attribué la faiblesse des investissements aux difficultés d'accès au crédit agricole.
Plusieurs raisons sont à l'origine de la faiblesse des crédits accordés aux exploitants des terres collectives. Parmi les plus importantes, on cite le caractère insaisissable des terres collectives et la dévolution successorale. En effet, au décès d'un ayant droit, s'il n'a pas laissé de descendants mâles, sa part est récupérée par la collectivité pour la réattribuer à de nouveaux ayants droit. Cette discontinuité de la possession de la part dans la famille et sa dévolution à un autre ayant droit non endetté posent le problème du remboursement des prêts octroyés au défunt.
On peut donc affirmer que l'investissement est élevé dans la propriété privée et plus particulièrement celle immatriculée en comparaison avec le régime de tenure communale. Toutefois le morcellement excessif et l'exiguïté des exploitations constituent un frein commun caractérisant la petite propriété melk et les terres communales.

Production
Près de 75 pour cent des exploitations agricoles ont une superficie inférieure à 5 ha et se consacrent en grande partie à l'agriculture vivrière. En effet, les petits paysans ne disposant pas de fonds nécessaires pour l'intensification de la production se préoccupent d'assurer leur autosuffisance en denrées de base. D'autre part, ils cherchent à compenser leur SAU réduite par l'intensification de la production animale.
Les données existantes sur les propriétés de la réforme agraire permettent de constater que l'espace agricole est exploité de façon plus rationnelle qu'au niveau du secteur agricole national dans son ensemble. En effet, ces données font ressortir que la part des cultures intensives dans l'assolement, les niveaux d'utilisation des facteurs de production ainsi que les rendements sont plus élevés dans le secteur de la réforme agraire.

Revenus
L'analyse comparative du niveau des revenus par statut foncier permet de conclure que ce dernier est plus élevé dans les terres melk que dans les terres collectives. La faiblesse des investissements et des charges variables de production engagées, ajoutée à la pratique d'une agriculture vivrière non rémunératrice, expliquent la faiblesse chronique du revenu des terres collectives. Par contre, le revenu agricole annuel moyen des agriculteurs du secteur de la réforme agraire ont atteint un taux d'accroissement moyen annuel de 14 pour cent environ. Dans les terres melk, on note que le revenu agricole augmente proportionnellement à la superficie cultivée et à la taille du cheptel bovin, d'une part, et à la contribution des cultures maraîchères et de l'arboriculture, d'autre part.

Emploi
Le recrutement de salariés permanents reste une caractéristique spécifique des propriétés privées. Il s'agit, pour les moyennes exploitations, de bergers et de gardiens de nuit et, pour les grandes exploitations, d'ouvriers agricoles. Aux niveaux des terres collectives et de la petite propriété privée (petite taille et faibles activités) le recours à une main-d'oeuvre salariée est faible du fait de l'abondance de la main-d'oeuvre familiale. Quant aux terres collectives de parcours, elles sont exploitées d'une façon extensive limitant les possibilités de création d'emplois.

Cohésion sociale et solidarité familiale
Comme dans l'ensemble de l'Afrique du Nord, l'organisation sociale traditionnelle du Maroc reposait sur le principe des liens du sang. L'unité de base de cette structure sociale était la famille qui réunissait, sous un même toit, trois à quatre générations dont la cohésion était assurée par le sentiment d'appartenance à une même lignée et par le travail de l'ensemble des membres au sein d'une même exploitation.
Cette cohésion a été renforcée par la mise en place de structures ayant pour finalité d'assurer la préservation du patrimoine des collectivités ethniques contre toute forme de dilapidation. C'est ainsi qu'à partir de 1919 furent institués un Conseil de tutelle et des représentants choisis parmi les membres de la collectivité et ayant comme tâche principale la gestion du patrimoine foncier sous réserve des pouvoirs que détient la tutelle.
Cependant, durant ces dernières années, et pour des raisons variées, cette cohésion ne cesse de s'effriter et de diminuer d'importance. Dans le passé, la terre, principal facteur de production, était disponible et suffisait à tous les membres du groupe. Il n'y avait donc pas de tension au sein de la collectivité pour l'accès à la terre. Cette situation a changé avec la pression démographique et la rareté relative de la terre.
C'est ainsi que des conflits apparaissent entre les collectivistes possédant des parts sur le collectif et ceux qui en sont dépourvus. En outre, le renforcement des structures de l'Etat a eu pour conséquence l'effritement des pouvoirs détenus par les groupements ethniques et le transfert d'une partie de leurs prérogatives aux nouvelles institutions élues, et donc la dislocation de la cohésion tribale.
Un autre phénomène qui a nui à la cohésion sociale des groupements ethniques est la tendance vers l'individualisation des modes de tenure et d'exploitation. Cette tendance est générée et renforcée par l'insertion des agriculteurs dans une économie de marché caractérisée par la recherche du profit, et par l'intensification des processus de production à laquelle l'ancien mode de fonctionnement des collectivités ne peut plus répondre.

Justice sociale
Le mode de tenure collective était dicté par des considérations sociopolitiques et économiques qui ont marqué l'histoire du Maroc. Ces modes répondaient à l'époque à des besoins spécifiques de développement économique et de stabilité sociale. Cependant, les pratiques de partage périodique de la tenure se sont révélées incompatibles avec les nouvelles perceptions du développement agricole. Le blocage des partages a conduit à une privatisation de fait des terres collectives. La légalisation de ces situations de fait, entreprise par l'Etat dans les périmètres d'irrigation, n'a fait que répondre aux souhaits des collectivistes de se stabiliser définitivement sur les quotes-parts qui leur sont attribuées, ce qui constitue une justice sociale en leur faveur.

Protection de l'environnement
Par les garanties et la stabilité qu'elle offre aux exploitants, la propriété melk permet d'entreprendre des opérations et d'adopter des techniques visant à protéger leur patrimoine foncier contre la dégradation. Par contre, en raison de l'absence de telles garanties, l'exploitant cherche au niveau des terres collectives à tirer le maximum de bénéfices en utilisant des moyens peu onéreux qui, hélas, contribuent à la dégradation de la structure du sol.
On note, en fait, l'absence de toute opération de conservation des sols ou d'aménagement foncier au niveau des terres de culture. Dans les terres collectives de parcours, les restrictions prévues par la législation sont rarement respectées (capacité de charge et durée de rotation), ce qui explique, en grande partie, l'exposition de ces terres à la désertification et à la déforestation. Plus grave encore est la dégradation des terrains de parcours à la suite de leur mise en culture sporadique qui a fait disparaître le couvert végétal naturel qui assurait une réelle fixation du sol et l'équilibre écologique de vastes régions. On estime qu'en l'espace de 30 ans, 2 millions d'hectares de parcours ont été défrichés, la plupart résultant désertifiés.

Les politiques foncières de l'État et leur impact
Dans les chapitres précédents, nous avons mis en évidence le poids des contraintes foncières sur le développement agricole du pays. Pour contrecarrer ces contraintes, les efforts du Gouvernement marocain visent à consolider le droit de propriété des agriculteurs par le biais de l'immatriculation, à restructurer l'espace agricole cultivable en vue de créer des parcelles continues et régulières au moyen du remembrement, à préserver les terres agricoles contre le morcellement, à garantir des modes de tenure adaptés à une mise en valeur rationnelle grâce à l'apurement de la situation juridique des terres collectives et guich, et à doter les petits agriculteurs et les paysans sans terre de lots viables par le biais de la distribution de terres.

L'immatriculation foncière
L'immatriculation foncière a été introduite au Maroc en 1913. Son régime dérive de l'Acte Torrens mis au point en Australie en 1858, ayant pour but de définir et de garantir le droit de propriété, les limites des immeubles ainsi que les servitudes s'y rapportant. L'immatriculation d'un immeuble entraîne sa soustraction au droit musulman et sa subordination au dahir de 1915 précité dit Code foncier.
Bien que l'immatriculation foncière joue un rôle économique et social important, son extension demeure relativement limitée. En effet, même si l'opération d'immatriculation procure des avantages indéniables, assure la stabilité garante de l'accès au crédit (particulièrement auprès de la Caisse nationale de crédit agricole) et favorise les investissements et les améliorations foncières, la surface immatriculée en 80 années représente 50 pour cent de la SAU.
Parmi les raisons du retard de l'immatriculation au Maroc, il y a lieu de citer: la complexité des procédures prévues par le dahir du 12 août 1913, la lenteur administrative, l'ignorance de la part des agriculteurs des avantages qu'offre cette opération, et le caractère facultatif de l'immatriculation. Face à cette situation, le Gouvernement marocain a adopté certaines mesures favorisant l'immatriculation, telles que la simplification de la procédure de l'immatriculation, la réduction des charges et les actions de vulgarisation (formation du personnel, sensibilisation, etc.).

Le remembrement rural
Le remembrement rural est conçu dans le but essentiel d'améliorer les conditions d'exploitation des propriétés agricoles en groupant les parcelles éparpillées pour constituer une nouvelle configuration de parcelles adaptées aux aménagements, équipements et travaux susceptibles de leur être appliqués. Le remembrement rural est une opération entreprise par l'Etat et revêt, de ce fait, un caractère d'utilité publique, obligatoire. Il touche un point très sensible, à savoir le droit de propriété.
Certaines difficultés sont inhérentes à la complexité de l'opération, à la diversité des intervenants et aux bouleversements qu'elles occasionnent dans les rapports des agriculteurs à leurs parcelles. Ils y voient avant tout une dépossession de leur bien et des séries d'interdictions. A cela s'ajoutent des problèmes d'ordre technique relatifs à une évaluation objective des coefficients d'équivalence entre parcelles et aux difficultés d'établir la valeur exacte des plus-values (plantations, aménagements fonciers, constructions et amendements).
En outre, une fois le remembrement achevé, se pose le problème de son maintien. Conscients des freins que constituent ces difficultés à une extension significative du remembrement, les responsables de l'opération ont élaboré un programme d'action axé sur la sensibilisation des agriculteurs, la formation du personnel, la simplification des procédures et le contrôle des morcellements.
Les réalisations de remembrement en zone irriguée ont porté jusqu'à nos jours sur une superficie de près de 500 000 ha dont 75 000 ha sont en cours de réalisation. Dans les zones bour, cette opération n'a pas connu de réalisations importantes, puisqu'elle n'a couvert qu'une superficie de 71 000 ha. La réussite des projets réalisés en bour a été à la base du lancement d'un nouveau programme de 76 500 ha, actuellement en cours d'exécution. En outre, un programme d'environ 350 000 ha à réaliser sur cinq ans est en cours de préparation.

La limitation du morcellement
La limitation du morcellement a, dès les années 60, constitué une constante de la politique foncière du Maroc. Mais ce n'est qu'en 1969, dans le cadre du Code des investissements agricoles, qu'un texte de loi spécifique au morcellement dans les périmètres d'irrigation a été promulgué. En vertu de cette législation, sont interdits:

Cependant, et hormis le cas des lots distribués dans le cadre de la réforme agraire sur lesquels l'Etat a exercé un contrôle très serré, ces dispositions n'ont pas été respectées. Les partages de fait entre indivisaires ont continué à se réaliser en contravention aux dispositions édictées. Les raisons de la non-application de ces dispositions sont diverses, mais on peut citer:

  1. la croissance démographique;
  2. le manque d'incentifs (l'impossibilité pour les acquéreurs de bénéficier de crédits);
  3. le fait qu'il n'existe aucune structure chargée du contrôle des transactions et des modes d'exploitation;
  4. le fait que les notaires traditionnels (adouls) ont continué à appliquer le régime successoral habituel; et
  5. la promulgation de la loi n'a pas été accompagnée par des campagnes d'information et de sensibilisation auprès des agriculteurs.

C'est pour remédier à ces insuffisances qu'un projet de loi a été récemment élaboré. Le projet de loi, tout en maintenant les interdictions édictées, prévoit la mise en place d'un crédit foncier - substantiellement bonifié par l'Etat, pour financer les désintéressements entre cohéritiers - et des structures administratives et de commission, auxquelles participeront les agriculteurs, pour le contrôle des opérations immobilières.
Il est également prévu de mener des campagnes de sensibilisation auprès des agriculteurs et du personnel judiciaire local, sur les dispositions de limitation du morcellement. En outre, ces dispositions seront applicables non seulement dans les périmètres d'irrigation, mais également dans les zones bour cultivables situées à l'intérieur de périmètres délimités et dans les secteurs remembrés.

La réglementation des baux ruraux
Compte tenu des caractéristiques des structures foncières du Maroc, les baux ruraux peuvent être un moyen de constituer des exploitations viables. Dès lors que les conditions de passation des baux sont fixées de telle sorte qu'elles permettent aux donneurs et aux preneurs de bénéficier de toutes les garanties nécessaires, le mode de faire-valoir indirect peut devenir le moyen de résoudre les problèmes posés par les structures foncières.
La durée de location doit correspondre à un ou plusieurs cycles de rotation des cultures prévues au plan d'assolement. Les contrats de location indiquant l'état civil des parties, la consistance des immeubles et le montant du loyer, doivent être établis par écrit et reportés sur des registres spéciaux paraphés par l'autorité locale et tenus par des personnes assermentées, désignées par l'administration.
Dans le but de corriger les insuffisances de la législation en vigueur, le Ministère de l'agriculture et de la mise en valeur agricole se propose d'élaborer un projet de loi visant à réglementer les locations de terres agricoles, en y intégrant les principes susmentionnés. La nouvelle législation envisagée prévoit d'élargir le champ d'application pour intéresser aussi bien les terres irriguées que le bour, et de définir les moyens et mesures nécessaires pour en contrôler l'application.

La distribution de terres agricoles du domaine privé de l'Etat
Bien que des résultats appréciables aient été obtenus aux niveaux de la production et des revenus dans le secteur de la réforme agraire, un certain nombre de difficultés en ont empêché l'essor escompté. Le droit de propriété des lots attribués dans le cadre de la réforme agraire est grevé de restrictions, notamment en matière de liberté de cession et de dévolution: la cession ne peut intervenir qu'au profit de l'Etat, et la dévolution successorale des lots ne peut revenir qu'à un seul des héritiers. En outre, les lots étant insaisissables ne sont pas susceptibles d'hypothèque. Ces restrictions ont limité considérablement l'engagement des attributaires dans le processus de mise en valeur de leur lots et d'investissement à long terme.
En dehors de ces restrictions portant sur le droit de propriété, le retard dans la remise des titres fonciers aux attributaires, la menace de déchéance de leur droit de propriété qui pèse sur eux de façon perpétuelle, les interdictions concernant le financement individuel, l'acquisition de certains équipements et le mode d'exploitation constituent autant de handicaps majeurs à l'investissement sur les lots distribués et, par conséquent, au développement du secteur. Ces difficultés ont poussé les autorités gouvernementales à surseoir à toute nouvelle distribution en attendant que de nouvelles modalités soient élaborées.
C'est dans ce sens qu'une nouvelle législation est en cours de préparation. La nouvelle législation prévoit une levée des obligations et des restrictions auxquelles étaient soumis les bénéficiaires et qui limitaient leur engagement dans les processus de production intensifs générateurs d'emplois et de valeurs ajoutées additionnelles.

La privatisation des terres collectives et guich
Les terres collectives et guich sont caractérisées par un mode de fonctionnement inefficace favorisant le morcellement des propriétés agricoles et l'instabilité des ayants droit, situation propice à une dégradation progressive de ce patrimoine foncier et à une baisse de son niveau de productivité. Pour rendre ces terres aptes à participer efficacement à l'épanouissement du secteur agricole, il est apparu nécessaire d'adopter une stratégie devant aboutir à leur assainissement et à leur privatisation.

CONCLUSION

Dans cette étude, l'accent a volontairement été mis sur l'investissement compte tenu de l'importance que celui-ci revêt dans le processus de production agricole. Il apparaît ainsi que la stratégie de l'agriculteur en matière d'investissement est fortement influencée, entre autres facteurs, par la nature du statut juridique des terres qu'il exploite. La comparaison de base est celle entre les terres de propriété privée - melk - et les terres de propriété collective.
Dans les terres sous statut melk - notamment dans le cas où les terres sont immatriculées - le droit de propriété est garanti et l'exercice de ce droit n'est entaché d'aucune restriction. Ainsi les agriculteurs entreprennent des investissements dont le volume dépend de la taille de leur exploitation et des ressources financières qu'ils peuvent mobiliser à cet effet - notamment par le biais du crédit agricole dont la préférence en matière de financement d'investissements à long terme est accordée aux titulaires du droit de propriété. Par contre, dans les terres collectives et guich, qui n'offrent pas aux exploitants une telle garantie, le niveau de l'investissement est faible. Ce contraste est frappant surtout en ce qui concerne les aménagements fonciers, les plantations et les constructions.


1 Le terme «melk» signifie la propriété privée de type individuel. Sa singularité sera expliquée un peu plus loin.

2 Le guich est un phénomène très ancien au Maroc. Pour s'assurer des contingents fidèles, les sultans avaient réparti la plupart des terres entourant les grandes villes du Maroc entre un certain nombre de tribus dites guich, par altération du terme djich (troupe armée).

3 Ces chiffres, ainsi que les deux suivants, proviennent du Recensement agricole 1973/1974.

4 Le habous est une institution de droit musulman qui se présente sous la forme d'un bien qu'un donateur peut destiner au service d'une oeuvre religieuse charitable, humanitaire, sociale, voire même d'esthétique publique. Cette catégorie de terres ne représente que 1,2 pour cent de la SAU du Maroc. Ces terres peuvent évoluer en d'autres formes de propriété: elles peuvent faire l'objet de titres privés des dévolutaires. Ces derniers en auront la pleine jouissance jusqu'à l'extinction éventuelle de leur descendance; dans ce cas le bien est versé dans le patrimoine de habous public.

5Les principaux sont: le dahir du 27 avril 1919 qui constitue la charte principale des terres collectives situées en zone bour; le dahir du 18 février 1924 portant règlement spécial pour la délimitation des terres collectives; la circulaire n° 2977 INT/DA/CD en date du 13 novembre 1957 qui vise à uniformiser les conditions d'éligibilité à une part sur le collectif, les modalités des partages et leur périodicité; et le dahir n° 1-69-30 du 25 juillet 1969 relatif aux terres collectives situées dans les périmètres d'irrigation.

6Voir, par exemple, le dahir portant loi n° 1.69.30 du 25 juillet 1969 relatif aux terres collectives situées dans les périmètres d'irrigation. Cette loi renforce la stabilisation des ayants droit sur leurs lots en bloquant définitivement le partage des terres irriguées.

7Selon une étude réalisée dans la Province de Ben Slimane. L'enquête a porté sur un échantillon de 487 exploitations et les données sont étalées sur une période de 14 ans (1975-1989).