RAKOTOARISOA Clément - Chef de la Division Pisciculture et Centres Piscicoles - D P A
1. INTRODUCTION
Jusqu'à présent, les activités de recherche et de développement dans le domaine des pêches continentales se sont concentrées sur les grands lacs tels que les lac Itasy, Alaotra, Mantasoa… Les petits plans d'eau ont attiré beaucoup moins d'attention. Certains d'entre eux sont déjà exploités mais on ignore quelle en est la production.
Le présent article met en évidence :
l'importance de la pêche dans les petits plans d'eau du Sud de Madagascar
les problèmes relatifs aux modes d'exploitation et de gestion des ressources halieutiques dans ces petits plans d'eau afin d'aboutir à des recommandations tendant à leur amélioration.
2. LIEUX D'ETUDE
Deux lacs ont été retenus comme support de cette étude :
Le lac Iotry d'une superficie de 100 ha (en période de basses eaux) qui est un lac temporaire et se situe sur la rive droite de l'Onilahy ;
Le lac Ranomay d'une superficie de 80 ha (en période de basses eaux), lac permanent se trouvant sur la rive gauche de l'Onilahy.
Ces deux lacs sont classés parmi les lacs de barrage provenant de l'endiguement de l'Onilahy et de l'accumulation des alluvions.
L'enrichissement de ces deux lacs est étroitement lié au débordement occasionnel de l'Onilahy au moment des crues.
3. LES RESSOURCES
Les ressources halieutiques du complexe formé par les deux lacs et l'Onilahy sont consignés dans le tableau No1. Elles sont composées de 8 familles, 10 genres répartis en 12 espèces dont 3 sont euryhalines (Mugil sp, Anguilla mossambica et Macrobrachium sp), les 9 autres sont toutes dulcaquicoles. Le genre Oreachromis qui fait partie des incubateurs buccaux représente 60% des ressources.
Tableau 1: Ressources halieutiques du complexe Onilahy — Iotry — Ranomay
RESSOURCES | NOM LOCAL |
I. POISSONS | |
1.Cichlidés | |
- Tilapia rendalli | Borivava |
- Oreochromis niloticus | Mentretraka |
- Oreochromis macrochir | Fiafotsy |
- Oreochromis mossambicus | Delefa |
2.Cyprinidés | |
- Carassius auratus | Fiamena |
- Cyprinus carpio | Telosisika |
3.Gobiidés | |
- Gobius giuris | Tohofotsy |
4.Eleotridéss | |
- Eleotris vittata | Tohomainty |
5.Paecilinidés | |
- Gambusia affinis | Pirina |
6.Mugilidés | |
- Mugil sp | Antendro |
7.Anguillidés | |
- Anguilla mossambica | Arenty |
II. CRUSTACES | |
1.Palaemonidés | |
- Macrobrachium sp | Tsitsika |
4. EXPLOITATION DES RESSOURCES:
4.1. Technique de pêche :
Divers engin et techniques de pêche sont utilisés par les pêcheurs pour exploiter ces ressources :
le filet maillant mesurant 50 m de long sur l à 1,5 m de haut avec une maille de 15 à 20 mm de côté ;
la ligne dormante munie d'un hameçon pour la capture des Anguilles et de Gobiidés ;
la nasse fabriquée avec le viky (Flagellaria indica) de forme en V est utilisée comme piège en période de crue et comme vivier en saison sèche ;
le piège à crevettes ou lombo constitué d'un panier en osier attaché au bout d'une corde. Des cailloux sont placés à l'intérieur pour servir de lest ;
la moustiquaire faite d'une voile rectangulaire à mailles très fines (1 mm de côté) est l'engin classique des femmes qui pêchent en groupe en eau peu profonde.
Mais la technique de pêche principale est le filet maillant. Il existe deux méthodes d'utilisation du filet maillant pour capturer les poissons :
a) Le debo:
Le piroguier décrit un arc de cercle avec la pirogue tout en mouillant progressivement le filet dans l'eau ; les deux extrémités du filet étant recourbées vers l'intérieur pour pouvoir capturer les poissons qui tendent à fuir par le côté (Fig. No1). Le pêcheur se met ensuite en face du filet et tape l'eau avec le “fidebo” (bois léger ayant la forme d'une cloche et muni d'une manche de 60 cm).
Cette technique est interdite par la législation de pêche parce qu'elle peut provoquer des stress pouvant engendrer des modifications physiologiques chez les poissions.
b) Le mangaoke:
Le piroguier décrit un cercle tout en mouillant progressivement le filet dans l'eau. Il se jette ensuite à l'eau et drague le fond avec la ralingue inférieure du filet (Fig. No2). Le hissage se fait à bord de la pirogue.
4.2. Estimation de la production du Lac Iotry :
La production du lac Iotry a été estimée à partir de l'effort de pêche, de la prise moyenne par pêcheur par jour et nombre de semaines de pêche pendant trois périodes de 16 semaines:
période de forte capture : décembre à mars
période de faible capture : juillet à octobre
période intermédiaire : avril, mai, juin et novembre.
Le nombre de semaines de pêche est calculée selon la méthode de WELCOME ET HARBORG qui admettent que, dans les plaines d'innondation de l'Afrique, les pêcheurs travaillent 42 semaines par an. Pour chaque période de capture, le nombre de semaines de pêche dans l'année est 12,8 semaines. En multipliant la capture par semaine par 12,8 on obtient les captures par période du lac.
Le tableau No2 fait ressortir l'estimation de la production du lac Iotry.
Figure 1 : Technique de la pêche au debo
Figure 2 : Technique de la pêche au mangaoka
Tableau No2 : Estimation de la production du lac Iotry (en Kg)
Période | Prise moyenne par pêcheur par jour (Kg) | Nombre depêcheurs | CAPTURE (en Kg) | ||
Par jour | Par semaine | TOTALE | |||
Forte capture | 7 | 60 | 420 | 2.100 | 26.800 |
Faible capture | 3 | 40 | 120 | 600 | 7.680 |
Capture intermédiaire | 5 | 50 | 250 | 1.250 | 16.000 |
T O T A L | 50.560 |
La production du lac Iotry a été donc estimée aux environs de 50,6 tonnes en 1988, soit : 506 Kg/Ha/an
Par rapport aux grands lacs d'altitude Alaotra et Itasy, le lac Iotry est beaucoup plus productif. En effet, en 1980 la production du lac Alaotra était estimée à prés de 3.500 tonnes (A. Collart, A. Rabelahatra et L. Rasolofo Andriamahaly, 1980) pour une superficie de 22.000 Ha d'eaux libres soit donc : 159 Kg/Ha/an
Celle du lac Itasy était de 230 tonnes en 1988 (S. Rakotoambinina, 1988) pour une superficie de 3.5000 Ha soit : 65,5 Kg/Ha/an.
Une raison principale de cette différence est le fait que dans les lacs d'altitude, la croissance et la reproduction des poissons s'arrêtent pendant la période d'haivernage, alors que dans le lac Iotry la température est toujours élevée et il y a plusieurs pontes dans l'année. De plus, l'estimation de 50,6 tonnes/an du lac Iotry correspond à la phase terminale du cycle d'assèchement du lac donc les eaux sont très productives, peu profondes, ce qui facilite les captures.
5. TRAITEMENT ET COMMERCIALISATION DES PRODUITS
5.1. Traitement
Le conditionnement des produits frais parait assez satisfaisant. En effet, les pêcheurs ont l'habitude de garder les poissons capturés dans des nasses qu'ils trempent fréquemment dans l'eau pour que les poissons soient en bon état de fraîcheur.
A cause de la température élevée, les pêcheurs ont recours au fumage du poisson. Après les opérations d'écaillage, éviscérage et lavage, les poissons sont maintenus par 4 ou 6 entre les deux parties d'une tige de roseau (Phragmites communis) fendue jusqu'au tiers inférieur de sa longueur (Fig. No3). on enfonce ensuite la tige dans le sable (Fig. No4) autour des rondins de Kily (Tamarrindus indica). Après 20 à 30 mm, on allume un feu vif et on ajoute des petits bois encore verts pour augmenter la fumée. Le fumage dure 15 à 20 mm. Le produit ainsi obtenu et plutôt superficiellement grillé que fumé.
5.2. Commercialisation :
a) Ecoulement des produits :
Le schéme suivant nous montre l'écoulement de produits :
Seuls le poisson fumé et le poisson frit font l'objet du troc. Ils sont échangés contre des denrées agricoles notamment le riz, le maîs, le manioc…
Figure 3 : Préparation de poissons entiers destinés à être fumés.
Figure 4 : Méthode de fumage
b) Circuits de vente :
Plusieurs circuits de vente sont à distinguer :
• Circuit ultra-court:
C'est le circuit de commercialisation idéal étant donné que le poisson constitue un produit alimentaire facilement périssable. Le pêcheur ou la femme du pêcheur assure la vente du produit sur les marchés.
• Circuit court:
Dans ce circuit intervient un intermédiaire qui s'approvisionne auprès des pêcheurs pour le poisson fumé et le poisson frit. Il vend au détail sur les marchés avoisinants.
• Circuit long:
Le plus souvent, les mareyeurs collectent les produits aux points de débarquement (poisson frais) et aux villages des pêcheurs (poisson fumé et poisson frit). Ils les acheminent par charette ou par taxi-brousse vers les marchés avoisinants. Des revendeurs détaillants viennent s'approvisionner auprès des mareyeurs-collecteurs. Parfois, ces derniers vendent les poissons au détail et le circuit devient alors un circuit court.
Soulignons que la vente des produits se fait en plein air à même le sol sur des toiles cirés ou sur des nattes. De ce fait, le produit est exposé à la contamination des germes telluriques.
6. CONCLUSION - RECOMMANDATIONS :
Les deux lacs étudiés sont riches au point de vue faunistique. L'exploitation de ces ressources est limitée par l'insuffisance et/ou l'absence des matériels de pêche (fil nylon de 2 ou 2,5 Kgf) pour le ramendage et la confection du filet ainsi que du bois (Delonix boviana) pour la fabrication de la pirogue.
Le lac Iotry est trés exploité. Le complexe Iotry-Ranomay est utilisé de façon asynchrone, Ranomay étant peu exploité et gardé comme réserve lorsque Iotry est en eau. De cette façon, les pêcheurs ont toujours une possibilité de ressources même si le lac Iotry s'asssèche. Cette gestion traditionnelle et empirique parait bien fonctionner.
La méthode de fumage traditionnel ainsi que le systéme de commercialisation actuel (cas de circuit long où existent deux intermédiaires) ne permet pas aux pêcheurs de tirer le meilleur parti de la pêche. De plus, sur tous les marchés la vente se passe en plein air et les produits sont exposés aux divers éléments contaminants.
Pour résoudre ces problèmes, nous proposerons les améliorations suivantes :
au niveau de l'exploitation, il serait souhaitable d'approvisionner les pêcheurs en matériels de pêche. Ceci leur permet de jouir pleinement l'activité pêche et de respecter la dimension des mailles conformément à la législation en vigueur. La rareté du bois (Delonix boviana) due à la surexploitation de cette essence nous conduit à mettre au point une pirogue en planche clouée (Fig. No5).
au niveau de la gestion des ressources nous préconisons les améliorations suivantes :
vulgarisation du fumoir de type béninois (Fig. No6) qui permet d'obtenir de meilleur produit. Ainsi, avec ce procédé de fumage, les produits sont à l'abri des éléments contaminants. Ils peuvent se conserver pendant 22 jours. Or, avec le procédé de fumage traditionnel, la durée de stockage est seulement d'une semaine. Par rapport aux autres fumoirs à chaud construits en dur, le coût du fumoir béninois est faible;
création d'un hangar de vente pour mettre les poissons à l'abri des divers éléments contaminants, du soleil et du vent;
définition d'une stratégie commerciale en développant le circuit ultra-court et le circuit court étant donné que les poissons sont des produits périssables. Le premier client à servir serait donc les clients institutionnel et les hôteliers. Ces clients offrent la possibilité de régulariser la production et de supprimer les intermédiaires qui pratiquent les prix de détail élevé. Quant au marché public, la mise en place des coopératives de commercialisation serait souhaitable;
étude de développement de la pisciculture en étangs et en rizières (en collaboration avec le Projet “Petit périmètre irrigué” de Toliara) afin d'augmenter la production et d'atteindre l'autosuffisance alimentaire en protéines nobles dont le poisson;
recherche sur la biologie du poisson pour fixer la maille optimale à utiliser afin d'éviter l'épuisement du stock piscicole.
Figure 5 : Schéma d'une pirogue àplanches
Figure 6 : FUMOIR TYPE “BENINOIS” d'après VAN DEN BERGHE C. et OLIVIDE A., 1988.