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L'utilisation des bois tropicaux de qualité inférieure

K.F.S. King

K.F.S. KING est Sous-Directeur général et responsable du Département des forêts de la FAO. Il reprend dans cet article les éléments d'une allocution qu'il a prononcée en 1977 à l'Assemblée générale de la Commonwealth Forestry Association, Londres.

Dans ses publications récentes sur la commercialisation des bois tropicaux, la FAO qualifie de «commerciales» toutes les essences tropicales dont la production annuelle dépasse le millier de mètres cubes et range dans le groupe des essences «peu utilisées» celles dont la production commercialisée est inférieure à 1 000 mètres cubes par an, ou qui ne sont pas actuellement commercialisées mais qui ont été reconnues comme offrant des possibilités d'utilisation sous forme de sciages, placages ou contreplaqués. Les essences véritablement inconnues seraient, pense-t-on, assez peu nombreuses. Selon la FAO, l'Afrique occidentale et centrale compterait 105 essences «commerciales» et 112 essences «peu utilisées», tandis que dans le Sud-Est asiatique il y en aurait respectivement 634 et 465 et en Amérique du Sud tropicale 210 et 263, soit dans les trois grandes régions productrices de bois du tiers monde, 949 essences commerciales et 840 peu utilisées. Autrement dit, environ la moitié des essences sont inutilisées ou très sous-exploitées (Erfurth, 1976).

Enorme gaspillage

Cette incapacité de tirer parti de toutes les ressources ligneuses des forêts tropicales a des conséquences bien connues: coûts de production élevés, coût exorbitant de la régénération des forêts naturelles ou artificielles dû à la grande quantité de bois laissés sur pied qu'il faut éliminer, et enfin, ce qui est sans doute le plus important, énorme gaspillage de bois. Le monde ne saurait tolérer plus longtemps qu'on abatte, qu'on brûle, qu'on empoisonne les arbres comme le font les forestiers dans presque tous les pays tropicaux qui ont la chance de posséder des forêts naturelles.

Chacun sait qu'un bois considéré comme de qualité inférieure dans une concession forestière de Sarawak, par exemple, peut fort bien en Inde centrale être jugé comme une essence de valeur. De même, une essence peut être de qualité inférieure pour un usage déterminé et de qualité supérieure pour un autre. A chaque situation particulière correspond une conception différente de ce qu'on entend par qualités des bois et, par conséquent, un classement différent.

Nous pouvons qualifier de bois de qualité inférieure tout bois qui, dans des conditions déterminées, n'est pas utilisé, parce que:

- Ses propriétés physiques et chimiques ne conviennent pas pour fabriquer les produits effectivement demandés.

- On ne dispose pas des techniques voulues pour l'exploiter et (ou) le transformer ultérieurement.

- Son utilisation n'est en général ni intéressante ni rentable pour les investisseurs.

- Il n'existe pas dans le pays ou la région d'infrastructure et de circuits commerciaux adéquats.

Tous ces facteurs ont des conséquences dont certaines méritent d'être soulignées. Premièrement, il en suffit d'un pour empêcher l'utilisation d'une essence ou d'une catégorie de bois déterminée. Deuxièmement, il se peur qu'une essence ou certaines qualités de bois ne soient acceptées ou rejetées que pendant un temps. Troisièmement, ce revirement peut aussi bien tenir à des circonstances qui n'ont rien à voir avec le secteur des forêts et des industries forestières, par exemple au climat socio-économique du pays, à l'imposition, par certains pays importateurs, de barrières douanières à certaines catégories de bois ou de produits dérivés du bois, au niveau technologique général d'un pays donné, à la facilité plus ou moins grande avec laquelle on peut transférer les techniques d'un pays à l'autre, ainsi de suite. Quatrièmement, enfin, la réputation de qualité plus ou moins bonne d'un bois dépend souvent du jeu réciproque des facteurs socio-économiques et physico-chimiques

Une solution simple

Et c'est pourquoi il est si difficile de trouver une solution simple au problème de l'utilisation d'un bois de qualité inférieure; c'est là un problème qu'il faut attaquer sur plusieurs fronts et de manière systématique.

La méthode le plus couramment préconisée pour exploiter et commercialiser les bois tropicaux de qualité inférieure est, dans ses grandes lignes, la suivante:

1. Inventorier toutes les essences, notamment celles qui sont mal connues de façon à en déterminer l'emplacement et l'abondance.

2. Etudier les propriétés physiques des essences peu utilisées.

3. Classer ces essences en fonction de leurs caractéristiques d'emploi, notamment en ce qui concerne leurs possibilités d'utilisation finale.

4. Regrouper les essences qui présentent des propriétés physiques semblables, mais ne se trouvent pas individuellement en quantités commercialisables.

DÉBUSQUAGE DANS UNE HAUTE FUTAIE EN INDONÉSIE il faut savoir tirer parti de tout

Bien que cette approche ait incontestablement sa valeur, les nombreuses tentatives faites par les pays du tiers monde pour vendre aux pays industrialisés des groupes d'essences, ou même une seule essence peu utilisée mais se trouvant en quantité abondante, ont dans l'ensemble été infructueuses et ce, essentiellement pour deux raisons.

Tout d'abord, la vente de nouvelles essences a souvent été tentée par l'entremise de négociants intermédiaires. C'est de loin le bâtiment et l'industrie du meuble qui absorbent la plus grande part des bois tropicaux importés par les pays industrialisés. Or ces deux industries représentent en réalité un ensemble hétéroclite d'utilisations variées. C'est particulièrement vrai pour la menuiserie du bâtiment, qui demande des qualités très différentes selon qu'il s'agit de châssis et appuis de fenêtres, de portes, de parquets, de charpentes, de lambris, de rayonnages de placards, etc., et a besoin, dans chaque cas, d'une gamme d'essences appropriées. Etant donné qu'il en va plus ou moins de même pour toutes les grandes catégories d'utilisations couramment reconnues, l'hétérogénéité de la demande est presque aussi grande que celle de l'offre.

Vu cette multiplicité d'usages et le compartimentage poussé des industries, il est fatal que le traitement final des bois tropicaux s'effectue dans un très grand nombre d'usines, qui ont chacune leurs besoins, leurs méthodes et leurs débouchés. Les bois tropicaux parviennent donc au consommateur par des voies diffuses, mal définies et changeantes.

C'est ce polymorphisme des marchés du bois qui est au cœur même du problème des essences peu utilisées. Quels que soient les efforts que l'on fasse pour étudier les disponibilités et les propriétés de ces bois, leur trouver des procédés de fabrication et des emplois, ils seront de peu d'effet s'ils n'influent pas sur la demande au niveau de l'utilisateur final. A l'heure actuelle, on a beaucoup de chances de pouvoir lancer de nouveaux bois sur le marché en agissant plutôt sur les derniers maillons de la chaîne de distribution que sur ceux de la production, à l'autre bout. Le producteur n'a normalement à faire qu'aux distributeurs et presque jamais aux utilisateurs. Pourtant ce contact avec l'utilisateur est essentiel. Tous les efforts que pourront déployer les pays en développement pour vendre de nouveaux bois seront voués à l'échec s'ils n'établissent pas dans les pays gros consommateurs des services commerciaux et des bureaux d'étude de marchés. Le pays peut s'en charger lui-même ou, mieux encore, passer par les associations de producteurs existant au niveau régional ou subrégional.

Le monde ne peut se permettre de déboiser, de brûler et d'empoisonner les arbres comme le font les forestiers de presque tous les pays tropicaux qui ont la chance de posséder des forêts naturelles de haute futaie

La seconde raison à laquelle tient l'échec généralisé des tentatives pour commercialiser des essences tropicales peu connues dans les pays industrialisés, par les méthodes traditionnellement préconisées, réside dans la tendance des pays exportateurs en développement à écouler leurs bois sous forme de grumes ou de sciages. Cette préférence est due en partie à l'habitude et en partie aux barrières douanières dressées par de nombreux pays développés contre l'importation de produits manufacturés. Quoi qu'il en soit, il est démontré que le consommateur moyen des pays développés sera plus disposé à acheter un meuble, un placard, des éléments préfabriqués de fenêtres en bois d'essences peu connues, que ne le seront ceux qui, dans ces pays, fabriquent ou vendent ces articles à utiliser ces mêmes bois. Outre l'avantage de percevoir lui-même la valeur ajoutée du fait de la transformation industrielle des bois, le pays d'origine pourra d'autant mieux écouler des nouveaux bois sur le marché s'il exporte des produits finis ou semifinis au lieu de grumes et de sciages.

A cette fin, il faut naturellement des investissements et des connaissances techniques, mais, ce qui est peut-être plus important encore, il est également nécessaire que les pays du tiers monde, soucieux de contrôler l'exploitation de leurs ressources naturelles et le développement des industries basées sur ces ressources, s'organisent sur le plan transnational. Les pays qui possèdent la matière première bois doivent étendre leur action par-delà les océans jusque dans les pays développés. Les industries du bois doivent être intégrées verticalement, les activités amont se situant dans les pays en développement, et les activités aval dans les pays développés, en contact étroit avec le consommateur. Quels que soient la structure de la propriété et le partage des responsabilités, il est indispensable qu'il y ait un enchaînement continu depuis l'extraction de la matière première jusqu'à la vente des produits finis, en passant par les stades primaire, secondaire et tertiaire de la transformation, si l'on veut que des bois peu connus percent vraiment sur les marchés d'outre-mer.

Jusqu'ici nous avons supposé que les bois de qualités inférieures étaient destinés aux marchés étrangers. Cependant, les marchés locaux offrent souvent de bien meilleures conditions pour leur utilisation. L'exemple d'une entreprise au Nigéria peut servir à montrer comment une essence jusque-là dédaignée peut trouver des utilisations.

La demande de bois et de produits ligneux s'accroît rapidement au Nigéria. Consciente de cette tendance, cette entreprise, qui auparavant produisait surtout pour l'exportation, y a vu une possibilité de tirer un meilleur parti des bois en les vendant aux utilisateurs locaux. Elle a constaté en effet que l'identité de l'essence passait, aux yeux de l'utilisateur, après la qualité du produit. Aussi s'est-elle mise à fabriquer des éléments de panneaux de bois pour le bâtiment avec un mélange d'essences choisies pour leurs propriétés physiques. Le bois est traité avec des agents de conservation. De même, on fabrique des portes et des châssis de fenêtres avec toutes sortes d'essences, souvent de couleurs différentes, ce que l'utilisateur accepte aisément lorsque les bois sont destinés à être peints.

Il ne faut pas croire qu'un pays doive connaître un boom économique pour que ses consommateurs acceptent des bois dits de qualité inférieure. En Guyane, où le greenheart, Ocotaea rodiaei Schomb., a été durant des siècles l'espèce la plus appréciée, la population locale utilise maintenant une grande variété de bois. Pour faire évoluer ainsi le goût du public, on a attentivement étudié les caractéristiques physiques de plusieurs dizaines d'essences, on leur a donné une large publicité pour les faire connaître des utilisateurs, et on a veillé, moyennant entre autres un séchage convenable, à ce que les qualités d'emploi de ces bois répondent bien aux normes annoncées.

Ce genre de réussite se multiplie un peu partout dans le monde, corroborant la théorie selon laquelle, une fois déterminées matériellement les propriétés technologiques du bois, il faut avant tout, pour pouvoir utiliser des essences de qualité inférieure, apprécier les besoins de l'utilisateur, y pourvoir et le convaincre que les approvisionnements seront maintenus en quantité et qualité.

Si j'ai insisté autant sur la promotion des essences peu utilisées, c'est que l'on peut douter de l'efficacité des procédés habituellement recommandés. Je suis convaincu que si nous consultons l'utilisateur et si nous en analysons les besoins, nous ferons un grand pas vers la conquête des marchés mondiaux aussi bien que locaux.

Les plus grands progrès dans l'utilisation des bois de qualité inférieure, toutefois, ne seront pas obtenus par une amélioration de la commercialisation, mais par un perfectionnement des techniques d'emploi.

Il peut être utile de mentionner à ce propos quelques exemples touchant à des domaines techniques relativement simples comme le séchage et la préservation des bois et les méthodes de construction.

Jusqu'à ce qu'on ait découvert le procédé de reconditionnement du bois d'eucalyptus pour éliminer les effets du «collapse» ou effondrement (c'est-à-dire retrait excessif et désastreux), la moitié des volumes sur pied de bois d'eucalyptus en Australie était considérée de qualité inférieure, sans intérêt pour le sciage. Grâce au reconditionnement, c'est-à-dire au traitement à la vapeur après séchage, tous ces bois, de même que les autres essences sujettes au collapse, sont maintenant utilisés.

Si les pays en développement exportent plus de produits finis et semi-finis, ils peuvent bénéficier de la valeur ajoutée tout en utilisant des espèces moins connues

Dans le domaine de la préservation des bois, les exemples sont si connus qu'il serait fastidieux de les énumérer ici. A souligner cependant que la préservation représente probablement l'outil technologique le plus puissant pour promouvoir l'emploi des essences tropicales de faible valeur.

C'est ainsi qu'en Nouvelle-Guinée le gouvernement a décrété que tous les bois de sciage employés dans le bâtiment devraient être traités avec des agents de conservation. Le gros de la production ligneuse est soumis à une simple diffusion avec trempage dans un mélange de sels, qui assure à n'importe quel bois, quelle qu'en soit la sensibilité à la pourriture ou aux attaques de termites, une protection suffisante pour l'utiliser en permanence dans les habitations, dès l'instant où il n'est pas en contact avec le sol. Le résultat est que, du point de vue des scieurs, le problème des essences secondaires ou inexploitées a pratiquement disparu dans ce pays.

Dans les régions infestées de termites souterrains, il fallait autrefois employer pour la construction des maisons des bois naturellement résistants à leurs attaques. On sait aujourd'hui se protéger de ces attaques pendant bien plus de 30 ans en empoisonnant le sol sous le bâtiment à l'aide d'insecticides organochlorés. Ainsi, la gamme des bois propres à la construction se trouve éntendue puisque le problème de la résistance aux termites souterrains, propriété exigée par les constructeurs, est éliminé. Toutefois, dans les régions où les termites du bois sec (Cryptotermes) et les Lyctus sont à craindre, la préservation par diffusion ou imprégnation des bois sensibles à leurs attaques reste nécessaire.

On emploie traditionnellement pour les charpentes de maisons des bois à faible retrait, mis en œuvre sans séchage préalable. Dans de nombreux pays, notamment sous les tropiques, de grandes quantités de bois feuillus restent inutilisées, bien que ces bois aient les propriétés mécaniques et technologiques requises, parce qu'ils présentent un retrait trop fort. On a maintenant réussi, grâce à des procédés particuliers de construction, à élargir la gamme des bois feuillus utilisables en charpente à l'état non sec, malgré des caractéristiques de retrait élevées.

Le principe consiste à modifier le mode d'assemblage des charpentes de façon à réduire au minimum les effets du retrait du bois.

Ainsi, lorsqu'il s'agit de placer une poutre au-dessus d'une large embrasure de fenêtre, il faut choisir une pièce de 25 à 30 centimètres d'épaisseur pour supporter la charge du toit. Si cette poutre est faite d'un bois feuillu non sec à fort retrait, et assemblée selon la manière classique, le retrait ultérieur peut entraîner un affaissement de la ligne du toit allant jusqu'à 2,5 centimètres, ce qui est inesthétique et donne lieu à des problèmes d'assemblage et de finition. On peut y remédier en s'y prenant différemment, c'est-à-dire en clouant à l'angle inférieur du linteau un solide tasseau sur lequel on fait reposer de courts jambages qui supporteront le reste de la charpente. La poutre peut alors se rétracter librement en hauteur sans qu'il en résulte de déformation de la charpente.

On peut aussi, en construction, employer des lames de parquet à l'état vert d'une largeur maximale de 10 centimètres pour réduire entre les planches l'écart qui se produit lors du séchage, des planches de revêtement mural extérieur, de 10 à 12 centimètres de large, fixées par un seul clou au bord inférieur de chaque montant afin que le retrait ne provoque pas de fente, ou encore prévoir un recouvrement assez large (12 millimètres environ) pour que le revêtement reste étanche à la pluie après retrait. On peut aussi utiliser des charpentes mixtes comprenant des bois secs pour certaines pièces telles que poteaux d'angle, solives de plafond, linteaux et des bois non secs pour le reste, et associer dans la charpente bois résineux et feuillus, les bois résineux, à retrait plus faible, étant placés aux endroits où une contraction excessive présenterait des inconvénients.

Tous ces procédés ont permis d'élargir la gamme des bois utilisables dans le bâtiment qui, au lieu de se limiter comme autrefois à quelques essences, embrasse presque le tout-venant de la forêt.

On pourrait citer bien d'autres exemples. Mais le point sur lequel le tiens à insister, et sur lequel je reviendrai souvent, c'est que dans beaucoup de cas les efforts à faire pour intensifier l'utilisation des bois de qualité inférieure doivent surtout venir non du secteur forestier proprement dit, mais de l'extérieur.

Je suis convaincu également que l'utilisation optimale de ces bois est indissolublement liée au développement des industries forestières. Voyons maintenant quel peut être à ce propos le rôle de l'industrie papetière d'une part et celui des panneaux dérivés du bois d'autre part.

Les usines de pâte et papier sont les plus gros consommateurs de bois industriel. Selon les prévisions, la consommation mondiale de bois d'industrie s'élèvera en 1985 à 1900 millions de mètres cubes, dont 800 millions pour les seules fabriques de pâte et papier.

Les pays en développement possèdent 55 pour cent des superficies forestières du globe, mais ne produisent que 6 pour cent de la consommation mondiale de papier.

Bien que les recherches sur l'utilisation des feuillus tropicaux se poursuivent depuis des dizaines d'années, il n'y a encore que trois pays qui se servent de mélanges de feuillus tropicaux comme seule source de matière première pour la papeterie.

On sait que, en raison des amples disponibilités de pâte à fibres longues dans les pays développés de la zone tempérée au moins jusqu'au début des années cinquante, il y avait une certaine réticence de la part des industriels de la papeterie à utiliser la pâte de feuillus à fibres courtes pour la fabrication de papier. Cependant, lorsque certains de ces industriels se rendirent compte qu'il viendrait un temps où le bois de pâte à fibres longues se raréfierait, on s'aperçut que des pâtes à base de bouleau, de hêtre, d'eucalyptus et autres feuillus convenaient parfaitement pour la fabrication de certaines qualités de papier. Depuis lors, les techniques d'utilisation de pâtes de feuillus tempérés ont pris un rapide essor.

On a également étudié la possibilité d'employer des feuillus tropicaux en papeterie. Malheureusement, on a commencé par examiner, individuellement les caractéristiques papetières des diverses essences, ce qui n'était guère logique puisqu'il était difficile d'extraire économiquement une essence donnée dans une forêt mélangée. Il était également malaisé, dans bien des cas, de se procurer suffisamment de grumes d'une certaine essence pour alimenter une usine de pâte de dimensions normales. Ce n'est que depuis que des essais de trituration portant sur un grand nombre d'essences en mélange ont été réalisés avec succès que l'on a pu progresser dans ce domaine de l'industrie forestière.

Pour commercialiser avec succès le bois de qualité inférieure il faut estimer les besoins des consommateurs et leur assurer des qualités et des approvisionnements constants

Il fallait cependant abattre certains préjugés fortement enracinés et montrer que certaines croyances apparemment logiques étaient dénuées de fondement. C'est ainsi, par exemple, qu'on a longtemps cru que les bois de forte densité n'étaient pas intéressants pour la pâte. On pensait également que la consommation de produits chimiques serait élevée et en rapport avec les exigences des bois les plus difficiles à cuire. On affirmait catégoriquement que, dans la cuisson du mélange, certains bois seraient trop cuits et d'autres pas assez. Pourtant la pratique a montré que la consommation de produits chimiques pour les mélanges de feuillus tropicaux était la même que pour les bois feuillus classiques, que la qualité de la pâte obtenue était tout à fait acceptable, et que pour certaines qualités de papier ces mélanges de feuillus étaient même plus intéressants que les feuillus traditionnels. Il semble que ce soient aux interactions des propriétés très diverses qu'offre le mélange d'essences qu'on doive cette réussite inattendue dans la fabrication de la pâte. Certaines essences continuent évidemment de poser quelques problèmes: par exemple, une forte usure des lames de déchiqueteuses causée par les bois très durs, ou les difficultés suscitées par les essences riches en matières extractibles et en silice. Mais ces problèmes ne sont nullement insurmontables et peuvent tout au plus entraîner l'élimination de ces essences si elles se trouvent en grande proportion. L'important c'est que dès l'instant où l'utilisation des mélanges de feuillus tropicaux en papeterie aura été généralement admise nous aurons fait un grand pas vers la solution du problème que soulève l'emploi des essences secondaires.

Un déficit dans l'approvisionnement des matières premières classiques dû à la concurrence d'autres industries forestières et à l'accroissement de la demande dans tout le secteur des panneaux dérivés du bois a contraint l'industrie du bois à recourir à des matières premières plus diversifiées et à utiliser plus efficacement celles qui étaient disponibles.

L'industrie du contreplaqué a toujours été la plus exigeante de ces industries quant à la qualité. Pourtant, même dans cette branche, les essences dites peu utilisées sont de plus en plus employées.

Il y a beaucoup de raisons qui font que certains bois déroulables ne sont pas considérés comme aptes à la fabrication de contreplaqué. Certains ont une faible résistance à la rupture et sont sujets à des détériorations mécaniques qui les rendent inacceptables, par exemple pour les meubles. D'autres ont une teneur élevée en glucides et ne peuvent donc être employés pour les coffrages à béton. D'autres encore sont d'une couleur qui les fait rejeter pour certains usages ou qui s'altère lorsqu'on les expose à la lumière solaire. Dans tous ces cas, les placages déroulés peuvent être utilisés en intérieurs. Plus l'âme du contreplaqué est épaisse, plus grand est le volume de bois d'essences secondaires qui peut être utilisé pour sa fabrication. En outre, dans certains cas, les placages d'aspect défectueux peuvent être revêtus ou stratifiés, ce qui permet de les utiliser en faces dans le contreplaqué. La stratification permet aussi de se servir des bois riches en glucides en placages de surface pour les coffrages à béton, en opposant aux micro-organismes avides de glucides une barrière infranchissable.

L'utilisation de certaines essences pour la fabrication de contreplaqué peut parfois donner lieu à des difficultés d'usinage, telles que dissociation de placages ayant une certaine texture, ruptures au séchage et problèmes de collage. Certaines de ces difficultés peuvent être surmontées. Ainsi, dans certains cas, on peut remédier aux problèmes de séchage dus à une répartition irrégulière de l'humidité (comme c'est le cas avec Terminalia spp.) en faisant passer le placage plusieurs fois dans le séchoir. Certains bois ont une réaction chimique qui empêche un collage satisfaisant. On a mis au point un test chimique rapide qui permet d'identifier les bois qui posent des problèmes de collage ou de coulure des matières extractibles. Une fois ces bois identifiés, il est possible d'ajuster les paramètres de fabrication tels que type de colle, temps de pressage, etc., pour surmonter ces difficultés.

Les essences déroulables qui se trouvent en petites quantités peuvent être employées en intérieurs ou même comme placages de faces, à la condition que l'usine fabrique des produits finals tels que des portes planes. Celles-ci peuvent être peintes, de sorte que l'acheteur ne prêtera pas attention aux variations d'aspect de surface dues à l'emploi de bois différents.

Tous les efforts déployés pour vendre de nouvelles essences sont voués à l'échec si les pays en développement ne créent pas de services de commercialisation et l'étude de marché dans les pays grands consommateurs, dans ce domaine, les grands progrès seront réalisés grâce à l'amélioration et à l'application des techniques existantes, ingénieurs, chimistes et biochimistes devraient s'attaquer au problème.

Il faut noter par ailleurs que les forts diamètres autrefois exigés pour les grumes de déroutage n'ont plus cours actuellement et qu'il est désormais possible d'utiliser des grumes qui, il y a 10 ans, étaient considérées comme de qualité inférieure. On sait maintenant dérouler des billes de 150 millimètres de diamètre, avec un noyau de déroutage de 60 à 65 millimètres de diamètre seulement, grâce à la mise au point de dérouleuses spéciales et aux perfectionnements apportés aux techniques de séchage et de collage.

Les techniques de fabrication de panneaux de particules et panneaux de fibres ont fait, ces dernières années, d'énormes progrès. Ainsi, les déchets de fabrication et résidus d'exploitation de presque n'importe quelles formes et dimensions et une gamme très étendue d'essences peuvent maintenant être utilisés.

L'industrie des panneaux de particules emploie maintenant dans le monde entier des qualités inférieures de déchets industriels, y compris sciures, poussières de ponçage, mélanges de résineux et de feuillus et mélanges d'essences tropicales. C'est ainsi qu'au Pérou une usine de panneaux de particules utilise jusqu'à 45 essences feuillues. Etant donné que c'est là le secteur des industries forestières qui se développe le plus rapidement (9 à 10 pour cent de taux de croissance annuelle au cours de la décennie s'achevant en 1974), des quantités croissantes de bois de basse qualité trouvent des débouchés. Les procédés de fabrication présentent une grande souplesse et peuvent être adaptés en fonction de différentes qualités de matières premières. L'utilisation de mélanges hétérogènes de déchets est possible grâce aux divers types de machines qui permettent de les fragmenter en particules appropriées: déchiqueteuses à tambour ou garnies de couteaux, raffineurs à crible annulaire, raffineurs sous pression, etc. Les produits d'éclaircie dont l'écoulement posait autrefois de sérieux problèmes dans de nombreuses régions du monde peuvent maintenant être profitablement utilisés dans les usines de panneaux de particules.

L'industrie des panneaux de fibres est encore moins exigeante quant à l'emploi de matière première de qualité inférieure ou mélangée. Elle tend, dans le monde entier, à se servir de plus en plus de déchets industriels, de bois non écorcés, de bois feuillus mélangés et de feuillus tropicaux. Comme, dans le passé, cette industrie a eu du mal à lutter contre la concurrence de l'industrie de la pâte, force lui a été de chercher à utiliser une proportion croissante d'essences peu connues et d'adapter ses techniques en conséquence, et elle y a très bien réussi. Aux Etats-Unis, presque boutes les nouvelles usines de panneaux de fibres durs et bon nombre des anciennes recourent toujours plus aux bois feuillus mélangés et toujours moins aux bois résineux.

Nouveaux produits

On voit sans cesse apparaître de nouveaux produits dérivés du bois, qui vont offrir pour les essences de faible valeur de nouveaux débouchés.

L'un de ces produits est le contreplaqué composite, formé d'une âme de particules avec des faces en placage déroulé. La mise au point de ce panneau répondait au souci d'obtenir à partir du même volume de bois en grumes un volume de panneaux sensiblement plus important qu'avec le contreplaqué classique. Ce procédé permet d'utiliser, pour l'âme du panneau, des quantités relativement importantes de résidus et de bois de qualité inférieure.

Un autre nouveau produit est le «press-lam», mis au point par le laboratoire des produits forestiers du U.S. Forest Service à Madison (Wisconsin). La technique employée se rapproche beaucoup de celle du contreplaqué: on sèche sous pression des placages déroulés, dont l'épaisseur peut atteindre 12 millimètres, et on les contrecolle en feuilles continues alors qu'ils sont encore chauds. On les scie ensuite à la dimension voulue pour en tirer des éléments de construction. Le rendement par rapport à la matière première est supérieur à celui du sciage et on obtient un produit de haute qualité à partir de grumes de faible dimension et de basse qualité. L'avantage de ce procédé est qu'il permet d'éliminer tous les défauts et toutes les parties du bois ne présentant pas les qualités voulues; le placage purgé de défauts peut alors être collé pour donner des feuilles de haute qualité, présentant des propriétés mécaniques et autres prédéterminées.

Un produit qui a pris beaucoup d'importance au cours de ces dernières années et qui semble appelé à jouer un rôle croissant sur le marché du bois est le panneau de grandes particules (waferboard), qui est composé de larges copeaux collés avec une résine phénol-formaldéhyde en poudre. On l'utilise en extérieur et en intérieur dans la construction des maisons d'habitation (principalement au Canada); il concurrence directement le contreplaqué de résineux. Le succès qu'a connu dès le début ce nouveau panneau est dû entre autres au fait qu'il permet d'utiliser une essence peu demandée sur les marchés, le tremble. Cependant, d'autres bois de faible et moyenne densité conviennent aussi pour sa fabrication. Ce produit présente un grand intérêt pour les pays qui ont besoin de panneaux pour le bâtiment mais qui manquent de matières premières de qualité propre à la fabrication de contreplaqué.

Panneaux dérivés du bois

Les panneaux de flocons, formés de paillettes ou copeaux longs orientés représentent un progrès important dans la mise au point de panneaux dérivés du bois dotés de propriétés technologiques prédéterminées et offrant un rapport résistance/poids favorable. Dans ce type de panneaux, les particules, copeaux longs ou paillettes sont alignés (par des moyens mécaniques ou électrostatiques) pour former un panneau monocouche dont la résistance est orientée dans une direction, ou un panneau à trois couches dans lequel les particules de l'âme sont orientées perpendiculairement à celles des couches extérieures. Ces panneaux concurrencent maintenant directement les contreplaqués, bien que faits à partir de matières premières de qualité très inférieure.

Toute une gamme d'autres types de panneaux utilisant des bois de basse qualité et comportant des particules ou fibres orientées sont actuellement à divers stades de mise au point. On peut mentionner, par exemple, les panneaux de fibres durs à fibres orientées, les panneaux de particules à liant de ciment et particules orientées, etc. Tous ces produits offrent des débouchés d'avenir intéressants pour les bois de qualité inférieure.

Possibilités d'utilisation

Mais les industries des panneaux dérivés du bois et leurs techniques ne sont pas les seules qui permettent de tirer de bois de faible valeur des produits de haute qualité. D'autres branches de l'industrie du bois disposent de techniques et d'équipements qui offrent les mêmes possibilités. Il existe depuis un certain temps des chaînes de fabrication pouvant produire des lames de parquet continues à partir de morceaux de faible dimension, pas forcément de la même essence de bois, et d'autres qui donnent des éléments de menuiserie à partir de sciages courts, dont on élimine les défauts. Les possibilités d'utilisation de bois de faible valeur semblent, dans ce domaine, n'avoir pas de limites.

A propos, enfin, de ces possibilités, il semble évident qu'à l'avenir on utilisera le bois de plus en plus et sous diverses formes comme source de combustible. Peut-être les combustibles fournis par la forêt seront-ils surtout sous forme de bois de chauffage et de charbon de bois, mais il n'est nullement improbable que l'on puisse aussi tirer des forêts des quantités croissantes de combustibles liquides et gazeux, en utilisant des essences et des catégories de bois à présent considérées comme de faible valeur. En outre, dans de nombreux pays déjà, on produit à partir de ce genre d'essences du charbon de bois à usage industriel. Cette pratique paraît économiquement intéressante, et on espère beaucoup pouvoir l'étendre aux forêts tropicales mélangées, dont les ressources ligneuses seraient ainsi plus pleinement utilisées.

Nous ne devons pas voir dans nos forêts qu'une source de bois de sciage et de contreplaqué, mais aussi une ressource naturelle complexe susceptible de procurer une grande variété de produits, un réservoir de cellulose. Nous devons comprendre également que la liste des usages du bois n'est pas close, que l'imagination et la technique humaines en trouvent sans cesse de nouveaux et, enfin, que les progrès techniques, non seulement dans le domaine des industries forestières mais dans tous les domaines, ont énormément contribué, et continueront à contribuer, à la solution du problème que pose l'utilisation des bois de qualité inférieure. Je crois que l'on peut dire qu'il n'y a en fait pas de problème technique, ou du moins que, si problème il y a, il ne réside pas dans la forêt.

Il nous faut chercher de nouvelles méthodes de construction et faire preuve d'imagination pour adapter et développer les techniques existantes. Pour intensifier l'utilisation des bois de qualité inférieure, il faut avant tout régler le problème de leur macération, de leur pulvérisation, de leur fragmentation et de leur emploi sous une forme reconstituée à partir de pâte, de fibres et de particules. Ce problème est l'affaire des ingénieurs, des chimistes et des biochimistes.

Si j'étais chargé de gérer une forêt, je n'en éliminerais pas les essences que l'on considère aujourd'hui comme invendables, car je crois que d'ici à la fin du siècle, c'est-à-dire dans la plupart des cas en moins que l'espace d'une révolution, les essences classées comme sans valeur et les arbres mal conformés jugés indésirables seront intégralement utilisés, dans un monde où les ressources ne cessent de s'amenuiser.

Références

ERFURTH, T. 1976 Développement de produits choix et application effective des mesures promotionnelles visant à favoriser une plus large utilisation des produits des forêts tropicales humides. Rome. FAO. FO:FDT/76/10(b).

ERFURTH, T. & RUSCHE, H. 1976 Commercialisation des bois tropicaux. Rome. FAO. FO:MISC/76/12.

TOWLER, R.W. 1975 The possibilities of increased consumption of the lesser-known tropical hardwood species. Commonwealth Forestry Review, 54(3) et (4) nos 161 et 162.


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