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APPENDICE F - CONSULTATION RéGIONALE DES ONG/OSC: DU PROGRAMME à L’ACTION –SUITE DONNéE AU FORUM DES ONG/OSC SUR LA SOUVERAINETé ALIMENTAIRE

15-16 mai 2004

Déclaration de Beijing

Nous, représentants de paysans, de peuples autochtones, de femmes, de travailleurs agricoles et d'artisans pêcheurs issus de mouvements sociaux et d'ONG/OSC de 15 pays de l'Asie et du Pacifique, réunis à Beijing les 15 et 16 mai 2004 en marge de la vingt-septième Conférence régionale de la FAO, notons avec une profonde inquiétude que deux années se sont écoulées depuis le Sommet mondial de l'alimentation: cinq ans après et qu'aucun progrès n'a été accompli vers la réalisation de l’objectif consistant à réduire de moitié le nombre de personnes victimes de la faim et de la sous-alimentation.

La réalité est atterrante, puisque la situation s'est encore aggravée, un nombre croissant de personnes et de communautés basculant vers la faim et la malnutrition. L'insécurité alimentaire menace de plus en plus de personnes. Comme l'a indiqué le Sous-Directeur général et Représentant régional de la FAO pour l'Asie et le Pacifique dans l'allocution qu'il a prononcée à la consultation des ONG/OSC, le problème ne vient pas d'un manque de nourriture, mais bien du fait que les plus démunis n'ont pas accès aux aliments, à la terre et aux ressources. Les pays qui comptent le plus de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition sont ceux-là mêmes qui exportent de grandes quantités d'aliments ou qui les entreposent.

Il s'agit d'une conséquence directe de la libéralisation des échanges dans le cadre de laquelle l'accent a été mis sur la culture d'aliments destinés à l'exportation et non aux communautés locales. Par ailleurs, la militarisation accrue, les conflits armés et les guerres ont réduit à néant la vie des personnes et aggravé leur insécurité alimentaire.

Des paysans, des pasteurs, des peuples autochtones, des travailleurs agricoles et des communautés d'artisans pêcheurs sont déplacés et perdent leurs terres et toute emprise sur les autres ressources. Il est inutile de préciser que les femmes et les enfants sont les plus touchés.

Comme l'indiquait le document politique du Forum des ONG/OSC sur la souveraineté alimentaire (Rome, 2002), il est impossible d'atteindre l'objectif visant à éliminer la faim sans inverser les orientations et les tendances actuelles, ce que ne permettent absolument pas les stratégies adoptées par les autorités publiques et imposées par les institutions financières internationales et l'OMC. Ces stratégies s'articulent autour de la mondialisation de l'économie et de la libéralisation des échanges, probablement le mouvement le plus puissant qui menace les moyens d'existence de nos jours dans le monde entier, allant jusqu'à diluer la notion de droit humain à l'alimentation et de droit à produire des aliments, pour le réduire à de simple directives volontaires.

Les changements politiques nés des processus démocratiques n'ont eu aucune incidence positive sur la sécurité alimentaire des personnes et ne sont pas parvenus à inverser ces tendances en raison du fardeau de la dette et des programmes d'ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales et multilatérales.

Ces stratégies préfèrent se concentrer sur les biotechnologies et le génie génétique, plutôt que de consolider les modèles de production agroécologique à petite échelle. Elles refusent aux plus démunis le droit de produire des aliments pour leur consommation personnelle et à destination des marchés locaux. Elles nient par ailleurs la nécessité manifeste de redistribuer l'accès aux ressources productives, même s’il s’agit d'une condition essentielle pour améliorer la situation. Avec des stratégies de cet ordre, nulle volonté politique ou allocation de ressources n'entraînera jamais le moindre recul de la faim ou de la pauvreté.

L'échec des négociations de l'Accord sur l'agriculture, de même que l'ensemble de la Conférence ministérielle de l'OMC de Cancun mettent en évidence la faillite du système de l'OMC et prouvent qu'il penche, de façon abjecte, en faveur des pays développés. Son programme néolibéral est, lui aussi, intrinsèquement faussé et manifestement hostile aux individus, car une personne pratiquant une agriculture de subsistance ne pourra jamais lutter à armes égales avec une société gigantesque qui prône une agriculture industrielle. Le suicide à Cancun d'un des dirigeants du mouvement paysan coréen, Lee Kyung Hae, a ponctué de manière dramatique les nombreuses manifestations organisées dans le monde contre l'OMC, manifestations que les gouvernements ne peuvent plus ignorer au moment de définir leur position, en particulier dans le cadre de l'actuel examen de l'Accord sur l'agriculture.

La rétivité des mouvements sociaux traduit l’état d’esprit de l'opinion publique mondiale et la réalité d'une crise et d'une pauvreté endémique dont la solution passe par la sécurité et la souveraineté alimentaires. Aucun autre bouleversement de nos systèmes alimentaires et agricoles, déjà affaiblis, ne sera accepté. Cancun a plongé l'OMC et le modèle économique néolibéral en pleine crise et en a fait, aux yeux de la population, les coupables des bouleversements économiques, de la progression de la pauvreté et des troubles sociaux qui en résultent.

Dans ce contexte, la FAO offre un lieu de rencontre international unique au sein duquel le droit à l'alimentation et la souveraineté alimentaire peuvent être envisagés au-delà des limites contraignantes des règles du marché. Elle ouvre la possibilité de réaliser un travail approfondi et décisif en faveur d'un changement et d'un renforcement du système des Nations Unies, grâce à des rapports directs, transparents et démocratiques avec les ONG/OSC et les mouvements sociaux. Par exemple, l'initiative de la FAO visant à élaborer le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture permet de consolider le système des Nations Unies en facilitant un système multilatéral d'échanges.

Il faut, de toute urgence, que la FAO s’attache avant tout à combattre la faim et la pauvreté au niveau mondial et à garantir le droit des personnes à l'alimentation et à la souveraineté alimentaire, conformément au mandat qui lui a été confié à l'origine au sein du système des Nations Unies.

La souveraineté alimentaire est le DROIT inaliénable des peuples, des communautés et des pays à définir, énoncer et appliquer leurs propres politiques en matière d'agriculture, de travail, de pêches, d'alimentation et d'utilisation des terres, en parfaite conformité avec leur propre situation écologique, sociale, économique et culturelle. Il englobe le droit véritable à l'alimentation et le droit de produire des aliments, ce qui signifie que toute personne à droit à une alimentation sûre, nutritive et adaptée à sa culture, ainsi qu'à des technologies et à des ressources de production alimentaire; les populations doivent aussi être en mesure d’assurer leur propre existence et la pérennité de leurs ressources et de leurs sociétés.

En réaction au problème généralisé de la pauvreté et de la faim, nous lançons un appel en faveur de la souveraineté alimentaire. Ainsi, nous en appelons à une Convention sur la souveraineté alimentaire qui consacrerait, dans le droit international, les principes de souveraineté alimentaire et ferait de celle-ci l'axe politique principal pour aborder les questions d'alimentation et d'agriculture.

De même, nous invitons instamment la FAO à mettre en place des mécanismes lui permettant de devenir le chef de file dans le domaine de l'adoption de conventions et d'accords commerciaux internationaux se rapportant à l'alimentation et à l'agriculture, qui garantiraient le respect et la coopération Nord-Sud, assureraient l'égalité dans l’utilisation des ressources naturelles et rejetteraient toute forme de privatisation de la vie et la mise au point d'organismes génétiquement modifiés. Les gouvernements doivent inscrire l'élaboration d'accords économiques dans un cadre international de droits de la personne.

Nous apprécions l'importance de la FAO dans ce domaine et exhortons les gouvernements à soutenir le mandat et le rôle de l'Organisation qui consistent à mettre un terme à la faim dans le monde, à assurer la production d'aliments pour les populations et à faire en sorte que le développement soit équitable et propice à la vie. La FAO doit recommander et encourager des décisions multilatérales qui facilitent un ordre international fondé sur la justice et le respect de la vie.

Nous félicitons les gouvernements qui ont adopté une position ferme à l'encontre des déséquilibres de l'Accord sur l'agriculture lors des négociations de l'OMC à Cancun, de même que ceux qui ont véritablement cherché des solutions contre le dumping généralisé des produits agroalimentaires que permet cet accord. La FAO doit désormais œuvrer avec ces gouvernements pour garantir l'arrêt de ce dumping, pour bloquer l'élargissement de l'accès au marché dans les pays en développement et les pays moins avancés et pour que la souveraineté alimentaire soit défendue dans les actuelles négociations agricoles, si tant est que de telles négociations doivent se poursuivre. Nous prions par ailleurs instamment la FAO de faciliter l'examen des accords bilatéraux et régionaux de libre-échange, afin de s'assurer qu'ils défendent les principes de la souveraineté alimentaire.

Le programme de la FAO sur la protection locale intégrée contre les ravageurs (méthode de substitution), qui s'est converti en méthodologie de terrain, a profité aux agriculteurs de certains pays d'Asie où il devrait être relancé. Nous exhortons toutefois la FAO à englober dans la protection locale un système agricole global plus écologique, qui soit fondé sur les besoins et les connaissances des agriculteurs. Il s'agirait ainsi de franchir un pas vers une agriculture écologique. La FAO doit également reconnaître et soutenir les connaissances et les innovations des agriculteurs, en tant que modèles scientifiques, technologiques et agroécologiques généraux de production alimentaire. La FAO doit entamer, avec d'autres institutions du système des Nations Unies, un processus d'élaboration d'une charte sur les droits des travailleurs agricoles au plan sanitaire.

Nous apprécions en outre la décision de la FAO de reconnaître le rôle et la contribution cruciaux des mouvements sociaux et des ONG/OSC, au sein du Comité international de planification, dans le cadre de la lutte contre la faim. Néanmoins, il convient que cette reconnaissance se traduise dans les faits et qu'elle apparaisse au travers d'une consultation constante de ces organisations, qui se verraient appelées à participer de manière significative à l'échelon central, régional et national.

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