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LE SYSTÈME DES NATIONS UNIES ET LE RÉGIME DE L'ANTARCTIQUE

M. SAVINI

M. Savini est Fonctionnaire principal chargé de liaison (pêches internationales) au Département des pêches de la FAO.

Les idées exprimées dans cet article sont strictement personnelles et n'engagent aucunement la responsabilité de l'Organisation que l'auteur a l'honneur de servir.

Cette étude commence par rappeler les conditions dans lesquelles les trois instruments juridiques internationaux régissant actuellement l'Antarctique (Traité sur l'Antarctique de 1959, Convention sur la production des phoques de l'Antarctique de 1972 et Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique de 1980) ont été élaborés. L'auteur relève que le système des Nations Unies a été volontairement tenu à l'écart, bien que certaines suggestions aient été émises pour qu'il joue un plus grand rôle dans ce continent.

Dans la deuxième partie, l'auteur analyse le contenu de ces instruments, en particulier pour ce qui est de leurs relations avec le système des Nations Unies. Il décrit ensuite les négociations qui ont eu lieu au sein des organes directeurs de la FAO lorsque certains pays ont suggéré la création d'un organisme subsidiaire du Comité des pêches de la FAO, qui se serait occupé des ressources vivantes de l'Antarctique. Mention est également faite des propositions formulées dans le cadre du PNUE et visant à amender le Traité de 1959. Dans ces deux cas, les parties au Traité sur l'Antarctique ont aussi à faire respecter les responsabilités particulières qu'elles entendaient exercer sur le continent austral.

L'auteur signale également que la communauté scientifique a eu un comportement très pragmatique et qu'en fait dans le cadre d'organisations non gouvernementales une coopération effective a pu se développer entre les spécialistes du monde entier, y compris ceux du système des Nations Unies.

La troisième partie rapporte les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée générale des Nations Unies sur la question de l'Antarctique depuis 1983. Après une présentation de la thèse de certains pays non alignés souhaitant une réforme du Traité et de celle des pays parties au Traité soucieux de protéger l'équilibre fragile établi en 1959, l'étude relève que les deux groupes ont des conceptions tout à fait différentes du rôle que les Nations Unies peuvent ou doivent jouer. Pour le premier groupe, l'Antarctique fait partie du patrimoine commun de l'humanité et devrait être régi, dans le cadre des Nations Unies, par de nouvelles règles prévoyant entre autres la participation du tiers monde au processus décisionnel et un système de partage équitable des bénéfices tirés de l'exploitation des ressources. Pour le deuxième groupe, le Traité est fondé sur les principes de la Charte, et le rôle des Nations Unies est seulement de promouvoir par tous les moyens le renforcement du Traité.

L'auteur conclut en remarquant que sur bien des points les deux groupes ont des positions encore fort éloignées. Il note qu'il y a cependant un point sur lequel ils sont tombés d'accord c'est que, pour l'instant, le système du Traité sur l'Antarctique sort renforcé de l'offensive à laquelle il a dû faire face.

Lorsqu'en février 1947 l'amiral Byrd survola le pôle Sud, il y lança un container avec le drapeau des Nations Unies et celui de chacun des pays membres de l'Organisation. Le grand pionnier américain de l'exploration antarctique entendait ainsi promouvoir «l'idéal de fraternité entre les peuples»1. Ce geste symbolique semblait augurer d'un rôle prometteur dans cette zone du monde pour l'Organisation internationale qui venait de succéder à la Société des Nations. On sait que tel n'a pas été précisément le cas. Le Traité sur l'Antarctique du 1er décembre 19592 a tout d'abord placé le continent austral sous l'autorité de ce que l'on a pu appeler un directoire de privilégiés3 et a établi un régime original4 en dehors du système des Nations Unies. Puis, pendant plus de 20 ans, ce régime s'est progressivement enrichi, tandis que ses auteurs s'efforçaient de le protéger de toute «intrusion»5 de la part des grandes organisations universelles. La Déclaration adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement des pays non alignés lors de leur septième Conférence (New Delhi, 7-12 mars 1983)6 est venue modifier cet état de chose et a provoqué l'inscription de la question de l'Antarctique à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations Unies7. A la lumière des débats qui ont eu lieu lors des récentes sessions de cette dernière8, il peut être utile de faire le point de la situation. Il apparaît que le régime fondé en 1959 a assez bien résisté aux contestations dont il était l'objet. On peut même penser que, pour l'instant, il en sort apparemment renforcé.

1 Rapporté par W. Sullivan dans son ouvrage Quest for a continent, New York, 1957, p. 234.

2 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 402, 1961, n° 5778, p. 73-85. Le Traité est entré en vigueur le 23 juin 1961 après que tous ses signataires (Argentine, Australie, Belgique, Chili, Etats-Unis d'Amérique, France, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, URSS et Union sud-africaine) eurent déposé leurs instruments de ratification. En outre, 23 Etats y ont adhéré: Brésil (1975), Bulgarie (1978), Chine (1983), Cuba (1984), Danemark (1965), Espagne (1982), Finlande (1984), Grèce (1987), Hongrie (1984), Inde (1983), Italie (1981), Papouasie-Nouvelle-Guinée (1981), Pays-Bas (1967), Pérou (1981), Pologne (1961), République de Corée (1986), République démocratique allemande (1974), République fédérale d'Allemagne (1979), République populaire et démocratique de Corée (1987), Roumanie (1971), Suède (1984), Tchécoslovaquie (1962), Uruguay (1980). Il est à noter que plus de la moitié des adhésions ont été reçues depuis 1981.

3 L'expression est du professeur R.J. Dupuy dans son article fondamental «Le Traité sur l'Antarctique», Annuaire français de droit international, 1960, p. 111-132.

4 La bibliographie sur le régime créé par le Traité de 1959 est extrêmement importante. On mentionnera ici seulement les études auxquelles nous nous sommes particulièrement référés: F.C. Alexander: «Legal Aspects; Exploitation of Antarctic Resources: A Recommended Approach to the Antarctic Resource Problem», University of Miami Law Review, décembre 1978, n° 2, p. 371-423; G. Battaglini: «La condizione dell'Antartide nel diritto internazionale», Padova, Cedam, 1961, 437 p.; J.P. Bloch: «Convoitises sur l'Antarctique», Nouvelle revue maritime, n° 352, avril 1980, p. 78-98; S.T. Burton: «New Stresses on the Antarctic Treaty: Toward International Legal Institutions Governing Antarctic Resources», Virginia Law Review, vol. 65, n° 3, avril 1979, p. 421-512; W.M. Bush: Antarctica and International Law, Oceana Publications Inc. Londres, Rome, New York, 1982, 2 volumes, un troisième volume est annoncé; S.O. Butler: «Owning Antarctica. Cooperation and Jurisdiction at the South Pole», Journal of International Affairs, vol. 31, n° 1, 1977, p. 35-51; C. Economides: «Le statut international de l'Antarctique résultant du Traité du 1er décembre 1959», Revue hellénique de droit international, janvier-juin 1962, p. 76-86; E. Gajardo Villarroel: «Chile, el tratado antártico y su sistema», Boletín Antártico Chileno, año III, n° 2, juillet-décembre 1983, p. 7-15; R.E. Guyer: «The Antarctic System», Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, 1973, II, vol. 139, p. 147-226; E. Hambro: «Some Notes on the Future of the Antarctic Treaty Collaboration», American Journal of International Law, n° 68, janvier 1974, p. 217-226; J. Hanessian: «The Antarctic Treaty 1959», International and Comparative Law Quarterly, vol. 9, juillet 1960, p. 436-475; S.C. Jain: «Antarctica: Geopolitics and International Law», Indian Yearbook of International Affairs, vol. 17, 1974, p. 249-268; C. Joyner: «Antarctica and the Law of the Sea: an Introductory Overview», Ocean Development and International Law Journal, vol. 13, n° 3, 1983, p. 277-281; C. Joyner: «Antarctica and the Law of the Sea: Rethinking the Current Legal Dilemnas», San Diego Law Review, vol. 18, n° 3, 1981, p. 415-442; L. Kimball et B. Mitchell: «Conflict Over the Cold Continent», Foreign policy, n° 35, été 1979, p. 124-141; M. Koch: «The Antarctic Challenge: Conflicting Interests, Cooperation, Environmental Protection and Economic Development», Journal of Maritime Law and Commerce, vol. 15, n° 1, janvier 1984, p. 117-126; Lepotier: «Le Traité de l'Antarctique», Revue politique et parlementaire, février 1960, p. 132-143; J. Machowski: The Status of Antarctica in the Light of International Law, Varsovie, 1964, traduit en anglais, publié pour l'Office of Polar Programs and the National Science Foundation, Washington D.C., par le Foreign Scientific Publications Department of the National Center for Scientific, Technical and Economic Information, 1977; B. Mitchell: «Antarctic Riches - for Whom?», Mazingira, The World Forum for Environment and Development, n° 2, 1977, p. 71-77; B. Mitchell: «Resources in Antarctica, Potential for Conflict», Marine Policy, avril 1977, p. 91-101; B. Mitchell: «The Southern Ocean in the 1980's», Ocean Yearbook, vol. 3, 1982, p. 349-385; F. Orrego Vicuna et M.T. Infante: «Le droit de la mer dans l'Antarctique», Revue générale de droit international public, 1980, p. 340-350; B. Oxman: «The Antarctic Regime, an Introduction», University of Miami Law Review, décembre 1978, n° 2, p. 285-297; F. Pallone: «Resource Exploitation: The Threat to the Legal Regime of Antarctica», International Lawyer, été 1978, p. 547-567; C.W. Pinto: «The International Community and Antarctica», University of Miami Law Review, décembre 1978, n° 2, p. 475-487; B. Roberts: «International Co-operation for Antarctic Development: the Test for the Antarctic Treaty», The Polar Record, vol. 19, n° 119, 1978, p. 107-120; K.R. Simmonds: «Traité sur l'Antarctique de 1959», Journal du droit international, juillet-septembre 1960, p. 669-702; Taubenfeld: «A Treaty for Antarctica», International Conciliation, n° 531, janvier 1961, p. 245-322; J. Tinker: «Antarctica: Towards a New Internationalism», New Scientist, 13 septembre 1979, p. 799-801; A. Van der Essen: «Le problème politico-juridique de l'Antarctique et le Traité de Washington du 1er décembre 1959», Annuaire de droit et de sciences politiques, vol. 20, n° 3, Louvain, 1960; Dito: «L'Antarctique et le droit de la mer», Revue iranienne des relations internationales, n° 5-6, hiver 1975/76, p. 89-98; G.P. Wilson: «Antarctica, the Southern Ocean and the Law of the Sea», JAG Journal, été 1978, p. 47-85; F. Zegers: «El sistema antártico y la cuestión del aprovechamiento de los recursos en el área», Estudios internacionales, Buenos Aires, n° 47, 1979.

5 L'expression est de F.M. Auburn, in Antarctic Law and Politics, C. Hurst and Co., Londres 1982, p. 120.

6 Cf. Nations Unies, document A/38/132-S/15675, annexe, sect. III, par. 122-123.

7 Voir la demande des délégations d'Antigua-et-Barbuda et de Malaisie du 11 août 1983 (Nations Unies, document A/38/193 et Cor.1) et la décision d'inscription de l'Assemblée générale du 23 septembre 1983 (Nations Unies, document A/38/PV 3).

8 Pour 1983, voir les débats en première Commission les 28, 29 et 30 novembre (Nations Unies, documents A/C.1/38/PV 42, 43, 44, 45 et 46). Pour 1984, voir les débats en première Commission des 28, 29 et 30 novembre (Nations Unies, documents A/C.1/39/PV 50, 52, 53, 54 et 55). Pour 1985, voir les débats en première Commission des 25, 26, 27, 29 novembre et 2 décembre (Nations Unies, documents A/C.1/40/PV 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54 et 55). Pour 1986, voir les débats en première Commission des 18 et 19 novembre (documents A/C.1/41/PV 49, 50 et 51).

UN RÉGIME ÉLABORÉ EN DEHORS DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES

Du fait de ses caractéristiques géographiques et physiques particulières, le continent antarctique est resté pendant très longtemps à l'abri des controverses internationales. Alors que, dès le début de ce siècle, les chancelleries des pays de l'hémisphère Nord négociaient le statut des territoires arctiques9, la Société des Nations ne s'est pratiquement pas préoccupée du continent austral, si ce n'est pour tenter de réglementer la chasse à la baleine dans les mers circumpolaires10. Il faut toutefois rappeler les développements prémonitoires consacrés à cette question par Paul Fauchille, qui écrivait dès 1925: «Ce n'est pas à un seul Etat, c'est à tous les Etats qu'il faut reconnaître le droit d'exploiter les ressources des régions glacées. C'est en définitive d'une sorte de condominium plural qu'elles doivent être l'objet: elles doivent devenir une possession commune de tous les membres de la famille des nations»11. Cinq ans plus tard, Karapetoff lançait l'idée, restée sans écho, d'une administration du territoire par la Société des Nations12.

9 Le Spitzberg avait fait l'objet d'un projet de convention dès 1912 avant d'être régi par la Convention du 9 février 1920. C.J. Piccioni: «La question du Spitzberg, projet de convention de 1912», Revue de droit international public, tome XX, p. 277 et F. Nielsen: «The Solution of the Spitzbergen Question», American Journal of International Law, 1920, p. 232 et suivantes. Voir le texte de la Convention in Société des Nations, Recueil des Traités, vol. 2, n° 1, p. 8 et suivantes.

10 Cf. A. Raestad: «La chasse à la baleine en mer libre, une question de législation internationale devant la Société des Nations», Revue de droit international, 1928, p. 595-642.

11 P. Fauchille: Traité de droit international public, tome 1, 2e partie, Paris, 1925, p. 658.

12 V. Karapetoff: «Who shall govern Antarctica», The Nation, vol. 130, n° 3369, 21 janvier 1930, p. 125.

L'enthousiasme qui entoure souvent la mise sur pied de nouvelles constructions s'est manifesté lors de la naissance de l'Organisation des Nations Unies. Des suggestions originales visant à ce que la nouvelle organisation soit dotée de certaines compétences en Antarctique ont alors été émises. L'opposition des deux pays latino-américains les plus directement intéressés puis la guerre froide ont bloqué ces premières tentatives. La guerre froide passée, on a assisté à une seconde série d'initiatives dans le même sens, qui se sont heurtées elles aussi à de fortes oppositions. En fin de compte, le Traité conclu le 1er décembre 1959 a fait preuve d'une remarquable discrétion pour ce qui est des rapports entre le système des Nations Unies et le régime convenu pour le continent austral. La même discrétion a entouré l'élaboration des deux conventions conclues en 1972 et 1980 pour réglementer respectivement la chasse pélagique au phoque et la pêche des ressources marines vivantes de l'Antarctique.

LE REJET DES SUGGESTIONS ÉMISES LORS DE LA NAISSANCE DE L'ONU

Plusieurs ballons d'essai furent plus ou moins officiellement lancés dans les années qui suivirent immédiatement la naissance des Nations Unies. On préconisa notamment de faire appel à la Cour internationale de Justice, ou d'utiliser les dispositions des articles 75 à 85 de la Charte relative au régime international de tutelle, ou bien encore de recourir à certaines institutions spécialisées pour s'acquitter de tâches ponctuelles. L'échec de ces tentatives nous autorisera à ne les évoquer qu'assez brièvement.

Mentionnons tout d'abord la suggestion avancée par P. Jessup visant à faire appel à la Cour internationale de Justice13. Dans un article publié en janvier 1947 par l'American Journal of International Law, l'éminent juriste américain notait que la question de l'Antarctique pourrait être réglée par une conférence du type de celle qui s'était tenue à Berlin en 1885 au sujet de l'Afrique14, et soulignait que le travail d'une telle conférence se trouverait facilité si l'on disposait au préalable d'une décision de la CIJ concernant le droit applicable. Selon lui, la question aurait fort bien pu être déférée à la Cour par l'Assemblée générale en vue d'obtenir un avis consultatif dans l'intérêt de la paix et du développement progressif du droit international. La décision rendue par la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du Groenland oriental montrait bien que ces questions étaient de celles pouvant être traitées sous l'angle judiciaire. Incidemment, Jessup indiquait que la question pourrait être déférée à la Cour par deux des Etats qui revendiquaient des droits sur le territoire. Seule cette deuxième voie a été tentée ultérieurement par un Etat (le Royaume-Uni) mais, comme nous le verrons ci-après, le refus de l'autre partie d'accepter la juridiction de la Cour n'a pas permis au processus judiciaire de suivre son cours.

13 Cf. P. M. Jessup: «Sovereignty in Antarctica», American Journal of International Law, vol. 41, n° 1, janvier 1947, p. 117-119.

14 Il est troublant de noter que lorsque la question de l'Antarctique a été discutée à l'Assemblée générale de l'ONU à partir de 1983, plusieurs pays africains n'ont pas hésité à parler de situation de type colonial pour caractériser le régime actuel de l'Antarctique.

La Charte offrait une autre possibilité d'intervention pour les Nations Unies: le régime international de tutelle prévu par les articles 75 et suivants. Ce biais n'avait pas échappé à certains Etats ayant des revendications territoriales qui, dès la Conférence de San Francisco, avaient tenu à ce que leurs réserves fussent consignées aux minutes de la Conférence. C'est ainsi que l'Argentine prit alors la précaution de préciser qu'elle n'accepterait en aucun cas que le régime de la tutelle puisse s'appliquer à des territoires lui appartenant15.

15 Voir la déclaration de l'Argentine concernant l'application des dispositions de la Charte des Nations Unies relatives à la tutelle, in W.M. Bush: Antarctica and International Law, Oceana Publications Inc., Londres, Rome, New York, 1982, vol. 1, p. 615.

Ce fut une organisation non gouvernementale - la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté - qui, par le canal du Conseil de tutelle, fut à l'origine, en 1947, du premier débat dans une enceinte des Nations Unies sur l'éventualité de placer l'Antarctique sous le régime de la tutelle. Trois pétitions furent présentées par les branches suisse, danoise et finlandaise de la Ligue16. En bref, ces dames suggéraient de confier le contrôle et l'administration des régions polaires inhabitées «à une ou plusieurs des commissions du Conseil de tutelle des Nations Unies». Elles soulignaient qu'une telle solution faciliterait les observations météorologiques et l'organisation de missions scientifiques, qu'elle permettrait l'établissement de lignes aériennes plus courtes, garantirait un accès libre, sur un pied d'égalité, aux matières premières et favoriserait la conclusion d'accords équitables relatifs à la pêche et à la chasse au phoque et à la baleine. Concernant des territoires n'ayant fait l'objet d'aucun accord de tutelle par les puissances directement intéressées, ces pétitions étaient à l'évidence irrecevables17. Lorsqu'elles furent examinées par le Conseil dans sa séance du 15 novembre 1947, M. Ryckmans (Belgique) rappela que les pétitionnaires devaient d'abord s'adresser aux puissances directement intéressées, afin que ces dernières soumettent un accord de tutelle à l'approbation de l'Assemblée générale. Tant qu'un tel accord n'était pas intervenu, le Conseil ne pouvait pas être saisi de la question. Le Conseil suggéra donc que le Secrétaire général réponde aux pétitionnaires en leur indiquant comment elles pourraient faire examiner leur proposition par l'organe compétent de l'Organisation des Nations Unies18. L'affaire en resta là.

16 Voir les documents T/PET. GENERAL 15, 16 et 18, in Conseil de tutelle, Comptes rendus officiels, 2e session, 1re partie, 20 novembre-16 décembre 1947, supplément, p. 218-224.

17 C'est ce que décida le Comité ad hoc pour les pétitions constituées par le Conseil de tutelle. Ibid., p. 43-44.

18 Ibid., p. 63-67.

En novembre 1947, les Etats-Unis envisagèrent l'hypothèse d'un régime de tutelle, tel que prévu par les dispositions pertinentes de la Charte19. Devant les objections soulevées, le gouvernement de Washington avança quelques mois plus tard l'idée d'une tutelle d'un type un peu particulier dans le cadre de laquelle une commission composée de représentants de l'Argentine, de l'Australie, du Chili, des Etats-Unis, de la France, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni aurait été désignée comme «autorité administrante» du territoire sous tutelle20. Du fait des réticences manifestées notamment par le Royaume-Uni pour des raisons d'ordre stratégique21, cette hypothèse fut assez vite écartée au profit de l'idée d'un condominium multiple n'entretenant avec les Nations Unies que de simples liens de coopération22. Pas plus que la précédente, cette initiative n'était compatible avec la nature des revendications formulées par l'Argentine et le Chili. L'opposition résolue de ces deux pays d'une part et les objections de principe soulevées par l'Union soviétique d'autre part23 empêchèrent que les négociations se poursuivent dans cette direction.

19 Cf. les références détaillées citées en notes par J. Hanessian: «The Antarctic Treaty, 1959», in International and Comparative Law Quaterly, vol. 9, juillet 1960, p. 436-475, et en particulier p. 437-442.

20 Ibid., p. 438.

21 Ibid., note 13, p. 439.

22 Ibid., note 12, p. 439. Cette solution a connu un regain d'actualité au début des années 80. Un auteur l'a de nouveau proposée comme un moyen d'écarter une autorité internationale émanant du système des Nations Unies. Cf. C. Joyner: «Antarctica and the Law of the Sea - Rethinking the Current Legal Dilemnas», San Diego Law Review, avril 1981, vol. 18, n° 3, p. 415-442, en particulier p. 437-438.

23 L'Union soviétique considérait que «tous les Etats concernés» (y compris bien entendu l'URSS) devaient être invités à participer aux négociations sur le régime de l'Antarctique, mais elle était opposée à un régime de condominium. Voir P.A. Toma: «Soviet Attitude Towards the Acquisition of Territorial Sovereignty in the Antarctic», American Journal of International Law, vol. 50, 1956, p. 611-626, qui reproduit en annexe le texte du mémorandum soviétique sur cette question du 7 juin 1950. Voir également B.A. Boczek: «The Soviet Union and the Antarctic Regime», American Journal of International Law, vol. 78, 1984, p. 834-858.

Mentionnons enfin qu'au cours de cette période de l'après-guerre l'intervention de deux institutions spécialisées du système des Nations Unies (la FAO et l'Unesco) fut également envisagée ou proposée.

La FAO était très probablement visée par les dispositions de l'article III(6) de la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine du 2 décembre 194624, aux termes desquelles les gouvernements contractants s'engageaient à se consulter dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la Convention afin de décider s'il convenait ou non d'intégrer la Commission baleinière internationale dans le cadre d'une institution spécialisée rattachée à l'Organisation des Nations Unies. Des consultations à ce sujet eurent lieu à Oslo en juillet 1950, lors de la seconde réunion annuelle de la Commission. Compte tenu notamment des facilités matérielles consenties par le Ministère britannique de l'agriculture et des pêches, la Commission décida qu'il était préférable qu'elle demeure un organe indépendant. Simultanément, elle réaffirma son désir de maintenir les rapports très étroits qu'elle entretenait avec la FAO25.

24 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 161, n° 2124, p. 75-99. La convention ne s'appliquait pas exclusivement à la zone de l'Antarctique, mais, surtout à cette époque, la plupart des campagnes de chasse étaient effectuées dans cette zone.

25 International Whaling Commission, 2e rapport (couvrant la période 1er juin 1950-31 mai 1951), p. 4.

En septembre 1946, le Directeur général de l'Unesco, M. Julian Huxley, lança l'idée de la création d'un institut international pour la recherche antarctique. Il suggéra qu'une initiative à ces fins soit prise par l'une des huit puissances retenues par les Etats-Unis dans leur proposition citée ci-dessus. A défaut, il indiquait que l'institut pourrait être placé sous le contrôle immédiat de l'ONU et financé directement par l'Organisation26. L'idée ne reçut qu'un accueil fort tiède. Etant donné qu'aucun des Etats intéressés ne prit l'initiative de demander l'inscription de la question à l'ordre du jour de la troisième Conférence générale de l'Unesco, comme le suggérait M. Huxley, les négociations se poursuivirent sous d'autres auspices.

26 Cf. J. Hanessian, op. cit. à la note 19 ci-dessus, p. 449.

Après une période d'accalmie, au début des années 50, la préparation de l'Année géophysique internationale27 attira de nouveau l'attention de la communauté internationale sur le statut de l'Antarctique. Plusieurs suggestions intéressant le système des Nations Unies furent avancées, tant par la doctrine que par les gouvernements. Elles n'eurent pas plus de succès que celles que nous venons d'évoquer.

27 Cf. W. Sullivan: «The International Geophysical Year», International Conciliation, n° 521 (janvier 1959); W. Budeler: L'année géophysique internationale, Paris, Unesco, 1957.

L'ÉCHEC DES INITIATIVES AYANT PRÉCÉDÉ LA CONCLUSION DU TRAITÉ

La proposition la plus détaillée et la plus originale qui ait été formulée durant cette période est sans aucun doute celle de C.W. Jenks. Dans un article remarqué, publié en octobre 1956 dans International Affairs28, le professeur Jenks s'interrogeait sur les formes possibles de l'internationalisation du continent. Il examinait tout d'abord un certain nombre de solutions théoriquement possibles et en mentionnait notamment deux qui faisaient appel au système des Nations Unies:

- le découpage du continent en un certain nombre de zones, chacune confiée à une autorité administrante faisant rapport à l'Assemblée générale par l'intermédiaire soit du Conseil de tutelle, soit du Conseil de sécurité;

- l'établissement d'un régime de tutelle unique pour tout le territoire dont la gestion serait confiée directement aux Nations Unies29.

28 C.W. Jenks: «An International Regime for Antarctica?», International Affairs, vol. 32, octobre 1956, p. 414-426.

29 Déjà en 1951, M. Sibert s'était fait l'avocat d'une solution de ce type et écrivait: «Seule l'internationalisation des régions polaires apparaît conforme à l'équité et source de profits pour l'humanité. De ces territoires où la désolation masque sans doute des richesses insoupçonnées, l'Organisation des Nations Unies pourrait assurer le contrôle». Traité de droit international public, Dalloz 1951, tome 1, p. 856.

Estimant peu probable que ces approches fussent politiquement réalistes et acceptables, C.W. Jenks suggérait d'aborder le problème d'une façon plus pragmatique et fonctionnelle. Il identifiait neuf domaines d'action pour lesquels il était nécessaire de prévoir des dispositions au niveau international, et pour chacun d'entre eux il esquissait quelques lignes directrices:

Prévention des activités préjudiciables à la paix ainsi qu'à la sécurité politique et militaire de l'hémisphère Sud. Pour régler ce premier problème, il était suggéré que les Etats directement intéressés concluent un accord international de démilitarisation dont la mise en œuvre serait contrôlée soit par le Conseil de sécurité ou sa Commission du désarmement, soit par un organisme spécialement constitué à cet effet par les Etats directement intéressés.

Ordre et justice. Bien qu'il n'apparaisse pas indispensable de construire un système juridique complet pour l'Antarctique, il pourrait s'avérer nécessaire d'élaborer quelques règlements sur des points particuliers et peut-être aussi de disposer d'un embryon d'appareil juridictionnel et répressif.

Navigation aérienne. La Convention de Chicago de 1944 relative à l'aviation civile internationale30 permet à l'OACI de susciter et d'administrer des entreprises de financement collectif pour l'installation et l'exploitation de services de navigation aérienne jugés indispensables pour la bonne marche de l'aviation civile internationale31. Le professeur Jenks suggérait que les Etats intéressés prennent l'initiative de soulever la question devant les instances compétentes de l'OACI. Plusieurs options seraient alors à considérer: soit charger l'OACI elle-même d'assumer des responsabilités opérationnelles directes, soit faire appel à un consortium international de compagnies aériennes analogue à l'Association du transport aérien international (IATA), soit négocier un accord spécial d'assistance avec certains gouvernements qui pourraient se charger de fournir et d'entretenir les facilités nécessaires.

Météorologie. Il était suggéré de recourir aux services de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) qui disposait déjà d'un personnel d'assistance technique expérimenté dans ces domaines.

Télécommunications. Tous les services et installations de télécommunication pourraient être régis par les conventions et règlements déjà existants relatifs aux télécommunications internationales. Tout problème spécial venant à surgir pourrait être soumis à l'Union internationale des télécommunications.

Chasse à la baleine et utilisation des autres ressources de l'océan. La Convention du 2 décembre 1946 avait déjà attribué des fonctions limitées à la Commission baleinière internationale. Il était suggéré que les mesures qui s'avéreraient nécessaires pour la conservation des ressources marines de la région soient éventuellement prises en étendant la portée des arrangements existants.

Ressources minérales. C.W. Jenks suggérait plusieurs solutions et notamment celle consistant à charger les Nations Unies de délivrer les permis de recherche et les concessions d'exploitation.

Problèmes du plateau continental. Au cas où le problème viendrait à se poser, l'utilisation des ressources sous-marines serait régie par les mêmes règles que celles arrêtées pour les minéraux du continent lui-même. La conservation et l'exploitation des ressources marines32 obéiraient aux règles ordinaires applicables à la haute mer.

Responsabilité générale pour la coordination des recherches scientifiques futures en Antarctique. Il était jugé préférable de confier ce genre de responsabilité à un organe officieux et non politique comme le Conseil international pour l'exploration des mers (CIEM), qui aurait pu tenir informée l'Assemblée générale par l'intermédiaire du Conseil économique et social et en coopération avec l'Unesco.

30 Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 15, 1948, p. 344 et suivantes.

31 Voir à ce sujet R.H. Mankiewitch: «Le rôle du Conseil de l'OACI comme administrateur des services de navigation aérienne», Revue française de droit aérien, 1954, n° 3, p. 223-236. Jenks mentionnait qu'on aurait pu s'inspirer du système mis sur pied par l'OACI pour le financement collectif de certains services de navigation aérienne du Groenland et des îles Féroé.

32 C.W. Jenks pensait probablement seulement aux ressources marines vivantes.

Les propositions de C.W. Jenks connurent indubitablement un certain retentissement33. Il importe de les replacer dans le contexte de l'époque. Le Royaume-Uni venait d'essayer de faire trancher par un organe des Nations Unies - la Cour internationale de Justice - ses différends d'ordre territorial l'opposant à l'Argentine et au Chili34. Le Premier Ministre de la Nouvelle-Zélande, M. W. Nash, venait de reprendre l'idée d'une tutelle collective sous le contrôle des Nations Unies35. Le représentant permanent de l'Inde auprès des Nations Unies demandait au Secrétaire général d'inscrire la question de l'Antarctique à l'ordre du jour de la prochaine session de l'Assemblée générale36, et sa demande suscitait déjà l'intérêt de certains pays développés37. Venant d'horizons les plus divers, des propositions pour que soit confié un rôle aux Nations Unies se multipliaient. Aux Etats-Unis, une organisation non gouvernementale - la Commission pour l'étude de l'organisation de la paix - relançait l'idée d'une tutelle et suggérait que l'exploitation des ressources du continent soit confiée à une institution spécialisée ou à un groupe de pays opérant en vertu de permis délivrés par les Nations Unies38. L'idée retenait l'attention de l'amiral Byrd39.

33 Voir par exemple R.J. Dupuy: «Le statut de l'Antarctique», Annuaire français de droit international, 1958, p. 196-229, en particulier p. 225-226.

34 Le 4 mai 1955, le Royaume-Uni avait déposé à la CIJ deux requêtes - une contre l'Argentine et une contre le Chili - relatives toutes deux à des différends concernant «la souveraineté de certaines îles et terres de l'Antarctique». Ni l'Argentine ni le Chili n'avaient accepté la juridiction obligatoire de la Cour. Par deux ordonnances du 16 mars 1956, la Cour s'est déclarée incompétente et a rayé ces affaires de son rôle. A ce sujet, voir notamment la note de D. Vignes, Annuaire français de droit international, 1956, p. 397-401.

35 «Remarks by P.M. Nash suggesting a U.N. Trusteeship», The Times, Londres, 25 janvier 1956, p. 8, cité par C.W. Jenks dans son article mentionné à la note 28 ci-dessus. En février 1958, M. Nash répéta sa proposition en déclarant que la Nouvelle-Zélande était prête à soulever aux Nations Unies la question des contrôles internationaux sur l'Antarctique et que tout arrangement international en la matière devrait obtenir l'approbation de cette organisation. Cf. The Dominion (Wellington), 20 février 1958, cité par J. Hanessian, p. 454 de son article mentionné à la note 19 ci-dessus.

36 Cf. Nations Unies, documents A/3118 du 17 février 1956, A/3118 Add. 1 du 12 septembre 1956 (qui demande un changement dans la dénomination de ce point de l'ordre du jour) et A/3118 Add. 2 du 16 octobre 1958 (qui contient un mémorandum explicatif). Face à l'hostilité ou à l'apathie de nombre de puissances intéressées, la requête fut finalement retirée par son auteur. Certaines de ses motivations sont cependant intéressantes à noter. Dans le mémorandum explicatif accompagnant sa lettre du 16 octobre 1956, l'ambassadeur Lall faisait référence à l'importance que revêtait la question pour «l'ensemble du monde» et il insistait sur l'importance d'une coopération entre «toutes les nations». Voir à ce sujet K. Ahluwalia: «The Antarctic Treaty: Should India Become a Party to It?», Indian Journal of International Law, 1960, p. 483. Voir aussi la note 51 ci-après.

37 Voir B. Mitchell et R. Sandbrook: The Management of the Southern Ocean, publication de l'International Institute for Environment and Development, Londres, 1980, p. 25, qui mentionne notamment la Suède.

38 Cf. Commission to study the Organization of Peace: Strengthening the United Nations, New York, Harper 1957, p. 207-217.

39 The Times (Londres), 17 février 1956, p. 6, cité par C.W. Jenks dans son article mentionné à la note 28 ci-dessus.

Au Royaume-Uni, en 1955, un membre de la Chambre des communes avait interrogé le gouvernement sur l'opportunité de déclarer l'Antarctique territoire mondial placé sous la souveraineté des Nations Unies40. L'année suivante, dans la même enceinte, on évoquait l'éventualité que les nations revendiquant des droits sur le continent transfèrent collectivement ces droits à l'ONU41. Le fils du célèbre explorateur britannique Shackleton se déclarait séduit par cette approche42, et le premier ministre en personne, M. MacMillan, ne semblait nullement l'exclure43. Au Japon même, une organisation non gouvernementale emboîtait le pas44.

40 Hansard, Parliamentary Debates, House of Commons, Oral Answers to Questions, 8 novembre 1955, vol. 545, col. 1649-1650, cité par J. Hanessian, p. 448 de son article mentionné à la note 19 ci-dessus.

41 Hansard, Parliamentary Debates, House of Commons, Oral Answers to Questions, 25 avril 1956, vol. 551, col. 1760-1761. Sur ce débat voir les commentaires de E. Hambro: «Some Notes on the Future of the Antarctic Treaty Collaboration», American Journal of International Law, vol. 68, 1974, p. 218.

42 E. Shackleton: «Antarctica, the Case for Permanent International Control - A Possible Solution?», World Affairs, Londres, mai-juin 1958, p. 23-25.

43 Cf. H.J. Taubenfeld: «A Treaty for Antarctica», International Conciliation, n° 531, janvier 1961, p. 278.

44 Ibid., p. 277, note 30.

Cette prolifération de suggestions de type internationaliste n'eut qu'assez peu d'influence sur la suite des négociations, et en particulier sur l'attitude de certains des Etats les plus directement intéressés. C'est du Chili que vint l'opposition la plus déterminée. Dans un mémorandum du 4 octobre 1956 adressé à tous les Etats Membres des Nations Unies45, le Gouvernement de Santiago manifesta son opposition à la proposition indienne d'inscription de la question à l'ordre du jour de l'Assemblée générale au motif que cette proposition portait atteinte à la souveraineté territoriale du Chili. Il se déclarait cependant ouvert à l'étude de toute autre formule susceptible d'éviter que l'Antarctique ne devienne un point de discorde entre pays amis, à condition que les négociations se déroulent directement entre les pays ayant des intérêts légitimes dans la région et en dehors du cadre des organisations internationales. Dans un autre document publié peu de temps après46, le Gouvernement chilien s'abrita derrière l'article 2, paragraphe 7, de la Charte interdisant aux Nations Unies d'intervenir dans des affaires relevant essentiellement de la compétence nationale d'un Etat47. Il fit également ressortir que, si la question était soulevée aux Nations Unies, l'Union soviétique - ou tout autre pays n'ayant jusqu'alors jamais revendiqué de droits sur le continent - pourrait en profiter pour essayer de faire consacrer des prétentions nouvelles susceptibles d'affecter gravement les titres, droits et intérêts légitimes du Chili dans la région. De leur côté, la France et l'Australie demeurèrent hostiles à toute internationalisation trop poussée48.

45 Texte in W.M. Busch, op. cit. à la note 15 ci-dessus, vol. 1, p. 502 et suivantes.

46 Ibid., p. 506-507.

47 Cet argument avait déjà été utilisé en 1951 par l'Argentine lors de la signature du Traité de paix avec le Japon. Voir le texte de la réserve Argentine in ibid., p. 688-689.

48 Cf. ibid., vol. 2, p. 165 (qui reproduit la déclaration sans ambiguïté du Ministre australien de la marine au Sénat, le 22 mai 1956). Voir aussi F.M. Auburn, p. 94 de son ouvrage cité à la note 5 ci-dessus.

Désireux de mettre à profit une conjoncture internationale devenue plus favorable et souhaitant la conclusion d'un accord qui fût acceptable par toutes les parties intéressées, les Etats-Unis tinrent dûment compte de ces réticences. Dans une note du 3 mai 1958 envoyée directement aux ministres des affaires étrangères des 11 autres pays qui avaient participé en Antarctique aux activités de l'Année géophysique internationale49, ils suggérèrent les grandes lignes d'un traité qui n'attribuait pratiquement aucun rôle au système des Nations Unies. Il y était simplement mentionné que le régime proposé était en harmonie avec les idéaux élevés de la Charte, qu'une fois entré en vigueur le traité serait enregistré conformément aux dispositions de l'article 102 de la Charte et que l'on rechercherait la coopération des agences techniques spécialisées des Nations Unies (ce qui semblait exclure celle de l'Organisation des Nations Unies elle-même).

49 U.S. Department of State Bulletin, vol. 38, n° 988, 2 juin 1958, p. 910-912.

Cette attitude prudente s'avéra payante. Les réponses des pays contactés furent toutes positives. Du côté des «territorialistes», on était rassuré par la proposition visant à geler le contentieux territorial. L'essentiel étant garanti, un pas prudent pouvait être fait en direction du multilatéralisme. Cela explique probablement que le Chili se soit aussitôt déclaré prêt à coopérer avec les institutions spécialisées du système des Nations Unies50. Chez les «internationalistes», on appréciait l'éventualité de la conclusion d'un traité multilatéral engageant les 12 Etats les plus directement intéressés51. A cet égard, il faut prendre comme un baroud d'honneur la déclaration faite par le représentant de la Nouvelle-Zélande à l'ouverture de la Conférence de Washington en octobre 1959, rappelant que son pays était toujours prêt à renoncer à la souveraineté sur ses territoires antarctiques pour établir un régime totalement international52.

50 Voir le texte de la note chilienne acceptant l'invitation des Etats-Unis de participer à la Conférence in W.M. Bush, op. cit. à la note 4 ci-dessus, vol. 2, p. 417-419.

51 Il est à noter cependant qu'après la publication de la note américaine, deux pays - l'Inde et la Pologne - manifestèrent leur désir de participer aussi aux négociations. L'Inde demanda de nouveau que la question soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée générale (voir le document Nations Unies A/3852 du 15 juillet 1958); cette demande fut ultérieurement retirée. Cf. S.C. Jain: «Antarctica: Geopolitics and International Law», Indian Yearbook of International Affairs, vol. 17, 1974, en particulier p. 270-275. En avril 1959, la Pologne fit parvenir une note à cet effet aux 12 participants potentiels. Cf. J. Machowski: thèse citée à la note 4 ci-dessus, p. 31. Pour sa part, l'Union soviétique proposa également, mais sans succès, d'élargir la participation à la Conférence. Cf. R.D. Hayton: «The Antarctic Settlement of 1959», American Journal of International Law, vol. 54, 1960, en particulier la note 22, p. 354. Voir également P.J. Beck: «Preparatory Meetings for the Antarctic Treaty 1958-59», The Polar Record, vol. 22, n° 141, 1985, p. 653-664, en particulier p. 657.

52 Cité par J. Hanessian, op. cit. à la note 19 ci-dessus, p. 465.

Les travaux préparatoires se déroulèrent dans le secret, de juin 1958 à mai 1959. D'une façon générale, la possibilité d'associer les Nations Unies aux affaires de l'Antarctique ne trouva que peu de partisans. L'opinion prévalut selon laquelle les intérêts de la communauté internationale seraient mieux garantis par les dispositions mêmes du Traité que par une participation directe des Nations Unies. Après discussion, on préféra même écarter les suggestions tendant à inviter le Secrétaire général à participer à la Conférence en qualité d'observateur53. La Conférence elle-même se tint à huis clos d'octobre à décembre 1959. L'ONU, qui est mentionnée à six reprises dans le texte du Traité, en fut totalement écartée. Les suggestions émises par la doctrine et visant à tâcher d'obtenir de l'Assemblée générale une approbation de principe de l'action des 12 puissances54 ne trouvèrent aucun écho au niveau diplomatique. A posteriori, on ne peut s'empêcher de penser qu'un tel geste, de peu de conséquences à l'époque, eût sans aucun doute renforcé la position des parties consultatives lorsque, à partir de 1983, le régime institué en 1959 fut contesté au sein des Nations Unies.

53 Cf. P.J. Beck, article cité à la note 51 ci-dessus.

54 Cf. D. Hayton, op. cit. à la note 51 ci-dessus, en particulier p. 368.

On a souvent reproché aux parties contractantes cette mise à l'écart de l'Organisation mondiale. Sans la nier, certains défenseurs du Traité ont argué qu'elle était inévitable, voire qu'elle avait contribué de façon décisive à l'heureuse issue des négociations. D'autres ont tenté de relier le Traité au système des Nations Unies, soit simplement en soulignant sa compatibilité avec les principes des Nations Unies55, soit en prétendant qu'il constituait un accord régional de type de ceux prévus au chapitre VIII de la Charte56. Ce dernier argument nous semble difficile à défendre. Notons tout d'abord que ses auteurs ont préjugé de la question de savoir si l'affaire de l'Antarctique revêtait un caractère régional ou plus vaste57. Cette thèse a d'ailleurs été infirmée par la pratique des parties consultatives qui n'ont jamais cru devoir se conformer aux prescriptions de l'article 54 de la Charte relative aux accords régionaux. Aux termes de cet article, le Conseil de sécurité doit, en tout temps, être tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée en vertu d'accords régionaux pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Or, en dépit de l'indéniable importance de certaines clauses du Traité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité n'a été informé de la question ni avant, ni pendant, ni même après la négociation du Traité.

55 Voir par exemple les arguments avancés en ce sens par le Gouvernement chilien dans le document soumis à la 39e session de l'Assemblée générale A/39/583 (2e partie), vol. 2, paragraphes 63 et suivants.

56 Cf. R.D. Hayton, op. cit. à la note 51 ci-dessus, en particulier p. 366-367; R.E. Guyer: «The Antarctic System», Recueil des cours de l'Académie du droit international, 1973, vol. 139, en particulier p. 175 et 224.

57 En faveur de la seconde hypothèse voir S.C. Jain, article cité à la note 51 ci-dessus, en particulier p. 273.

En pratique, les signataires du Traité de 1959 ont manifesté la plus grande réserve vis-à-vis du système des Nations Unies. On l'a bien vu lors de l'élaboration de la Convention de 1972 sur la protection des phoques de l'Antarctique58 et de la Convention de 1980 sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique59.

58 Voir le texte in Revue générale de droit international public, 1973, p. 555 et suivantes et in Journal officiel des communautés européennes, n° C/138, 19 juin 1975.

59 Voir le texte en annexe à l'article de D. Vignes: «La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines antarctiques», Annuaire français de droit international, 1980, p. 761 et suivantes.

L'ÉLABORATION DES CONVENTIONS DE 1972 ET DE 1980

Dès leur première réunion à Canberra en 1961, les parties consultatives60 se préoccupèrent des ressources vivantes de la zone couverte par le Traité de 195961. A leur troisième réunion, en 1964, elles adoptèrent des «mesures convenues» pour la protection de la faune et de la flore antarctiques62. Lors de leur réunion suivante, deux ans plus tard, elles recommandèrent des lignes de conduite intérimaires pour la réglementation de la chasse pélagique au phoque dans l'Antarctique63. Ces questions furent donc tout d'abord considérées dans le cadre fermé du Traité. Certaines parties consultatives s'en accommodèrent fort bien et auraient même préféré que les choses continuassent à être traitées dans ce cadre64. D'autres firent remarquer que l'article VI du Traité s'opposait à ce que l'on portât atteinte aux droits reconnus à tout Etat par le droit international en ce qui concerne les parties de la haute mer se trouvant dans la zone du Traité. Ces droits, aux termes de l'article 2 de la Convention de 1958 sur la haute mer, comprenaient le droit de pêcher (et par extension de chasser le phoque)65. Notant en outre que ces questions présentaient un intérêt pour des pays qui n'étaient pas parties au Traité, les parties consultatives décidèrent que les règles nécessaires devaient être convenues en dehors du cadre du Traité66 au moyen de conventions distinctes.

60 Rappelons que dans le «jargon» du Traité sur l'Antarctique, on appelle «parties consultatives» celles des parties contractantes qui sont habilitées à participer aux réunions consultatives prévues par l'article IX du Traité.

61 Recommandation I-VIII, in Report of the First Antarctic Treaty Consultative Meeting, The Polar Record, vol. 11, n° 70, 1962, p. 73-78.

62 Recommandation III-VIII, in Report of the Third Antarctic Treaty Consultative Meeting, The Polar Record, vol. 12, n° 79, p. 453-472. Voir à ce sujet D. Anderson: «The Conservation of Wildlife under the Antarctic Treaty», The Polar Record, vol. 14, n° 88, 1968, p. 25-32.

63 Recommandation IV-21, in Report of the Fourth Antarctic Treaty Consultative Meeting, The Polar Record, vol. 13, n° 86, 1967, p. 621-658.

64 Voir la déclaration en ce sens du Représentant du Chili en 1972, regrettant que la question de la conservation des phoques de l'Antarctique ait été confiée à une conférence spéciale et exprimant le souhait que la question soit à l'avenir examinée dans le cadre du Traité sur l'Antarctique. In Report of the Seventh Antarctic Treaty Consultative Meeting, par. 29, The Polar Record, vol. 16, n° 103, p. 595-608.

65 Voir D. Anderson, op. cit. à la note 62 ci-dessus, en particulier p. 30.

66 Cf. Report of the Sixth Antarctic Treaty Consultative Meeting, par. 10, The Polar Record, vol. 15, n° 98, 1971, p. 729-760. La question de savoir si les recommandations formulées par les parties consultatives en vertu de l'article IX du Traité pouvaient s'appliquer à la haute mer a connu un regain d'intérêt à la fin des années 70 à l'occasion de la refonte du droit de la mer. Cf. F. Pallone: «Resource Exploitation: the Threat to the Legal Regime of Antarctica», International Lawyer, 1978, vol. 12, n° 3, p. 547-561, en particulier p. 558-559.

A la différence du Traité sur l'Antarctique, qui était un instrument principalement politique, les Conventions de 1972 et 1980 se sont occupées de questions assez techniques nécessitant le concours d'experts scientifiques. Dans les deux cas, des experts de la FAO ont été appelés à participer à certains des travaux qui ont été pris en considération lors des négociations au niveau diplomatique.

La Convention de 1972 sur la protection des phoques de l'Antarctique. Les travaux scientifiques qui ont servi de base à la Convention de 1972 sur la protection des phoques de l'Antarctique ont été coordonnés par le Comité scientifique de la recherche antarctique (CSRA). Formellement, ce comité n'était qu'un des organes subsidiaires d'une organisation non gouvernementale à but scientifique, le Conseil international des unions scientifiques (CIUS)67. En pratique, le CSRA est devenu le conseiller scientifique attitré des parties consultatives68. Dès 1960, il avait créé un groupe de travail permanent sur la biologie69 composé d'experts siégeant à titre personnel. C'est sous l'égide de ce groupe de travail qu'un sous-comité de spécialistes des phoques entreprit les études requises par les parties consultatives70. A partir de 1967, un membre du personnel du Département des pêches de la FAO fut invité à prêter son concours aux travaux de ce sous-comité.

67 Sur le CIUS, voir L. Focsaneanu: «Le droit international de la recherche scientifique et technique», Annuaire français de droit international, 1966, p. 377-408, en particulier p. 391-394.

68 Cf. B. Roberts: «International Co-operation for Antarctic Development: the Test for the Antarctic Treaty», The Polar Record, vol. 19, n° 119, 1978, p. 107-120. Sur le CSRA, voir R. Peake: «El Comité Científico de Investigaciones Antártica, SCAR». Boletín Antártico Chileno, vol. 4, n° 2, 1984, p. 18-28.

69 Cf. SCAR Bulletin, n° 7, janvier 1961, The Polar Record, vol. 10, janvier 1960-septembre 1961, p, 418.

70 Voir la recommandation IV-22.

Cette participation revêtait un caractère personnel et n'engageait donc pas en principe l'Organisation en tant que telle. En avril 1969, le Secrétariat de la FAO attira l'attention du Comité des pêches de l'Organisation sur cette question. Il indiqua que des contacts avaient été pris avec le CSRA et le «Secrétariat du Traité de l'Antarctique» mais que cependant, jusqu'alors, le Directeur général de la FAO n'avait pas été invité à désigner un représentant pour participer aux réunions consultatives du Traité et que le projet de convention dont la presse s'était fait l'écho n'avait jamais été formellement communiqué au Secrétariat de la FAO71.

71 Voir le document COFI/69/7, Suppl. 2, intitulé Ressources de l'Antarctique, soumis à la quatrième session du Comité des pêches (Rome, 17-23 avril 1969).

Au niveau diplomatique, plusieurs projets de convention furent successivement discutés. Certaines parties consultatives (en particulier les Etats-Unis) penchaient en faveur de la création d'un organisme international indépendant doté de pouvoirs étendus72. D'autres s'opposèrent résolument à la création de tout mécanisme institutionnel permanent. Afin de concilier ces positions divergentes, il fut aussi envisagé de confier à la FAO des responsabilités d'ordre scientifique limitées mais permanentes. Comme lors de la négociation du Traité de 1959, ce sont les solutions minimalistes qui l'emportèrent finalement.

72 Voir la déclaration du représentant des Etats-Unis annexée à l'Acte final de la Conférence sur la conservation des phoques de l'Antarctique (Londres, 3-11 février 1972), in International Legal Material, 1972, p. 417.

Il faut toutefois remarquer qu'à la différence de ce qui s'était passé en 1959 une institution spécialisée du système des Nations Unies avait été, même indirectement, associée aux préparatifs techniques de la Convention. En outre, au plan formel, il faut noter que la FAO fut invitée en qualité d'observateur à la conférence diplomatique qui élabora la Convention.

La Convention de 1980 sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique. La situation était relativement différente lorsque les parties consultatives mirent en chantier, toujours formellement en dehors du cadre du Traité de 1959, la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique. De plusieurs côtés, on commençait à critiquer l'élitisme du système mis en place en 1959. Des suggestions diverses avaient été avancées dans des enceintes telles que l'ECOSOC, la FAO, le PNUE, etc. Nous y reviendrons en détail ci-dessous. A ce stade, notons simplement que le système des Nations Unies a probablement joué à ce moment-là un rôle catalytique indirect, mais non négligeable, en incitant les parties consultatives à se mettre d'accord au plus vite dans le cadre du système de l'Antarctique. Lors de l'ouverture de la neuvième réunion consultative du Traité sur l'Antarctique en 1977, un représentant du Foreign Office fit référence à la question de l'exploitation des ressources vivantes et émit l'opinion que «si nous ne relevons pas ce défi, un vide sera créé, et si nous ne le comblons pas nous-mêmes, d'autres s'en chargeront»73. Quelque temps après, un des représentants français aux réunions consultatives lui faisait écho en affirmant plus directement: «Les parties consultatives devront donc trouver rapidement des solutions qui leur permettront de continuer à gérer l'Antarctique, si elles veulent éviter que ce continent ne devienne l'enjeu de querelles entre les nations et ne passe sous le contrôle de l'ONU où s'affronteront des intérêts divergents et inconciliables... L'incapacité des nations du Traité à s'entendre conduirait la FAO à considérer qu'il lui reste à prendre le relai et à construire elle-même une convention74».

73 Cité par C. Joyner: «Antarctica and the Law of the Sea: Rethinking the Current Legal Dilemna», San Diego Law Review, avril 1981, vol. 18, n° 3, p. 415-442, en particulier p. 423.

74 J.P. Bloch: «Convoitises sur l'Antarctique», Nouvelle revue maritime, n° 352, avril 1980, p. 78-98, en particulier p. 86 et 96.

Les parties consultatives durent donc tenir compte de deux nécessités qu'il n'était pas toujours aisé de concilier. Il s'agissait d'une part de ne pas ignorer totalement le système des Nations Unies et d'autre part de ne pas perdre le contrôle de la situation. Elles s'y efforcèrent tant au niveau technique qu'au niveau diplomatique.

Comme lors de la préparation de la Convention de 1972, les parties consultatives demandèrent un certain nombre d'études scientifiques au CSRA. Le groupe permanent du CSRA sur la biologie décida en 1972 de créer un sous-comité sur les ressources marines vivantes de l'océan Austral (transformé en 1975 en groupe de spécialistes). Cette fois-ci, la FAO fut associée un peu plus formellement aux travaux entrepris puisque non seulement un membre du personnel du Département des pêches fut prié d'apporter son concours et fut nommé rapporteur, mais que de surcroît le Comité consultatif de la recherche sur les ressources de la mer de la FAO75 fut invité à copatronner le groupe de spécialistes. Les avis scientifiques fournis aux parties consultatives en la matière provenaient donc d'un organe mixte copatronné par des organisations scientifiques non gouvernementales et un organe subsidiaire d'une institution spécialisée du système des Nations Unies.

75 Le Comité consultatif de la recherche sur les ressources de la mer a été créé par le Directeur général de la FAO en vertu des dispositions de l'article VI.2 de l'Acte constitutif de l'Organisation en 1962, comme suite à une décision adoptée par la Conférence de la FAO à sa 11e session en 1961. Il se compose de spécialistes des pêches nommés à titre personnel par le Directeur général de la FAO. Il est chargé de faire des études et de fournir au Directeur général des avis sur l'élaboration et l'exécution des parties du Programme de travail de l'Organisation relatives à la recherche sur les ressources des pêches maritimes ainsi qu'à la diffusion, l'interprétation et l'application des résultats obtenus, en s'attachant particulièrement aux aspects halieutiques de la recherche océanographique. Cf. FAO, Rapport sur les pêches n° 14, 1963, p. 28-29.

Au niveau des négociations diplomatiques, les contacts furent moins étroits. Et pourtant, nombre de parties consultatives n'étaient pas hostiles - loin de là - à une coopération avec les institutions spécialisées du système des Nations Unies, en particulier avec la FAO qui était celle des organisations du système le plus directement concernée76. De fait, les projets d'articles soumis par l'Afrique du Sud, l'Australie, les Etats-Unis et l'URSS lors de la neuvième réunion consultative des parties en 1977 mentionnaient tous nominalement la FAO. Le projet sud-africain en particulier prévoyait la conclusion d'un accord entre la commission qui serait créée par la Convention et la FAO. Cet accord aurait dû permettre à la FAO de désigner un «représentant» qui aurait participé de droit (mais bien sûr sans droit de vote) à toutes les réunions de la commission et de ses organes subsidiaires. D'autres organisations internationales auraient pu être invitées à assister à ces réunions, mais en qualité d'observateurs. Les trois autres projets étaient moins précis. L'Australie préconisait simplement une coopération avec les institutions spécialisées du système des Nations Unies, les Etats-Unis une coopération avec la FAO en matière de statistiques et d'évaluation des stocks, et l'Union soviétique l'assistance technique de la FAO et de la Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco (COI) pour recueillir et évaluer des informations sur les ressources et mettre au point des programmes de recherche scientifique. A plusieurs reprises, en 1977 et 1978, les négociateurs de la Convention tinrent des réunions informelles avec des représentants du secrétariat de la FAO77. En outre, cette Organisation fut invitée (de même que la CEE, la COI, la Commission baleinière internationale, l'Union internationale pour la conservation de la nature, le CSRA et le Comité scientifique de la recherche océanographique) à assister en qualité d'observateur à la Conférence diplomatique qui se tint à Canberra du 7 au 20 mai 1980 pour adopter la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique78.

76 En 1978, le Département d'Etat américain avait déclaré partager l'opinion selon laquelle la FAO devrait jouer un grand rôle dans le régime de conservation à négocier. Voir Final Environmental Impact Statement for a Possible Regime for Conservation of Antarctic Marine Living Resources, Department of State, juin 1978, p. 1-3.

77 Voir le communiqué de presse publié à l'issue de la deuxième réunion spéciale des parties consultatives (Buenos Aires, 17-28 juillet 1978). Le rôle de Jean Carroz lors de ces négociations fut aussi discret qu'efficace.

78 Le silence du règlement intérieur de la Conférence au sujet des droits des observateurs s'explique par certaines divergences entre les parties quant au statut de la CEE. Les quatre pays membres de la CEE ayant transféré leur compétence en matière de pêche à la Communauté voulaient que la délégation communautaire jouisse des droits les plus étendus. Devant l'opposition de principe des pays d'Europe de l'Est, il fut décidé que le règlement intérieur serait muet en la matière, et on convint officieusement que les observateurs des organisations intergouvernementales pourraient - à la discrétion du Président - prendre la parole à toutes les séances officielles de la Conférence. La CEE, dont on savait qu'elle deviendrait probablement partie à la Convention, usa largement de cette facilité. Les observateurs de la FAO et de la COI/Unesco se montrèrent beaucoup plus réservés. Ils prirent cependant la parole à plusieurs reprises et purent soumettre des documents. Un traitement plus restrictif fut réservé aux observateurs des organisations non gouvernementales. Voir à ce sujet D. Vignes: «La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique», Annuaire français de droit international, 1980, p. 741-761, en particulier p. 759.

En conclusion, on peut remarquer que, si le Traité de 1959 a été élaboré totalement en dehors du système des Nations Unies, les parties consultatives ont quelque peu modifié leur comportement lors de la négociation des deux conventions qui ont suivi. Certes, elles se sont entourées de certaines précautions et, certes, on n'entendait plus guère de par le monde des propositions visant à confier des responsabilités étendues aux Nations Unies - ce qui semblait conjurer tout péril -, mais on n'en retiendra pas moins que les parties consultatives ont alors timidement entrouvert la porte à certaines des organisations du système des Nations Unies.

On va voir cependant que, lors de la mise en œuvre du régime ainsi élaboré, les parties consultatives ont été conduites à plusieurs reprises à protéger ce régime d'interventions non sollicitées en provenance du système des Nations Unies.

UN RÉGIME MIS EN ŒUVRE EN MARGE DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES

Nous verrons tout d'abord que le Traité de 1959 ainsi que les deux Conventions qui suivirent furent extrêmement prudents quant au rôle susceptible d'être joué par le système des Nations Unies. La pratique a montré que la vigilance des diplomates pouvait être tempérée par le pragmatisme de la communauté scientifique.

LA PRUDENCE DES TRAITÉS

Il était difficile, dans un instrument diplomatique de la portée du Traité de 1959, d'ignorer totalement le système des Nations Unies. De fait, l'ONU y est citée à plusieurs reprises, et tout d'abord dans le préambule où les parties se déclarent persuadées que le Traité «servira les intentions et les principes de la Charte». Cette disposition a été rappelée avec force par les défenseurs du Traité lorsque ce dernier a été mis en cause à partir de 1983 devant l'Assemblée générale par certains Etats non alignés79. A cela il leur a été opposé que le Traité comportait des mécanismes «discriminatoires»80 méconnaissant le principe fondamental de l'égalité souveraine des Etats consacré par l'article 2, paragraphe 1, de la Charte81. D'autres critiques sont allés jusqu'à comparer le système du Traité à des pratiques condamnées par les Nations Unies, telles que le colonialisme82 ou l'apartheid83. En outre, la référence aux principes de la Charte incluse dans le Traité a constitué une des bases de la résolution 40/156/C de l'Assemblée générale demandant aux parties consultatives d'exclure l'Afrique du Sud de leurs réunions.

79 Voir par exemple la réponse de la Norvège à la note verbale envoyée le 8 février 1984 par le Secrétaire général à tous les Etats Membres en application de la résolution 38/77. Nations Unies, document A/39/583 (2e partie), vol. 3, section 32, par. 3.

80 Voir l'intervention du délégué de Sri Lanka à la première commission de l'Assemblée générale le 25 novembre 1985. Nations Unies, document A/C.1/40 PV 48.

81 Voir l'intervention du délégué du Pakistan à la première commission de l'Assemblée générale le 26 novembre 1985. Nations Unies, document A/C.1/40/PV 50.

82 Voir par exemple l'intervention du délégué du Ghana à la première commission de l'Assemblée générale le 29 novembre 1983. Nations Unies, document A/C.1/38/PV 43.

83 L'expression est d'un des représentants les plus écoutés du groupe des 77 à la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui s'exprimait à titre personnel lors d'un séminaire tenu à Washington en septembre 1979. Cité par B. Mitchell et R. Sandbrook: The Management of the Southern Ocean. International Institute for Environment and Development, Londres, 1980, p. 26.

Il importe également de mentionner à ce stade la référence faite par le préambule du Traité à «l'intérêt de l'humanité tout entière». Depuis que le concept - voisin bien que distinct - de «patrimoine commun de l'humanité» a connu le succès que l'on sait au sein de plusieurs organes des Nations Unies, cette disposition a probablement contribué à inciter certains Etats Membres de l'Organisation à suggérer que la question de l'Antarctique soit discutée dans l'enceinte des Nations Unies comme ce fut le cas pour les fonds marins.

C'est à l'article III, traitant du renforcement de la coopération en matière de recherche scientifique, que figure la disposition de substance intéressant le plus directement la présente étude. Au paragraphe 2, il est en effet mentionné que «la coopération dans les relations de travail avec les institutions spécialisées des Nations Unies et les autres organisations internationales pour lesquelles l'Antarctique offre un intérêt scientifique ou technique sera encouragée par tous les moyens». Cette disposition suscita à l'époque des commentaires empreints d'optimisme. En France, par exemple, le professeur R.J. Dupuy estimait qu'elle traduisait «une ouverture sur des organismes largement ouverts aux Etats». Il ajoutait: «Ainsi, non seulement pourra être facilitée la coopération entre les douze, mais encore, des institutions comme l'UIT, l'OACI, l'OMM et l'Unesco permettront l'exploitation des résultats obtenus au profit de l'ensemble de la collectivité internationale. Si en pratique seuls les douze participent à des prospections de nature scientifique en Antarctique, du moins les découvertes doivent-elles être communiquées à tous»84. A la même époque, aux Etats-Unis, un spécialiste des questions de l'Antarctique émettait l'opinion que les agences spécialisées du système des Nations Unies seraient à l'avenir sans aucun doute associées plus étroitement aux programmes relatifs à l'Antarctique85. Nous aurons l'occasion ci-après de revenir plus en détail sur la nature et l'ampleur de la coopération entre les parties consultatives et les institutions de la famille des Nations Unies. A ce stade, notons simplement que, lors des récents débats à l'Assemblée générale, des appréciations assez divergentes ont été portées sur l'application de l'article III, paragraphe 2. On peut relever par exemple que l'Argentine86, le Chili87 et la France88 ont fait état d'une coopération intense et fructueuse. En revanche, selon la Jamaïque89 et la Malaisie90, les parties consultatives auraient purement et simplement rejeté toute coopération. La question n'a guère retenu l'attention de la doctrine, mais les quelques commentaires formulés jusqu'alors sont plutôt négatifs et font état de la résistance qu'auraient opposée les parties consultatives aux efforts des différents organes des Nations Unies en vue de jouer un rôle plus actif dans la région91.

84 Cf. R.J. Dupuy, op. cit. à la note 3 ci-dessus, en particulier p. 118.

85 Cf. D. Hayton, op. cit. à la note 51 ci-dessus, en particulier p. 368-369.

86 Voir la réponse de l'Argentine à la note verbale envoyée le 8 février 1984 par le Secrétaire général à tous les Etats Membres en application de la résolution 38/77. Nations Unies, document A/39/583 (2e partie), vol. 1, section 2.

87 Ibid., vol. 2, section 10. Voir également F. Zegers: «The Antarctic System and the Utilization of Resources», University of Miami Law Review, décembre 1978, n° 2, p. 427-473, en particulier p. 43 9 où il est fait état d'une coopération très active.

88 Voir le compte rendu de la 45e séance de la première commission de l'Assemblée générale du 30 novembre 1983. Nations Unies, document A/C.1/38/PV 45.

89 Ibidem.

90 Voir le compte rendu de la 42e séance de la première commission de l'Assemblée générale du 28 novembre 1983. Nations Unies, document A/C.1/38/PV 42.

91 Cf. S. Eilers: «Antarctic Adjourned? The UN Deliberations on Antarctica», The International Lawyer, vol. 19, n° 4, automne 1985, p. 1309-1318, en particulier p. 1309. Voir aussi F.M. Auburn, op. cit. à la note 5 ci-dessus, qui estime que la coopération des parties consultatives avec des organisations internationales autres que le CSRA a été davantage l'exception que la règle.

Les autres références aux Nations Unies figurant dans le Traité sont d'un intérêt moindre pour cette étude.

Aux termes de l'article X, «chacune des parties contractantes s'engage à prendre des mesures appropriées, compatibles avec la Charte des Nations Unies, en vue d'empêcher que personne n'entreprenne dans l'Antarctique aucune activité contraire aux principes et aux intentions du Traité»92. La principale question de fond posée par cet article est celle de l'opposabilité du Traité aux Etats qui n'y sont pas parties 93. Elle dépasse le cadre de cette étude dans la mesure où la référence aux Nations Unies ne vise que la nature des mesures susceptibles d'être prises par les parties contractantes, et non le principe même de la prise de ces mesures.

92 Ces dispositions sont à rapprocher de celles de l'article 2 par. 6 de la Charte selon lesquelles l'Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas membres des Nations Unies agissent conformément aux principes de la Charte.

93 Sur l'opposabilité erga omnes du Traité voir les opinions divergentes de MM. M.W. Mouton (Recueil des cours de l'Académie du droit international, 1962, tome III, vol. 107, p. 258-259) et R.J. Dupuy (Annuaire français de droit international, 1960, p. 122) dont les arguments ont été cités avec éloge par le Ministre des affaires étrangères du Chili dans le discours qu'il prononça lors du 25e anniversaire du Traité. Cf. Boletín Antártico Chileno, vol. 4, n° 2, 1984, p. 35-40. Il est à noter que la doctrine soviétique semble désormais considérer que le Traité a une validité erga omnes. Voir B. Boczek: «The Soviet Union and the Antarctic Regime», American Journal of International Law, vol. 78, 1984, p. 834-858, en particulier p. 856.

L'article XI, paragraphe 2, du Traité relatif au règlement des différends prévoit que tout différend relatif à l'interprétation ou à l'application du Traité qui n'aura pu être réglé par les procédures prévues à l'alinéa précédent devra être porté, avec l'assentiment dans chaque cas de toutes les parties en cause, devant la Cour internationale de Justice en vue de règlement. Une telle rédaction s'explique à l'évidence par la diversité des positions des parties quant à l'acceptation de la juridiction de la Cour. Notons simplement que, pour ne pas porter atteinte aux mécanismes établis par l'article 36 du Statut de la Cour, l'Afrique du Sud, la France et le Royaume-Uni ont, par des déclarations formulées lors de la clôture de la Conférence de Washington, souligné que selon eux l'article XI, paragraphe 2, du Traité ne devait pas faire obstacle à l'application normale des dispositions pertinentes du Statut de la CIJ relatives à l'acceptation de la juridiction obligatoire94. Depuis l'entrée en vigueur du Traité, aucun différend de ce type n'a été soumis à la CIJ.

94 Reproduites in W.M. Bush, op. cit. à la note 4 ci-dessus, vol. 1, p.42.

L'article XIII, paragraphe 1, ne se réfère aux Nations Unies que de façon incidente, dans la mesure où il n'ouvre sans condition l'adhésion au Traité qu'aux seuls Etats Membres des Nations Unies95. Lors de la négociation du Traité, cette disposition fut l'objet de discussions assez serrées. La majorité des participants - et notamment l'Australie, la France, le Japon, les Etats-Unis et l'Union soviétique - qui firent des déclarations en ce sens96 auraient préféré une ouverture plus large, soit en ouvrant le Traité à tous les Etats, soit en l'ouvrant au moins aux Etats membres d'une institution spécialisée du système des Nations Unies. Ces points de vue ont été réaffirmés par la République démocratique allemande et la Roumanie lorsqu'elles adhérèrent au Traité97.

95 L'adhésion éventuelle d'autres Etats nécessite le consentement de toutes les parties consultatives.

96 Les déclarations de ces Etats sont reproduites par W. Bush, op. cit. à la note 4 ci-dessus, vol. 1, p. 42-43.

97 Cf. W. Bush, op. cit. à la note 4 ci-dessus, vol. 1, p. 107-108.

La dernière disposition mentionnant les Nations Unies se trouve au paragraphe 6 de l'article XIII prévoyant l'enregistrement du Traité conformément aux dispositions de l'article 102 de la Charte. Cette formalité était sans doute nécessaire à partir du moment où les parties avaient prévu la possibilité d'un recours à un organe de l'ONU - la CIJ - pour trancher les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application du Traité. Lors de la Conférence de Washington, certains Etats avaient pensé à confier les fonctions de dépositaire au Secrétaire général. Cette suggestion ne recueillit qu'un appui très limité98 et demeura donc sans suites. Ce détail de procédure confirme, s'il en était besoin, l'état d'esprit général qui fut celui des parties lors de la négociation du Traité.

98 Cf. P.J. Beck, op. cit. à la note 51 ci-dessus, en particulier p. 658.

On retrouve la même philosophie dans le texte des deux autres conventions négociées ultérieurement par les parties consultatives.

Compte tenu de l'objectif purement technique faisant l'objet de la Convention de 1972 pour la protection des phoques de l'Antarctique, les parties contractantes n'ont pas estimé nécessaire de faire quelque référence que ce soit à l'organisme de caractère principalement politique qu'est l'ONU99. A la différence du Traité sur l'Antarctique, l'adhésion est dans tous les cas subordonnée au consentement de toutes les parties contractantes100; il n'est pas prévu de procédure de règlement des différends. Seul l'article 5, paragraphe 6, qui traite de l'échange d'informations et avis scientifiques mentionne que le CSRA peut demander, si nécessaire, l'assistance technique de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture pour l'élaboration de ses estimations. Le CSRA ne s'est pas jusqu'ici prévalu de cette possibilité.

99 Mise à part la formalité de l'enregistrement prévue, conformément à l'article 102 de la Charte, par l'article 16 de la Convention.

100 Article 12.

A quelques nuances près, une démarche similaire a été suivie par les auteurs de la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique. A l'examen, on pourrait même déceler dans cette Convention les signes d'une prudence accrue vis-à-vis du système des Nations Unies. Ainsi, dans le préambule, la nécessité de réserver les eaux entourant l'Antarctique à des fins exclusivement pacifiques n'est plus assortie d'une référence à la Charte, comme c'était le cas dans le préambule du Traité de 1959 dans lequel les parties contractantes se disaient persuadées qu'un traité réservant l'Antarctique aux seules activités pacifiques servirait les intentions et les principes de la Charte. De même, les possibilités d'adhésion à la Convention ne sont plus liées comme en 1959 à l'appartenance à l'ONU. Enfin, on notera que, contrairement à la pratique suivie par les accords ou conventions de pêches qui contiennent des dispositions à cet effet101, l'annexe relative à la procédure d'arbitrage confie à une personnalité extérieure au système des Nations Unies (le Secrétaire général de la Cour permanente d'arbitrage, tiré en l'occurrence d'un oubli aussi injuste que profond) le soin de désigner les arbitres en cas de défaillance d'une partie ou de désaccord entre les arbitres désignés par les parties.

101 Les conventions et accords relatifs à la pêche ne prévoient que rarement des dispositions relatives au règlement des différends par voie d'arbitrage. Toutefois, ceux qui contiennent de telles dispositions font le plus souvent appel soit au Président de la Cour internationale de Justice (voir par exemple l'article 14 de l'annexe II à la Convention relative au développement régional des pêches dans le golfe de Guinée du 21 juin 1984), soit au Secrétaire général des Nations Unies (voir l'annexe II à l'Accord entre la CEE et la République des Seychelles sur la pêche au large des Seychelles paraphé le 3 décembre 1986), soit à la FAO (voir par exemple l'article 2 de l'annexe VIII à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982), soit conjointement à ces trois autorités (voir par exemple l'article 9, par. 1 et 2, de la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer de 1958 et les commentaires de J.E. Carroz: «Le rôle de la FAO dans la conservation des ressources biologiques de la mer», in Actualités du droit de la mer.) Société française pour le droit international, colloque de Montpellier, 25-27 mai 1972, Paris, Editions A. Pedone, p. 247-268.

L'article XXII de la Convention reprend, à quelques variantes près, les dispositions de l'article X du Traité de 1959 et oblige chaque partie contractante à déployer les efforts appropriés, dans le respect de la Charte des Nations Unies, afin d'empêcher quiconque de mener des activités allant à l'encontre des objectifs de la Convention. Il n'appelle pas d'autres commentaires que ceux que nous avons formulés ci-dessus. Il en est de même pour les articles XXV (Règlement des différends par la Cour internationale de Justice) et XXXIII (Enregistrement de la Convention conformément aux dispositions de l'article 102 de la Charte).

C'est à l'article XXIII que l'on trouve une certaine ouverture sur le système des Nations Unies. L'alinéa 2 prévoit en effet que la Commission ou son Comité scientifique coopèrent, le cas échéant, avec la FAO et les autres institutions spécialisées. On remarquera que le ton est relativement plus prudent que celui de l'article III, paragraphe 2, du Traité de 1959 aux termes duquel cette coopération devait être «encouragée par tous les moyens». Le même article précise que la Commission peut conclure des accords avec ces organisations et peut les inviter à envoyer des observateurs à ses réunions. Cela est un peu en deçà des propositions faites par certains Etats - notamment l'Afrique du Sud - lors de la négociation de la Convention, mais témoigne indéniablement de la volonté des parties de reconnaître le rôle important que la FAO joue dans le monde en matière d'aménagement des ressources halieutiques102.

102 La Conférence de Canberra a rejeté un amendement présenté par la délégation du Royaume-Uni (document CAMLR/38 du 9 mai 1980) tendant à citer nommément la Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco.

La vigilance des diplomates lors de l'élaboration du règlement intérieur de la Commission a conduit à l'édiction de règles assez strictes pour régir les modalités de cette coopération.

LA VIGILANCE DES DIPLOMATES

On ne peut nier que, sans totalement fermer la porte au système des Nations Unies, les textes de base conçus par les pères fondateurs du régime actuel de l'Antarctique avaient été rédigés avec la plus grande prudence. Il peut être intéressant d'examiner quelles ont été dans la pratique les relations entre les deux entités.

L'importance de cette question n'a pas échappé à la sagacité de l'Assemblée générale quand elle a commencé à s'intéresser à la question de l'Antarctique. Par sa résolution 40/157 (A) du 16 décembre 1985, elle a en effet prié le Secrétaire général de préparer une étude traitant de la participation des institutions spécialisées et des organisations intergouvernementales compétentes au système prévu par le Traité sur l'Antarctique. Dans son rapport soumis à la session suivante103, le Secrétaire général s'est livré à un examen des 154 recommandations formulées en 25 ans par les parties consultatives. Il a conclu à une «participation croissante des institutions spécialisées et des organisations internationales» dans le système du Traité sur l'Antarctique104 en citant 52 exemples d'une telle participation105. A l'examen, il semble cependant que ce rapport ait interprété de façon assez large le mandat élaboré par l'Assemblée générale. Cette dernière désirait en effet des informations sur la participation des «institutions spécialisées et des organisations intergouvernementales». Or, sur les 52 exemples cités, 39 concernent la coopération entre les parties consultatives et une organisation non gouvernementale - le Comité scientifique de la recherche antarctique - qui est un organisme «fermé» composé de comités nationaux représentant exclusivement les institutions scientifiques des parties consultatives106.

103 Document A/41/722.

104 Ibid., par. 6.

105 Ibid., par. 7.

106 Voir l'étude de R. Peake citée à la note 68 ci-dessus. Voir aussi l'Antarctic Journal de juin 1985, en particulier p. 11 et 12. Les rares demandes de participation au CSRA émanant d'institutions de pays n'ayant pas le statut de parties consultatives ont été écartées. Voir le cas du rejet de la demande de l'Instituto Antártico Uruguayo en 1970 dans The Polar Record, vol. 15, janvier 1971, vol. 97, p. 625, et le cas de l'Espagne, de l'Italie et des Pays-Bas en 1986 dans «La XIX Reunión del SCAR en San Diego, California», Boletín Antártico Chileno, vol. 6, n° 2, 1986, en particulier p.55. Il est cependant à relever que la République démocratique allemande a été admise en 1980.

Il ressort à l'évidence des débats de l'Assemblée générale que cette dernière désirait savoir dans quelle mesure les parties consultatives coopéraient avec des organismes largement ouverts à la communauté internationale et non avec les composantes du système de l'Antarctique. Si on élimine les références faites dans le rapport du Secrétaire général à la coopération avec la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique - autre composante de ce même système -, il ne reste plus que 11 cas de coopération avec l'extérieur (faisant l'objet de neuf recommandations).

Trois de ces recommandations107 ne visent pas les organisations du système des Nations Unies. Il ne reste donc que six recommandations qui intéressent directement la présente étude108.

107 La recommandation II-I sur l'échange de données scientifiques préconise la transmission d'observations scientifiques à des «centres de collecte de données internationalement reconnus»; la recommandation X-7 sur la pollution de l'environnement antarctique par les hydrocarbures invite le CSRA à consulter les «organisations internationales appropriées» pour examiner la possibilité de mettre en œuvre un programme de recherches; la recommandation XI-1 sur les ressources minérales de l'Antarctique prévoit que le futur régime devra contenir des dispositions permettant de coopérer avec les «organisations internationales concernées».

108 Recommandations I-XI (1961), V-2 et V-3 (1968), VI-3 (1970), X-3 (1979) et XII-1 (1983).

Ces recommandations ont été adressées à trois organisations: la COI de l'Unesco, l'UIT et l'OMM. C'est surtout l'OMM qui a été concernée, puisqu'elle est spécifiquement visée par quatre des six recommandations, à savoir: la recommandation V-2 appelant la coopération de l'OMM pour la définition des besoins scientifiques futurs; la recommandation VI-3 invitant l'OMM à revoir périodiquement certaines normes techniques et à informer les gouvernements des résultats de ces examens; la recommandation X-3 renouvelant et renforçant la précédente; et la recommandation XII-1 réaffirmant l'importance du système global de télécommunications de l'OMM, notant la réactivation d'un groupe de travail du Comité exécutif de l'OMM sur la météorologie antarctique et invitant l'OMM à entreprendre certaines activités nouvelles. Il est indéniable qu'une coopération substantielle s'est instaurée entre cette institution spécialisée du système des Nations Unies et les parties consultatives. Cela s'explique principalement par le fait que les organes dirigeants de l'OMM ont pleinement accepté la philosophie élitiste du Traité. C'est ainsi qu'en 1963 le quatrième Congrès de l'OMM a accepté de créer un Comité permanent de l'Antarctique, composé exclusivement des Etats qui sont parties consultatives au Traité sur l'Antarctique, étant entendu que les autres membres de l'Organisation pouvaient siéger en qualité d'observateurs109.

109 Résolution 29 (Cg IV) dont l'entrée en vigueur était subordonnée de surcroît à l'approbation de toutes les parties consultatives membres de l'Organisation. Cf. The Polar Record, vol. 12, janvier 1964, septembre 1965, p. 79.

Bien que les documents des réunions consultatives n'aient jamais été rendus publics, on a l'impression que certaines parties consultatives auraient souhaité que la coopération entre le système du Traité et la famille des Nations Unies fût plus étroite que ce qu'elle a finalement été. La nécessité d'obtenir le consensus de toutes les parties explique le petit nombre de recommandations formulées110.

110 Les rapports des premières réunions consultatives faisaient mention, à la suite des recommandations effectivement adoptées, des propositions individuelles de certains pays qui, visiblement, n'avaient pu faire l'objet d'une recommandation formelle faute de consensus. Cette pratique a par la suite été abandonnée. Notons que le rapport de la première Réunion consultative fait ainsi mention d'une proposition française tendant à porter certaines informations à l'attention de l'AIEA et d'une proposition britannique visant à inviter le Bureau international de l'UPU à prendre certaines dispositions. (The Polar Record, vol. 11, janvier 1963, n° 73, p. 78). De même, en 1964, le Royaume-Uni aurait proposé, en vain, de clarifier les relations entre le système du Traité et les organisations internationales. Cf. P. Beck: «The United Nations and Antarctica», The Polar Record, 22 (137), p. 137-144, en particulier p. 142.

L'exemple très positif de l'OMM ne doit cependant pas masquer l'essentiel, à savoir: que les parties consultatives ont pendant longtemps déployé des efforts considérables pour faire en sorte que les activités des organes du système des Nations Unies en Antarctique soient menées exclusivement dans les limites acceptées par elles. Ces limites étaient conçues de façon assez stricte. On l'a bien vu à propos de deux sujets d'importance considérable pour l'avenir du continent austral: l'exploitation des ressources vivantes marines et la protection de l'environnement. Dans le premier cas, les parties ont exercé une vigilance extrêmement active au sein de la FAO; dans le second, il leur a suffi d'opposer une défense passive face aux velléités du PNUE.

La vigilance active au sein de la FAO. Pendant une dizaine d'années (1969-1978), on a assisté au sein de la FAO à plusieurs tentatives visant à ce que cette organisation joue un plus grand rôle dans l'exploitation des ressources vivantes de l'Antarctique et y associe les pays en développement. Les parties consultatives ont réussi à s'opposer avec succès à la création, au sein de la FAO, d'un organisme permanent spécialisé qui aurait eu des responsabilités précises en la matière.

En 1969, tout d'abord, lors de la quatrième session du Comité des pêches, le Secrétariat avait attiré l'attention sur la nécessité de disposer de bases scientifiques pour l'aménagement des ressources halieutiques de l'Antarctique. Il fit remarquer qu'il n'existait alors aucun arrangement intergouvernemental permettant de coordonner les recherches nationales sur les ressources vivantes de la zone111. Le Comité se borna alors à estimer que la FAO devrait être informée des mesures prises par les Etats parties au Traité sur l'Antarctique et par le Comité scientifique de la recherche antarctique dans le domaine de la recherche et de l'aménagement des ressources marines, et qu'elle devrait fournir le concours de ses experts pour aider à l'élaboration de programmes d'aménagement112. L'affaire en resta là.

111 Document COFI/69/7, supp. 2, intitulé Ressources de l'Antarctique, par. 4.

112 Rapport de la quatrième session du Comité des pêches, Rome, 17-23 avril 1969, FAO, Rapport sur les pêches n° 72, par. 49.

En octobre 1974, comme suite à une suggestion émise lors de la Conférence technique sur l'aménagement et le développement des ressources halieutiques qui s'était tenue l'année précédente à Vancouver (Canada), la FAO organisa à Rome une consultation informelle sur le krill de l'Antarctique à laquelle furent invités des experts d'Australie, du Danemark, d'Espagne, des Etats-Unis, du Japon, de Norvège, de la République fédérale d'Allemagne, du Royaume-Uni et d'Union soviétique113. Les participants s'accordèrent à considérer qu'il était prématuré de songer à organiser une division internationale du travail en matière de recherche et de développement de l'exploitation du krill. Ils estimèrent toutefois qu'une certaine coordination des efforts était désirable et que la FAO devrait mettre sur pied un centre d'information sur les recherches concernant le krill. Ils convinrent qu'au cas où cela s'avérerait nécessaire la FAO devrait prendre contact avec des organismes internationaux de financement pour trouver le soutien nécessaire à la coordination internationale des efforts de recherche en la matière114.

113 Informal Consultation on Antarctic Krill, Rome, 14 octobre 1974, FAO Fisheries Report n° 153.

114 Ibid., par. 2.4.

Le mois suivant, la Conférence mondiale sur l'alimentation, organisée à Rome en vertu de la résolution 3180 (XXVIII) de l'Assemblée générale des Nations Unies, recommanda entre autres la mise en œuvre de programmes de recherche visant à développer de nouvelles sources d'alimentation humaine115. Pour donner effet à cette recommandation, la FAO soumit au PNUD une proposition de projet pour la phase préparatoire d'un programme pour la prospection et le développement halieutique des mers australes dont l'objectif à long terme était de «mieux connaître la nature, l'importance et la distribution des ressources vivantes de l'océan Austral et de promouvoir leur exploitation et leur utilisation dans l'intérêt de l'humanité tout entière et des pays en développement en particulier». Le Comité des pêches en fut tenu informé et, à sa dixième session (3-10 juin 1975), il estima qu'il fallait que la FAO s'occupe de rassembler et d'élaborer des données sur ces ressources et sur l'état de leur exploitation, afin d'en garantir l'utilisation rationnelle et de faciliter à long terme la pleine participation des pays en développement116.

115 Report of the World Food Conference, Rome, 5-16 novembre 1974, document E/CONF.65/20, résolution IV, par. 5.

116 Rapport de la dixième session du Comité des pêches, Rome, 3-10 juin 1975, FAO, Rapport sur les pêches n° 162, par. 12.

Les parties consultatives manifestèrent immédiatement une certaine méfiance face à ces idées. Leur réaction fut rapide. Lors de leur huitième réunion (9-20 juin 1975), elles adoptèrent pour la première fois une recommandation sur les ressources vivantes de l'Antarctique et demandèrent au CSRA de convoquer dès que possible une réunion consacrée à la conservation de ces ressources117.

117 Recommandation VIII-10.

La question fut de nouveau évoquée à la dix-huitième session de la Conférence de la FAO en novembre 1975. Un des documents préparés par le Secrétariat mentionnait incidemment qu'une coopération étroite à l'échelon international était capitale pour garantir la conservation et l'aménagement rationnel des ressources non conventionnelles; il insistait sur la nécessité d'un contrôle attentif de l'exploitation des ressources de l'Antarctique afin que leur productivité puisse être maintenue «au profit de l'ensemble de l'humanité»118 et suggérait enfin une collecte centralisée des données pertinentes sur ces ressources. Les représentants des parties consultatives participant à la Conférence s'insurgèrent contre ces affirmations et suggestions qui, de surcroît, ne reçurent l'appui que de fort peu de délégations119. Ils firent ressortir que tout ce qui concernait l'écosystème de cette région était d'une façon incontestable de la compétence des pays signataires du Traité sur l'Antarctique et que l'objectif visé par le document du Secrétariat était déjà couvert par l'action de ces pays. La Conférence prit note de cette position et convint que la FAO devrait se tenir au courant des activités entreprises à cet égard dans le cadre du Traité et coordonner ses propres activités avec celles-ci120.

118 FAO, dix-huitième session de la Conférence, document C/75/19, par. 22.

119 FAO, dix-huitième session de la Conférence, documents C/75/1/PV 9 et PV 10. La question ne figurait pas explicitement à l'ordre du jour de la Conférence, et il est fort probable que beaucoup de délégations du tiers monde n'avaient pas jusqu'alors réfléchi à la question de façon approfondie.

120 Rapport de la Conférence de la FAO, dix-huitième session, Rome, 8-27 novembre 1975, par. 177.

Au début de 1976, le Conseil d'administration du PNUD eut à se prononcer sur la proposition de projet soumise par la FAO. Les parties consultatives membres du Conseil obtinrent que l'administrateur du Programme soit expressément prié de faire procéder à l'exécution du projet «en consultation avec les signataires du Traité sur l'Antarctique»121. L'objectif principal de ce modeste projet (d'environ 200 000 dollars U.S.) était de procéder à quelques études préliminaires sur l'état des connaissances disponibles122 et de formuler des propositions détaillées relatives à la phase principale d'un important programme pour la prospection et le développement halieutique dans les mers australes. Au cours de l'année 1976, plusieurs parties consultatives informèrent les secrétariats de la FAO et du PNUD que, selon elles, toute campagne de prospection au sud du 60e parallèle Sud ne pourrait être entreprise qu'avec l'approbation unanime des signataires du Traité sur l'Antarctique123.

121 UNDP, Governing Council, vingt et unième session, 15-30 janvier 1976, document DP/L.303/Add.3, p. 2.

122 Ces éludes, publiées en 1977, ont porté sur les ressources vivantes de l'océan Austral (GLO/SO/77/1), la pêche du krill (GLO/SO/77/2) et l'utilisation du krill (GLO/SO/77/3).

123 Voir le rapport précité du Secrétaire général A/41/722, par. 27.

A sa onzième session (18-26 avril 1977), le Comité des pêches de la FAO fut informé que des propositions préliminaires concernant le futur programme avaient fait l'objet de discussions avec le PNUD, les pays du Traité sur l'Antarctique et d'autres pays. En gros, il était prévu de poursuivre les travaux dans les directions suivantes:

- compilation et diffusion des données d'information;

- analyse des informations destinées à servir de base à la planification à long terme du développement des ressources, tant au niveau national qu'au niveau international, compte tenu notamment des disponibilités alimentaires mondiales et de la nécessité d'aménager les ressources;

- promotion d'enquêtes scientifiques et techniques, et aide apportée à leur coordination124.

124 Document COFI/77/5, supp. 2, par. 17.

Comme suite à ces discussions, le Secrétariat proposa que, si la phase principale était approuvée, le programme soit placé sous la tutelle d'un sous-comité du Comité des pêches de la FAO ouvert à un nombre limité de pays, y compris les Etats participant aux réunions consultatives dit Traité sur l'Antarctique, à d'autres Etats procédant à des recherches dans les mers australes et aux pays en développement intéressés125. Le Comité s'accorda à reconnaître que la FAO avait un rôle important à jouer, dans le cadre de sa compétence, quant aux ressources biologiques des mers australes126. S'agissant du programme futur, il jugea préférable d'attendre les résultats des travaux réalisés pendant la phase préparatoire avant de se prononcer définitivement127.

125 Ibid., par. 19.

126 Rapport de la onzième session du Comité des pêches, Rome, 19-26 avril 1977, FAO, Rapport sur les pêches n° 196, par. 41.

127 Ibid., par. 42.

Quant à la proposition visant à établir un sous-comité du Comité des pêches, elle reçut un accueil partagé. Les parties consultatives128 déclarèrent qu'elles y étaient résolument opposées. C'est ainsi que l'Argentine, appuyée par plusieurs délégations, estima que cela entraînerait des doubles emplois avec d'autres organismes et nécessitait en tout état de cause l'accord à la fois individuel et collectif des pays signataires du Traité sur l'Antarctique. Plusieurs pays en développement, comme la Guinée, le Sénégal et Sri Lanka, soulignèrent que, selon eux, les ressources vivantes de l'Antarctique devaient être partagées par tous et utilisées au profit de l'humanité tout entière. Ils encouragèrent donc la FAO à aller de l'avant et à établir les mécanismes institutionnels nécessaires. Un troisième groupe, composé à la fois de pays développés (Danemark, République fédérale d'Allemagne) et en développement (Kenya, Nicaragua), adopta une attitude d'attente et suggéra de repousser toute décision à une session ultérieure. Le Comité considéra finalement que la création d'un nouveau mécanisme ne s'imposait pas et que les mécanismes existants, y compris le Comité lui-même, devraient continuer à être utilisés pour superviser les activités proposées129.

128 Les 10 parties consultatives membres de la FAO participèrent très activement aux débats du Comité.

129 Ibid., par. 44.

A la dix-neuvième session de la Conférence de la FAO (novembre 1977), le débat refléta les mêmes tendances: les parties consultatives continuèrent de faire bloc, tandis que les pays en développement furent loin d'avoir une position commune. La plupart d'entre eux manifestèrent davantage d'intérêt pour le nouveau programme proposé par le Directeur général, visant à la mise en valeur des zones économiques exclusives des pays en développement, que pour les perspectives de leur association à l'exploitation des lointaines ressources de l'Antarctique. Ainsi, le délégué de la Sierra Leone recommanda que la FAO concentre ses efforts sur des ressources concernant plus directement les pays en développement que celles des mers australes130. Seul Sri Lanka continua de plaider en faveur d'une participation accrue des pays en développement dans l'exploitation des ressources de l'Antarctique131. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les thèses des parties consultatives aient trouvé un assez large écho dans le rapport final de la Conférence132.

130 FAO, dix-neuvième session de la Conférence, procès-verbaux des séances de la première Commission. Document C/77/I/PV, p. 192.

131 Ibid., p. 206.

132 Voir Rapport de la Conférence de la FAO, 19e Session, Rome, 12 novembre - 1er décembre 1977, par. 68: «... On a évoqué en particulier l'utilité du Programme PNUD/FAO de prospection halieutique des mers australes. La Conférence recommande que la FAO continue ses travaux avec l'appui du PNUD, soulignant toutefois que ces activités ne devraient être menées qu'en accord avec les Etats côtiers de la région, les autres Etats intéressés et les organismes scientifiques compétents, ainsi qu'en étroite coopération avec les parties au Traité de l'Antarctique en ce qui concerne les territoires faisant l'objet de ce Traité.»

Lorsque, en juin 1978, le Comité des pêches se réunit de nouveau, on s'aperçut que les parties consultatives avaient été extrêmement actives et que la situation avait sensiblement évolué.

A ceux qui avaient prétendu créer un organisme permanent sous l'égide de la FAO, les parties consultatives purent répondre que cela n'était plus nécessaire puisqu'une convention créant une Commission pour la conservation des ressources vivantes de l'Antarctique était en cours de négociation et que cette négociation était désormais assez avancée. Elles annoncèrent qu'un membre du personnel de la FAO serait invité pour consultation lors de la prochaine réunion des parties consultatives, en juillet 1978. Une seule délégation émit des réserves sur cette initiative et précisa que, selon elle, toute initiative multilatérale en la matière ne devrait avoir aucun caractère discriminatoire133. Plus personne n'insista pour la création d'un organisme sous l'égide de la FAO, et le Comité se borna à souhaiter que le texte définitif de la convention en cours de négociation inclue des dispositions prévoyant spécifiquement la coopération avec la FAO134.

133 Rapport de la douzième session du Comité des pêches, Rome, 12-16 juin 1978, FAO Rapport sur les pêches n° 208, par. 51.

134 Ibid., par. 47.

A ceux qui pressaient la FAO de mettre en œuvre, avec le soutien du PNUD, un vaste programme de prospection des ressources halieutiques de l'Antarctique, les parties consultatives annoncèrent qu'elles avaient déjà lancé leur propre programme appelé BIOMASS (Biological Investigation of Marine Aquatic Systems and Stocks) et que ce programme donnerait une priorité élevée aux activités de recherche intéressant la FAO. En outre, elles informèrent le Comité que le CSRA inviterait un organe subsidiaire de la FAO - le Comité consultatif de la recherche sur les ressources de la mer (CCRRM) - à copatronner ce programme135. Le Comité approuva les propositions très modérées élaborées par le Secrétariat et tendant à ce que la FAO limite ses activités aux domaines suivants:

i) échange d'informations;

ii) participation à la planification et à l'évaluation de la recherche scientifique concernant les ressources en krill;

iii) assistance aux pays en développement;

iv) études spéciales;

v) coopération pour la mise en place d'un régime efficace de conservation et d'utilisation des ressources.

135 Ibid., voir la note 75 ci-dessus.

Encore était-il précisé que la FAO n'aurait pas à participer directement à toutes ces activités. Dans certains de ces domaines, elle pourrait se contenter d'attirer l'attention des organisations compétentes sur les problèmes qu'elle aurait perçus, ou même simplement indiquer, en le faisant largement savoir, que certains problèmes liés aux pêches étaient à l'étude entre des mains compétentes et qu'il existait des moyens adéquats pour les résoudre136.

136 Ibid., par. 50, qui approuve les propositions figurant au par. 17 du document COFI/78/7.

A la lumière de ces conclusions et de consultations officieuses menées avec les parties consultatives et d'autres Etats137, l'ambitieux programme de prospection qu'était censé élaborer le projet préparatoire financé par le PNUD ne fut jamais finalisé et donc jamais soumis au Conseil d'administration du PNUD138.

137 Document FI:DP/GLO/75/006, Terminal Report, par. 2.4.

138 Près de 10 ans plus tard, l'attitude des parties consultatives dans cette affaire fut publiquement rappelée et déplorée à l'Assemblée générale des Nations Unies où une délégation a reproché aux parties consultatives de s'être opposées à une tentative de coopération internationale élargie pour protéger leurs propres intérêts. Voir document A/C.1/41/PV 50.

Depuis lors, l'activité de la FAO dans le domaine des ressources vivantes de l'Antarctique s'est limitée à envoyer des observateurs à certaines réunions de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique, à préparer, sur demande expresse de cette dernière, des fiches d'identification des espèces des mers australes, et à publier des statistiques de capture.

La défense passive face aux velléités du PNUE. Avec le PNUE, les parties consultatives ont eu moins de difficultés qu'avec la FAO pour faire prévaloir le régime du Traité. Il leur a suffi jusqu'alors d'opposer une résistance passive139. C'est en 1975 que le Secrétariat du Programme prit des initiatives relatives à l'environnement en Antarctique. Le projet de programme de travail soumis en avril 1975 par le Directeur exécutif à la troisième session du Conseil d'administration du PNUE140 proposa la constitution de groupes d'experts chargés de se pencher sur diverses questions liées à l'extension tu Traité de 1959. L'objectif assigné était la mise au point de dispositions relatives à une adéquate protection de l'environnement. La stratégie suivante était proposée: i) consultations préliminaires avec les gouvernements concernés et d'autres gouvernements intéressés; ii) réunion d'un groupe d'experts (y compris des experts gouvernementaux) afin d'élaborer des lignes de conduite pour l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles de l'Antarctique; iii) réunion d'experts juridiques (y compris des experts gouvernementaux) pour élaborer des projets d'articles susceptibles d'être ajoutés au Traité de 1959; et iv) consultations avec les gouvernements pour examiner l'incorporation de ces articles dans un traité révisé. Cette proposition, formulée en dehors du cadre du Traité de 1959 et impliquant la participation d'experts gouvernementaux et non gouvernementaux extérieurs au système du Traité, se heurta à une nette opposition des parties consultatives. C'est aux efforts diplomatiques de ces pays qu'il faut attribuer le silence du rapport final de la session du Conseil d'administration du PNUE à laquelle le Secrétariat avait soumis sa proposition141.

139 Cf. S.O. Butler: «Owning Antarctica: Cooperation and Jurisdiction at the South Pole», Journal of International Affairs, vol. 31, n° 1, 1977, en particulier p. 48-49.

140 Cf. Programme des Nations Unies pour l'environnement, document UNEP/GC/31 - soumis à la 3e session du Conseil d'administration (17 avril-2 mai 1975) (section IV, F), p. 58 de la version anglaise.

141 Voir les propos de R. Frosch, ancien directeur adjoint du PNUE, rapportés par G. Wilson: «Antarctica, The Southern Ocean and the Law of the Sea», JAG Journal, vol. 30, été 1978, en particulier note 63 de la page 61.

Quelques semaines plus tard, le Directeur exécutif du Programme entreprit d'approcher directement les parties consultatives. Dans un télégramme adressé au président de la réunion des parties consultatives qui se tenait à Oslo, il réitéra l'intérêt que portait le Programme à certaines activités scientifiques dans l'Antarctique et suggéra d'étudier les moyens par lesquels le PNUE pourrait apporter une coopération efficace.142 La réunion se contenta de prendre note de ce télégramme et de se réjouir de l'offre du PNUE. Ce fut surtout l'occasion d'adopter une recommandation formelle affirmant que la responsabilité première en matière de protection de l'environnement dans l'Antarctique revenait aux Etats qui étaient actifs dans la région et qui étaient parties au Traité de l'Antarctique143. Quant au fond, les parties consultatives recommandèrent au CSRA de continuer à coopérer avec le CSPE144, une des organisations non gouvernementales adhérant au CIUS. Aucune suite concrète ne fut donnée à l'offre du PNUE. Un commentateur avisé a pu considérer que la référence plutôt positive faite à cette offre dans la recommandation des parties consultatives n'avait servi qu'à écarter courtoisement une tentative perçue comme une intrusion indésirable des Nations Unies dans les affaires de l'Antarctique145.

142 Voir F.M. Auburn, op. cit. à la note 5 ci-dessus, p. 124.

143 Recommandation VIII-13, in Report of the Eighth Antarctic Treaty Consultative Meeting, Oslo, 1975, The Polar Record, vol. 18, n° 113, 1976, p. 201-227, en particulier p. 225-226.

144 Scientific Committee on Problems on the Environment.

145 Voir F.M. Auburn, op. cit. à la note 5 ci-dessus, p. 125.

Lors de l'élaboration de la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique - dont l'importance pour l'écosystème de la région était indéniable -, on note que les parties contractantes ne jugèrent pas opportun d'inviter le PNUE à se faire représenter, ne serait-ce qu'en qualité d'observateur, à la Conférence de Canberra.

LE PRAGMATISME DE LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE

Les exemples rapportés dans la section ci-dessus ne doivent cependant pas conduire à conclure à l'existence d'une frontière infranchissable entre le système du Traité et celui des Nations Unies. Ils reflètent l'attitude officielle des diplomates lors de réunions inter-étatiques au cours desquelles les gouvernements doivent tenir compte de toutes sortes de facteurs, principalement politiques.

Au niveau scientifique et technique, les comportements ont été inspirés par une autre logique, moins dépendante des facteurs politiques. Le pragmatisme qui caractérise la démarche de la communauté scientifique a eu deux conséquences pour ce qui est de l'Antarctique: d'une part, une indéniable méfiance vis-à-vis du système des Nations Unies, perçu - à tort ou à raison - comme une bureaucratie «papivore» et politisée146; d'autre part, une conscience aiguë de la nécessité de la coopération internationale. N'est-ce pas la communauté scientifique qui avait montré la voie, dès le siècle dernier, en suscitant d'abord la création de commissions polaires internationales pour gérer les deux premières années polaires internationales (1882/83 et 1932/33)147, puis la création du Comité spécial sur la recherche antarctique (CSRA) deux ans avant la signature du Traité sur l'Antarctique?148.

146 Voir les craintes convergentes exprimées par P. Smith (de la National Science Foundation): «International Cooperation in Antarctica - The Next Decade», in Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 26, n° 10, décembre 1970, en particulier p. 31-32, et par B. Roberts (du Scott Polar Research Institute de Cambridge): «International Cooperation for Antarctic Development: The Test for the Antarctic Treaty», The Polar Record, vol. 19, 1978, p. 107-120, en particulier p. 118.

147 The Polar Record, vol. 5, p. 332 et suivantes.

148 La troisième année polaire internationale, dénommée Année géophysique internationale (AGI), s'est déroulée en 1957/58. Ses travaux en Antarctique furent préparés par quatre conférences organisées sous l'égide du CIUS, qui se tinrent respectivement à Paris (juillet 1955), à Bruxelles (septembre 1955) et à Paris (juillet 1956 et juin 1957). C'est afin de permettre la poursuite des efforts de recherche stimulés par l'AGI que le CIUS, sur recommandation de la quatrième Conférence, créa en septembre 1957 le Comité spécial pour la recherche antarctique (transformé en 1961 en Comité scientifique pour la recherche antarctique).

L'essentiel de la coopération scientifique internationale s'est jusqu'à présent déroulé dans le cadre du CSRA et de ses organes subsidiaires ainsi que, à intervalles réguliers, par le moyen de réunions d'experts sur des thèmes précis, convoquées par les parties consultatives elles-mêmes149.

149 La tenue de ces réunions a été en quelque sorte codifiée par la recommandation IV-24 adoptée en 1966.

C'est ainsi que l'OMM et l'UIT ont été invitées à envoyer des observateurs à la Réunion du Traité sur l'Antarctique sur les télécommunications, organisée à Washington en juin 1963, conformément aux recommandations I-XI et II-III des parties consultatives. Ces deux mêmes organisations, ainsi que la COI de l'Unesco, ont participé, avec le même statut, à la deuxième réunion sur ce thème organisée à Buenos Aires en 1969 conformément à la recommandation V-2. Dans les rapports adoptés par ces réunions, référence est faite à la nécessité de prendre en considération certaines recommandations d'ordre technique formulées par des institutions spécialisées comme l'OMM, l'UIT ou l'OACI150.

150 Voir par exemple les recommandations VIII et IX de la réunion de 1963 (The Polar Record, vol. 12, janvier 1964-septembre 1965, p. 67) et les propositions 3, 8 et 9 de la réunion de 1969 (The Polar Record, vol. 15, mai 1970, p. 200 et suivantes).

Quant au CSRA, à la différence des réunions ci-dessus, il est, en principe, totalement indépendant du système du Traité et n'a de liens organiques qu'avec le CIUS151. Il n'a même jusqu'ici jamais eu de rapports directs avec les réunions des parties consultatives puisque, formellement, ses avis ont toujours été soumis à ce forum intergouvernemental par une délégation d'un Etat membre, sur proposition d'un organisme scientifique national membre du CSRA152.

151 Voir sa «Constitution», telle que révisée récemment, in The Polar Record, vol. 23, n° 145, 1987, p. 492-493.

152 A leur treizième réunion, en 1985, les parties consultatives recommandèrent pour la première fois qu'un représentant du CSRA soit admis comme observateur aux réunions futures (recommandation XIII-2).

Le CSRA demeure sans contredit le principal sinon le seul forum international où sont discutées, programmées et coordonnées les activités scientifiques en Antarctique. Sa structure relativement souple lui a permis de coopérer, le cas échéant, avec les experts des institutions spécialisées des Nations Unies. Parmi ces dernières, l'OMM a pendant un temps bénéficié d'un traitement privilégié puisque cette organisation s'était vu reconnaître le statut de délégué aux réunions plénières bisannuelles du CSRA153, alors que les représentants d'organes subsidiaires d'autres institutions spécialisées, comme la FAO ou l'Unesco, ne siégeaient qu'en qualité d'observateurs154.

153 La Constitution du CSRA fut amendée en 1962 pour permettre une telle participation. Cf. The Polar Record, vol. 11, janvier 1962-septembre 1963, p. 479. L'OMM a renoncé à ce statut à partir de 1982.

154 Ainsi, à la dix-huitième réunion du CSRA (octobre 1984), il y avait des observateurs du CCRRM de la FAO et de la COI de l'Unesco.

C'est au niveau des organes subsidiaires du CSRA (groupes de spécialistes et groupes de travail permanents) que se fait l'essentiel du travail scientifique de substance. Ces enceintes regroupent des savants qui se connaissent et s'estiment souvent depuis longtemps et pour qui la compétence scientifique est le premier critère. Lorsque les institutions spécialisées ont la chance de recruter des spécialistes de valeur, connus pour leurs travaux dans des disciplines intéressant l'Antarctique, ces derniers sont bien souvent associés aux activités de ces groupes. Ainsi, des fonctionnaires de Département des pêches de la FAO ont participé aux travaux du Groupe de spécialistes du CSRA sur les écosystèmes de l'océan Austral et leurs ressources vivantes ou à ceux du Groupe de spécialistes sur les phoques, et ont même parfois été désignés comme rapporteurs de leurs réunions. De même, c'est un fonctionnaire de l'OMM qui a présidé pendant plus de 20 ans le Groupe de travail du CSRA sur la météorologie. En outre, des institutions spécialisées ont, à l'occasion, accepté de copatronner des symposiums scientifiques avec le CSRA155 et d'aider à leur organisation et à la publication de leurs rapports156. Elles ont parfois financé des programmes de recherche157, des voyages de travail158 ou des bourses d'étude159. Enfin, d'une façon générale, il existe des relations de travail plus ou moins continues entre les différents groupes du CSRA et les organes scientifiques des institutions spécialisées160.

155 Signalons par exemple le Séminaire scientifique sur la variabilité de l'océan Antarctique et son influence sur les ressources marines vivantes, en particulier le krill, organisé en 1987 avec le copatronage de la COI.

156 Voir par exemple The Polar Record, vol. 17, n° 109, 1975, p. 62.

157 C'est ainsi que le PNUE a passé en 1985 un contrat avec le CSRA pour que le Groupe de spécialistes sur les phoques puisse collecter certaines données conformément aux recommandations du Plan d'action FAO/PNUE sur les mammifères marins (The Polar Record, vol. 23, n° 142, p. 114).

158 Voir par exemple l'assistance de la FAO mentionnée dans The Polar Record, vol. 20, n° 126, 1980, p. 296.

159 Voir par exemple une telle offre de la part de l'OMM dans The Polar Record, vol. 13, 1966/67, p. 542.

160 C'est ainsi que le programme BIOMASS (Biological Investigations of Marine Antarctic Systems and Stocks), élaboré par le CRSA et d'autres organisations, a été soumis pour information et commentaires à la COI de l'Unesco et au CCRRM de la FAO.

Il est certain que ces relations pourraient être plus étroites. En outre, sans être confidentielles, elles ne sont entourées d'aucune publicité. Cette discrétion, à laquelle s'ajoutent les réticences des parties consultatives à faire officiellement appel aux institutions spécialisées des Nations Unies, explique en partie certaines des critiques qui ont été formulées à l'Assemblée générale des Nations Unies.

UN RÉGIME CONTESTE AU SEIN DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES

Alors que s'achevait la négociation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, plusieurs indices laissèrent présager qu'une fois fermé le grand dossier de la mer certains pays essaieraient d'ouvrir celui de l'Antarctique.

Déjà en 1975, le président de la Conférence sur le droit de la mer, S. Amerasinghe, avait esquissé un parallèle entre les deux dossiers en déclarant: «Certains concepts très largement adoptés aujourd'hui... et qui mettent l'accent sur le principe du partage équitable des ressources du monde pourraient trouver (en Antarctique) un vaste champ d'application»161.

161 Nations Unies, documents officiels A/PV 2380 du 8 octobre 1975. Rappelons que l'année précédente E. Hambro, dans un article remarqué publié dans l'American Journal of International Law, avait attiré l'attention sur la possibilité d'appliquer à l'Antarctique les solutions qui étaient déjà envisagées pour le sol et le sous-sol des océans. In op. cit. à la note 4 ci-dessus, en particulier p. 225. En 1975, alors que le Comité de la coordination des politiques et des programmes du Conseil économique et social discutait des questions relatives à la mer, Sri Lanka avait suggéré que le prochain rapport du Secrétaire général sur cette question fournisse les renseignements sur l'Antarctique (cf. document E/AC.24/SR 563), requête qu'il réitéra, sans plus de succès, deux ans plus tard dans la même enceinte (cf. document E/AC.24/SR 618, par. 67) et qui se heurta à l'opposition de l'Argentine au motif qu'un vaste programme scientifique et technique était déjà en cours dans cette région à la satisfaction des parties au Traité sur l'Antarctique (cf. document E/AC.24/SR 619, par. 10).

En 1978, son compatriote C. Pinto, qui avait joué un rôle important dans les négociations qui ont abouti à incorporer les fonds marins dans le patrimoine commun de l'humanité162, avança des propositions plus élaborées163. Il suggéra qu'il faudrait en premier lieu porter l'affaire devant les Nations Unies aux fins d'une étude exhaustive. L'Assemblée générale devrait ensuite adopter une résolution qui pourrait inclure les dispositions suivantes:

i) Déclaration générale reprenant les principes du Traité sur l'Antarctique relatifs à l'utilisation pacifique du continent, à la liberté de la recherche scientifique, à la liberté de la haute mer et au gel du contentieux territorial.

ii) Etablissement d'un comité de l'Antarctique par l'Assemblée générale, comprenant toutes les parties au Traité ainsi qu'un certain nombre d'autres Etats choisis dans toutes les régions du monde. Ce comité recommanderait à l'Assemblée générale des mesures propres à concilier les intérêts de la communauté internationale avec ceux des Etats pris individuellement. Les parties au Traité devraient en outre préparer pour soumission à l'Assemblée générale un plan concernant la protection de l'environnement, l'exploitation des ressources et la recherche scientifique.

iii) Demander à la FAO de soumettre sans délai au Comité de l'Antarctique une étude sur les ressources vivantes de l'océan Austral et des recommandations sur leur utilisation optimale.

iv) Demander à l'OMM et aux autres organisations intéressées de proposer au Comité des programmes scientifiques et l'installation de bases de recherche dans la zone.

162 Lors de la clôture des travaux de la Conférence, M. Warioba (Tanzanie) décernera à M. Pinto le beau titre d'«organisateur des idées de la première commission». Cf. Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, documents officiels, vol. 17, 187e séance, par. 195.

163 C. Pinto, op. cit. à la note 4 ci-dessus. Dans la Frankfurter Algemeine Zeitung du 19 août 1977, C. Pinto avait déjà plaidé en faveur de l'application à l'Antarctique du concept de patrimoine commun de l'humanité.

La proposition de l'éminent juriste sri-lankais, ayant été faite à titre personnel, ne fut suivie d'aucune réaction officielle. Elle suscita néanmoins un émoi considérable dans certaines chancelleries, émoi qui ne fit que s'amplifier quand un autre leader écouté du Groupe des 77 à la Conférence sur le droit de la mer prédit qu'un débat politique global sur la question était non seulement désirable mais inévitable164. A partir de 1978, l'impatience des Etats non signataires du Traité trouva un écho de plus en plus large165.

164 Déclaration d'A. de Soto au Earthscan Press Briefing on Antarctic Resources and the Environment, 14 septembre 1979, Washington D.C., cité par B. Mitchell: «The Southern Ocean in the 1980's», Ocean Yearbook, 1982, p. 349-385, en particulier p. 383.

165 Déjà en 1974, S.C. Jain écrivait que la plupart des Etats en développement attendaient que les Nations Unies prennent le contrôle de l'Antarctique. In «Antarctica: Geopolitics and International Law», The Indian Yearbook of International Law, vol. 17, 1974, Université de Madras, en particulier p. 272. C'est toutefois à partir de 1978 que ce genre d'idée trouve un plus vaste écho. Voir par exemple E. Hannold: «Thaw in International Law? Rights in Antarctica under The Law of Common Spaces», Yale Law Journal, vol. 87, 1987, p. 804-853; F.M. Auburn «United States Antarctic Policy», MTS Journal, vol. 12, n° 1, 1978, p. 31-36; V. Wasserman: «The Antarctic Treaty and Natural Resources», Journal of Trade Law, vol. 12, 1978, n° 2, p. 174-180, en particulier p. 179; F. Sollie: «Trends and Prospects for Regimes for Living and Mineral Resources in the Antarctic», in Law of the Sea: Neglected Issues, Proceedings of the Law of the Sea Institute, Twelfth Annual Conference, 23-26 octobre 1978, La Haye, p. 193-208, en particulier p. 207; F.M. Auburn: «Legal Implications of Petroleum Resources of the Antarctic Continental Shelf», Ocean Yearbook, vol. 1, 1978, p. 500-515, en particulier p. 507; R. Lagoni: «Antarctica's Mineral Resources in International Law», Zeitschrit fuer Auslaendisches Oeffentliches Recht und Voelkerrecht, Kohlhammer, Stuttgart, 1979, p. 1-37, en particulier p. 34; J. Tinker: «Antarctica: Toward a New Internationalism», New Scientist, 13 septembre 1979, p. 799-801; S.T. Burton, op. cit. à la note 4 ci-dessus, en particulier p. 500-503. Voir aussi American Society for International Law, Proceedings 1979, en particulier p. 266 (remarques du Pr. Bilder) et p. 269 (remarques du Pr. Charney). Dans le même ouvrage, voir l'article de J. Barnes: «The Emerging Antarctic Living Resources Convention», p. 272-292, en particulier p. 289-291; B. Mitchell and L. Kimball: «Conflict over the Cold Continent», Foreign Policy, n° 35, été 1979, p. 124-141, en particulier p. 133; M.J. Peterson: «Antarctica: The Last Great Land Rush on Earth», International Organizations, vol 34, n° 3, été 1980, p. 377-404, en particulier p. 390 et 401; C. Joyner: op. cit. à la note 4 ci-dessus, en particulier p. 424-425; R. Harry: «The Antarctic Regime and the Law of the Sea Convention: An Australian View», Virginia Journal of International Law, vol. 21, n° 4, été 1981, p. 727-784, en particulier p. 734-736; B. Mitchell: «The southern Ocean in the 1980's», Ocean Yearbook, 1982, en particulier p. 377.

En vertu d'un accord tacite166, il fut décidé d'attendre la clôture des travaux de la Conférence sur le droit de la mer. L'attente ne fut pas longue. Trois mois seulement après la cérémonie de signature de la Convention de Montego Bay, la septième Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement des pays non alignés (New Delhi, 7-12 mars 1983) adoptait une déclaration affirmant que l'exploration de l'Antarctique et l'exploitation de ses ressources devraient être conduites au profit de l'humanité tout entière et suggérait que l'Assemblée générale entreprenne, à sa trente-huitième session, une étude exhaustive sur l'Antarctique en vue d'élargir la coopération internationale dans cette zone167. En conséquence, deux des membres du Mouvement des pays non alignés demandèrent au mois d'août suivant que la question de l'Antarctique soit inscrite à l'ordre du jour de cette session168.

166 Cf. A. de Marffy: «L'Antarctique: quatre ans de débats à l'ONU», Espaces et ressources maritimes, 1987, n° 2, en particulier p. 5.

167 Nations Unies, documents officiels A/38/132 et S15675, par. 122 et 123.

168 Nations Unies, documents officiels A/38/193 et corr. 1 présenté par Antigua-et-Barbuda et la Malaisie.

Depuis lors, la question a constamment figuré à l'ordre du jour et a donc déjà été discutée à quatre sessions. Depuis 1983, peu de progrès ont été accomplis. Deux groupes de pays ont continué à échanger les mêmes arguments sur les mérites ou les déficiences du régime existant et sur le rôle potentiel des Nations Unies dans cette affaire. Aucune solution alternative n'a pu être dégagée. On tentera ci-après de donner un aperçu des principaux arguments avancés169.

169 Il y a encore peu de littérature relative aux débats aux Nations Unies sur la question de l'Antarctique. Signalons cependant A. de Marffy: op. cit. à la note 166 ci-dessus; F. Zegers: «La comunidad internacional y la Antártica», Boletín Antártico Chileño, año III, n° 2, 1983, p. 3-6; P.J. Beck: «Antarctica: a case for the UN?», The World Today, avril 1984, vol. 40, n° 4, p. 165-172; P.J. Beck: «The United Nations and Antarctica», The Polar Record, vol. 22, n° 137, 1984, p. 137-144; M. Forster: «The question of Antarctica», Environmental Policy and Law, vol. 14, 1985, p. 2-4; S. Eilers: «Antarctica Adjourned? The UN Deliberations on Antarctica», The International Lawyer, vol. 19, n° 14, 1985, p. 1309-1318; P.J. Beck: «The UN study on Antarctica», The Polar Record, vol. 22, n° 140, 1985, p. 499-504; P.J. Beck: «Antarctica at the United Nations, 1985: The end of consensus», The Polar Record, vol. 23, n° 143, 1986, p. 159-166; Moritaka Hayashi: «The Antarctica Question in the United Nations», Cornell International Law Journal, vol. 19, n° 2, été 1986, p. 275-290.

LES CONTROVERSES SUR LE FONCTIONNEMENT DU RÉGIME

Il faut mentionner d'emblée que la quasi-totalité des pays non alignés a reconnu que le Traité sur l'Antarctique contenait des éléments positifs qu'il importait de préserver. Ces pays se sont référés en particulier aux mesures de dénucléarisation et de démilitarisation totales, au développement de la coopération scientifique ainsi qu'au gel, même temporaire, du contentieux territorial170. Pour eux, il ne s'agissait donc pas en principe de détruire, mais de perfectionner, une construction existante.

170 Indonésie, A/C.1/38/PV 43; Yougoslavie, A/C.1/38 PV 45; Thaïlande, A/C.1/40/PV 51.

D'une façon générale, ils ont tout d'abord fait ressortir que depuis 1959 la société internationale avait subi une mutation profonde, du fait de l'accession à l'indépendance d'un nombre important d'Etats171 et de l'évolution des données économiques, scientifiques et technologiques172. Selon eux, sous sa forme présente, le Traité ignore l'évolution et les progrès de la communauté internationale dans son ensemble173 et est donc devenu anachronique174, voire obsolète175. Cela est d'autant plus flagrant qu'il est fondé sur des concepts révolus ou éminemment contestés, comme ceux qui confèrent des droits aux plus rapides et aux plus forts, qui légitiment l'appropriation par la découverte ou la contiguïté territoriale - concepts qui appartiennent à l'âge du colonialisme176 - et qui rappellent «l'infâme Conférence de Berlin de 1884» au cours de laquelle quelques pays, forts de leur supériorité militaire et technologique, avaient décidé de se partager le continent africain alors que les faibles et les pauvres étaient exclus du festin177. Faute de pouvoir invoquer des arguments plus strictement juridiques, comme la clause Rebus sic stantibus178 ou la théorie des traités inégaux179 puisqu'ils n'étaient pas parties au Traité, ces pays ont tenté en quelque sorte de démontrer que ce dernier contenait des clauses réputées contraires à l'ordre public international contemporain.

171 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42; Algérie, A/C.1/40/PV 54; Oman, A/C.1/39/PV 55.

172 Malaisie, A/C.1/38/PV 42.

173 Ghana, A/C.1/39/PV 53.

174 Algérie, A/C.1/40/PV 54; Zimbabwe, A/C.1/41/PV 49.

175 Ghana, A/C.1/41/PV 49.

176 Ghana, A/C.1/38/PV 43 et A/C.1/39/PV 53; Sri Lanka, A/C.1/38/PV 44; Tunisie, A/C.1/40/PV 51.

177 Ghana, A/C.1/41/PV 49; Zimbabwe, ibid.

178 Voir cependant les arguments de G. Wilson in «Antarctica, the Southern Ocean, and the Law of the Sea», JAG Journal, vol. 30, été 1978, en particulier p. 59.

179 Voir cependant Zambie, A/C.1/39/PV 54.

Leurs attaques ont principalement porté sur l'article IX qui réserve à certaines seulement des parties au Traité - celles qui conduisent des activités substantielles de recherche en Antarctique - le droit de participer à part entière aux réunions dites consultatives qui élaborent les normes régissant les différents aspects de l'activité humaine sur le continent. C'est cette répartition en deux catégories des parties au Traité qui a suscité les critiques les plus acerbes. Les partisans d'une réforme ont fait ressortir que les conditions pour l'admission au statut de partie consultative étaient telles que cela aboutissait en fait à exclure la plupart des pays en développement du processus décisionnel, créant ainsi une situation discriminatoire inacceptable180. Certaines délégations ont comparé cette situation à celle des clubs britanniques de l'époque coloniale où les indigènes étaient, en principe, susceptibles d'être admis mais ne l'étaient en pratique presque jamais du fait du fonctionnement de la procédure d'admission181.

180 Sri Lanka, A/C.1/40/PV 48. La question du «prix d'admission» a fait l'objet d'intéressantes discussions lors de la huitième Conférence annuelle du Centre pour les études sur la gestion des océans de l'Université de Rhode Island en 1984, cf. Antarctic Politics and Marine Resources; Critical Choices for the 1980s, Kingston, Rhode Island, 1985, en particulier p. 254.

181 Bangladesh, A/C.1/38/PV 46; Kenya, A/C.1/40/PV 54.

Pour mettre un terme à cette «aura d'exclusivisme»182 entourant le processus décisionnel, ces délégations ont préconisé de le modifier dans un sens allant vers une plus grande démocratisation183 et ont souligné que les activités des Etats dans le continent devraient être conformes aux principes de la Charte, et notamment à celui de l'égalité souveraine des Etats184.

182 Indonésie, A/C.1/38/PV 43.

183 Kenya, A/C.1/41/PV 49; Zambie, A/C.1/40/PV 52. Il est intéressant de noter qu'un petit nombre de pays en développement ayant choisi d'adhérer au Traité sur l'Antarctique ont exprimé des préoccupations voisines. Voir les déclarations du Pérou appelant une plus large participation des Etats au processus décisionnel (A/C.1/39/PV 54) et de l'Inde souhaitant que le système du Traité tienne davantage compte des vues de tous les Etats (A/C.1/39/PV 53).

184 Pakistan, A/C.1/40/PV 50.

Les droits exclusifs exercés par quelques Etats à leur seul bénéfice185 leur sont apparus d'autant plus exorbitants que ces Etats ne rendent de comptes à personne186 et qu'ils n'ont reçu mandat de quiconque pour en jouir187. En fait, les mandataires se sont désignés eux-mêmes, ce qui affaiblit leur prétention d'agir dans l'intérêt de l'humanité tout entière188. A ceux qui prétendent que le Traité a servi les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble189, plusieurs délégations ont fait remarquer que la faible représentation des pays en développement et la pleine participation de l'Afrique du Sud au sein du groupe des parties consultatives ne donnaient pas toutes les garanties requises à cet effet. Les deux phénomènes sont d'ailleurs liés puisque, si aucun Etat africain (autre que l'Afrique du Sud) ou arabe n'est partie au Traité, cela est dû au statut de partie consultative octroyé à l'Afrique du Sud, «pays belliqueux, raciste et expansionniste connu pour son mépris de la justice, de la paix et de la sécurité internationale dont on a peine à croire qu'il puisse contribuer à promouvoir des activités pacifiques»190.

185 Malaisie, A/C.1/38/PV 42.

186 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42; Sri Lanka, A/C.1/40/PV 48.

187 Ghana, A/C.1/39/PV 53; Pakistan, A/C.1/38/PV 44.

188 Malaisie, A/C.1/39/PV 50. Cela rejoignait les propos d'A. de Soto qui avait déjà parlé d'«autocouronnement» (op. cit. à la note 164 ci-dessus).

189 Norvège, A/C.1/38/PV 43.

190 Sierra Leone, A/C.1/38/PV 42; Ghana, A/C.1/38/PV 43; Oman, A/C.1/39/PV 55; Tunisie, A/C.1/40/PV 51; Antigua-et-Barbuda, A/C.1/39/PV 50.

Une autre critique adressée au système du Traité a visé les modalités d'organisation des réunions consultatives qui, pendant plus de 20 ans, se sont tenues à huis clos, sans aucun observateur et donc sans que la communauté internationale en fût informée autrement que par la publication du texte souvent laconique des recommandations adoptées. Plusieurs délégations s'élevèrent contre ces «réunions secrètes»191 et avancèrent que, compte tenu de l'intérêt des décisions prises pour l'ensemble de la planète, le monde avait le droit de savoir ce qui se passait à ces réunions, de connaître la nature des décisions prises et les raisons pour lesquelles elles avaient été prises192, faute de quoi on ne pourrait que nourrir toutes sortes de doutes sur les intentions réelles des parties193.

191 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42.

192 Antigua-et-Barbuda, ibid; Indonésie, A/C.1/38/PV 43.

193 Malaisie, A/C.1/38/PV 42.

Les parties consultatives et les autres parties au Traité s'efforcèrent pendant les trois premières sessions de l'Assemblée générale de répondre à ces différentes critiques. Lors de la 41e session, elles décidèrent de ne plus participer individuellement aux discussions et chargèrent l'Australie de parler en leur nom à la clôture du débat général en commission194.

194 Australie, A/C.1/41/PV 51.

Nombre de délégations firent en premier lieu ressortir que, même s'il n'était pas parfait195, le régime de 1959 n'en était pas moins un des exemples les plus remarquables de coopération internationale196 et qu'un de ses grands mérites était qu'il avait constamment fonctionné de façon effective et évolutive depuis son entrée en vigueur197. Elles mirent en exergue ses effets bénéfiques pour la paix et la sécurité internationales et soulignèrent que le gel du contentieux territorial avait évité tout conflit dans cette région, que l'Antarctique était le premier et le seul continent sur la terre à être entièrement démilitarisé et dénucléarise198 et que la liberté de la recherche scientifique y avait toujours été préservée199.

195 Chine, A/C.1/38/PV 42; Australie, A/38/PV 3.

196 Chili, A/38/PV 3; Argentine, A/C.1/39/PV 53.

197 Nouvelle-Zélande, A/C.1/38/PV 42 et A/C.1/39/PV 54; Norvège, A/C.1/39/PV 52; Etats-Unis, A/C.1/39/PV 53. Ce à quoi Sri Lanka répondra que ce n'est pas parce qu'un système fonctionne qu'il fonctionne bien (A/C.1/41/PV 49).

198 Pologne, A/C.1/38/PV 43; Suède, A/C.1/39/PV 53; URSS, A/C.1/39/PV 53.

199 Allemagne (Rép. féd. d'), A/C.1/38/PV 45.

A ceux qui réclamaient la modification de certaines dispositions du Traité, elles rappelèrent que le principe Pacta sunt servanda représente une des bases essentielles sur lesquelles les traités sont négociés et que des Etats qui ne sont pas parties à un traité contraignant ne devraient pas s'autoriser, par l'entremise des Nations Unies, à remettre en cause les obligations des Etats parties au Traité, surtout si ce dernier sert les buts et principes de la Charte200. Tenter de réviser le Traité de l'extérieur sans le consentement des parties serait donc une violation flagrante du droit des traités201.

200 Royaume-Uni, A/C.1/39/PV 52.

201 Chili, A/C.1/40/PV 48.

Rejetant l'accusation de comportement de type colonial au motif que le continent antarctique est inhabité et que par conséquent aucune population ne s'était vu refuser le droit à l'autodétermination202, elles s'efforcèrent de démontrer que le système mis en place par l'article IX du Traité était juste parce que ouvert, efficace parce que réaliste et qu'il était tout à fait en harmonie avec l'ensemble des normes régissant la société internationale. Certes, il a établi un mécanisme sélectif qui écarte certains Etats du processus décisionnel, mais cela n'a rien d'inhabituel dans la pratique internationale puisque l'on applique des mécanismes semblables dans d'autres accords et organismes internationaux, aux Nations Unies en particulier203. Dans plusieurs régions du monde, des accords de pêche ne sont ouverts qu'aux Etats remplissant certaines conditions, qu'ils soient ou non riverains de la région en question204. Dans le système de l'Antarctique, les décisions qui sont prises aboutissent pratiquement toujours à imposer des obligations aux parties consultatives, c'est-à-dire à restreindre - dans l'intérêt de la collectivité - leur liberté d'agir à leur guise. Il est donc juste et sage que ces décisions contraignantes soient prises par ceux qui seront affectés. Cela correspond aux principes de la justice naturelle et aux prescriptions du droit international. Essayer de participer à l'élaboration de décisions contraignantes, alors qu'on n'aurait pas la capacité de les mettre en œuvre et qu'on ne serait pas affecté par leurs conséquences, serait exercer le pouvoir sans en assumer les responsabilités. Cela, les parties consultatives ne sauraient l'accepter205.

202 Australie, A/C.1/39/PV 55 et A/C.1/40/PV 48.

203 Australie, A/C.1/39/PV 55.

204 Royaume-Uni, A/C.1/39/PV 52.

205 Ibid.

Pour les parties consultatives, cette approche réaliste est d'autant plus juste que le système est entièrement ouvert206. Non seulement tout Membre des Nations Unies peut y adhérer sans qu'il lui en coûte rien207, mais dès qu'une partie, quelle qu'elle soit, conduit des activités scientifiques importantes, elle peut obtenir immédiatement le droit de participer à part entière aux réunions consultatives208.

206 Australie, A/38/439. Notons toutefois qu'à la différence du Traité de Washington de 1959 et de la Convention de Canberra de 1980, la Convention de Londres de 1972 sur la protection des phoques de l'Antarctique est de type fermé, dans la mesure où l'adhésion de toute nouvelle partie est subordonnée au consentement de toutes les parties contractantes (article 12).

207 Australie, A/C.1/39/PV 55.

208 Chili, A/38/PV 3; Australie, ibid. Sur les conditions précises d'octroi du statut, voir F.M. Auburn: «Consultative status under the Antarctic Treaty», International and Comparative Law Quaterly, vol. 28, juillet 1979, p. 514-522.

Toujours selon ces pays, la parfaite adéquation du système de l'Antarctique aux circonstances actuelles est de surcroît démontrée par le nombre croissant de pays - y compris des pays en développement - qui s'y joignent. On a d'ailleurs fait remarquer que plus de la moitié des pays ayant adhéré récemment au Traité étaient des pays en développement209. Ainsi, même si les parties consultatives n'ont reçu aucun mandat formel de la communauté internationale, le système du Traité a reçu une consécration internationale indéniable puisqu'il regroupe des Etats développés et en développement, de l'Est et de l'Ouest, six des sept nations les plus peuplées du monde, toutes les puissances dotées d'armes nucléaires, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, des membres du Mouvement des pays non alignés ainsi que tous les Etats les plus proches du continent Antarctique210. Une partie consultative a même affirmé que le Traité représentait désormais une codification de la pratique des Etats, qu'il reflétait le droit international coutumier et qu'il avait été reconnu de façon tacite ou expresse par l'entière communauté internationale211. Quant à la présence de l'Afrique du Sud, au sujet de laquelle les parties au Traité membres du Mouvement des pays non alignés se gardèrent de tout commentaire, elle fut justifiée par certaines parties consultatives qui firent notamment remarquer qu'il y avait des avantages à ce qu'un tel pays continue d'être lié par les dispositions relatives à la démilitarisation et à la dénucléarisation212.

209 Nouvelle-Zélande, A/C.1/39/PV 54.

210 Australie, A/C.1/39/PV 50. Voir aussi Norvège, A/C.1/38/PV 43; Etats-Unis d'Amérique, A/C.1/38/PV 45; Belgique, ibid.

211 Chili, A/39/583, 2e partie, vol. II, par. 80 et 89. A l'appui de cette assertion, la délégation chilienne fit notamment référence aux délibérations et au rapport de la Conférence de la FAO de 1975 mentionnés ci-dessus (A/C.1/38/PV 42). Cette idée avait déjà été développée par F. Zegers in «The Antarctic System and the Utilization of Resources», University of Miami Law Review, vol. 33, 1978, p. 425-473, en particulier p. 433. Contra voir la déclaration du Ghana selon laquelle le silence de la communauté internationale au sujet du Traité ne saurait être interprété comme une forme d'acquiescement de jure ou de facto (A/C.1/39/PV 53).

212 Australie, A/C.1/40/PV 48.

Enfin, pour couper court aux critiques concernant le «secret» de leurs délibérations, les parties consultatives décidèrent à partir de 1983 d'ouvrir leurs réunions bisannuelles, ainsi que les négociations relatives au futur régime des ressources minérales, à des observateurs des autres parties au Traité213. Aux pays réclamant davantage d'informations sur les réunions consultatives et les négociations en cours, elles conseillèrent d'adhérer au Traité pour pouvoir bénéficier de cet avantage214.

213 Le huis clos protégeant les réunions des parties consultatives faisait depuis longtemps l'objet de vives critiques venant des horizons les plus divers; voir par exemple J. Macknis: «United States Policy in Antarctica», Marine Policy Reports, College of Marine Studies, University of Delaware, vol. 2, n° 2, mai 1979. E. Hannold, op. cit. à la note 165 ci-dessus, en particulier p. 836. La question avait déjà été évoquée lors de la onzième réunion des parties consultatives en 1981 (cf. 1re partie du rapport de cette réunion).

214 Pologne, A/C.1/38/PV 43; Japon, A/C.1/38/PV 44; République démocratique allemande, A/C.1/39/PV 52; Norvège, ibid; Nouvelle-Zélande, A/C.1/40/PV 50.

A partir de la trente-neuvième session de l'Assemblée générale en 1984, les critiques se firent moins vives à ce sujet, bien que certaines délégations aient continué de préconiser l'octroi d'un statut plus favorable aux institutions spécialisées du système des Nations Unies et aux organisations non gouvernementales qui, comme Greenpeace, marquaient un intérêt pour les questions de l'Antarctique215. D'une façon générale, les parties consultatives rappelèrent qu'un minimum de discrétion était dans la nature même de toute action diplomatique216 et qu'il n'y avait rien d'anormal à ce que certaines négociations délicates demeurent confidentielles jusqu'à ce que leurs résultats soient rendus publics217.

215 Malaisie, A/C.1/39/PV 50 citant le PNUE et la FAO; Antigua-et-Barbuda, A/C.1/41/PV 49 plaidant en faveur de Greenpeace.

216 Nouvelle-Zélande, A/C.1/38/PV 42; Chili, A/C.1/40/PV 48.

217 Royaume-Uni, A/C.1/38/PV 44.

LES LIMITES DU RÔLE DES NATIONS UNIES

Une des raisons qui explique que jusqu'alors les discussions au sein de l'Assemblée générale aient ressemblé à un dialogue de sourds est que les deux groupes en présence ont des conceptions tout à fait différentes du rôle que les Nations Unies peuvent ou doivent jouer. En outre, ces conceptions reposent sur des bases de départ totalement incompatibles.

Le point de départ de la plupart des partisans d'une réforme du Traité peut être sommairement résumé comme suit: tout ce qui se passe sur le continent Antarctique est susceptible d'avoir des répercussions sur l'écosystème de toutes les régions du monde, y compris dans des zones qui en sont très éloignées218. Ce continent recèle d'immenses ressources219, et les eaux qui l'entourent pourraient fournir une source indispensable de nourriture aux millions de personnes qui meurent de faim de par le monde220. Il s'agit donc indubitablement d'une question d'intérêt commun pour l'humanité tout entière221. Les principes de type colonial qui sous-tendent les revendications territoriales de certains Etats ayant été rejetés par la communauté internationale, on doit considérer que le continent ne relève d'aucune compétence nationale222. Or, la pratique de l'ONU a consacré le principe selon lequel toute région non soumise à la compétence nationale d'un Etat doit être considérée comme patrimoine commun de l'humanité223. Jusqu'ici, l'Antarctique a été pratiquement le patrimoine commun des parties consultatives224. Tout comme la Lune, l'espace extra-atmosphérique ou les fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale, son statut relève de la communauté internationale dans son ensemble et doit être examiné par l'ONU qui constitue le meilleur cadre pour favoriser une coopération réellement internationale dans l'Antarctique225. L'existence d'un traité ne saurait à elle seule constituer un obstacle à l'examen de la question par l'Assemblée générale226.

218 Sri Lanka, A/C.1/38/PV 44; Indonésie, A/C.1/38/PV 43.

219 Egypte, A/C.1/40/PV 49; Népal, A/C.1/40/PV 53; Rwanda, A/C.1/41/PV 50.

220 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42.

221 Pakistan, A/C.1/38/PV 44.

222 Zambie, A/C.1/38/PV 46.

223 Libye, A/C.1/40/PV 50; Egypte, A/C.1/38/PV 42; Tunisie, A/C.1/38/PV 45. Voir la résolution adoptée par l'OUA en 1985, CM/Rés. 988 (XLII), déclarant que l'Antarctique fait partie du patrimoine commun de l'humanité et priant les Etats membres de l'OUA de prendre les mesures appropriées lors de la quarantième session de l'Assemblée générale pour que l'Antarctique soit reconnu comme tel. A cette session, voir par exemple: Ghana, A/C.1/40/PV 52; Rwanda, ibid; Cap-Vert, A/C.1/40/PV 53; Algérie, A/C.1/40/PV 54. L'idée a également été appuyée par des délégations d'autres régions. Voir par exemple: Trinité-et-Tobago, A/C.1/41/PV 51; Philippines, A/C.1/38/PV 44; Sri Lanka, ibid.

224 Malaisie, A/C.1/40/PV 48. Voir également B. Mitchell: «Antarctica: a special case?», New Scientist, 13 janvier 1977, p. 64-66, qui mentionne la prétention des parties consultatives d'être les seules protectrices de la zone.

225 Yougoslavie, A/C.1/38/PV 45 et A/C.1/40/PV 51.

226 Tunisie, A/C.1/40/PV 51.

Ces mêmes Etats ajoutèrent que l'intransigeance des parties consultatives et leur refus de tenir compte des vues de la majorité des pays en développement constituaient en eux-mêmes une source potentielle de discorde et de conflit227 que l'Assemblée générale se devait de prévenir avant qu'il ne soit trop tard228.

227 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42; Cameroun, A/C.1/40/PV 52.

228 Ghana, A/C.1/38/PV 43.

Enfin, ils firent remarquer que l'Assemblée générale devait examiner les rapports entre le Traité sur l'Antarctique et l'un des principaux instruments juridiques élaborés au sein de l'ONU au cours de la dernière décennie, à savoir la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Selon de nombreuses délégations, les mers entourant le continent Antarctique n'étant soumises à aucune juridiction nationale, les ressources du sol et du sous-sol de ces mers font partie de la zone internationale et donc du patrimoine commun de l'humanité dont la gestion a été confiée à l'Autorité internationale des fonds marins229.

229 Indonésie, A/C.1/38/PV 43; Tunisie, A/C.1/39/PV 54. A sa quarantième session, l'Assemblée générale pria le Secrétaire général de préparer une étude traitant notamment de l'importance que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer présente pour l'océan Antarctique. Dans l'étude qu'il a soumise à la quarante et unième session (A/41/722), le Secrétaire général a fait preuve de la plus grande prudence. Il a conclu que la question de l'applicabilité à l'Antarctique des dispositions de la Convention relatives à la juridiction nationale et au régime des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale restait «peu claire» (par. 145 et 150). Sur ce dernier point, voir entre autres la proposition de A. Van Der Essen de proclamation d'une ZEE globale de 200 milles autour du continent. Au-delà de cette limite, la future autorité internationale des fonds marins exercerait sa compétence en coopération, si nécessaire, avec les parties consultatives. In «Antarctique et le droit de la mer», Revue iranienne des relations internationales, n° 5-6, hiver 1975/76, en particulier p. 96-97. Voir également Bernard H. Oxman: «Antarctica and the New Law of the Sea», Cornell International Law Journal, vol. 19, n° 2, été 1986, p. 211-247. Il est certain que le problème se posera après l'entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, lorsque les parties feront parvenir au Secrétaire général des Nations Unies ou au Secrétaire général de l'Autorité internationale des fonds marins les cartes et coordonnées géographiques visées par les articles 16, 74 et 84 de la Convention.

Afin de faciliter les discussions et de les approfondir, ils suggérèrent à partir de la 39e session que l'Assemblée générale établisse un comité spécial pour étudier toutes les questions faisant l'objet de divergences, tenter de rapprocher les points de vue et recommander des solutions acceptables pour tous230. Ce comité serait composé d'Etats parties et d'Etats non parties au Traité sur l'Antarctique et ferait rapport à l'Assemblée générale231. Certains Etats suggérèrent même qu'en attendant l'élaboration d'un régime satisfaisant, le continent soit placé sous l'administration intérimaire des Nations Unies232.

230 Pakistan, A/C.1/39/PV 54; Sri Lanka, A/C.1/39/PV 50; Thaïlande, A/C.1/39/PV 54; Ghana, A/C.1/39/PV 53; Nigeria, A/C.1/40/PV 49; Népal, A/C.1/40/PV 53; Cap-Vert, A/C.1/40/PV 53.

231 Malaisie, A/39/583, 2e partie, vol. II; Iraq, ibid.

232 Rwanda, A/C.1/40/PV 52.

Très grossièrement, on pourrait schématiser la position de départ des parties consultatives par cette formule lapidaire du représentant du Chili: «Il n'y a pas de problème de l'Antarctique»233. C'est dire que les Nations Unies n'ont pratiquement aucun rôle à y jouer. Pour les parties consultatives, tout nouveau mécanisme parallèle ou de rechange créé par une simple majorité ne comporterait que des inconvénients et aucun avantage, serait préjudiciable à l'intérêt général234 et ne ferait que s'ajouter à une série d'autres organes superflus et inefficaces créés en certaines occasions sans clairvoyance ni adhésion et qui ne font pas honneur à l'ONU235. En tout état de cause, les parties consultatives refuseraient d'y siéger236. Ce serait un dangereux précédent si les Nations Unies entendaient créer un comité chargé de surveiller des pays librement associés dans le cadre d'un traité légalement conclu237. Une telle démarche serait même contraire à la Charte puisque cela aboutirait à utiliser l'Organisation pour remettre en cause des obligations juridiques internationales résultant d'un traité238, alors même que le préambule de la Charte affirme que les Nations Unies doivent s'employer à créer les conditions nécessaires au respect des obligations nées des traités239. Cela serait d'autant plus choquant que le Traité est fondé sur les principes de la Charte240 et qu'il contribue concrètement à faire entrer ces principes dans les faits241. Une délégation l'a même qualifié de véritable monument aux principes et objectifs de la Charte242. Dans ces conditions, le rôle des Nations Unies est à l'évidence de promouvoir par tous les moyens le renforcement du Traité et de s'opposer à toute tentative visant à l'affaiblir ou à le mettre en cause243.

233 Chili, A/C.1/40/PV 48.

234 Australie, A/C.1/40/PV 48; Brésil, A/C.1/39/PV 50.

235 Australie, A/C.1/40/PV 48.

236 Australie, ibid.; Chili, A/C.1/39/PV 50.

237 Australie, A/C.1/40/PV 48.

238 Etats-Unis, A/C.1/40/PV 51.

239 Royaume-Uni, A/C.1/39/PV 52.

240 Australie, A/38/439; Etats-Unis, A/C.1/38/PV 45; Pologne, A/C.1/38/PV 43; Argentine, A/C.1/38/PV 46; Inde, A/C.1/39/PV 53; Norvège et Chine, A/C.1/39/PV 52.

241 Etats-Unis, A/C.1/40/PV 51.

242 Etats-Unis, A/BUR/38/S.R.2.

243 Royaume-Uni, ibid.; URSS, A/C.1/38/PV 43.

Face à la prétention de faire entrer l'Antarctique et ses ressources dans le patrimoine commun de l'humanité, les parties consultatives tentèrent de démontrer que ce n'était qu'une aberration juridique244 parce que la situation du continent n'était en rien comparable à celle de l'espace extra-atmosphérique ou des fonds marins245. Tout d'abord, il n'existe aucun vacuum juris à combler puisque le territoire est effectivement placé sous un régime juridique découlant d'un Traité conforme au droit international246 et servant de surcroît les intérêts de la communauté internationale247. En outre, on ne peut parler de res nullius puisque des revendications territoriales, dont personne n'ignore l'existence, ont été formulées depuis bien longtemps248. Enfin, le concept de patrimoine commun de l'humanité implique une intention de développement et de mise en valeur de ressources, alors que cet aspect est loin d'être prédominant en Antarctique, continent à l'équilibre écologique très fragile où l'activité humaine principale est la recherche scientifique désintéressée249. Les partisans de la notion de patrimoine commun de l'humanité se trompent lourdement s'ils croient que l'Antarctique est un eldorado250, une île au trésor251 ou une corne d'abondance débordante de minéraux252. La réalité est tout autre: l'exploitation des minéraux y serait la plus onéreuse du monde253. Quant à l'utilisation du krill pour venir en aide aux populations affamées, ce n'est qu'un leurre, compte tenu de son coût exorbitant; le meilleur service que le krill puisse rendre à ceux qui ont faim dans le monde serait de ne pas attirer des fonds d'aide au développement qui pourraient être utilisés à d'autres fins, pour un plus grand bénéfice254.

244 Argentine, A/C.1/38/PV 46.

245 Australie, A/C.1/38/PV 45.

246 Belgique, ibid. France, A/C.1/40/PV 54.

247 Norvège, A/C.1/38/PV 43. Il est intéressant de noter qu'à partir de 1975 les parties consultatives ont commencé à souligner l'idée que les recommandations qu'elles adoptaient étaient prises dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Voir recommandations VIII-8 sur l'activité des Etats qui ne sont pas parties consultatives; VIII-13 sur l'environnement antarctique; IX-1 sur les ressources minérales; XII-3 sur l'impact de l'homme sur l'environnement en Antarctique.

248 Argentine, A/C.1/39/PV 53.

249 Australie, A/39/583, 2e partie, vol. I, par. 305-309.

250 Italie, A/C.1/40/PV 49.

251 Japon, A/C.1/38/PV 44.

252 Australie, A/C.1/40/PV 48.

253 Royaume-Uni, A/C.1/39/PV 52.

254 Royaume-Uni, ibid.

Finalement, le seul résultat que pourraient obtenir les adversaires du Traité serait de mettre en péril un équilibre fragile au risque de rouvrir la course aux armements jusqu'ici écartée grâce au Traité255.

255 République démocratique allemande, A/C.1/38/PV 42; Royaume-Uni, A/C.1/40/PV 53.

Leur démarche a été présentée par les parties consultatives comme d'autant plus hasardeuse que les solutions proposées leur ont paru ou bien fort vagues ou bien totalement irréalistes.

LA DIFFICILE RECHERCHE DE SOLUTIONS ALTERNATIVES

L'analyse des interventions des pays non parties au Traité sur l'Antarctique révèle que ceux-ci sont loin d'avoir encore arrêté une position commune précise sur les solutions alternatives possibles. Cela s'explique probablement par le fait qu'ils ont jusqu'ici recherché la participation des parties au Traité et que ces dernières n'ont pas cru pouvoir entamer des discussions sur ces points. Conscients de l'extrême faiblesse de tout régime qui résulterait d'une décision majoritaire au sein de l'ONU prise sans l'appui des principaux intéressés, les partisans d'une réforme du Traité se bornèrent pour la plupart à affirmer la nécessité d'ouvrir des négociations256 et à suggérer des lignes directrices sans entrer dans le mérite des différentes options, tout en proclamant leur totale ouverture d'esprit257.

256 Pakistan, A/C.1/39/PV 54; Arabie Saoudite, A/C.1/40/PV 51.

257 Bangladesh, A/C.1/39/PV 54.

Le futur régime devrait, selon eux, être tout d'abord fondé sur les principes régissant le patrimoine commun de l'humanité258, c'est-à-dire qu'il devrait prévoir la participation des Etats du tiers monde au processus décisionnel259 ainsi qu'un système de partage équitable des bénéfices tirés de l'exploitation des ressources260, conformément aux principes du nouvel ordre économique international261. Enfin, il devrait être institué dans le cadre ou sous les auspices de l'ONU262.

258 Antigua-et-Barbuda, A/C.1/38/PV 42; Bangladesh et Soudan, A/C.1/40/PV 50.

259 Voir par exemple le communiqué publié le 26 mai 1983 à l'issue de la première réunion de la Commission des affaires étrangères de l'Organisation des Etats des Caraïbes orientales; Pérou, A/C.1/39/PV 54, seule partie au Traité à avoir évoqué si clairement cette nécessité.

260 Soudan, A/C.1/38/PV 43; Philippines, A/C.1/38/PV 44; Yougoslavie, A/C.1/38/PV 45; Bolivie, A/C.1/40/PV 48; Kenya, A/C.1/40/PV 54.

261 Sri Lanka, A/C.1/41/PV 49.

262 Egypte, A/C.1/40/PV 49; Rwanda, A/C.1/40/PV 52; Ghana, A/C.1/39/PV 53.

Au-delà de ces lignes directrices communes, des propositions assez diverses furent avancées par des délégations, sans qu'il soit évident qu'elles aient été partagées par les autres délégations du même groupe. Beaucoup de pays africains réclamèrent l'internationalisation immédiate du continent et son administration directe par les Nations Unies263 selon un système octroyant des droits et obligations égaux à tous les Etats264. D'autres, reprenant une idée avancée naguère par quelques pays arabes265, suggérèrent de donner juridiction à la future Autorité internationale des fonds marins sur toutes les zones au sud de 60° de latitude S., y compris le continent266. La solution moins radicale suggérée par C. Pinto267 et consistant en un premier temps à confier aux Nations Unies l'administration du secteur de l'Antarctique qui n'est toujours pas revendiqué n'a, à notre connaissance, été défendue par personne. Une délégation préconisa l'adoption d'un système de participation groupée permettant une représentation collective de certains pays par le truchement de groupements régionaux ou sous-régionaux internationalement reconnus268.

263 Sierra Leone, A/C.1/38/PV 42; Libye, A/C.1/38/PV 44 et A/C.1/40/PV 50; Zambie, A/C.1/38/PV 46 et A/C.1/40/PV 52; Ghana, A/C.1/41/PV 49.

264 Cameroun, A/C.1/40/PV 52; Kenya, A/C.1/41/PV 49.

265 Cf. B. Mitchell, op. cit. à la note 4 ci-dessus in Marine Policy, en particulier p. 100.

266 Philippines, A/39/583, 2e partie, vol. III. L'idée est discutée par C. Joyner dans son article à la San Diego Law Review cité à la note 21 ci-dessus, ainsi que par W. Westermeyer in «Alternative Regimes for Future Mineral Resource Development in Antarctica», Ocean Management, n° 8, 1982-83, p. 197-232, en particulier p. 216.

267 Cité dans M. Koch: «The Antarctic Challenge: Conflicting Interests, Cooperation, Environmental Protection and Economic Development», Journal of Maritime Law and Commerce, vol. 15, n° 7, janvier 1984, p. 117-126, en particulier p. 124.

268 Bangladesh, A/C.1/38/PV 46 et A/39/583, 2e partie, vol. I.

La proposition la plus élaborée et la plus originale fut soumise par la délégation d'Antigua-et-Barbuda269. Par son côté radical et ambitieux, elle n'est pas sans rappeler les premières propositions formulées par un autre petit pays insulaire - Malte - au début des années 70, lors des premières négociations sur le droit de la mer. Comme ces dernières, elle n'obtint qu'un maigre soutien. En bref, on peut la résumer comme suit:

- Création d'un organe de décision suprême pour l'Antarctique, composé des parties contractantes actuelles qui y siégeraient de façon permanente et de représentants des régions du monde élus à tour de rôle parmi les autres Etats, selon la pratique déjà suivie dans certains organes des Nations Unies.

- A la différence de ce qui se passe au Conseil de sécurité ou aux réunions des parties consultatives au Traité, aucun Etat ou groupe d'Etats ne disposerait d'un droit de veto.

- Un petit secrétariat permanent serait établi par les Nations Unies.

- Le nouvel organe de décision se réunirait une fois par an au siège des Nations Unies à New York et remplirait sensiblement les mêmes fonctions que celles actuellement confiées aux parties consultatives par l'article IX du Traité.

- L'exploitation des ressources tant vivantes que minérales serait sujette à un système de licences, et les recettes ainsi dégagées seraient affectées à un fonds spécial subdivisé en trois parties: i) dépenses pour la protection de l'environnement marin de l'Antarctique; ii) prêts à des conditions rigoureuses pour les pays développés; iii) prêts à des conditions libérales et dons pour les pays moins avancés et les pays en développement270.

269 Antigua-et-Barbuda, ibid.; A/C.1/39/PV 50; A/C.1/41/PV 49.

270 Une telle idée avait déjà été suggérée en 1978 par F.C. Alexander dans son article cité à la note 4 ci-dessus, en particulier p. 418.

Aucune partie consultative n'entra dans le mérite des solutions alternatives proposées. Leur réponse fut globale et bien synthétisée par la description assez imagée que fit le délégué du Royaume-Uni du système du Traité: il l'a comparé à la marmite autour de laquelle les sorcières de Macbeth s'assemblaient pour prophétiser la mort, la ruine et la destruction. A l'intérieur se trouvent des pays qui ont des revendications territoriales - reconnues par certains et fortement contestées par d'autres - ainsi que des pays qui pensent que la souveraineté n'a rien à voir avec cette question. Ce bouillon de sorcière contient tous les germes de la discorde, et le couvercle de la marmite doit rester fermé. Ce couvercle qui empêche les passions nationalistes de se déchaîner, c'est l'article IV du Traité. Si l'on tente d'y toucher, par exemple en introduisant le concept de patrimoine commun de l'humanité qui nie les souverainetés, le pire peut arriver271. En d'autres termes, si l'on déséquilibre certaines parties de cet édifice fragile, il y a de fortes chances pour qu'il s'écroule entièrement272.

271 Royaume-Uni, A/C.1/40/PV 53.

272 Nouvelle-Zélande, A/C.1/40/PV 50.

A ce danger politique primordial, une partie consultative qui s'est toujours vivement préoccupée de la préservation de l'environnement273 a ajouté un danger écologique: la Nouvelle-Zélande s'est en effet déclarée inquiète de constater que ce qui semblait aiguillonner l'intérêt de beaucoup de pays non parties au Traité c'était l'exploitation des ressources, activité que certaines parties consultatives ne cherchent ni à promouvoir ni à encourager afin de mieux protéger l'environnement274.

273 La Nouvelle-Zélande, en juin 1975, avait déjà proposé que l'Antarctique soit déclaré «parc international». Voir la déclaration de B.E. Talboys à la New Zealand Antarctic Society, Wellington, 26 avril 1978 (polycopié) et B. Mitchell: «Resources in Antarctica, Potential for Conflict», Marine Policy, avril 1977, en particulier p. 100. Voir également à ce sujet R.C. Murphy: «The Urgency of Protecting Life on and around the Great Southerly Continent», Natural History, vol. 76, 1967, p. 21-31, ainsi que Sierra Club Bulletin, juin 1976, vol. 61, n° 6.

274 Nouvelle-Zélande, A/C.1/40/PV 50.

Dangereuses, les initiatives des pays non parties au Traité seraient également, selon de nombreuses parties consultatives, totalement irréalistes dans la mesure où les positions des principales parties intéressées sont telles qu'il est absolument impossible d'entrevoir comment on pourrait s'accorder sur un nouveau régime275.

275 Australie, A/C.1/38/PV 45; Inde, A/C.1/39/PV 53; France, A/C.1/40/PV 54.

Enfin, mentionnons qu'une partie consultative a souligné que ce n'est pas parce qu'une question présente un intérêt pour l'humanité tout entière qu'il s'ensuit automatiquement qu'il faut en confier la solution à un comité des Nations Unies. Cette délégation a reconnu que l'humanité tout entière avait un intérêt dans l'Antarctique. Le Traité s'en fait d'ailleurs l'écho. Mais l'humanité a par exemple également un intérêt évident dans la conservation des forêts tropicales humides. Personne n'a cependant prétendu que ces dernières devraient être gérées par les Nations Unies ou par un comité des Nations Unies276.

276 Nouvelle-Zélande, A/C.1/39/PV 54.

CONCLUSION: UN RÉGIME REVIGORÉ SOUS LA PRESSION DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES?

L'analyse des débats qui se sont déroulés à l'Assemblée générale au cours des quatre dernières années montre que depuis au moins deux sessions les négociations piétinent et qu'en fait les délégations des deux groupes en présence ne font désormais que répéter les mêmes arguments d'une session à l'autre.

Il y a cependant un point sur lequel les principaux porte-parole des deux groupes - l'Australie et la Malaisie - sont tombés d'accord, c'est que pour l'instant le système du Traité sort renforcé de l'offensive à laquelle il a dû faire face277. Cette conclusion, qui ne saurait encore être considérée comme définitive, s'explique par différents facteurs:

En premier lieu, il est patent que la mobilisation des Etats membres du Mouvement des pays non alignés n'a été que partielle et a manqué de vigueur. Dans le cas des négociations sur le droit de la mer, une grande majorité des Etats avaient un intérêt tangible et immédiat à pouvoir étendre leur juridiction sur les ressources marines situées au large de leurs propres côtes. Dans le cas de l'Antarctique, l'intérêt était plus lointain et moins direct, et beaucoup d'Etats ont probablement été moins motivés. De surcroît, il était pour le moins embarrassant pour les membres du Mouvement des non-alignés d'entendre plusieurs pays en développement défendre le Traité et de voir leur propre président, l'Inde, siéger dans le camp des parties consultatives. Le Zimbabwe, porté à la présidence du Mouvement lors du sommet d'Harare, l'a publiquement déploré en déclarant: «Certains d'entre nous ont été cooptés et l'affaire a été adroitement menée. Elle nous laisse désunis et désemparés. C'est une stratégie habile qui a bien fonctionné: coopter quelques-uns parmi les déshérités, ce qui permet de tenir les 140 autres Etats déshérités éloignés du gâteau»278. Il est à noter que, parmi les principaux groupes régionaux, seule l'Afrique a fait bloc. Les pays d'Amérique latine et des Caraïbes se sont trouvés divisés (six Etats sont parties au Traité, quatre autres ont décidé, comme les parties consultatives, de ne pas participer aux votes, deux autres se sont abstenus)279. Le groupe asiatique s'est trouvé affaibli par la défection de l'Inde et la dispersion des Etats du Pacifique Sud (trois sont parties au Traité, un autre n'a pas participé aux votes, deux se sont abstenus, un seul a voté pour la résolution malaise)280.

En outre, les pays non parties au Traité ne disposaient que de fort peu de moyens de pression: leur nombre devint de peu de poids dès lors que tous les pays actifs dans l'Antarctique refusèrent de siéger dans un comité spécial de l'Assemblée générale et même de participer aux discussions en première commission. Leur menace de ne pas reconnaître tout nouveau régime d'exploitation des minéraux qui serait convenu dans le cadre du Traité281 est un argument peut-être plus sérieux, mais de portée réduite pour l'instant.

277 Malaisie: «Les discussions, et peut-être la perspective de les avoir, ont renforcé le système» (A/C.1/39/PV 50); Australie: «Un résultat de l'attention que l'initiative malaise a attiré sur le Traité est que le système du Traité a montré sa capacité de se développer d'une manière qui en a sans aucun doute renforcé le fonctionnement» (A/C.1/40/PV 48).

278 Zimbabwe, A/C.1/41/PV 49.

279 Ces données se réfèrent aux votes de la quarantième session où pour la première fois les résolutions n'ont pu être adoptées par consensus.

280 Il faut noter qu'à l'issue de la seizième réunion du Forum du Pacifique Sud, qui s'est tenue à Rarotonga (îles Cook) les 5 et 6 août 1985, les chefs de Gouvernement des pays suivants: Australie, îles Cook, Etats fédérés de Micronésie, Fidji, Kiribati, Nauru, Nouvelle-Zélande, île Nioué, Papouasie-Nouvelle-Guinée, îles Salomon, Samoa, Tonga, Tuvalu et Vanuatu diffusèrent un communiqué dans lequel ils ont notamment exprimé l'intérêt qu'ils portaient à la continuation d'un système viable pour le Traité de l'Antarctique.

281 Ghana, A/C.1/40/PV 52.

En revanche, la secousse semble avoir été salutaire pour le système du Traité. Elle a certainement poussé les parties consultatives à se livrer à un nécessaire examen de conscience dans le sens d'une plus grande ouverture du Traité sur le monde extérieur. Dès qu'il devint probable que le Traité serait remis en cause, elles s'efforcèrent de convaincre davantage d'Etats de se joindre au Traité. Ces efforts ont été payants. Depuis 1980, 14 Etats - dont huit en développement - sont devenus parties, alors qu'au cours des 20 années précédentes le Traité n'avait reçu l'adhésion que de neuf Etats (dont un seulement en développement)282. En outre, depuis 1980, cinq nouveaux Etats - dont quatre en développement - ont été admis au statut de partie consultative283, alors qu'un seul l'avait été au cours des 20 années précédentes284. Ce faisant, le groupe des parties consultatives a gagné en représentativité. D'un autre côté, il faut bien être conscient du fait que l'augmentation du nombre des parties dotées du droit de veto risque de rendre de plus en plus difficile la prise des décisions tant les intérêts à concilier seront différents285. Un autre risque est aussi de ne pouvoir aboutir qu'à des solutions trop «aseptisées» représentant le plus petit dénominateur commun et privées de réelle substance286.

282 Voir la note 2 ci-dessus.

283 Allemagne (République fédérale d') en 1981, Brésil et Inde en 1983, Chine et Uruguay en 1985.

284 Pologne en 1977.

285 Voir à ce sujet les remarques de F.M. Auburn dans son article cité à la note 208 ci-dessus.

286 Voir les remarques de W. Westermeyer dans son article cité à la note 266 ci-dessus, qui explique certaines faiblesses des dispositions de la Convention sur le droit de la mer relatives à la protection de l'environnement marin par le grand nombre de pays qui ont participé aux négociations.

Lors de leur douzième réunion, tenue quelques semaines après que la Malaisie eut demandé l'inscription de la question de l'Antarctique à l'ordre du jour de l'Assemblée générale, les parties consultatives décidèrent d'ouvrir leurs réunions à des observateurs des parties non consultatives287. Elles discutèrent également de la mesure dans laquelle la participation d'organisations internationales appropriées aux réunions consultatives ordinaires pourrait être utile aux parties consultatives. Elles conclurent que, lors de la préparation de chaque réunion consultative ordinaire, les parties consultatives devraient examiner la question de savoir: i) si, à l'occasion de la discussion d'un point quelconque de l'ordre du jour, la présence d'un observateur d'une institution spécialisée des Nations Unies ou d'une autre organisation internationale ayant un intérêt scientifique ou technique dans l'Antarctique pourrait aider les parties consultatives; ii) et, si tel était le cas, si l'organisation en question devrait, avec l'accord de toutes les parties consultatives, être invitée par le gouvernement hôte à participer à la réunion sur cette base288.

287 Voir le rapport de la douzième réunion consultative, 1re partie, par. 39 et la recommandation XIII-15 adoptée par la treizième réunion consultative. Cette décision est à rapprocher de celle du CSRA qui, à sa dix-neuvième session (San Diego, Californie, Etats-Unis, juin 1986), a décidé de créer une nouvelle catégorie de membres - les membres associés - pour les pays ne remplissant pas les conditions requises pour être membres à part entière mais qui désirent néanmoins être plus étroitement associés aux travaux du Comité. Voir SCAR Bulletins, n° 87, janvier 1987, in The Polar Record, vol. 23, n° 145, 1987, p. 485. Pour les membres à part entière, le CSRA continue d'exiger qu'ils aient des programmes de recherche actifs, continus et indépendants dans l'Antarctique.

288 Rapport de la douzième réunion consultative, 1re partie, par 42.

La même réunion recommanda que le rapport final et les recommandations des réunions consultatives ordinaires soient désormais transmis au Secrétaire général des Nations Unies et que, lorsque les parties consultatives estiment que cela est approprié, l'attention des institutions spécialisées des Nations Unies ou des organisations internationales «ayant un intérêt scientifique ou technique» dans l'Antarctique soit attirée sur toute partie du rapport de la réunion ou sur tout document d'information soumis à la réunion et rendu public concernant l'intérêt scientifique ou technique que les agences ou organisations portent à l'Antarctique. Elle recommanda enfin que, dans certains cas, certains documents examinés par les réunions consultatives puissent être rendus publics289.

289 Recommandation XII-6.

Il n'est certes pas encore question d'ouverture totale. Si certains observateurs nouvellement admis se sont déclarés satisfaits d'être désormais en mesure d'exercer une plus grande influence290, d'autres ont noté que les dispositions actuelles relatives au statut d'observateur pourraient être améliorées291. On a également prétendu que les observateurs étaient exclus de certaines importantes réunions restreintes292 et que certains documents ne leur étaient pas toujours communiqués en temps utile293. De même, il n'a toujours pas été décidé de rendre accessible les documents des réunions consultatives ordinaires passées.

290 Finlande, A/C.1/40/PV 51; Suède, A/C.1/40/PV 52.

291 Danemark, A/C.1/40/PV 50.

292 Malaisie, A/C.1/39/PV 50 et A/C.1/40/PV 48.

293 Danemark, A/C.1/40/PV 50.

Quant au statut octroyé aux institutions spécialisées et autres organisations, il est encore d'une timidité que l'on ne reconttre plus guère dans les organisations internationales.

Les propos encourageants de plusieurs parties consultatives sur la capacité du système à se transformer de l'intérieur294 et sur la nécessité d'approfondir encore la coopération avec les autres Etats et les organisations internationales295 permettent de penser que le processus pourrait ne pas s'arrêter là. Sous la pression des Nations Unies, les parties consultatives ont déjà pris quelques mesures d'ouverture, aussi bien en direction des Etats que des Nations Unies. A ce prix, elles sont parvenues à éviter ce qu'elles redoutaient le plus, c'est-à-dire la création d'un mécanisme parallèle. Du fait de sa diversité et de la représentativité de ses membres, leur groupe est sans doute suffisamment fort pour avoir de bonnes chances de pouvoir - fût-ce au prix de quelques autres concessions296 - contrôler l'évolution de la situation d'une manière qui préserve l'essentiel du système.

294 Nouvelle-Zélande, A/C.1/39/PV 54.

295 Chili, A/C.1/39/PV 50.

296 Voir les intéressantes suggestions en ce sens avancées par L. Kimball, in op. cit. à la note 180 ci-dessus, en particulier p. 237-247. Il est significatif de noter que le projet d'articles en cours de négociation sur le régime des ressources minérales (voir Environmental Policy and Law, vol. 11, 1983, p. 47-52) prévoit la création d'une commission qui serait entre autres chargée d'envisager des mesures destinées à assurer la participation de la communauté internationale aux bénéfices procurés par le régime. Le projet prévoit aussi explicitement que la commission devrait coopérer avec les Nations Unies et ses institutions spécialisées. Voir à ce sujet F. Orrego Vicuña: «Definition of a Regime on Antarctic Mineral Resources», in Antarctic Resources Policy, Cambridge University Press, 1983, en particulier p. 210-211.


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