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Chapitre 13 : L'érosion agricole dans les Andes de l'Equateur


Problématique
L'érosion des sols: diagnostic et origine
Les risques: l'impact de l'érosion en milieu agricole
Propositions d'améliorations


Figure

G. De Noni, M. Viennot, Mission ORSTOM en Equateur, ORSTOM-Montpellier, France
G. Trujillo, Ministère de l'Agriculture et de l'Elevage, Quito, Equateur

PHENOMENE NATUREL ET PHENOMENE HISTORIQUE

Problématique

Bien que l'Equateur soit un petit pays (270 000 km2 ) à l'échelle continent latino-américain, on y observe, cependant, une mosaïque exceptionnelle de paysages. Cette diversité, caractérisée par la juxtaposition sur de courtes distances d'écosystèmes froids, tempérés et chauds, est due à la présence, à cette latitude, de l'énorme barrière montagneuse des Andes, appelée localement "Sierra". Cette cordillère, qui occupe le centre du pays, du nord au sud, est bordée à l'ouest par la côte pacifique et à l'est par le piedmont amazonien. Coincée entre 2 plaines basses, la Sierra constitue donc un milieu typiquement montagnard aux dénivelées topographiques impressionnantes.

Les activités humaines, traditionnellement agricoles, ont dû s'adapter à ce milieu de haute montagne. Très tôt, durant les 2000 ans qui précèdent la conquête espagnole, la Sierra est le siège d'une agriculture florissante car la population, qui ne dépasse pas 200 000 habitants, a pu développer ainsi une agriculture en équilibre avec le milieu. En effet, ces sociétés d'antan pratiquaient spontanément la diversification des cultures, l'utilisation des terres sur plusieurs étages écologiques et 17 irrigation dont les canaux épousaient les contours d'un dense réseau de terrasses. Au cours des siècles, l'histoire troublée de la conquête espagnole puis, plus proche de nous, les effets sociaux de la pression démographique ont fait évoluer cette situation vers un déséquilibre des rapports homme-milieu. Actuellement, l'expansion de la frontière agricole progresse en altitude et se heurte aux contraintes imposées par la montagne (climat, pente). C'est dans ce contexte que s'est développée la structure du "minifundio" qui, dans des conditions très difficiles, de petites parcelles vivrières inférieures à 1 ha, se heurte à des problèmes aigus d'érosion.

L'érosion des sols: diagnostic et origine

PHENOMENE NATUREL: UN MILIEU MONTAGNARD

La Sierra est un énorme bourrelet montagneux, de 100 à 120 km de largeur, dédoublé en deux cordillères parallèles. Entre celles-ci, se trouve une dépression qui est formée par une succession de bassins d'effondrement.

TABLEAU 43 : La structure agraire en Equateur de 1954 3 1985: nombre d'exploitations et superficie occupée (exprimés en %)

Taille en

1954

1974

1985

ha

Nombre

Superficie

Nombre

Superficie

Nombre

Superficie

0-20

90

17

85

19

83

20

20-100

8

18

12

34

15

44

> 100

2

64 2

48

1

35


Les principaux types de relief sont les suivants:

- dans la zone intra-andine, on distingue 2 niveaux de bassins. D'une part, ceux situés à une altitude inférieure à 2400 m. Il s'agit d'une unité relativement plane (pente de 0 à 20 %) et déprimée, couverte par une végétation arbustive xérophyte discontinue. La population groupée en petits villages pratique la culture irriguée: canne à sucre, arbres fruitiers et légumes. Les traces d'érosion sont partout manifestes aussi bien dans les zones mal protégées par cette végétation que dans les zones irriguées où la maîtrise de l'eau est insuffisante. D'autre part, un niveau, compris entre 2400 et 3200 m, qui regroupe la majorité des paysages de la Sierra. On y observe:

• un réseau dense de ravins et de "canons", témoins d'une active érosion régressive, où les pentes dépassent 70 %. Il n'existe qu'une maigre agriculture sur des sols de faible épaisseur;

• des surfaces planes d'accumulation (moins de 10 % de pente), où sont établies les grandes propriétés d'élevage bovin ("haciendas"). Entre ces surfaces et les ravins, on observe une morphologie plus irrégulière (25-50%) qui se caractérise par un recul marqué des petites parcelles de mais face à une érosion ancienne, très active;

• soit des glacis-terrasses, soit des cônes de déjections en s'élevant au contact de la zone montagneuse. Sur les pentes inférieures à 25 %, s'est développé un élevage prospère dans le cadre de grandes ou de moyennes exploitations: haciendas (centaines d'hectares) et "fincas" (dizaines d'hectares). Plus haut, entre 3000 et 3200 m, apparaissent les premiers versants escarpés où s'est installée la première vague de minifundio. Cette mutation a provoqué une accélération de l'érosion;

- sur les cordillères, à partir de 3200 m (De Noni, Viennot, 1985), commencent les hautes terres andines où s'étend massivement, depuis une dizaine d'années, le minifundio. Jusqu'à 3800 m, on y cultive la pomme de terre, l'oignon, la fève, l'orge, la quinoa, le lupin ..., relayés par un élevage extensif d'ovins et de caprins, parfois de lamas qui atteint 4400 m. L'emprise de plus en plus marquée de l'agriculture sur le milieu s'accompagne de phénomènes actifs de dégradation;

- enfin sur les flancs extérieurs, les pentes sont encore plus fortes (plus de 70 %). L'érosion est localisée en fonction de l'instabilité des sols qui s'accroît lorsque la végétation naturelle et les prairies sont progressivement remplacées par les cultures tropicales.

La montagne andine constitue donc un milieu très propice aux manifestations érosives (actions des pluies et de l'homme) parce qu'il existe une relation entre l'inclinaison de la pente, la vitesse de l'écoulement, le débit du ruissellement et l'intensité de l'érosion.

PHENOMENE HISTORIQUE: MINIFUNDIO ET HACIENDAS

La Sierra est la région du pays où la pression de l'homme sur le sol est la plus importante. En règle générale, les fortes densités de population correspondent au minifundio, celles-ci (Delaunay, 1989) varient de 50 hab./km2 à plus de 200 hab./km2 (région de Ambato). Selon les recensements du Ministère de l'Agriculture, la répartition (nombre et superficie) des unités de production est donnée au tableau 43.

Quelles que soient les années considérées, les exploitations du minifundio (0 à 20 ha) regroupent plus de 80 % des unités de production, en revanche elles n'occupent que 20 % des terres agricoles situées, en général, dans un milieu difficile à valoriser. Les bonnes terres planes des bassins, gérées par les haciendas, supportent un élevage bovin extensif. Cette situation paradoxale résulte d'un héritage historique où l'on peut dégager les trois périodes clés suivantes (De Noni, 1986):

- les conséquences historiques de la conquête espagnole ont été dramatiques car elles ont provoqué une baisse généralisée de la population (guerre, maladies...etc.). Dans la pratique, les indigènes, traités comme main-d'oeuvre servile, sont regroupés dans de vastes domaines agricoles. Cette structure évoluera rapidement vers de grandes fermes plus connues sous le vocable "d'haciendas";

- depuis le début du siècle, l'Equateur est le siège d'une formidable croissance démographique qui touche particulièrement la population rurale. En 1586, la population totale du pays s'élève environ à 150 000 habitants. Entre 1780 et 1886, la population double et passe de 500 000 à 1 000 000 d'habitants. Entre 1886 (Estrada, 1977) et 1989, la population est multipliée par dix et atteint 10 500 0000 d'habitants;

- face au mécontentement général d'une population qui croît rapidement, le gouvernement militaire de l'époque proclame, le 11 juillet 1964, la loi de réforme agraire qui vise à abolir l'état de servitude ("huasipungo") auquel est réduite, depuis la conquête, l'abondante main-d'oeuvre des haciendas. Les grands propriétaires terriens sont donc contraints de renoncer à leurs privilèges et de céder une partie de leurs terroirs. Ainsi se développe la structure agraire du minifundio, gérée par de petits paysans indigènes désormais libres et propriétaires du sol. Dans la réalité, les haciendas ont conservé les meilleures terres et n'ont attribué à la réforme agraire que les terroirs inhospitaliers.


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