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Les arbres dans les systèmes culturaux

J.E.M. Arnold

Pourquoi les agriculteurs décident-ils de planter des arbres? Impact de l'arboriculture sur la sécurité alimentaire des familles

J.E.M. Arnold est maître de recherches à l'Oxford Forestry Institute, Oxford (Royaume-Uni).

Jardins familiaux en Indonésie des cultures intensives d'arbres et de plantes annuelles associées

Dans la majeure partie du monde en développement, les ruraux savent bien que les arbres produisent de nombreux biens et services importants pour eux. Face au recul et à la dégradation des forêts naturelles, ils ont cherché à protéger, planter et aménager des arbres sur leurs propres terres afin de ne pas perdre ces biens et services. Ainsi, dans les montagnes du Népal, où les ressources forestières se sont graduellement amenuisées, Campbell et al., ont observé en 1987 que les ménages interrogés plantaient de plus en plus sur leurs terres, notamment des arbres fruitiers et fourragères.

Cependant, le besoin croissant de terres pour l'agriculture et l'élevage amène souvent à éliminer les arbres au lieu de les protéger ou d'en planter. La monoculture et la mécanisation incitent à enlever les arbres qui gênent le mouvement des tracteurs. La concurrence pour la lumière, l'eau et les éléments nutritifs est encore une raison pour abattre les arbres. Les jachères sont de plus en plus brèves, de sorte que moins de terres sont protégées par le couvert végétal et que les arbres n'ont pas le temps de devenir productifs. L'écobuage pratiqué par les éleveurs est un autre obstacle à l'arboriculture, de même que les systèmes fonciers où les animaux se déplacent librement dans les champs après la récolte.

Les changements du régime de propriété influent également sur la place des arbres dans l'utilisation des terres. La privatisation et la nationalisation des terrains communaux accroît la pression sur les ressources restantes et le nombre de personnes qui n'ont pas l'accès aux arbres. Les systèmes de tenure précaire et ceux où la présence d'arbres confère des droits à d'autres que ceux qui les ont plantés tend à décourager ou à exclure l'aménagement des arbres.

Néanmoins, dans bien des situations, la plantation d'arbres est une réponse partielle aux pressions grandissantes sur les ressources. Cet article se propose d'examiner un certain nombre de situations de ce genre et d'identifier les apports que fournissent les arbres aux ménages ruraux et les raisons qui incitent les agriculteurs à en planter. A cette fin, nous analyserons des études portant sur trois types de situations, à savoir les systèmes agricoles extensifs, les systèmes intensifs et hautement développés des jardins familiaux, et les arbres comme culture de rente dans les boisements de ferme.

Utilisation extensive des terres

La culture itinérante de type traditionnel, la plus fondamentale des formes d'agriculture, constitue le système le plus efficace d'exploitation des ressources, notamment de la main-d'œuvre familiale. Si les terres sont suffisantes pour permettre une période de jachère, aucun autre système ne pourra assurer une plus grande productivité du travail sans apport de capital. La végétation des jachères conserve la fertilité du sol, et le défrichage et le brûlis éliminent pratiquement les opérations de préparation du sol et de sarclage. On pourrait augmenter la production par hectare en cultivant plus intensément, mais au prix d'un rendement inférieur par unité de main-d'œuvre. Tant que les cultivateurs réalisent leurs objectifs de production avec des méthodes à faible coefficient de main-d'œuvre, il est clair qu'ils ne s'en écarteront pas (Rambo, 1984; Raintree et Warner, 1986).

Quand la terre commence à manquer et que l'agriculture itinérante cesse d'être viable, les agriculteurs adoptent des méthodes plus intensives (Olofson, 1983; Raintree et Warner, 1986). Cette intensification se fait en général graduellement, au moyen d'apports accrus de main-d'œuvre et parfois aussi de capital sous forme d'engrais, d'herbicides, etc. Parfois, elle tend à éliminer les arbres, mais parfois aussi ceux-ci continuent à faire partie des systèmes agricoles.

Au stade initial, on a tendance à enrichir la jachère en favorisant ou en plantant des arbres qui peuvent soit hâter la restauration de la fertilité des sols, soit fournir des produits pour la consommation ou la vente ou les deux à la fois. Ainsi, Acacia senegal cultivé dans les jachères au Soudan et dans d'autres zones semi-arides d'Afrique remplit à la fois les deux fonctions: en tant qu'essence légumineuse, il améliore la fertilité du sol, mais il produit également de la gomme arabique pour la vente, du bois de feu, des médicaments, des fibres et d'autres produits utiles aux ménages. Citons encore le palmier Babassu, cultivé pour ses produits commerciaux et de consommation par les agriculteurs itinérants sur de vastes étendues du centre-nord du Brésil (May et al., 1985), le rotin planté comme culture de rente dans le cycle de culture itinérante à Bornéo (Weinstock, 1983), l'aménagement à fins multiples de brûlis chez les Ifugas aux Philippines (Conklin, cité dans Olofson, 1983) et les rotations agroforestières axées sur une production marchande pratiquée en Amazonie péruvienne (Padoch et al., 1985). Bien qu'on ait peu d'information à ce sujet, il y a tout lieu de penser que la productivité du travail est plutôt bonne dans ces variantes du système classique de culture itinérante qui permettent d'accroître le revenu avec un faible apport de travail supplémentaire (Raintree et Warner, 1986).

Dans un deuxième temps, lorsque sous l'effet des pressions l'agriculture devient permanente, on rencontre diverses formes de cultures intercalaires. Des essences enrichissant le sol plantées en association avec les cultures vivrières font l'effet d'une jachère continue. C'est le cas, par exemple, de Faidherbia albida (auparavant appelé Acacia albida) planté dans les terres cultivées d'une grande partie de l'Afrique.

Un autre exemple est l'association de Sesbania sesban, une essence légumineuse, avec du maïs dans certaines zones du Kenya occidental. Au bout de trois ans, lorsque le couvert s'est refermé et que la culture du maïs n'est plus possible, on garde Sesbania sp. en tant que culture de jachère pendant un an ou deux, puis on l'exploite pour en tirer du bois de feu. Le cycle est ensuite répété. Pratiqué dans une zone où la main-d'œuvre est déficitaire, il a été estimé qu'en 10 ans le système produit moitié moins de maïs à l'hectare qu'une monoculture mais exige aussi moitié moins de main-d'œuvre, avec une productivité du travail supérieure - sans compter la production de bois de feu et la protection du sol qui constituent ainsi des bénéfices supplémentaires (Banque mondiale, 1986).

De nombreuses recherches ont été faites récemment pour développer un système plus intensif de jachère permanente connu, appelé «culture en couloir». Il s'agit de cultiver des plantes vivrières entre des rangées d'arbres ou d'arbustes qui recyclent les éléments nutritifs et qu'on élague périodiquement pour réduire l'ombre et obtenir du paillis vert pour les cultures vivrières. Une analyse économique des résultats d'une recherche conduite à l'Institut international d'agriculture tropicale (IITA) au Nigéria a révélé que la rentabilité économique et les rendements du maïs sont meilleurs dans les cultures en couloir de maïs associé à Leucaena leucocephala qu'en monoculture, avec ou sans herbicides et engrais; les cultures en couloir exigent davantage de main-d'œuvre, mais la productivité du travail est supérieure (Ngambeki, 1985). Toutefois, il faudra encore faire des essais à la ferme pour vérifier si les hypothèses de base - disponibilité de main-d'œuvre, compétence des exploitants, coûts et valeurs - correspondent bien à la réalité et si les rapports intrants/extrants observés sont applicables au niveau de l'exploitation (Balasubramanian, 1983; Raintree, 1989).

Jardins familiaux

Ces jardins, parfois appelés concessions en Afrique, sont normalement situés à proximité de l'habitation et sont l'une des parties les plus intensément cultivées des systèmes d'exploitation. Ils se caractérisent par un mélange d'espèces annuelles et d'espèces pérennes plantées en association.

Améliorer les systèmes d'utilisation des terres des associations de maïs, haricots et arbres au Kenya

Ils présentent normalement une structure verticale stratifiée d'arbres, d'arbustes et de végétation basse qui reproduit dans une certaine mesure le recyclage des éléments nutritifs, la protection du sol et l'utilisation efficace de l'espace au-dessus et au-dessous de la surface des sols que l'on trouve dans les forêts. Les jardins familiaux non seulement complètent la production de l'exploitation, mais permettent aussi une répartition plus uniforme des travaux agricoles, des dépenses et des revenus tout au long de l'année (Ninez, 1984).

Dans les plaines densément peuplées du centre de Java, les jardins familiaux constituent la principale composante du système de culture sur terrains secs, tandis que le riz irrigué représente l'autre. Par tradition, on préfère les plantes pérennes aux plantes annuelles et les essences ligneuses aux plantes herbacées.

Dans les exploitations qui disposent de suffisamment de rizières pour nourrir la famille, travail et capital sont affectés en priorité à la riziculture, et les jardins sont des jardins forestiers, où poussent principalement des arbres ayant une valeur commerciale (Wiersum, 1982; Hunink et Stoffers, 1984; Stoler, 1978). Quand, à cause de la pression démographique, la superficie des rizières par habitant diminue et ne suffit plus, le jardin forestier se transforme en un système plus intensif dans lequel des plantes annuelles sont associées aux arbres pour produire des aliments et des revenus.

L'intensification est obtenue au moyen d'un apport accru de travail. La possibilité d'accroître la productivité de la terre est telle que les apports de travail sont trois fois plus élevés en moyenne dans les petits jardins que dans les grands (Soemarwoto et Soemarwoto, 1984). On calcule que les jardins sous aménagement intensif produisent jusqu'à 20 pour cent du revenu familial et 40 pour cent de la ration calorique (Stoler, 1978).

Augmenter la valeur ajoutée des produits est un autre moyen d'intensifier l'utilisation des jardins. Penny et Singarimbun (1973) décrivent comment certains agriculteurs très pauvres sont passés de la production de noix de coco à celle de sucre de coprah, qui demande énormément de travail mais qui permet d'augmenter considérablement le revenu à l'hectare. Parmi les autres activités rémunératrices, il faut citer le sciage de long et la collecte de bois de feu (Hunink et Stoffer, 1984).

A mesure que la taille des exploitations diminue, les agriculteurs sont forcés de chercher des emplois extra-agricoles pour gagner de l'argent. On réduit alors la culture des plantes annuelles pour se consacrer à des activités rémunératrices. Les arbres et les plantes pérennes n'exigeant qu'un faible apport de main-d'œuvre deviennent la principale composante du jardin (Stoler, 1978).

Dans une étude des pratiques agricoles du sud-est du Nigéria, Lagemann (1977) a observé une relation analogue entre la pression démographique sur les terres et l'intensité de culture des arbres. Les exploitations comprennent à la fois des jachères, des champs proches et éloignés, et la concession où se trouve l'habitation et qui porte en permanence des cultures associées. On y trouve une grande variété d'essences arborées, y compris des palmiers à huile et à raphia, des cocotiers, des bananiers et des plantains associés avec du manioc, des ignames et d'autres cultures.

L'arboriculture au Kérala (Inde): une option à faible exigence de capital

Une sur la culture d'arbres autour des habitations au Kérala, en Inde, a examiné un système qui associe l'aménagement intensif de cultures pérennes et de cultures annuelles avec des zones traitées plus excessivement. A mesure que s'amenuisent les exploitations sous l'effet de la poussée démographique, on commence par défricher les terres incultes pour les cultiver, éliminant ainsi le couvert forestier naturel. Ensuite, on aménage plus intensivement les jardins familiaux et on n'y conserve plus que les essences à usages multiples. On donne la priorité aux espèces fournissant des fruits, du fourrage et du paillis. La densité des arbres et l'intensité de leur culture s'en trouvent améliorées (Nair et Krishnankutty, 1984). Quand la pression augmente encore, la taille des exploitations décroît à tel point que l'agriculture cesse d'être la source principale de revenu. La main-d'œuvre diminue et se tourne vers des emplois extra-agricoles, et la composante arbres, augmentant encore, prend un aspect forestier.

Cependant, à la différence de Java et du sud-est du Nigéria, dans cette partie du Kérala, la disponibilité de capital s'est accrue, permettant à certains exploitants d'intensifier l'utilisation de leurs terres moyennant l'achat d'intrants (engrais, herbicides), ce qui réduit le rôle des arbres polyvalents dans le maintien de la fertilité et la réduction des mauvaises herbes. C'est pourquoi on tend à les enlever car ils deviennent des obstacles plutôt que des compléments de l'agriculture. L'élimination des arbres a été accélérée par les brusques hausses de prix du bois et de la terre, celle-ci étant de plus en plus souvent affectée à des cultures de rente. On ne cultive dès lors les arbres que lorsqu'ils sont plus rentables que ces cultures. Par exemple, Ailanthus triphysa est cultivé pour fournir du bois à l'industrie des allumettes.

L'agroforesterie a donc évolué au Kérala de la même façon qu'à Java et au Nigéria jusqu'au moment où les paysans enrichis ont pu investir dans leurs exploitations. Ils l'ont alors abandonnée, ce qui semble confirmer qu'en l'absence de capital les agriculteurs utilisent les arbres d'une part en substitution des intrants achetés et de l'autre comme cultures aux exigences limitées.

Cultures intégrées on cultive Bambix ceiba pour en tirer du bois d'allumettes en association avec du poivre servant à la consommation familiale au Kérela, Inde

Au Nigéria comme à Java, la pression démographique croissante se traduit par une réduction de la taille des exploitations et de la fertilité des sols. La proportion des terres exploitées sous forme de jardins à plusieurs strates augmente, de même que la densité des cultures arboricoles et agricoles dans ces jardins. Les agriculteurs ont compris que ces cultures en étages, avec paillage et fumure, sont souvent le meilleur moyen d'optimiser l'utilisation des ressources de façon à combattre la perte de fertilité du sol et à maintenir le niveau de la production (Lagemann, 1977). Sans demander plus de main-d'œuvre par hectare qu'un champ, ces cultures rapportent de cinq à dix fois plus par hectare et de quatre à huit fois plus par journée de travail. Selon Lagemann, cette productivité accrue de la main-d'œuvre dans les jardins tient à l'échelonnement des opérations de plantation et de récolte qui permet d'étaler les périodes de pointe, et à l'ombre des arbres qui améliore les conditions de travail.

Avec l'accroissement de la densité démographique, jusqu'à 59 pour cent de la production et une proportion croissante du revenu agricole total proviennent des jardins familiaux, et la part des arbres dans ce revenu augmente jusqu'à égaler celle des cultures agricoles. L'élevage prend une place de plus en plus importante dans les systèmes agricoles comme source à la fois de revenus et d'engrais. Cependant, à mesure qu'augmente la densité démographique, les rendements et la productivité du travail finissent par décroître et les agriculteurs doivent recourir de plus en plus souvent à des sources de revenu extra-agricoles. L'apport réduit de main d'œuvre diminue dans les jardins, où désormais dominent les arbres et les plantes pérennes.

Ligniculture de rente - Eucalyptus deglupta pour la production de combustible et de perches au Costa Rica

A Java par exemple, les agriculteurs réagissent à la réduction des disponibilités de terres en adoptant des systèmes qui font plus de place aux arbres et à l'élevage. Quand la pression sur les terres augmente encore et que les exploitations deviennent trop exiguës pour être économiquement viables, l'agriculteur n'a d'autre choix que de recourir à des emplois extra-agricoles: la concession redevient un jardin à dominance forestière. Un des avantages des jardins est qu'il existe des variantes moins exigeantes en intrants et en aménagement.

Comme le montre l'expérience du Kérala (voir encadré à la page 38), il existe beaucoup de variantes de ces systèmes, qui ont une grande capacité d'adaptation au marché et aux disponibilités de ressources (capital, main-d'œuvre, autres facteurs de production).

Bois de ferme

Par bois de ferme, on entend ici essentiellement des parcelles consacrées à la ligniculture de rente. On pourrait s'attendre que les agriculteurs prennent leurs décisions en fonction de la rentabilité de la ligniculture par rapport à d'autres cultures ou à d'autres utilisations des terres. Or, s'il y a des exemples de ligniculture intensive, il apparaît, dans la majorité des cas étudiés, que l'on plante des arbres quand on a besoin d'un système peu exigeant en capital et en travail.

Ainsi, aux Philippines, les agriculteurs cultivent maintenant Paraserianthes falcataria (auparavant Albizia falcataria), avec une révolution de six à huit ans, sur des terres soumises préalablement à une culture extensive, pour vendre le bois à une fabrique de pâte voisine (Paper Industries Corporation of the Philippines - PICOP). Des crédits avaient été prévus pour ces plantations d'arbres, mais seuls 30 pour cent des ayants droit en ont profité; ce sont en général ceux qui ont des boisements de taille supérieure à la moyenne (Hyman, 1983).

Une analyse à postériori a montré que, dans la plupart des cas, les exploitants tiraient de leurs bois un revenu adéquat (selon leur estimation), avec un taux de rentabilité interne de 22 à 31 pour cent (coût de la terre exclu). On ne dispose pas de données comparatives sur la rentabilité des autres formes d'utilisation des terres, mais, selon les ligniculteurs eux-mêmes, leur décision a été motivée principalement par les faibles besoins de main-d'œuvre (Hyman, 1983). Dans une zone où les exploitations sont trop grandes pour que la main-d'œuvre familiale puisse les cultiver en totalité, sans aide, la production de bois à pâte permet aux cultivateurs d'en valoriser une plus grande partie.

Haïti offre un autre exemple de succès de la ligniculture de rente. La ligniculture a été introduite dans les collines pour donner aux agriculteurs une source de revenu supplémentaire. Il existait un marché pour le charbon de bois et les perches, les paysans cherchaient à gagner de l'argent et les cultures de rente étaient déjà pratique courante. En outre, la plupart étaient propriétaires. On comptait que l'introduction des arbres dans les systèmes culturaux les aiderait à combattre la grave érosion des terres.

En 1986, environ 110 000 agriculteurs avaient planté plus de 25 millions de plants.

Leurs stratégies sont très diverses, mais on voit de moins en moins de plantations destinées produire uniquement du bois de feu et des perches, et de plus en plus d'essences polyvalentes et de plantations avec cultures intercalaires (maïs, sorgho, haricots). Une analyse coûts/avantages récente a montré que, dans presque tous ces systèmes, la valeur actualisée nette est supérieure à celle des cultures permanentes sans arbres; leur adoption paraît donc une solution viable dans la plupart des cas (Grosenick, 1986).

Des enquêtes confirment que si l'accroissement des revenus est la principale motivation, la décision de planter des arbres est aussi influencée par d'autres facteurs. Beaucoup d'agriculteurs souhaitent utiliser leurs arbres comme une forme d'épargne et apprécient de pouvoir mobiliser cette épargne à leur guise (Conway, 1986; Balzano, 1986, cité dans Conway, 1987).

Ligniculture de rente au Kenya: faibles dépenses + marchés actifs = croissance rapide

Dans une étude préparée pour la Banque mondiale (Banque mondiale, 1986), Dewees décrit l'essor récent de la ligniculture de rente dans certaines parties du Kenya. Deux essences sont particulièrement répandues: l'eucalyplus pour les perches et l'acacia pour le charbon de bois, le bois de feu et l'ossature des maisons en pisé. Les marchés de ces produits ligneux, y compris le bois de trituration et le sciage, sont en pleine expansion, et la production des bois de ferme représente une part importante de l'offre.

La ligniculture est entreprise par les paysans pauvres qui ne produisent pas assez pour se nourrir et pour lesquels elle est une des principales sources de revenu. A Vihiga, dans le district de Kakamega, la taille moyenne des exploitations est d'environ 0,6 ha dont près de 25 pour cent sont affectés à la plantation d'eucalyptus (Van Gelder et Kerkhof, 1984).

Le revenu brut par hectare de la ligniculture est très inférieur dans cette zone à celui d'autres cultures. Dewees estime que la préférence des exploitants pour les arbres est due au manque de capital et de main-d'œuvre et à leur attitude vis-à-vis des risques. Les cultures agricoles exigent souvent des investissements importants alors que l'aménagement des arbres coûte peu et demande peu de travail. Il y a dans la zone une pénurie de main-d'œuvre à cause de l'émigration des hommes. Lorsque les marchés sont porteurs, les perches rapportent moitié plus que le maïs par journée de travail (Banque mondiale, 1986). La ligniculture est dès lors une façon rationnelle d'utiliser les ressources, notamment pour les paysans pauvres qui, souvent doivent consacrer une part importante de leur travail à des emplois non agricoles.

L'Inde a connu une relance de l'arboriculture grâce, d'une part, à l'expansion du marché des perches et autres produits ligneux (bois à pâte) et, de l'autre, à des programmes énergiques d'appui à la foresterie paysanne. Les principaux facteurs incitant les agriculteurs à choisir les arbres plutôt que d'autres cultures de rente semblent être le coût et la rareté croissants de la main-d'œuvre, ainsi que la baisse de rentabilité des cultures agricoles. Les avantages des arbres dans ces cas sont, normalement, un faible besoin de main-d'œuvre, des coûts annuels minimaux, une meilleure résistance à la sécheresse et, partant, moins de risques et d'incertitudes.

Tant les petits que les gros exploitants se limitent à planter en monoculture un petit nombre d'essences productrices de bois, notamment des eucalyptus. Même les petits agriculteurs ne s'intéressent guère à l'agroforesterie.

Dans les diverses situations évoquées plus haut, la décision de planter des arbres comme culture de rente semble avoir été motivée par trois considérations: besoin d'argent (L'objectif de production alimentaire étant alors accessoire), pénurie de main-d'œuvre et souvent aussi de capital, souci de réduire les risques.

Conclusion

Il serait imprudent de tirer des conclusions universelles d'un nombre aussi restreint d'études et d'analyses qui, pour la plupart, tiennent compte uniquement des motivations économiques, alors que toutes sortes d'autres facteurs influent sur les décisions des ruraux. On peut toutefois dégager certains enseignements utiles.

On a souvent prétendu que la ligniculture n'est possible que pour les agriculteurs riches, dans l'idée que l'objectif primordial du paysan pauvre est de produire des aliments de base. Or beaucoup de paysans pauvres n'ont pas assez de ressources pour produire de quoi se nourrir et ont donc besoin de gagner de l'argent.

En tel cas, les arbres peuvent être plantés en association avec d'autres cultures de rente. Lorsque c'est la terre qui manque et non la main-d'œuvre, les systèmes mixtes arbres/cultures/élevage peuvent être plus rentables que les monocultures. Si c'est au contraire la main-d'oeuvre qui manque, la culture d'arbres avec de faibles apports d'intrants peut être la meilleure façon d'utiliser la terre sans compromettre sa productivité.

Dans la période de transition entre l'économie d'autoconsommation et l'économie monétaire, quand les paysans ont de plus en plus besoin d'argent - et donc de cultures de rente -, la culture de certains arbres et leur incorporation dans les systèmes agricoles peuvent diminuer les risques auxquels sont exposés les ménages. Pratiquement tous les arbres produisent du bois de feu, mais ceux qui fournissent des fruits et du fourrage, de l'ombre, une protection et des engrais verts et qui améliorent le sol peuvent être à la fois un moyen de subsistance et une source de revenu. Des systèmes de production mixte, tels les jardins familiaux, permettent de mieux étaler sur toute l'année la production et le revenu, ainsi que le travail, tout en contribuant à réduire les risques.

On a affirmé que certaines formes de ligniculture telles que les bois de ferme pouvaient avoir des effets négatifs sur la sécurité alimentaire des ménages dans ce sens qu'elles détournent des terres de la production vivrière, réduisent l'emploi, sont sensibles aux brusques fluctuations du marché (puisqu'elles ne donnent qu'un seul type de produit) et produisent des revenus irrégulièrement répartis. En ce qui concerne les deux premiers points, il a été démontré que le transfert des terres à la ligniculture est normalement dû à des changements qui ont réduit la viabilité de la production vivrière, à la pénurie croissante de main-d'œuvre ou encore à l'augmentation des coûts de cette dernière.

Quoi qu'il en soit, le problème des revenus est réel; une monoculture d'arbres n'est une option valable que si le ménage dispose d'autres sources d'aliments ou d'argent et s'il existe des débouchés stables pour les produits de ces arbres. Certains programmes de promotion de la «foresterie paysanne» risqueraient d'inciter des cultivateurs qui n'ont pas les moyens de le faire à passer à la monoculture d'arbres. Les primes d'encouragement, et la promotion d'essences connues des forestiers mais pas nécessairement adaptées aux besoins ou aux attentes des agriculteurs, risquent d'avoir des résultats négatifs. Ce danger est encore plus grand si les objectifs à atteindre sont trop ambitieux et si l'on n'a pas accordé suffisamment d'attention aux tendances du marché, comme c'est le cas de nombreux grands programmes de foresterie paysanne.

Le rôle des arbres dans les systèmes agricoles

Les arbres font partie de systèmes agricoles très divers. Ils y occupent une place prépondérante quand le capital et la main-d'œuvre sont rares. Ils peuvent jouer un ou plusieurs des cinq rôles suivants:

1. Quand le capital manque, ils permettent de maintenir la productivité des sols sans qu'on ait besoin d'acheter des intrants tels qu'engrais et herbicides, ni d'investir dans les aménagements fonciers, la protection des cultures ou l'irrigation.

2. Quand le capital et la main-d'œuvre manquent ils permettent, en tant que cultures à faible coefficient de capital et de travail, d'optimiser l'utilisation des ressources.

3. Quand les ressources en terre et en capital sont limitées, ils permettent de maximiser le revenu à l'hectare grâce à des associations arbres/cultures/élevage assurant un emploi optimal de la main-d'œuvre disponible.

4. Quand la taille des exploitations ou la productivité des terres diminuent au point que les cultures vivrières ne suffisent plus à nourrir les ménages, ils permettent de tirer de l'exploitation des revenus en espèces.

5. Ils réduisent les risques grâce à la diversification de la production, à l'étalement des apports d'intrants et de la production sur toute l'année, à la réduction des pertes dues à la sécheresse et à la réserve de capital qu'ils représentent.

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