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Techniques traditionnelles d'aménagement des terres boisées appliquées par les pasteurs nomades africains

M. Niamir

Au cours des millénaires, les pasteurs des zones arides et semi-arides d'Afrique ont mis au point des stratégies capables de satisfaire leurs besoins matériels et sociaux dans un milieu âpre et instable. Grâce à une faible densité démographique (les sociétés pastorales se caractérisent en général par des taux de fécondité très réduits et une mortalité infantile élevée), ces stratégies permettaient l'aménagement viable de ressources naturelles importantes, notamment des parcours et des formations ligneuses. Cependant, l'explosion démographique associée à des pressions extérieures telles que l'empiétement de l'agriculture sur les parcours, la nationalisation des terres, la sédentarisation forcée, l'accroissement de la demande urbaine et rurale de bois de feu et l'exploitation incontrôlée des ressources en eaux ont détruit l'équilibre précaire entre les pasteurs et leur environnement fragile.

Maryam Niamey, consultante internationale en matière d'aménagement des pâturages, est actuellement en poste à Dar-es-Salaam (République-Unie de Tanzanie).

L'importance des arbres a toujours été reconnue par les pasteurs africains

Cet article est adapté d'une enquête réalisée au titre du programme de foresterie communautaire de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), en vue de recueillir des données sur l'aménagement traditionnel des ressources naturelles par les pasteurs africains des zones arides et d'évaluer le potentiel de développement des techniques traditionnelles qui subsistent. L'étude examine quatre aspects: la connaissance du milieu physique (noms des plantes, types de sols); la gestion au jour le jour des ressources naturelles (quels arbres ou pâturages utiliser, quand et comment); les contrôles sociaux et l'organisation de la gestion quotidienne (contrôle des pâturages communaux); la structure socio-politique de l'aménagement des ressources (tendre des ressources). Cet article ne porte que sur la gestion quotidienne des ressources et sur les réserves forestières. Pour obtenir le rapport complet Herders' decision-making in natural resources management in arid and semi-arid Africa, s'adresser au fonctionnaire chargé de la foresterie communautaire, Service de la planification et des institutions forestières, FAO, Via delle Terme di Caracalla, Rome, Italie.

Il apparaît clairement que, dans les circonstances actuelles, maintes techniques pastorales traditionnelles non seulement ne permettent plus aux éleveurs de satisfaire leurs besoins, mais encore contribuent à la dégradation des pâturages et des terres boisées. Grâce à l'adaptabilité qui les a caractérisés de tout temps, bien des pasteurs ont changé leur mode de vie et diversifié leurs activités, pratiquant l'agriculture ou le commerce, ou s'installant en zones urbaines ou semi-urbaines. De nombreuses techniques d'aménagement ont ainsi été partiellement ou entièrement abandonnées. Il en existe d'autres, cependant, qu'on pourrait adapter aux exigences actuelles.

Dans les sections qui suivent, sont décrites diverses techniques traditionnelles d'aménagement des terres boisées: mobilité et rotation des pâturages, exploitation, régénération et protection des arbres et arbustes, réserves forestières et pastorales, bois sacrés, contrôles sociaux traditionnels. On se propose ici d'identifier celles de ces méthodes qui peuvent être appliquées aux conditions présentes.

Stratégies pastorales

Bien que la quantité et la qualité de l'eau, du fourrage et du brout, et leur aptitude à satisfaire les besoins du troupeau, revêtent une importance primordiale pour les pasteurs, d'autres facteurs conditionnent aussi leurs mouvements: emplacement des pierres à lécher, conditions pédologiques, rosée, présence de faune sauvage, souci d'éviter les ravageurs et les zones contaminées et de ne pas endommager les cultures, proximité des marchés, disponibilité de main-d'œuvre, assemblées rituelles, limites territoriales, rapports sociaux avec les voisins. Pour toutes ces raisons, les pasteurs ont une grande souplesse de mouvement que les gouvernements taxent erronément d'incohérence et d'irrationalité.

En fait, la mobilité est le moyen le plus sûr d'assurer au bétail ce dont il a besoin dans un milieu en évolution constante. Loin d'être chaotiques, ces mouvements obéissent à des règles socio-politiques, comportent une coordination entre groupes d'éleveurs et exigent un savoir-faire technique. Pour disposer des vastes territoires dont elles ont besoin, les tribus recourent à une combinaison de droits territoriaux et d'alliances avec les voisins. Les bergers appartenant au même clan peuvent se déplacer librement sur leur territoire, mais en pratique ils préfèrent se limiter à la zone qu'ils connaissent le mieux et rester parmi les leurs, ce qui assure une continuité et une cohérence d'utilisation des terres.

Certaines techniques de rotation et de mise en défens ont été conçues en vue de conserver du fourrage pour les périodes difficiles. Ainsi, les bergers Zaghawa du Tchad qui conduisent leurs moutons et chameaux vers les pâturages sahariens du nord suivent des pistes distinctes et parallèles, laissant des zones intactes pour leur retour (Tubiana et Tubiana, 1977). Les Masaïs du Kenya prolongent leur séjour sur les parcours de la saison d'hivernage en transportant à dos d'âne des réserves d'eau (Jacobs, 1980). Dans le parc national d'Amboseli, au Kenya, une stratégie analogue a permis d'augmenter de 50 pour cent la capacité totale de charge (Western, 1982).

Dans certaines zones écologiques, les éleveurs ont recours à des systèmes de rotation fondés sur un surpâturage délibéré visant à accroître la capacité de charge des terres boisées. Ainsi, les Peuls du nord de la Sierra Leone pratiquent un «pâturage itinérant»; ils font brouter pendant deux ou trois ans leurs bêtes dans une zone désignée puis se déplacent ailleurs, laissant la première zone «en repos» de 15 à 20 ans (Allan, 1965). Les Sukumas (sud du lac Victoria) utilisent une technique semblable, mais la période de repos dure de 30 à 50 ans (Brandstrom, Hultin et Lindstrom, 1979). Cependant, les terres ne peuvent toutes supporter une telle pression.

Toute stratégie traditionnelle de rotation est un indice des besoins écologiques des terres boisées locales et permet aux scientifiques d'élaborer de nouvelles techniques. Si l'état du patrimoine naturel a été fortement modifié ou si la densité démographique a beaucoup augmenté, les systèmes de rotation traditionnels devront être adaptés à l'environnement et aux populations.

Les pasteurs nomades se heurtent à de nombreuses contraintes, notamment la nationalisation des parcours. Sur ces terres, l'accès est légalement libre et il n'y a de restrictions ni à l'extension de l'agriculture ni aux abus des pasteurs qu'ils soient ou non résidents. Une forme de tenure collective locale (fondée sur des systèmes de coopération traditionnels ou modifiés) est donc indispensable au développement des terres boisées. Cependant, la tenure locale ne peut à elle seule déterminer la reprise des pratiques traditionnelles d'aménagement des parcours. D'autres contraintes importantes aboutissant à une diminution de la coopération entre bergers et à l'affaiblissement des contrôles sociaux sont l'abolition de l'autorité politique traditionnelle, l'urbanisation et la commercialisation, et l'écart croissant entre les niveaux de revenu.

Aménagement des arbres et arbustes

Nous ne connaissons guère les systèmes qu'adoptent les pasteurs pour exploiter, régénérer et protéger les arbres et arbustes. L'opinion courante est qu'ils les négligent ou les détruisent délibérément. Cependant, un certain nombre d'études démontrent le contraire.

Exploitation. Les bergers utilisent les essences ligneuses pour en tirer du fourrage, du bois de feu, du matériel de construction, des pieux pour les clôtures, des aliments, des médicaments, de l'ombre, etc. La plupart essaient d'éviter la destruction des plantes; certains groupes en arrivent à appliquer des techniques qui augmentent la productivité. Ainsi, les populations du nord du Burkina Faso accroissent la productivité de Faidherbia albida (auparavant appelé Acacia albida) grâce à un élagage périodique (Marchal, 1983). On trouve des cas de négligence ou de dommages délibérés surtout parmi les bergers nomadisant loin de leur pâturage attitré. Par exemple, dans le centre du Mali, les Peuls et les Maures transhumants causent plus de dégâts aux arbres que les Peuls sédentarisés employés par les paysans Bambara (C. Toulmin, IIED, communication personnelle, 1988). A cet égard, l'abolition des systèmes traditionnels de tenure des terres a certainement beaucoup accéléré la destruction des arbres et des arbustes.

Certains pasteurs groupent leurs animaux par espèces dans des zones séparées afin d'éviter b surpâturage

Certains groupes possèdent des règles implicites et explicites qui régissent l'exploitation des arbres et arbustes. Les Pokots et les Turkanas du Kenya pratiquent le taillis sélectif. Ils abattent rarement des arbres de valeur et ne coupent que des arbustes moins utiles pour construire des clôtures ou freiner l'empiétement de la brousse sur les parcours (Barrow, 1988). Les Lahawins du Soudan oriental utilisent des bâtons spéciaux pour faire tomber les feuilles des arbres fourragères au lieu d'en couper les branches (Morton, 1988). Après le recépage de Parinaria curatellifolia, les Mbeeres du Kenya laissent le taillis se régénérer pendant une ou deux saisons (Brokensha et Riley, 1980). Le code d'utilisation des terres de la Dina, institué au 19e siècle par le chef des Peuls au Mali, comprenait des dispositions réglementant le recépage (Riesman, 1984).

Il semble que les systèmes employés par les éleveurs pour obtenir du bois d'œuvre causent plus de dégâts aux arbres que la récolte de bois de feu ou de fourrage car ils comportent l'abattage d'arbres vivants. Pour le bois de feu, en l'absence de pénuries, les bergers préfèrent du bois mort et sec.

On a estimé que les Turkanas du sud utilisent 1,14 kg/personne/jour de combustible ligneux consistant entièrement en bois mort. Les arbres coupés pour construire les cases et les enclos chaque fois que ces nomades changent de campement représentent un volume estimé à 2,76 kg/personne/jour. Il s'agit de petits arbres d'espèces communes, mais bien qu'ils se contentent d'en ébrancher certains ils en abattent d'autres (Ellis et al., 1984).

Selon les traditions des Gabras du Kenya septentrional, Salvadora persica convient à de nombreux usages sauf comme bois de feu, et de toute manière on ne coupe pas du bois vivant pour en faire du combustible. Les Gabras utilisent le bois de feu avec économie et ne laissent jamais un feu brûler inutilement. Ils emploient du bois vert pour leurs cases et leurs enclos, mais certaines constructions ne peuvent être réalisées qu'avec des essences particulières, et les perches pour les cases ne sont coupées qu'à des moments de l'année prescrits rituellement (Stiles et Kassam, 1986).

Par le passé, la plupart des terres boisées arides ou semi-arides étaient peu peuplées, et les stratégies nomades de mobilité, de dispersion et de déplacement des campements étaient possibles. L'emploi de bois de feu et de construction était limité et localisé, et il ne semble pas avoir affecté les disponibilités régionales. Mais l'explosion démographique récente et la pénurie de ressources ont forcé les pasteurs à se déplacer moins souvent, et les périodes de repos se sont raccourcies. Dès lors, les besoins de bois et de fourrage à court terme primeront sur les systèmes de conservation à long terme; on note déjà un changement dans les pratiques d'aménagement de nombreux groupes, y compris les Mbeeres (Brokensha et Riley, 1980).

Régénération. De nombreuses essences de zones sèches rejettent naturellement. Cependant, les études portant sur le pastoralisme analysent rarement les efforts délibérés de régénération des arbres et arbustes au moyen de semences ou de boutures. Celles qui le font mentionnent la protection des plantules spontanées ou la plantation proprement dite.

En raison de l'extrême mobilité des pasteurs, il y a souvent une germination spontanée d'arbres dans les campements abandonnés. Scarifiées par leur passage à travers l'appareil digestif des animaux, les graines germent très bien, d'autant plus que le sol est riche en engrais organiques (Ellis et al., 1984). Ces arbres sont souvent protégés par les nouveaux occupants qui les utilisent pour leur ombre et pour y adosser leurs cases.

La plupart des nomades ont une bonne connaissance des conditions de germination des différentes espèces, (Brokensha et Riley, 1980). Bien qu'on n'ait pas de preuves de régénération par ensemencement, on sait qu'ils ont recours aux boutures ou au repiquage de plantules nées spontanément. Ainsi, les Gabras et Borans du Kenya septentrional construisent des haies vives en plantant un arbre ou une bouture dans un trou rempli de déjections animales humides. Le taux de reprise est en général de 50 pour cent (Legesse, 1984). Les Lozis du Zimbabwe marquent les tombes de leurs rois au moyen d'arbres prélevés dans la brousse avoisinante (Gluckman, 1951).

Protection. La protection des arbres et arbustes contre différents usages assume deux formes: interdiction d'utiliser des essences de valeur (ou restrictions de leur coupe) et protection de tous les arbres et arbustes dans les bois sacrés (voir ci-après). En Afrique occidentale, les pasteurs pratiquent l'agriculture et les cultivateurs conservent dans leurs champs plus de 40 espèces dont la densité est inférieure à 40 arbres/ha et, par tradition, ne les exploitent que de façon limitée. Quatre espèces se situent en tête de liste: le baobab (Adansonia digitata), le karité (Vitellaria paradoxa), Parkia biglobosa et Faidherbia albida (Pullan, 1974, cité dans Wiersum, 1985). En Afrique de l'Est, les Gabras et les Borans (Legesse, 1984) ainsi que les Turkanas (Barrow, 1988) interdisent la coupe d'arbres adultes d'essences de valeur telles qu'Acacia tortilis, Hyphaena coriaca, Cordia sinensis, Ziziphus mauritiana, Dobera glabra et F. albida.

Protection des jeunes plants au Kenya, des branches d'épineux sont entassées autour des jeunes arbres pour les protéger contre les animaux brouteurs;

Protection des jeunes plants au Kenya, on applique une méthode semblable au Tchad avec des roseaux

De nombreux groupes agropastoraux protègent les plantules qui poussent dans leurs champs. Ainsi, Faidherbia albida est protégé par divers groupes en Afrique occidentale (Marchai, 1983; Bemus, 1979, 1980) et Melia volkensii par les Mbeeres (Brokensha et Riley, 1980). Cependant, dès que les ressources naturelles se font rares, ces techniques passives de régénération sont souvent les premières à disparaître.

Il ne faut pas confondre la protection des arbres et arbustes pratiquée par les pasteurs avec les principes de conservation des écologistes occidentaux. Les pasteurs se préoccupent rarement du stade climatique de la succession végétale. Leur objectif est de protéger les ressources en vue d'une utilisation future et d'assurer leur productivité à long terme.

Réserves traditionnelles

Les réserves forestières et pastorales sont l'exception plutôt que la règle en Afrique, mais on en a trouvé un plus grand nombre que prévu. Certains pâturages étendus étaient mis en défens pour conserver le fourrage et le brout pour la saison sèche. Cette méthode était appliquée par les Sukumas (Brandstrom, Hultin et Lindstrom, 1979), les Touaregs du Hoggar (Swift, 1975), les Il Chamus du Kenya septentrional (Little, 1984) et les Berbères du Maroc (Artz, Norton et O'Rourke, 1986). Des groupes, tels les Rendilles du Kenya (Lusigi, 1984) et les Tilemsis du Mali (Gallais, 1972), réservaient des zones pour les périodes de sécheresse; d'autres tels les Berbères marocains (Artz, Norton et O'Rourke, 1986) et les Chiefs du Burkina Faso du nord (qui pouvaient aussi interdire l'accès aux puits et autres points d'eau) (Ware, 1977) mettaient en défens pendant plusieurs années des pâturages dégradés afin d'en assurer la régénération.

On trouve plus souvent des réserves de taille inférieure et à usage spécial. Chaque phratrie ou sous-tribu Gabra possédait un lieu sacré, parfois au sommet d'une montagne, destiné aux rites d'initiation qui avaient lieu tous les 14 à 21 ans. Les bois entourant ces lieux sacrés appartenaient aux phratries et étaient réservés aux cérémonies (Schlee, 1987). De nombreux groupes, tels les Peuls du Macina (Wilson, 1986; Hiemaux et Diarra, 1984), les Songhaïs du village de Fantio (Marie, 1977) et les Masaïs (Little et Brokensha, 1987; Western et Dunne, 1979) destinent la zone autour des campements à des animaux particuliers (veaux et femelles allaitantes), assurant ainsi du fourrage aux bêtes vulnérables et évitant le surpâturage. Les Touaregs de Gourma interdisent le pâturage entre le campement et les étangs naturels (Bourgeot, 1981).

Chez les pasteurs, les réserves forestières sont moins répandues que les réserves pastorales. Les Kikuyus du Kenya destinaient traditionnellement certains peuplements denses à l'exploitation de bois d'œuvre pour la communauté. Il fallait obtenir la permission des anciens pour abattre de grands arbres, et la coupe d'arbres de valeur de même que l'agriculture étaient prohibées (Brokensha et Castro, 1988). Le sultan des Somalis pouvait interdire l'exploitation des forêts pendant une certaine période (Cerulli, 1959, cité dans Swift, 1977). Les Gabras ne permettaient ni la chasse, ni la récolte, ni la coupe dans les réserves pastorales autour de leurs montagnes sacrées (Schlee, 1987).

Très peu de ces réserves sont encore respectées. La plupart des groupes ont dû abandonner ces coutumes à cause de la poussée démographique qui a entraîné une pénurie de ressources et une extension des terres agricoles. On peut observer ce phénomène chez les Berbères du Maroc (Artz, Norton et O'Rourke, 1986) et les Luos du Kenya (Coldham, 1978). D'autres facteurs contribuant à cet abandon sont le forage de puits dans les réserves (Western, 1982) et l'écroulement du système socio-politique qui confiait l'application des règlements aux chefs locaux, comme dans le cas des Pokots (Ostberg, 1988) et des Il Chamus (Little, 1984).

Certaines réserves forestières existent encore, telles celles du district de Babati (centre-nord de la République-Unie de Tanzanie) qui sont encore protégées et utilisées à l'occasion de cérémonies. Bien que les chefs traditionnels aient perdu beaucoup de leur pouvoir politique, leur autorité sur l'établissement et la protection de ces réserves demeure intacte, et la surveillance et les sanctions en cas d'infraction restent en vigueur. Les réserves peuvent n'être qu'un petit groupe d'arbres ou une zone couvrant plus de 40 ha; elles remplissent diverses fonctions et abritent notamment les invocations à la pluie et d'autres cérémonies; les réserves destinées aux rites d'initiation des hommes sont séparées de celles des femmes. Dans quelques cas, les guérisseurs traditionnels possèdent leurs propres réserves dont ils utilisent les ressources (naturelles et surnaturelles) pour soigner les malades (Gerden et Mtallo, 1987).

Bois sacrés

On associe souvent les bois et zones sacrés aux rites culturels comme les invocations à la pluie et les sacrifices aux totems, aux esprits de la terre et aux cimetières. A l'intérieur de ces zones, certaines activités sont interdites telles que la chasse, la cueillette, l'abattage des arbres, l'agriculture, le pâturage, etc. Parmi les groupes ayant conservé des bois sacrés, figurent les populations du Burkina Faso septentrional (Marchal, 1983), les Mbeeres (Brokensha et Riley, 1980), les Kambas du Kenya (Silberfein, 1984), les Kikuyus (Middleton et Kershaw, 1953), les fies du Kenya (Gulliver, 1970), les Tongas de Zambie (Allan et al., 1948) et les Gabras et Borans du Kenya (Legesse, 1984).

Dans certains cas, on plante délibérément des arbres dans les bois sacrés. Ainsi, les Nyakyusas du sud-ouest de la République Unie de Tanzanie (Wilson, 1951), les Borans (Legesse, 1984) et les Kikuyus du sud du Mont Kenya permettent le prélèvement de boutures afin de reproduire ces arbres (Borkensha et Castro, 1988).

Dans la plupart des cas, ces zones demeurent sacrées à jamais, mais il peut arriver que les bergers, à cause de leur extrême mobilité, les abandonnent après quelques générations. Les rares études portant sur ces bois en donnent des nombres et des dimensions variables. Dans le district de Kirinyaga, il y a au moins 200 bois sacrés protégés parles Kikuyus dans deux localités; leur taille varie entre moins de 10 ares et 1,3 ha (Brokensha et Castro, 1988). A Mbeere (Kenya), l'administration coloniale a relevé la présence de plus de 100 bois sacrés allant de 25 ares à 3 ha (Little et Brokensha, 1987). Un de ces lieux sacrés appartenant aux Lowiilis du Burkina Faso couvrait environ 12 km² (Goody, 1956).

Le déclin de l'animisme et du caractère sacré des bois, associé à la pénurie croissante de ressources, fait qu'un grand nombre de ces lieux ne sont plus respectés. Cependant, certains gouvernements, tel celui de Madagascar (Andriamampianina, 1985) ont utilisé le concept de bois sacré pour créer des réserves forestières modernes.

Contrôles sociaux traditionnels

La coordination traditionnelle parmi les pasteurs est assurée par le biais d'une autorité de haut niveau et de règlements formels. Chez les Somalis, les grandes cérémonies n'ont lieu que si l'on dispose de suffisamment de pâturages et d'eau pour satisfaire aux besoins des participants (Behnke et Kerven, 1984). On retrouve ce même principe chez les Peuls Wodaabe du Nigéria (Stenning, 1959) et les Masaus (Jacobs, 1980). Le conseil des anciens des Il Chamus contrôle le pâturage par le biais d'une «police» officieuse formée de jeunes gens de 18 à 30 ans (Little et Brokensha, 1987). Les Berbères du Maroc avaient un chef des herbages dont dépendaient le calendrier et la destination des déplacements, la mise en défens et l'accès des étrangers (Artz, Norton et O'Rourke, 1986). Chez les Peuls du Macina, le code d'utilisation des terres de la Dina réglait les itinéraires d'entrée et de sortie des tribus Peuls et Touaregs dans le delta du Niger et fixait le calendrier du retour des troupeaux au début de la saison sèche (Gallais, 1967). De même, c'était le roi des Lozis qui établissait la date de départ des populations et du bétail des zones inondées vers les hauteurs (Gluckman, 1951). Chez les Talensis, seul le chef pouvait mettre le feu à la brousse (Fortes, 1940).

Ces contrôles sociaux remplissaient une fonction de frein. Plusieurs d'entre eux, notamment ceux dépendant d'une coopération de la communauté, sont en voie de disparition tant à cause du manque croissant de ressources que de changements socio-politiques, telle l'imposition de structures centralisées. Leur reprise dépendra de la cohésion sociale du groupe et de la possibilité de restaurer l'autorité traditionnelle des chefs politiques locaux.

Conclusions et conséquences au plan du développement

Il ressort clairement des textes existants que, pour aménager leurs ressources naturelles, les éleveurs ont recours à une vaste gamme de méthodes qui ne sont ni fortuites ni irrationnelles mais voulues et adaptées à leur environnement. Le niveau de technicité de l'aménagement traditionnel des ressources varie fortement d'un groupe à l'autre.

A mesure que croît l'intérêt pour l'utilisation de ces systèmes traditionnels aux fins du développement, d'autres encore ne manqueront pas d'émerger. Jusqu'ici, la recherche a été menée par des sociologues qui se sont penchés sur les problèmes de contrôle social, de régime foncier et d'organisation politique. Il faudrait davantage de participation des forestiers et des écologistes afin d'identifier les aspects techniques de l'aménagement des terres boisées.

Beaucoup de ces systèmes traditionnels ont été partiellement ou totalement abandonnés en raison de facteurs externes et internes. Certains ne sont plus appropriés, tels ceux qui perpétuent des inégalités socio-économiques ou limitent la participation des femmes et des groupes minoritaires au processus de développement; en tel cas, la nostalgie romantique n'est pas de mise. Toutefois, on peut affirmer que les principes fondamentaux de nombreuses techniques traditionnelles d'aménagement des ressources sont encore viables et valables, et pourraient servir de point de départ à des stratégies de développement.

Les arbres de valeur tels que ce baobab (Adansonia digitata) sont protégés par les pasteurs dans toute l'Afrique

Du fourrage forestier les techniques traditionnelles peuvent-elles assurer la conservation des ressources de base?

Dans la plupart des cas, il y a une grande marge pour améliorer les systèmes traditionnels et mettre au point des techniques appropriées capables d'en perfectionner le modèle. Pour ce faire, il faudra adopter une approche synthétique qui associe les techniques coutumières aux techniques modernes (Richards, 1975; Brokensha, Warren et Werner, 1980).

Dans certains cas, on pourra modifier les techniques d'un groupe pour les adapter aux besoins d'un autre. Cependant, il faudra entreprendre ce transfert avec la même prudence qui s'est révélée nécessaire dans le cas des technologies occidentales.

D'une manière générale, les systèmes traditionnels ne peuvent être appliqués, repris ou améliorés sans certains préalables qui pourraient s'avérer politiquement délicats tels qu'une définition plus précise du droit foncier national, une planification judicieuse de l'extension des terres agricoles, la reconnaissance officielle des organisations socio-politiques traditionnelles, davantage d'encouragements aux jeunes bergers pour qu'ils n'abandonnent pas les pâturages, plus d'ouverture de la part des fonctionnaires publics et des vulgarisateurs à l'égard des connaissances traditionnelles et, enfin, une politique nationale cohérente de décentralisation de l'aménagement des ressources naturelles. Il faudra en outre disposer d'un mécanisme d'évaluation participative permettant tant aux populations locales qu'aux experts de s'accorder sur les techniques qui méritent d'être conservées, modifiées ou ressuscitées.

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