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Sécurité alimentaire des familles: rôle des ONG en Amérique latine1


Family food security: the role of NGOs in Latin America
Seguridad alimentaria en los hogares: el rol de las ONG en América Latina

1 L'auteur est décédé en décembre 1991 (voir notre numéro précédent). Il avait rédigé cet avant-projet d'article que nous publions bien qu'il n'ait pas été révisé du point de vue technique. Jacques Arnauld n'ayant pas eu la possibilité de répondre aux commentaires de notre Comité de rédaction.

J. Arnauld

Jacques Arnauld, Ph. D., était chercheur associé à l'Université de Toulouse et travaillait en qualité de consultant indépendant dans les domaines de la sécurité alimentaire en Amérique latine et des effets des politiques d'ajustement structurel. Il a effectué de nombreuses missions pour la FAO et la coopération française en Amérique latine et a également beaucoup travaillé auprès des ONG.

Dans l'action de développement, l'alimentation ne constitue pas un thème autonome. La sécurité alimentaire est un état d'équilibre plus ou moins stable qui exige la convergence de conditions relevant d'actions menées dans des domaines extrêmement divers. La recherche de cet équilibre au niveau global, et de la pérennité de ses bases, constitue le domaine de la politique alimentaire, dont le défi se trouve dans la coordination (ou au moins la cohérence) des politiques sectorielles.

Au niveau des familles, le problème de 'équilibre se pose en des termes moins schématiques dans la mesure où, d'une part, la famille est partie prenante de cet équilibre et, d'autre part, l'imbrication des conditions environnantes y est infiniment plus complexe. C'est pourquoi on ne peut prétendre poser la sécurité alimentaire des familles comme objectif sans conférer un rôle actif aux personnes directement concernées et sans tenir compte du contexte dans toute sa richesse.

Le domaine de la sécurité alimentaire des familles peut être visualisé comme une succession de cercles ayant pour centre la famille. Le système alimentaire familial en constitue le premier niveau, le plus difficile a modifier car le plus autonome; également le plus complexe, car c'est là qu'en fin de compte se concrétisent toutes les contradictions et que se font les choix les plus déterminants: rentabilité versus sécurité, production versus consommation, court terme versus long terme, etc.

Le deuxième niveau est le système communautaire. II n'est pas seulement la somme des systèmes familiaux, mais possède une dynamique propre qui stimule ou inhibe les premiers et leur impose des règles de voisinage. Il exige, pour être géré, une participation des chefs de famille et une organisation; il est plus ou moins structuré, selon le degré de cette participation.

Le troisième niveau, enfin, est 'économie régionale et nationale, qui marque les relations du système communautaire et de chacun des systèmes familiaux avec l'extérieur. L'action développée au niveau communautaire aura peu de prise sur ce niveau mais ne pourra pas l'ignorer.

La persistance dans le monde d'une insécurité alimentaire grave chez un nombre croissant de familles incite à l'analyse critique et à la recherche de nouvelles stratégies. L'un des reproches le plus souvent formulés à rencontre des programmes gouvernementaux est leur rigidité. Conçues à partir de considérations globalisantes et enfermées dans un cadre bureaucratique centralisé, les initiatives officielles sont généralement inadaptées aux conditions locales. Les efforts réalisés pour créer des relais avec les communautés (techniciens, promoteurs, etc.) ont été fructueux mais insuffisants; surtout, ces relais ne fonctionnent qu'à sens unique, l'information ne remontant pas de la base vers l'administration centrale. Les maigres acquis des années 60 et 70 ont été balayés par la crise des années 80, qui a entraîné un net recul de la présence gouvernementale sur le terrain.

Au cours des 20 dernières années, un nouveau type d'acteur a connu un essor spectaculaire: ce sont les organisations non gouvernementales (ONG). Celles-ci se présentent comme humanitaires et apolitiques, ont pour objectif de promouvoir des actions décentralisées, adaptées aux conditions locales et appelant à la participation active des intéressés. Dans la mesure où elles entretiennent des relations étroites avec les populations cibles et en raison du caractère social plus que technique de leurs préoccupations, les ONG occupent une position particulièrement favorable pour aborder les problèmes de la sécurité alimentaire des familles dans toute leur complexité.

L'objectif du présent article est d'analyser le rôle (réel et potentiel) joué par les ONG dans le domaine de la sécurité alimentaire des familles. Plus particulièrement, nous nous demanderons:

· Quelle est la capacité des ONG à atteindre les groupes les plus défavorisés?

· Quelle est l'approche des ONG en matière de sécurité alimentaire des familles? En particulier, abordent-elles le problème de façon intégrale ou sectorielle, implicite ou explicite?

· Quelle est l'aptitude des ONG à susciter la participation communautaire?

· Quels rapports les ONG entretiennent-elles avec les autres intervenants (instances gouvernementales, organismes de coopération technique, etc.)?

Le phénomène des ONG est peu étudié, relativement à son importance et à sa vitalité; peu d'interventions sont correctement documentées, et moins encore ont été évaluées. Les actions privées à but non lucratif se sont à tel point multipliées et diversifiées qu'une catégorie unique ne peut en rendre compte. Par ailleurs, face aux efforts des instances officielles, la force revendicative du label «non gouvernemental» se trouve aujourd'hui considérablement amoindrie. Faute de substitut satisfaisant, le terme d'ONG reste cependant largement utilisé. Nous nous y référerons ici et, par commodité, nous en distinguerons quatre catégories (selon une classification utilisée en Bolivie par la Banque mondiale dans son rapport annuel de 1989): les ONG nationales, c'est-à-dire gérées entièrement par des ressortissants nationaux, les organisations privées étrangères, les organisations de base devenues pourvoyeuses de services, et les organisations religieuses.

Cet article ne prétend apporter qu'une première réflexion sur ce monde extrêmement éclaté. II est le produit d'une expérience plus que d'une recherche structurée et se réfère spécifiquement au continent ' latino-américain. Les conclusions proposées portent une part inévitable de subjectivité; elles n'engagent que leur auteur.

ATTEINDRE LES PLUS DÉFAVORISÉS: COUVERTURE GÉOGRAPHIQUE ET SÉLECTIVITÉ

Identifier, pour les hiérarchiser, les zones de plus grande insécurité alimentaire n'est pas chose facile. Sans doute faudrait-il auparavant faire la distinction entre 'insécurité chronique, dont les expressions dramatiques sont la dénutrition sévère et la misère, et l'insécurité conjoncturelle, que l'on trouve dans les zones de dénutrition modérée et d'économie fragile.

La couverture géographique des ONG coïncide mal avec les cartes de la pauvreté extrême. Tout comme les services gouvernementaux, elles ont tendance à se situer dans des zones relativement dynamiques, qui sont aussi celles où les demandes des populations sont exprimées avec le plus d'insistance. Le cas de la Bolivie, avec l'axe La Paz-Cochabamba-Santa Cruz en est une illustration. Dans certaines zones (Puno au Pérou, par exemple), la concentration d'ONG est telle que la concurrence engendre clientélisme et surenchère. Par contre, les régions les plus difficiles d'accès n'ont, pour beaucoup, jamais vu une ONG.

Les ONG qui n'ont pas de vocation charitable mais de développement se sentent impuissantes devant des situations extrêmes et dirigent leurs interventions là où les chances de réussite sont plus grandes. II faut mentionner, à leur corps défendant, que les bailleurs de fonds leur demandent des résultats tangibles dans des délais toujours trop brefs. Par ailleurs, la mise en place de projets dans des zones retirées exige des moyens logistiques (financiers et en équipement) qui sont hors de portée de la plupart des ONG, nationales en particulier, et que seules peuvent assumer les ONG «riches», principalement les organisations étrangères et/ou religieuses.

La capacité de couverture des organisations de base est, paradoxalement, elle aussi limitée. En effet, les organisations capables de gérer des projets et d'attirer des bailleurs de fonds sont des organisations structurées, installées dans des zones économiquement actives.

Les organisations religieuses sont celles dont la couverture spatiale est la plus large et la pénétration géographique la plus profonde. Cependant, la capacité de pénétration des Eglises ne doit pas faire oublier qu'elles aussi concentrent (en termes quantitatifs) la majeure partie de leurs ressources là où la population est la plus concentrée.

Aborder la problématique de la sécurité alimentaire des familles implique que l'on fixe, dans une communauté donnée, des critères de priorité entre les familles. Au sein de leurs zones d'influence, la sélectivité des ONG est fonction du type d'intervention qu'elles pratiquent, mais aussi de leur capacité à mobiliser les groupes cibles. Sans anticiper sur les sections suivantes, on peut dire, de façon schématique, que les organisations religieuses sont celles dont la capacité à atteindre les plus démunis est la plus importante, de par le caractère souvent charitable de leur action. Les organisations de base n'ont pas pour but de favoriser systématiquement les couches pauvres; leur intérêt se porte de préférence sur des projets capables de provoquer le décollage économique de ses membres les plus dynamiques. Les organisations étrangères compensent souvent par une grande rigueur technique (critères précis de participation) ou par des moyens relativement importants (couverture totale) leur faible capacité de mobilisation des plus pauvres. Enfin, les ONG nationales, limitées dans leurs ressources et tenues au respect des pratiques communautaires, font preuve d'une capacité de sélection généralement faible.

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DES FAMILLES, TERME INCONNU DES ONG

Si la sécurité alimentaire des familles n'est pas un champ d'action autonome, elle peut au moins être un objectif déclaré donnant lieu à une stratégie appropriée au niveau de la communauté. On pourrait donc s'attendre a la voir apparaître, sous une formulation ou une autre, comme le leitmotiv de certaines organisations privées. Pourtant, il n'en est rien: la sécurité alimentaire n'apparaît pas comme un objectif opérationnel explicite des ONG.

Devant cette absence, deux considérations s'imposent. En premier lieu, les ONG - qui, à la différence des organismes de coopération conventionnels, se présentent ostensiblement comme des catalyseurs de transformations sociales - expriment leurs priorités fondamentales en termes sociaux plutôt qu'en termes techniques. C'est pourquoi leurs références au technique sont le plus souvent pragmatiques et sectorielles (production, nutrition materno-infantile, etc.); elles se rapportent au support de l'action et sont garantes d'apolitisme. Le thème de la sécurité alimentaire, plus abstrait, se trouve occulté dans les formulations des ONG par les enjeux sociaux qui l'englobent. Quoi qu'il en soit, il y a là l'évidence d'une difficulté des ONG à intégrer techniquement des actions pluridisciplinaires.

En deuxième lieu, 'approche de la sécurité alimentaire exige une capacité technique d'analyse et d'action qui fait défaut à beaucoup d'ONG. Force est en effet de reconnaître que le mouvement ONG dans son ensemble a été relativement peu créatif et peu performant dans le domaine technique. II n'a pas été capable de se libérer de la sectorisation ni de développer des approches originales. Pour être juste, il faut cependant noter que les ONG marquent d'une empreinte sociale les domaines techniques qu'elles abordent. Ainsi, dans le domaine de la production agricole, les ONG prennent-elles en compte les «systèmes de production» (familial et/ou communautaire) là où les gouvernements ne raisonnent qu'en termes de parcelle et de culture. De même, dans le domaine de la santé, la composante préventive et éducationnelle est prioritaire pour les ONG. Bien que latent, le thème de la sécurité alimentaire est donc sous-jacent dans les actions des ONG.

Enfin, il faut ajouter que l'origine de chaque ONG et ses modes de financement marquent durablement son champ d'intervention. C'est ainsi que par un grand nombre d'organisations humanitaires issues de mouvements d'entraide les problèmes d'alimentation sont perçus comme des problèmes de la «faim» et traités par l'aide alimentaire, même si beaucoup s'en défendent et prétendent avoir abandonné l'urgence pour le développement. En réaction au «paternalisme» des organisations caritatives, étrangères pour la plupart, un nombre considérable d'ONG, étrangères et nationales, ont choisi une voie technique sectorielle (agriculture, santé, éducation, artisanat, commercialisation, etc.). Avec la multiplication de ces ONG s'est faite la diversification des champs d'intervention. Certaines ont atteint un haut degré de spécialisation (micro-irrigation, conseil juridique, coopération financière, etc.), d'autres ont, au contraire, élargi leur domaine jusqu'à englober pratiquement tout projet répondant à leur objectif social. Ces dernières ONG sont le plus à même d'aborder la sécurité alimentaire dans son ensemble.

En résumé, les ONG se présentent comme des agents particuliers (humanistes et dévoués) d'exécution plus que comme des organisations à la recherche de solutions originales. Mais leur manque de ressources fixes ne leur ont pas permis de construire, à partir de leurs expériences, un capital technique propre. Dans leur immense majorité, elles présentent des déficiences critiques au niveau du traitement de l'information concernant leur propre action, de la circulation de cette information en leur sein même et de la communication avec l'extérieur. Faute de systématisation, elles réinventent sans cesse ou appliquent des recettes glanées ça et là, à l'initiative de leurs agents de terrain.

Ces observations générales doivent cependant être nuancées selon les types d'ONG. Par ailleurs, il faut rendre hommage aux organisations qui, conscientes de leurs limitations techniques et des risques de déviation de toutes sortes, investissent des ressources de plus en plus importantes dans 'évaluation de leur action, la recherche, la communication et la formation de leurs agents. La recherche de formules de partenariat entre ONG a également pour but de pallier les insuffisances.

SUSCITER LA PARTICIPATION COMMUNAUTAIRE

La participation des chefs de famille aux projets communautaires est déterminante pour la sécurité alimentaire, dans la mesure où elle est nécessaire à la modification des systèmes alimentaires familiaux et communautaires.

Au cours des années 70, la participation communautaire apparaissait comme la raison d'être des ONG: elle devait constituer le pilier d'un modèle de développement alternatif, permettant 'expression des besoins réels (ressentis) des populations. Celles-ci se prononceraient également sur les solutions, et le savoir-faire local permettrait de faire l'économie d'apports techniques extérieurs coûteux et peu adaptés. Le nouveau modèle se dessinait autour de concepts tels que technologie appropriée, autogestion, recherche-action, organisation.

Dans la pratique, des facteurs d'ordre politique (manque de pratique démocratique, structures locales de pouvoir), économique (inégalité de chances) ou social (discrimination) ont agit comme des filtres déformants; d'où toute une série de versions édulcorées de la participation et d'utilisations abusives du mot. II est impossible de donner un avis général sur les méthodes employées par les ONG car, si la littérature est abondante en ce qui concerne les concepts, elle est extrêmement silencieuse quant aux expériences concrètes.

Le domaine qui nous intéresse est particulièrement révélateur des difficultés de la participation communautaire, mais aussi de 'incapacité des ONG à fournir un apport méthodologique significatif. Rien n'est plus difficile qu'un diagnostic de sécurité alimentaire en raison de la multidimensionalité du phénomène et de son caractère domestique, voire intime. Et si 'étude scientifique est complexe, l'analyse participative ne l'est pas moins. Trop souvent, la recherche participative se limite à une séance formelle de questions-réponses qui cache mal le dirigisme des techniciens et leur recherche d'une bonne conscience. Cela étant, même si le résultat technique de la consultation est généralement médiocre, le formalisme du processus est un atout important, car il favorise la mobilisation pour l'exécution des projets eux-mêmes.

C'est dans leur capacité a promouvoir la participation communautaire au niveau de la réalisation que les ONG trouvent leur meilleure expression et justification. Elles font preuve à ce niveau d'infiniment plus d'efficacité que les organismes d'Etat. Sans doute la clef de la réussite des ONG, du point de vue sociologique, se trouve-t-elle dans leur projection sociale, leur respect des valeurs locales, le dialogue qu'elles entretiennent.

Mais là encore, chaque ONG a sa conception propre de la participation, façonnée par l'image qu'elle se fait de son rôle social et nuancée par le contexte socio-politique dans lequel elle agit. Les organisations étrangères, peu familiarisées avec les enjeux locaux, ont tendance à aborder le développement comme une opération de transfert technologique exécutée avec un humanisme que les communautés semblent apprécier et solliciter. La participation qu'elles suscitent reste informelle et individuelle. Les étrangers ont inévitablement leur «cour», ce qui n'est pas sans risques d'effets pervers sur la communauté.

Les ONG nationales, au contraire, accordent une priorité élevée à la participation communautaire. L'organisation, étape essentielle de la transformation sociale, est en effet souvent considérée comme un objectif en soi, l'action technique faisant alors figure de prétexte. La participation est alors formelle et objet de techniques de communication appliquées méthodiquement, parfois jusqu'à la caricature.

L'existence d'une organisation de base active est la manifestation irréfutable d'une participation communautaire, mais elle n'en garantit pas l'authenticité. Les organisations de base se caractérisent souvent par une concentration des responsabilités (et de l'information) au sein d'un comité de direction, non pas tant par manque d'esprit démocratique qu'en raison des contraintes imposées par les bailleurs de fonds.

Enfin, la participation de la population aux projets des organisations religieuses est souvent limitée par le caractère imposant de l'autorité religieuse. Cependant, ces organisations possèdent une capacité de mobilisation de beaucoup supérieure à celle d'autres ONG, dans la mesure où elles donnent au concept de participation une connotation moins factuelle et matérialiste.

ORGANISATIONS GOUVERNEMENTALES ET NON GOUVERNEMENTALES: RELATIONS ET CONFLITS

La sécurité alimentaire est un état d'équilibre. Les organismes gouvernementaux agissent principalement sur le contexte extérieur et partiellement sur le système alimentaire communautaire; les ONG agissent sur les systèmes familiaux et communautaires. Que les approches des uns et des autres soient complémentaires ou contradictoires, la recherche de l'équilibre exige une concertation entre les différents intervenants. Les ONG revendiquent aujourd'hui, avec juste raison, auprès des gouvernements et des organismes internationaux leur reconnaissance en tant qu'agents authentiques de développement, signe qu'elles ne se sentent pas intégrées dans le cercle fermé des institutions spécialisées.

En Amérique latine, l'évolution économique et politique des 10 dernières années a entraîné une modification importante des relations entre ONG et instances gouvernementales. L'ouverture démocratique, le recul des institutions officielles sur le terrain et le flux imposant d'ONG ont créé une redistribution de fait des rôles, que les gouvernements ne peuvent plus ignorer. La concurrence laisse progressivement la place à la collaboration, pour le bien des populations. On peut observer cette tendance au niveau des promoteurs (agricoles, de santé, etc.) dont le label de sponsoring institutionnel disparaît progressivement au bénéfice d'un engagement communautaire.

L'expérience bolivienne est, à deux titres, illustrative de cette situation. D'une part, la conjoncture économique a obligé les institutions a se retirer de leurs engagements communautaires et a favorisé, jusqu'à 'institutionnalisation, les opérations de substitution par les ONG. D'autre part, le gouvernement a créé une structure semi-autonome de financement (le Fonds social d'urgence, FSE) dont les utilisateurs sont en priorité les ONG. L'évaluation de cette expérience a montré que les deux éléments décisifs de ce succès - car l'expérience a été qualifiée de très positive - ont été l'autonomie politique et bureaucratique et le niveau technique du FSE (Rapport annuel de la Banque mondiale, 1989).

Aux niveaux régional et national, les ONG nationales se constituent progressivement en réseaux, non pas tant dans un esprit de défense mais à la recherche d'une plus grande capacité de dialogue et de négociation. Les réseaux participent a des débats nationaux et internationaux, et sont de plus en plus considérés par les organisations internationales (Banque mondiale, FMI, institutions des Nations Unies) comme des interlocuteurs valables, voire obligés. Les gouvernements, par contre, ont parfois du mal à se libérer du spectre des vieilles rancunes et des fantasmes de la subversion.

Toutefois, la collaboration entre ONG et secteurs se fait surtout au niveau local ou départemental. Plutôt qu'agir en concurrence avec les services publics, les ONG s'attachent à couvrir des domaines mal abordés par les gouvernements (activités récréatives, sportives, foyers de jeunes, soutien scolaire, crèches, etc., pour l'éducation; formation de promoteurs ruraux et de sages-femmes pour la santé; agriculture biologique ou microentreprises pour la production). En outre, elles prennent de plus en plus souvent à leur charge la formation complémentaire et l'équipement de base des promoteurs affiliés aux secteurs officiels.

L'histoire des relations entre organisations de base et gouvernements est riche en conflits. De tous temps, les gouvernements ont tenté de canaliser leurs services, programmes et projets au travers d'organisations de base, ne serait-ce que pour minimiser les coûts, mais, ce faisant, ont prêté le flanc à des accusations diverses: promesses non tenues, engagements rompus, récupération politique, bureaucratie, etc. Beaucoup d'organisations de base ont su tirer les leçons de ces expériences; elles utilisent avec mesure et sans trop d'illusions les ressources potentielles.

Plus généralement, au cours des dernières années, on a assisté à une formidable ouverture des communautés rurales et marginales urbaines vers l'extérieur, qui a modifié de façon substantielle leurs rapports avec les institutions. Cette ouverture devrait aboutir progressivement à une réelle participation des communautés, non seulement dans le choix des interventions nécessaires, mais aussi dans la coordination des organisations, gouvernementales et non gouvernementales confondues, qui les exécuteront; c'est là une condition sine qua non pour que la sécurité alimentaire des familles soit abordée dans son intégralité.

VERS UNE COOPÉRATION FAO-ONG

Le développement spectaculaire des ONG montre que ce type d'organisation remplit une fonction sociale essentielle et répond à une demande réelle. Cette fonction pourrait se définir comme celle d'intermédiaire entre les communautés et 'extérieur, fonction qui, malgré les déficiences des ONG, opère plus que d'autres à double sens.

Cette appréciation porte en soi la confirmation que les ONG sont appelées à jouer un rôle privilégié dans le domaine de la sécurité alimentaire, dont la composante sociale est fondamentale.

Les événements mondiaux récents ont montré à quel point les ONG étaient vulnérables face à la conjoncture et dépendantes des organismes de financement. Faute d'avoir su trouver leur voie propre sur le plan méthodologique, elles se sentent devenir les exécutants sur le terrain de projets dont les enjeux et la conception leur échappent; car, face aux exigences des bailleurs de fonds, leur marge de manœuvre s'amenuise. Les ONG sont en train de perdre leur âme, entend-on dire un peu partout, et surtout au sein des ONG elles-mêmes. Les ONG se trouvent placées devant un défi: comment se professionnaliser sans perdre les qualités inhérentes à leur caractère humanitaire? Il est urgent qu'une coopération technique sans arrière-pensées s'instaure entre le monde des ONG et les organismes multilatéraux. Les organismes techniques doivent aider les ONG à développer leur créativité et augmenter leur efficacité dans le respect de leur identité.

En ce qui concerne la FAO, elle a un rôle fondamental à jouer a deux niveaux:

· Améliorer le niveau technique des ONG en animant un processus interne de capitalisation des expériences, qui aurait pour but, notamment: a) de promouvoir au sein des ONG 'approche technique de la «sécurité alimentaire des familles»; b) de mettre en place des mécanismes d'évaluation (interne et externe) des actions des ONG; c) d'appuyer les ONG dans l'évaluation de leurs besoins en assistance et matériels techniques.

· Préparer les gouvernements afin qu'ils développent un nouveau type de relations avec les ONG. Les mesures d'ajustement et de compensation adoptées par les pays d'Amérique latine impliquent nécessairement une révision du rôle des secteurs publics sur le terrain et de leurs relations avec les secteurs privés, y compris les ONG. La FAO pourrait fournir une assistance technique aux gouvernements pour la mise en place de mécanismes appropriés de collaboration avec les ONG, tant au niveau de la planification et de la prise de décisions que de l'exécution et de l'évaluation des actions.

Family food security: the role of NGOs in Latin America

Non-governmental organizations (NGOs) have a leading role in the field today. This article sets out to examine the part that Latin American NGOs can and do play in providing family food security. It looks at four criteria: the ability to reach the least privileged groups; the right technical approach; the ability to involve the community; and relations with other parties working in the field.

Development-oriented NGOs are more concerned with effectiveness than charity. They establish themselves in rural or peri-urban areas that are relatively active economically and focus on dynamic population groups.

Their technical approach tends to be sectoral and fairly conventional: their modest financial and staff resources restrict them to targeted actions which they however mould with a strong social perspective. Food security, a complex theme requiring a multidisciplinary approach, is not an explicit NGO objective.

NGO promotion of community participation is more theoretical than practical, running the gamut from traditional top-down authority to a rather rote application of communications techniques. Where NGOs do prove abler than others is in mobilizing people on the implementation level.

With the changes taking place in Latin American society. NGO dissidence is gradually giving way to accord and even cooperation with government bodies. NGOs are now seeking recognition as genuine agents of development, but the governments are finding it difficult to break away from their long-held distrust.

The originality of NGOs is more social than technical. Food security requires a balance in which the social and the technical converge, NGOs can do much to help achieve this balance. Technical cooperation agencies should help by providing NGOs with technical support while respecting their integrity.

It is suggested that FAO first help the NGOs to capitalize upon their pooled experience (through documentation, evaluation and internal discussion) and second encourage the governments to allow the NGOs more room to operate.

Seguridad alimentaria en los hogares: el rol de las ONG en América Latina

Las organizaciones no gubernamentales (ONG) ocupan en la actualidad una posición de primer plano sobre el terreno. Basándose en cuatro criterios se analiza, en el caso de América Latina y de manera preliminar, la función (real y potencial) que desempeñan las ONG en el ámbito de la seguridad alimentaria en los hogares. Los criterios utilizados son: la capacidad para llegar a los grupos menos favorecidos; el enfoque técnico; la aptitud para estimular la participación comunitaria; y las relaciones con las demás instituciones.

En lo que se refiere a los grupos menos favorecidos, cabe notar que las ONG cuyo objetivo es el desarrollo están guiadas más por un afán de eficacia que de caridad: en efecto, generalmente se instalan en zonas rurales o suburbanas con una relativa actividad económica, y se dirigen a grupos dinámicos.

Desde el punto de vista técnico, las ONG aplican un enfoque sectorial y relativamente clásico: sus modestos recursos financieros y humanos hacen que se centren en acciones selectivas a las que confieren un carácter social; la seguridad alimentaria, tema complejo que requiere de un enfoque multidisciplinario, no es un objetivo explícito de las ONG.

Con respecto a la participación comunitaria, ésta no está a la altura del valor que las mismas ONG le confieren: se dan en la práctica todo tipo de desviaciones, desde el dirigismo clásico hasta la aplicación simplista de las técnicas de comunicación. Sólo en la ejecución de programas y proyectos las ONG dan prueba de una capacidad de movilización superior a la de otros organismos.

Por último, la evolución de las sociedades de América Latina ha permitido que las ONG abandonen sus posiciones disidentes iniciales para dejar lugar progresivamente a la concertación y cooperación con los órganos gubernamentales. Las ONG reivindican hoy en día su reconocimiento como agentes auténticos de desarrollo, pero tienen problemas para lograr que los gobiernos se deshagan de sus antiguos prejuicios.

Se puede concluir que la originalidad del fenómeno de las ONG es de carácter social más que técnico. Dado que la seguridad alimentaria es un equilibrio que exige la convergencia de condiciones sociales y técnicas, se debe tener en cuenta el rol primordial que las ONG pueden desempeñar en la búsqueda de este equilibrio, así como la necesidad de apoyo por parte de los organismos de cooperación técnica que deben contribuir a reforzarlas técnicamente respetando al mismo tiempo su integridad.

En este sentido, se sugiere que la FAO preste apoyo a las ONG para el establecimiento de un proceso común de capitalización de sus propias experiencias (a través de documentación, evaluación y reflexión interna), y que prepare a los gobiernos para que reconozcan un espacio justo para las ONG.


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