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Sens unique ou double sens... Où est le bon sens? Le rôle du vulgarisateur: de messager à facilitateur


T. Enters and J. Hagmann

Thomas Enters travaille au Centre pour la recherche forestière internationale, à Bogor (Indonésie). Jürgen Hagmann vient de terminer une mission dans le cadre du projet AGRITEX/GTZ sur les pratiques de labourage à des fins de conservation à Masvingo (Zimbabwe).

Cet article analyse les liens entre recherche et vulgarisation aux fins de l'amélioration des pratiques d'aménagement durable des ressources naturelles, sur la base des expériences réalisées dans le nord de la Thaïlande et au Zimbabwe.

Cela faisait longtemps que les agriculteurs luttaient. Avec l'accroissement démographique, la terre était devenue rare, et ils en étaient arrivés à raccourcir les périodes de jachère, n'ayant plus de terre forestière susceptible d'être convertie à l'agriculture. Ils savaient très bien qu'ainsi les rendements de riz baisseraient. Ces dernières années, les rendements avaient en effet chuté de façon dramatique. Ne sachant que faire, les agriculteurs ont organisé une réunion de village et décidé de s'adresser au vulgarisateur agricole pour lui demander conseil. Après avoir écouté les villageois, auxquels il rendait souvent visite, le vulgarisateur a promis de prendre contact avec les chercheurs du groupe de vulgarisation agricole et de leur faire part de l'inquiétude des agriculteurs. En parlant avec les chercheurs, il a appris que l'on avait déjà commencé à étudier le problème de la baisse de productivité des cultures. Le rapport final de ces recherches était sur le point d'être publié, et les chercheurs étaient sûrs d'avoir mis au point les techniques appropriées pour introduire des pratiques agricoles durables. Avant le début de la nouvelle campagne agricole, le vulgarisateur a pu retourner au village pour y apporter un ensemble de nouvelles techniques de conservation des sols et des eaux consistant en éléments d'agroforesterie. Les agriculteurs, très reconnaissants, ont immédiatement appliqué les recommandations des chercheurs. Ils ont adopté avec enthousiasme la nouvelle technologie qui leur était offerte. Grâce aux efforts de recherche dont les résultats ont été rapides et à l'efficacité des communications, les rendements de riz se sont stabilisés, et même accrus, en seulement trois ans.

Les techniques de conservation des sols et des eaux ont donné de bons résultats à Pha Charoen (Thaïlande)

Ainsi, ce qui représentait le plus grand problème pour les agriculteurs a pu être résolu grâce à la recherche et à la vulgarisation. En effet, la nouvelle technologie d'agroforesterie a fait d'une pierre deux coups: elle a contribué à stabiliser la productivité du sol et, en même temps, livré des avantages supplémentaires, tels que fourrage pour le bétail et bois de feu. Pour cette raison, elle a également été appréciée par le Département des forêts qui, depuis de nombreuses années, s'inquiétait du taux élevé de déboisement et de la dégradation des forêts due au surpâturage et aux coupes excessives effectuées pour la récolte de bois de feu.

Gros plan sur un exemple "idéal" de lutte contre l'érosion: les bandes de graminées le long des courbes de niveau empêchent l'érosion entre les arbres fruitiers

DU CONTE DE FÉE A LA RÉALITÉ

Ce qui semble être un conte de fée en est hélas bien un. Il se fonde sur la conception conventionnelle du processus de recherche et sur l'idée que l'on se fait implicitement de l'adoption des résultats de la recherche par des "clients", dans le cas présent les petits agriculteurs ou les cultivateurs itinérants. Selon cette façon de penser conventionnelle,lorsque les clients ont un problème, seuls les chercheurs procédant par méthode analytique peuvent le résoudre. C'est à eux d'identifier et d'analyser les problèmes, et de mettre au point des solutions susceptibles d'être directement transférées des stations expérimentales aux champs. Ainsi, ce sont les chercheurs qui indiquent aux agriculteurs les meilleures solutions pour la communauté rurale et l'environnement. Le lien entre le chercheur et le client est le vulgarisateur, qui a pour rôle d'aider le client à mettre la nouvelle technologie en pratique et d'en soutenir l'adoption.

Ces dernières années, les techniques de conservation des sols applicables aux terres agricoles ont reçu une attention notable parce qu'elles représentent un moyen d'accroître la production, et donc de réduire les pressions incitant à la conversion de nouvelles terres forestières. La recherche et la vulgarisation ont offert aux cultivateurs de nouvelles techniques agricoles qui leur ont été recommandées comme "durables" et qui présentent des avantages tant directs qu'indirects. Pourtant, les taux d'adoption ont été décevants. L'examen qui suit tente d'expliquer les raisons pour lesquelles, dans le domaine de la conservation des ressources, la vulgarisation a donné de moins bons résultats qu'on ne l'aurait espéré. On s'est surtout attaché à expliciter le rôle de la vulgarisation et le lien qui existe entre la recherche et la vulgarisation. La première partie de l'article se fonde sur les recherches effectuées dans le nord de la Thaïlande, et la seconde sur les expériences réalisées au Zimbabwe.

LA RECHERCHE ET LE MESSAGER SANS MESSAGE

La documentation sur la dégradation des terres et la conservation des ressources en Thaïlande contient de nombreux avertissements sur les conséquences du déboisement: inondations, sécheresse, perte de fertilité du sol, modifications du climat, détérioration de la qualité de l'eau et sédimentation des réservoirs sont mentionnées dans pratiquement toutes les publi-cations (Komkris, 1978; Henderson et Rouysungnern, 1984; Putjaroon et Pongboon, 1987; Sombatpanit et al., 1993; Hundloe, 1994). Pour limiter le déboisement, les activités de recherche sont axées sur l'étude de moyens qui permettraient aux agriculteurs d'abandonner la culture itinérante, qui est "destructive" et entraîne le "gaspillage". Stabiliser les systèmes d'utilisation des terres devrait avoir à la fois des avantages directs, comme d'augmenter la productivité des terres, et des avantages indirects, comme de diminuer la sédimentation et les inondations. Cependant, malgré la recherche, la vulgarisation, les encouragements offerts aux agriculteurs et quelques succès limités, la durabilité des projets entrepris dans le nord de la Thaïlande est mise en doute (TDRI, 1994): les activités de conservation des sols et des eaux du programme Thaïlande/Allemagne de mise en valeur des terres d'altitude (TG-HDP) en sont un exemple [Note: L'examen des activités de conservation des sols et des eaux menées par le TG-HDP porte essentiellement sur les premières années de ce projet (1987-1990). Depuis, l'élément de conservation des sols et des eaux a été remplacé par une approche plus large, celle des systèmes d'exploitation agricole durable].

Dans le cadre du projet TG-HDP, des pratiques de conservation des sols et des eaux ont été mises au point et vulgarisées auprès des agriculteurs à partir de 1987, afin de tenter de faire régresser l'érosion à des niveaux acceptables pour permettre des cultures plus permanentes (Salzer, 1987). Ces pratiques consistaient à établir des cultures le long des courbes de niveau en alternant une graminée (Brachiaria ruziensis), puis des bandes de cultures pérennes (haies de Leucaena et pois cajan) avec des cultures plantées parallèlement aux courbes de niveau. Pendant les quatre premières années de mise en œuvre du projet (durant lesquelles des encouragements ont été offerts aux agriculteurs et aux vulgarisateurs), le nombre des cultivateurs qui ont adopté les techniques recommandées s'est accru à un rythme régulier; mais lorsque le programme d'encouragements a cessé en 1991, l'intérêt manifesté pour ces techniques a diminué de façon soudaine et durable (voir figure). Parmi les agriculteurs interrogés par l'un des auteurs en 1990/91, puis de nouveau en 1994/95, beaucoup se sont déclarés déçus par les pratiques recommandées (Enters, 1995).

Nombre de champs soumis à l'application de mesures de conservation des sols et des eaux par 85 ménages ruraux dans cinq villages de la province de Mae Hong Son (Thaïlande), entre 1987 et 1994.

Lorsqu'on a demandé aux agriculteurs pourquoi ils avaient cessé d'appliquer les techniques qu'ils avaient d'abord adoptées, ils ont répondu que la graminée qu'on les avait encouragés à planter pour lutter contre l'érosion s'était rapidement propagée dans les champs, occasionnant un surcroît de travail à un moment de l'année où la main-d'œuvre manque déjà. Le désherbage est depuis longtemps considéré comme un élément déterminant des rendements agricoles dans les tropiques. Les techniques de conservation des sols et des eaux n'avaient pas du tout tenu compte de ce fait, et le problème du désherbage s'était donc aggravé. Il n'était alors pas surprenant que certains villageois se soient montrés mécontents ou inquiets au sujet de cette graminée. Un agriculteur a résumé la situation de façon tout à fait pertinente (Enters, 1992): "Nous sommes devenus trop nombreux, et le gouvernement ne nous permet plus de couper des arbres pour avoir de nouveaux champs. La vie était beaucoup plus facile pour la génération précédente. Mais cette graminée ne résoudra certainement pas nos problèmes."

L'accroissement démographique, la suppression de l'opium, la limitation des cultures itinérantes et l'ouverture des terres d'altitude à l'économie de plaine a créé de nouvelles nécessités, en particulier le besoin d'argent liquide. Pour cette raison, les villageois se sont plus intéressés aux activités susceptibles de leur rapporter des revenus qu'aux essais visant à améliorer la production de subsistance.

Selon les auteurs, si les résultats ont été décevants, c'est principalement parce que la recherche n'a pas vraiment porté sur les problèmes des agriculteurs. En outre, nous sommes de l'opinion que le processus de vulgarisation (qui fonctionne essentiellement dans un sens, du haut vers le bas) a aggravé la situation. On peut faire un certain nombre d'observations à l'appui de cette opinion, qui s'appliquent à la situation thaïlandaise, mais valent aussi de façon générale:

Instituts de formation spécialisée
Nom de l'institut de formation¹ Disciplines couvertes par la formation spécialisée
Institut indien de télédétection Télédétection, systèmes d'information
géographique
Institut indien de prospection forestière Préparation des inventaires,
cartographie forestière
Institut indien de la faune sauvage Aménagement de la vie sauvage
Institut central de recherche et de formation sur la
conservation des sols et des eaux
Techniques de conservation des sols et des
eaux, aménagement des bassins versants
Conseil indien pour la recherche
et l'éducation forestières
Gestion de la recherche forestière,
industries dérivées du bois,produits
forestiers autres que le bois
¹ Tous ces instituts sont situés à Dehra Dun.

Le lecteur aura sans doute remarqué que l'on n'a pas encore beaucoup parlé de la vulgarisation. Ce n'est pas une omission accidentelle, car le seul rôle joué par les vulgarisateurs dans le cas décrit est celui de messagers à sens unique apportant les nouvelles techniques mises au point par les chercheurs aux villages cibles. Ainsi, les messages dont la valeur technique, du point de vue de nombreux agriculteurs, semblait discutable, n'ont circulé que dans un sens. En ce qui concerne les résultats, les périodes de jachère continuent à se raccourcir, et la conservation des sols et des eaux en tant que telle reste une faible priorité pour les agriculteurs.

DU MESSAGER AU FACILITATEUR

La situation décrite dans l'exemple thaïlandais n'est pas unique. Les mêmes principes et les mêmes dilemmes sous-tendent l'approche générale de la recherche et de la vulgarisation dans de nombreux autres pays. Beaucoup d'études de cas récentes mettent en lumière l'urgente nécessité de modifier le rôle et l'attitude des chercheurs et des vulgarisateurs (Clarke, 1994; Matose et Mukamari, 1993; Hagmann, 1993; Murwira, 1994; Göricke, 1993). Ces dernières années, cependant, plusieurs nouvelles approches ont été inaugurées par des institutions tant gouvernementales que non gouvernementales. Au Zimbabwe, par exemple, on a constaté que des activités pilotes menées dans le cadre de nouvelles approches basées sur la participation active des agriculteurs à la recherche et à la vulgarisation pouvaient contribuer à réduire les obstacles qui empêchent d'appliquer les résultats de la recherche agricole et forestière, à augmenter les taux d'adoption des nouvelles techniques et, de ce fait, à améliorer l'aménagement des ressources naturelles et la sécurité alimentaire.

Par exemple, le projet sur les pratiques de labourage à des fins de conservation est actuellement mis en œuvre par le Dépar-tement des services agricoles, techniques et de vulgarisation du Zimbabwe (AGRITEX), avec un soutien de l'Office allemand de la coopération technique (GTZ). Ce projet a été lancé en 1988 en vue de mettre au point et à l'essai différents systèmes de labours à des fins de conservation. Au fur et à mesure du déroulement du projet, les agriculteurs ont pris une part prédominante à l'élaboration du programme de recherche, ce qui a eu pour résultat d'élargir la gamme d'activités envisagées afin d'englober, par exemple, les techniques agronomiques biologiques et mécaniques de conservation des sols et des eaux, l'agroforesterie et divers autres sujets que les agriculteurs considéraient comme pertinents. Ainsi, le projet, précédemment axé sur la recherche, a vu son orientation considérablement modifiée en faveur de la vulgarisation.

Les autres approches de type participatif en cours d'élaboration au Zimbabwe sont la planification et le développement au niveau des collectivités, qui est une approche axée sur la gestion et la mise en valeur des ressources sur une base communautaire et appliquée dans le cadre d'un programme de développement rural intégré (Göricke, 1993), ainsi que l'approche associant participation et vulgarisation, qui caractérise le projet de sécurité alimentaire de l'ITDG (Murwira, 1994). Ces trois projets sont exécutés dans la province semi-aride de Masvingo. Ils travaillent en étroite collaboration, se fondent sur les mêmes principes et utilisent des instruments semblables, ce qui renforce leur impact et favorise l'institutionnalisation de ces approches à l'intérieur des services officiels de vulgarisation.

Une approche de type participatif a été élaborée et mise à l'essai avec la collaboration des agriculteurs et des collectivités. Selon cette approche, les niveaux auxquels se prennent les décisions sont modifiés et les rôles des divers agents dans l'élaboration de la stratégie de conservation doivent être redéfinis. Le développement est compris dans un sens plus large et englobe le perfectionnement des techniques ainsi que des éléments socio-organisationnels. En outre, on n'applique des stratégies d'encouragement que lorsque c'est nécessaire, et elles ne sont pas considérées comme un élément faisant automatiquement partie de tout projet ou activité.

Là où on ne pouvait pas faire pousser des bandes de graminées, on a planté des haies de Leucana et de pois cajan

Participation à la mise au point et à la vulgarisation des innovations: concept et approche

Le concept de participation à la mise au point et à la vulgarisation des innovations repose sur le dialogue, l'expérimentation par les cultivateurs et le renforcement des capacités des communautés rurales à s'organiser. La participation active des agriculteurs est la pierre angulaire de cette approche, qui ne doit pas être confondue avec la participation à des activités dont l'initiative vient de l'extérieur (comme c'est le cas pour les projets de recherche dont l'initiative est prise par des spécialistes). Cela signifie plutôt que les cultivateurs identifient eux-mêmes les problèmes et prennent ensuite l'initiative des activités. Ils peuvent demander le soutien d'autres agents compétents, et s'adresser eux-mêmes aux chercheurs, si nécessaire. Un des résultats, souvent sous-estimé, est de donner aux agriculteurs davantage confiance en eux-mêmes. Dans la majorité des cas, c'est indispensable pour qu'ils puissent innover davantage et se réorganiser afin de mieux assurer la conservation et la mise en valeur des ressources naturelles.

Les graminées envahissent les champs et entraînent le surpâturage

Stimuler l'expérimentation par les agriculteurs eux-mêmes s'est avéré utile pour associer les nouvelles techniques aux techniques traditionnelles appropriées. Cela permet de mieux évaluer les possibilités et de concevoir différentes solutions applicables dans des contextes écologiques, économiques et socioculturels spécifiques. En fin de compte, le but visé est de transformer une approche de la recherche et de la vulgarisation orientée vers la technologie en un système axé sur le produit et visant à permettre d'utiliser les ressources de façon durable.

La formation au rôle d'animateur et la promotion du dialogue et de la communication, lors des réunions organisées dans les villages, se sont révélées très utiles pour améliorer la coopération entre tous ceux qui participent à la gestion des ressources naturelles et pour assurer la mise en commun des connaissances et la participation de tous les groupes, sans distinction de sexe ni d'âge, à la vulgarisation et au développement rural. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'effet positif du renforcement des institutions locales et du rôle que joue la vulgarisation entre les agriculteurs pour aider ceux-ci à avoir davantage confiance en eux-mêmes.

Principes et instruments

Les expériences et observations faites au Zimbabwe, surtout en ce qui concerne la direction et la coopération, montrent que pour aller de l'avant dans le domaine de la conservation des ressources, il faut que le processus du développement de type participatif s'insère dans un cadre théorique comprenant mais dépassant l'adoption des instruments utilisés aux fins de l'Evaluation rapide participative (ERP). Cette approche avait, en un premier temps, pris la forme d'un programme de formation - Formation pour la transformation (Hope et Timmel, 1984) - basé sur les travaux de Freire (1973) puis réélaboré par une organisation non gouvernementale locale. La formation pour la transformation se fonde sur un travail d'éducation, par des méthodes participatives reposant sur le dialogue, et vise à favoriser la prise de conscience des populations locales afin de les rendre capables de procéder au développement de façon autodépendante; ses principes sont appliqués lors des réunions et ateliers, à l'aide d'une gamme d'instruments tels que codes, jeux de rôles et poèmes. Les éléments empruntés à la Formation pour la transformation sont complétés par l'Evaluation rapide et participative, les enquêtes diagnostiques et les méthodes de planification ciblées.

Nouveau rôle et nouvelle approche pour les vulgarisateurs

Le rôle traditionnel des vulgarisateurs était clair et bien défini. En tant que messagers, ils assuraient le lien entre la recherche et ses clients. Nombre d'entre eux considéraient qu'ils se trouvaient dans une situation semblable à celle d'un enseignant par rapport à ses élèves ou, pire, d'un enseignant par rapport à des enfants. Une approche de type participatif exige plus qu'un messager ou un enseignant. Le fait que le flux traditionnel des informations dans un seul sens explique à bien des égards les mauvais résultats des projets agricoles et forestiers ne fait plus de doute. Mais suffit-il de le remplacer par un système d'information à double sens, dans lequel les chercheurs constituent un deuxième groupe d'étudiants, auxquels les enseignants - les vulgarisateurs - expliquent pourquoi les techniques qu'ils ont méticuleusement mises au point ne présentent aucun intérêt pour les bénéficiaires? Nous sommes d'avis que la clé pour trouver des solutions réelles (et non pas des réponses aux problèmes tels qu'ils sont perçus uniquement de l'extérieur) et pour mettre au point des innovations valables (par opposition à un ensemble de techniques standard) consiste en une approche de type participatif axée sur le renforcement des institutions locales, l'identification des besoins et l'établissement de priorités. Le rôle de messager ou d'enseignant n'est donc pas suffisant; pour mettre en route, soutenir et entretenir un processus de changement, il faut des facilitateurs.

Le nouveau rôle des vulgarisateurs ou facilitateurs est d'apporter aux agriculteurs les connaissances fondamentales et les options technologiques nécessaires pour stimuler leurs discussions, et de les encourager à mettre en pratique, sur une base expérimentale, les nouvelles options et leurs propres idées. La vulgarisation doit promouvoir les échanges entre agriculteurs au sujet de leurs expériences, ainsi qu'entre les cultivateurs et les autres agents concernés par la mise en valeur des ressources et le développement rural (par exemple, les chercheurs, les décideurs, etc.). Ainsi, les vulgarisateurs n'ont pas eux-mêmes le rôle de messagers, mais celui de faciliter l'acheminement des messages. En renforçant les institutions locales, ils améliorent la communication entre les agents sociaux qui travaillent à l'interface du développement. Avec le temps, le rôle des facilitateurs sera redéfini et/ou repris progressivement par les dirigeants des collectivités.

Une haie isolée abandonée par des cultivateurs

CONCLUSION

Nous avons maintenant fait le tour de la question. Comme il a été dit au début de l'article, les chercheurs ont traditionnellement pour tâche d'identifier et d'analyser les problèmes, et d'élaborer des solutions susceptibles d'être transférées aux utilisateurs potentiels grâce à la vulgarisation.

Le nouveau rôle des vulgarisateurs est au contraire d'analyser les problèmes avec les agriculteurs et d'identifier les domaines qui nécessitent des recherches plus approfondies et le concours de techniciens spécialisés. Un programme de recherche est élaboré en fonction des problèmes des agriculteurs, en vue de trouver des solutions appropriées. Le plus important est sans doute de reconnaître que les agriculteurs, les vulgarisateurs et les chercheurs ont chacun leur propre domaine de compétence et doivent travailler ensemble, car c'est uniquement ainsi que l'on obtiendra une réponse optimale. Cette approche implique notamment qu'une proportion beaucoup plus grande des activités de recherche soit menée au niveau des exploitations et facilitée par la vulgarisation. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura plus de place pour la recherche en tant que telle dans des conditions strictement contrôlées, mais plutôt que cette recherche doit être liée aux réalités concrètes et aux besoins.

Les exemples de la Thaïlande et du Zimbabwe utilisés pour cet article sont peut-être des cas extrêmes, choisis délibérément pour confirmer une opinion. Dans le premier cas, on a surtout examiné les expériences de la fin des années 80; le second cas illustre les nouvelles directions prises au début des années 90. En Thaïlande, on a maintenant aussi modifié l'approche suivie en matière de conservation des sols et des eaux, et les chercheurs, les vulgarisateurs et les agriculteurs collaborent de plus près pour résoudre ensemble certains des problèmes. La figure indique qu'il reste un long chemin à parcourir.

Le second cas montre que le fait de prendre de nouvelles directions peut être profitable. Lorsque les agriculteurs participent activement à la recherche, les taux d'adoption des résultats augmentent; les agriculteurs ont même commencé à s'organiser et à définir des programmes et des objectifs de recherche. Ainsi, il y a des endroits où 80 pour cent des familles de cultivateurs mènent des activités de conservation des sols et des eaux sans recevoir aucun type d'encouragement, et les agriculteurs se transmettent les uns aux autres la connaissance des nouvelles techniques sans qu'il y ait besoin d'un messager extérieur.

Ces faits montrent bien qu'il faut lier étroitement la recherche et la vulgarisation, et faire en sorte que les bénéficiaires deviennent des partenaires à égalité des activités de recherche, de diffusion et d'adoption des résultats. Cela nécessite une réorientation de la recherche elle-même et la définition d'un nouveau rôle pour les vulgarisateurs. Le processus sera long et lent, et le soutien aux activités intensives de formation et de suivi sera nécessaire. Un changement d'attitude et de comportement est l'élément déterminant du succès de toute nouvelle approche. Il est souvent difficile pour les chercheurs et les vulgarisateurs qui ont été formés de façon conventionnelle d'accepter que les agriculteurs, avec leurs systèmes de connaissances traditionnels basés sur l'expérience, deviennent leurs partenaires à égalité, et d'admettre qu'ils puissent aussi leur enseigner quelque chose. Mais, sans cela, les vulgarisateurs ne pourront avoir qu'un rôle de messager qui, comme nous l'avons montré, est insuffisant pour entraîner un changement positif et durable. Les problèmes de conservation des ressources, dans la plupart des cas, exigent plus que des technologies "supérieures" ou des pratiques "améliorées". Il faut donc un facilitateur capable d'apporter une aide à la fois sur le plan technique et pour les questions d'ordre directement social. Il devra notamment aider à démanteler les structures hiérarchiques décourageantes; donner confiance en eux aux agriculteurs qui participent aux activités; et reconnaître et soutenir la vulgarisation entre agriculteurs. Ainsi, la vulgarisation va au-delà de la simple communication d'une information. C'est une interaction constante avec les éléments de base que sont l'identification et l'analyse des problèmes, la mise en commun des connaissances, la recherche de solutions, la diffusion des résultats et la mise en route d'activités.

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