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Ballons de football, fleurs d'amandier et poules bleues: vulgarisation forestière auprès des femmes rurales du Pakistan


M. Kane

Marilee Kane, consultante spécialiste des femmes dans le développement, participe actuellement au Projet interrégional de la FAO pour la conservation et la mise en valeur participatives des zones montagneuses, à Noza, Baloutchistan (Pakistan).

Participation des femmes à la gestion des ressources naturelles au Baloutchistan (Pakistan) dans le cadre du Projet interrégional de la FAO pour la conservation et la mise en valeur participatives des zones montagneuses.

Un chef de groupe - les villageoises ne se laissent pas photographier

Le purdah, ségrégation sociale entre les hommes et les femmes, est ancré dans la culture pakistanaise. Le personnel des services forestiers publics, notamment celui des services de vulgarisation, est exclusivement masculin. De plus, les programmes de développement, y compris les projets de foresterie sociale ou communautaire, n'ont pas encore mis au point des méthodes compatibles du point de vue culturel avec la participation des femmes. Il en résulte que ces dernières sont pratiquement exclues des programmes de développement forestier et de mise en valeur des bassins versants, tout en étant responsables de nombreuses activités en rapport direct avec la conservation et l'utilisation des ressources naturelles. Dans un article du journal pakistanais Aurat, del Nevo (1992) identifie deux principaux obstacles à la participation des femmes à la foresterie sociale au Pakistan: "Il n'y a qu'une poignée de vulgarisatrices dans tout le Pakistan, et il n'y a pratiquement pas de spécialistes du développement ni de forestiers, hommes ou femmes, capables de les former"; par ailleurs, "les programmes de foresterie sociale doivent être compatibles avec les normes culturelles des communautés concernées". En outre, les programmes de développement ne disposent pas des méthodes nécessaires pour promouvoir la participation des femmes. Le programme pilote entrepris en 1992 au Baloutchistan dans le cadre du Projet interrégional de la FAO pour la conservation et la mise en valeur participatives des zones montagneuses, dans le sous-bassin versant de Noza (vallée du Kanak, district de Mastung) a expérimenté des méthodes destinées à promouvoir la participation de la population féminine locale à la gestion durable des ressources naturelles (voir l'encadré).

LE ROLE DES FEMMES

Les femmes brahouis travaillent en moyenne 17 heures par jour en pleine saison de production. L'étude de leur emploi du temps d'avril à octobre montre qu'à Noza la plupart d'entre elles consacrent plus de 60 pour cent de leur temps à des activités productives, le reste étant partagé entre les travaux domestiques et les obligations sociales.

Lors de la première Conférence nationale des paysannes (Conférence de Haryali), tenue à Lahore en 1991, les participantes venues du Baloutchistan ont déclaré: "Nous accomplissons de nombreuses tâches domestiques: cuisiner, laver le linge, aller chercher l'eau et le bois, fabriquer des tourteaux de fumier; mais nous nous occupons aussi des animaux de la ferme, nous leur donnons à manger et à boire, nous les trayons, nous coupons l'herbe et nous nettoyons les enclos. Dans les champs, nous moissonnons le blé, nous sarclons les oignons et les mettons en sacs, nous arrachons les mauvaises herbes, nous cueillons et coupons les légumes et nous apportons les repas aux hommes qui cultivent la terre. En plus de tout cela, certaines d'entre nous font aussi de la couture et des travaux salariés".

Les femmes et les enfants brahouis utilisent les ressources naturelles et sont en grande partie responsables de leur continuité, mais ils n'ont pratiquement aucun rôle dans les prises de décisions. Par exemple, les puits et la terre appartiennent aux hommes. Dans certaines tribus, les femmes ne sont pas autorisées à planter des arbres, surtout des arbres fruitiers, car on pense qu'un arbre planté par une femme se dessèche et meurt ou reste nu et stérile.

Le défi est donc d'inciter les femmes, surchargées de travail, peu libres de leurs mouvements et presque dénuées de pouvoir, à participer à l'aménagement des bassins versants. Comment émanciper ces femmes pour qu'elles deviennent des partenaires à part entière de la gestion de la base de ressources naturelles?

TROUVER ET FORMER LES FORMATEURS

Comme la coutume veut que les femmes soient séparées des hommes, il faut former et préparer deux équipes de vulgarisation pour le travail de terrain. Ces hommes et ces femmes ne peuvent travailler directement ensemble, mais ils peuvent être conjointement responsables de l'intégration des questions spécifiques à chaque sexe dans la planification et la mise en valeur globale des villages.

Au Baloutchistan, le Département de la foresterie et de la faune et flore sauvages n'a jamais employé de femme forestier ni de femme spécialiste de la vulgarisation forestière. Les femmes de cette région qui ont une carrière professionnelle sont généralement médecins ou enseignantes, professions mieux acceptées pour des femmes. Il n'y a pratiquement pas de rôle type pour les femmes en foresterie, dans l'agriculture ou l'élevage, et le problème est aggravé par le peu de postes réservés aux femmes dans le gouvernement provincial. De plus, les rares femmes à occuper des postes dans les services gouvernementaux préfèrent travailler dans un bureau plutôt que dans les villages. Les familles n'autorisent les femmes à se rendre sur le terrain qu'accompagnées et uniquement dans les véhicules du projet ou du Ministère.

Pour toucher la population féminine, le projet pilote du Pakistan a dû employer des femmes "chefs de groupe" extérieures au Département de la foresterie et de la faune et flore sauvages. Au lieu de chercher dans la province des candidates diplômées venant de villes comme Quetta, la capitale provinciale, on a employé comme chefs de groupe des femmes non diplômées parlant le brahoui. Les responsables du projet ont relevé le niveau de qualifications des femmes chefs de groupe pour garantir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes participant au projet.

Pour les femmes chefs de groupe, l'apprentissage de nouvelles méthodes participatives oblige à laisser de côté les considérations de statut social et les attitudes traditionnelles, à apprendre à écouter et à cultiver un esprit d'ouverture vis-à-vis des villageoises. Il est difficile de changer les façons de faire, et le projet a tiré parti de l'expérience acquise par les responsables de la formation de Shirkat Gah, une organisation non gouvernementale (ONG) qui s'efforce de donner davantage de pouvoir aux femmes dans la province de Sindh (Shirkat Gah, 1994). En formant des femmes chefs de groupe pour qu'elles travaillent en zone urbaine pauvre à Karachi, les responsables se sont heurtés à une résistance semble-t-il fréquente au Pakistan de la part de ces femmes. Les femmes qui étaient formées étaient elles-mêmes issues de la classe moyenne, mais elles ne voulaient pas se mélanger aux classes pauvres. Elles s'habillaient de façon à bien montrer qu'elles appartenaient à la classe moyenne instruite et portaient de grands sacs et des dossiers durant les visites sur le terrain pour marquer leur différence, peut-être aussi par peur de la pauvreté ou en raison d'une conscience de classe trop rigide. La direction du projet a dû insister pour éviter ce genre de comportement.

Un point essentiel pour atteindre les femmes rurales est l'habileté à organiser des réunions. Mais les femmes visées, c'est-à-dire les villageoises de Noza, n'étaient pas habituées à se réunir ou à agir au sein d'un groupe. La plupart d'entre elles n'avaient jamais reçu la visite de femmes chefs de groupe ni de vulgarisatrices du gouvernement avant ce projet. "Les premières réunions sont toujours bruyantes et chaotiques, tout le monde parle en même temps, les bébés pleurent et les enfants se bousculent pour voir ce qui se passe" (FAO, 1993)Dans un village, des petits garçons perchés sur des toits voisins ont commencé à lancer des pierres sur les femmes réunies avec le personnel du projet car les femmes les empêchaient de participer à la réunion. A la visite suivante, les chefs de groupe ont apporté des ballons de football qui ont occupé les gamins pendant que les femmes se réunissaient tranquillement. Ces ballons ont permis de gagner du temps jusqu'à ce que ces réunions de femmes ne soient plus considérées comme un événement extraordinaire.

ÉVALUATION RURALE PARTICIPATIVE

La première étape du processus visant à associer les femmes à la gestion des ressources naturelles a été l'organisation d'une évaluation rurale participative avec les villageoises. C'est une idée difficile à faire accepter car la hiérarchie et la culture traditionnelles imposent aux individus et aux groupes des instances bien précises pour communiquer leurs besoins aux chefs traditionnels et aux étrangers, comme le personnel du projet. Ces évaluations, au contraire, reposent sur la participation active de la population qui doit exprimer ses idées. Une bonne partie du temps et des efforts ont été consacrés à l'élaboration d'outils interactifs pour ces évaluations, qui puissent être utilisés par des femmes presque toutes illettrées (le taux d'alphabétisation officiel des femmes dans la zone du projet est de 1,2 pour cent, chiffre faible mais sans doute supérieur à la réalité).

Un des exercices utiles de cette évaluation a été la préparation d'une carte du village. Il est intéressant de noter que cette activité a été bien accueillie en partie parce que les femmes considèrent comme un "privilège" d'utiliser des crayons et du papier, ce qui est habituellement réservé aux "lettrés", dans ce cas particulier uniquement quelques hommes du village. Un des résultats intéressants de l'établissement de ces cartes est que les femmes, contrairement aux hommes du village ayant participé à des exercices similaires, incluent systématiquement les ressources naturelles dans la carte du village. Elles dessinent toujours les puits, les champs et les zones montagneuses, montrant ainsi l'importance qu'elles y attachent. Cela confirme que "les femmes ont une vue plus multidimensionnelle et multifonctionnelle de leur environnement que les autres membres de la société" (Dankleman, 1993), ce qui est très important pour l'aménagement durable des bassins versants.

L'autre outil d'évaluation qui a été adapté aux besoins des villageoises est le "calendrier des activités quotidiennes". Cet outil a servi à alimenter les débats sur la routine quotidienne des femmes et leurs activités saisonnières. Comme la réclusion des femmes dans l'enceinte de la famille est un signe de prospérité économique, les femmes n'aiment guère parler de leurs activités extérieures à la maison. Les villageoises avaient du mal à énumérer toutes leurs tâches, et les chefs de groupe ont eu l'idée d'illustrer par des dessins en couleurs ce que les paysannes brahouis peuvent faire pendant la journée. De fait, les femmes ont parlé plus aisément de leurs tâches quotidiennes devant ces images. Si les femmes évoquaient d'autres activités qui n'étaient pas représentées, le chef de groupe dessinait de nouvelles images.

Après avoir identifié leurs différentes tâches, les femmes ont dû calculer le temps qu'elles consacraient à chacune d'elles. Au départ, cette démarche a été difficile. Les femmes ne mesurent pas le temps en heures mais en comptant les différentes parties de la journée. Pour simplifier les choses, les chefs de groupe ont photocopié les images illustrant leurs activités en trois tailles différentes pour mieux comparer le temps consacré aux diverses activités. Cette évocation visuelle de leurs activités quotidiennes leur a permis de participer à cette évaluation, mais le passage de la couleur de l'image initiale au noir et blanc des photocopies les a fortement gênées pour l'interprétation et l'utilisation des dessins.

Illustration des activités quotidiennes utilisées par le projet

Dans leur évaluation rurale participative, les femmes de Noza ont défini comme besoin prioritaire le développement de l'infrastructure (hôpitaux, écoles, etc.) et non la conservation des ressources naturelles. Etant donné que les femmes sont responsables de nombreux travaux pénibles dans la maison et le village, et qu'elles sont exclues du processus de prise de décisions concernant les ressources naturelles, cela semble logique. Comme les paysannes du monde entier, elles veulent l'eau au village, des écoles, des dispensaires et plus d'argent dans le ménage. Mais un projet pilote de conservation et de mise en valeur des zones montagneuses ne peut justifier l'établissement de dispensaires ni d'écoles. Par contre, les activités rémunératrices contribuent à former les compétences, les organisations, etc. qui sont nécessaires à la gestion durable des ressources naturelles. C'est pourquoi les premières activités du projet ont été centrées sur la production de revenu.

TECHNIQUES PROMETTEUSES

Organisations de femmes

La stratégie du projet a consisté à organiser une série d'activités rémunératrices tout en cherchant, dans le respect des normes culturelles, le moyen d'associer les femmes à la gestion de l'environnement. Le personnel du projet a aidé les femmes à créer des organisations d'auto-assistance pour leur apprendre à tenir des réunions, à prendre des décisions de groupe et à gérer l'argent.

Les femmes doivent prendre confiance en elles-mêmes et apprendre à s'exprimer. Elles doivent être capables de parler d'un problème et d'accéder aux informations. Les organisations leur permettent de développer ces capacités et d'en acquérir d'autres.

Au départ, les femmes n'arrivaient pas à choisir ce qu'elles voulaient faire, car elles n'ont guère d'expérience des activités lucratives ni de la commercialisation. Après une étude de faisabilité sommaire, elles ont choisi d'élever des poules pour leurs œufs, d'engraisser des agneaux ou de faire de la couture. Une organisation de femmes a été constituée autour de ces activités. Dans chaque cas, l'activité est choisie par le groupe, et les décisions du groupe sont inscrites par le chef de groupe jusqu'à ce que l'on trouve un habitant du village qui soit capable de s'occuper de la documentation écrite pour l'organisation (souvent un mari ou un fils). Si le village est grand, deux ou trois organisations de femmes sont créées. On propose aux femmes de créer un programme d'épargne dans le cadre duquel chaque membre apporte sa contribution mensuelle à une cagnotte jusqu'à ce que le montant atteint permette d'ouvrir un compte en banque.

Le président, le vice-président et le trésorier sont élus par le groupe pour un mandat d'un an. Le groupe donne aussi un nom à l'organisation. A Noza, les femmes ont rivalisé pour trouver un nom de plante ou de fleur sauvage qui pousse dans la région, si bien que les organisations portent des noms comme Tulipe sauvage, Iris sauvage ou Fleur d'amandier sauvage.

Au départ, les chefs de groupe s'efforcent de tenir avec chaque organisation deux réunions mensuelles bien organisées et intéressantes. Les villageoises mettent souvent leurs plus beaux habits le jour de la réunion, ce qui prouve l'importance qu'elles y attachent. On fait l'appel pour souligner la nécessité d'une participation régulière et montrer que la présence de tous les membres est essentielle pour arriver à une décision par consensus. Les responsables de l'organisation apprennent à comptabiliser l'épargne mensuelle dans le livret de crédit des membres. Les réunions portent sur les activités rémunératrices, mais elles visent à former les femmes aux activités d'encadrement et de gestion pour qu'elles puissent plus tard gérer leur organisation de façon indépendante et jouer un rôle majeur dans l'aménagement des ressources naturelles.

Stages de formation

Toutes les activités du projet font l'objet de brefs stages de formation. Toutes les participantes sont invitées à y assister et, après quelques hésitations initiales, les femmes semblent apprécier tout particulièrement ces cours dont elles tirent un grand profit. Pour maximiser la participation, on recourt à des images, des débats de groupe et des démonstrations pratiques. Les enfants et les jeunes filles sont encouragés à participer aux côtés de leur mère.

Dans la mesure du possible, on s'est adressé à des vulgarisatrices et des formatrices originaires du district de Mastung, plutôt que des zones urbaines. Il est plus facile de trouver des femmes agents de vulgarisation sanitaire dans le district de Mastung. Les villageoises ont voulu, par exemple, construire des latrines à fosse, et le projet a contacté une visiteuse sanitaire qui est venue dispenser des notions d'hygiène de base; elle a utilisé du matériel de formation produit par l'UNICEF et adapté à la zone du projet. Mais toutes les vulgarisatrices ont dû recevoir un soutien financier du projet car elles considèrent que ce travail sort de leurs compétences habituelles au ministère. Un autre problème rencontré dans l'organisation des stages de formation tient à ce que la coutume oblige toutes les femmes à voyager en compagnie d'une autre femme. Par conséquent, comme un chef de groupe doit toujours accompagner l'agent de formation, le projet a dû louer un véhicule supplémentaire. De plus, le personnel du projet a dû préparer les stages de formation à l'élevage des volailles, la commercialisation des œufs et l'engraissage des agneaux car il n'y avait pas de vulgarisatrice possédant cette expérience. La création d'une organisation est un avantage; il est en effet plus facile de présenter le personnel des bureaux des gouvernements ou des ONG à des groupes de femmes qui sont déjà disposées à apprendre. Par exemple, des femmes d'un service de l'agriculture de Quetta, spécialistes de la fabrication des confitures qui n'étaient jamais venues sur le terrain auparavant, ont pu se rendre dans les organisations de plusieurs villages où les femmes étaient désireuses d'apprendre à utiliser l'excédent de fruits de leur verger.

En gagnant de la confiance en elles-mêmes, les femmes ont commencé à prendre des initiatives et à régler seules leurs problèmes. Les premières femmes qui ont élevé des poules pour leurs œufs, dans l'organisation Jasmine, craignaient que leurs poules ne se mélangent à celles des autres membres du groupe. Elles ont donc décidé de les teindre de couleurs vives: bleu cobalt, jaune ou pourpre.

Dessin utilisé pour promouvir l'élevage des volailles par les femmes

Voyages d'initiation

Dès le début du projet, on a organisé des excursions et des échanges. Les femmes rurales vivent souvent isolées, loin de toute source d'information. Ces voyages leur permettent de voir, d'apprendre et d'échanger des idées. Le projet loue une camionnette ou un bus uniquement pour ces femmes, et les chefs de groupe les accompagnent durant ces brèves excursions. Il leur faut l'autorisation de leur mari ou de leur famille pour pouvoir quitter le village. Au début, seules les femmes âgées étaient autorisées à participer aux excursions, mais, peu à peu, de plus en plus de femmes d'âges différents ont pu voyager.

La première excursion a amené 14 femmes venant de trois villages dans les parcelles de démonstration de cultures d'arroche (Atriplex sp.) de l'Institut de recherche sur les zones arides de Quetta. Au retour, une femme a convaincu les hommes de son village de leur donner une parcelle, qui a été plantée d'arroche en collaboration avec le Ministère de la foresterie. D'autres excursions ont été organisées à la célèbre foire annuelle du bétail de Sibi. Un jour, le bus loué est tombé en panne dans le col du Bolan et quelques femmes n'ont pu rentrer chez elles qu'après minuit. Malgré cela, elles ont été autorisées à participer aux excursions suivantes, ce qui montre bien le degré de confiance qui a été établi avec le personnel du projet. Une autre excursion a amené 35 femmes de six organisations de Noza à participer à la célébration de la Journée internationale des femmes le 8 mars 1995 à Quetta.

Des excursions ont aussi été organisées pour réunir les chefs des nouvelles organisations locales de femmes. Lors de ces visites, les femmes ont dû décrire leurs organisations et leurs activités à d'autres femmes qu'elles ne connaissaient pas. Cela leur apprend à faire un exposé concis et logique, à présenter leurs activités de façon cohérente et exhaustive, et à développer leurs capacités d'encadrement. Ainsi, récemment, Zer Bibi, vice-présidente de l'organisation Fleur d'amandier dans le village de Raza Mohammad, a rendu visite à la présidente d'une organisation, à Dasht, qui bénéficie de l'appui du Programme de soutien rural du Baloutchistan. Zer Bibi a dû expliquer comment l'organisation Fleur d'amandier fonctionne et décrire les principales activités entreprises par l'organisation dans le village.

A son tour, Zer Bibi, avec cette expérience, a servi d'exemple à d'autres responsables de groupes villageois qui se sont rendus à un congrès villageois pour les agriculteurs et leurs femmes organisé par le projet en 1995. Dix-neuf femmes venant de six villages y ont participé. Le premier congrès en 1993 n'avait réuni que cinq femmes d'un seul village. Zer Bibi a présenté son organisation, Fleur d'amandier, dans un exposé général à l'intention des chefs des organisations, et son exemple a incité d'autres femmes à intervenir elles aussi.

VERS LA CONSERVATION DES RESSOURCES NATURELLES

Les femmes et le personnel du projet s'efforcent par tous les moyens d'affronter le problème critique du bois de feu. Dans un village de la zone du projet, la femme du mollah possède un four solaire. Elle sait exactement combien de temps il faut pour faire bouillir l'eau, cuire la viande, le riz ou les lentilles et même le pain. Son mari ne l'autorise pas à sortir du village, mais il a permis au personnel du projet de faire venir d'autres femmes chez eux afin de leur expliquer les avantages du four solaire et la façon de s'en servir. Le fait que le personnel du projet puisse organiser une démonstration faite par une femme du village, sur le fonctionnement d'un four solaire qui permettra d'améliorer la conservation du bois de feu à Noza, à l'intention d'un groupe de femmes de la région, illustre les progrès réalisés en matière de participation des femmes au développement local et à la conservation des ressources naturelles. Un étudiant du Département brahoui de l'Université du Baloutchistan, qui a enregistré les remarques des villageoises lors du Congrès des agriculteurs de la zone du projet, le 14 juin 1995, écrit simplement ceci: "C'est la première fois que j'ai vu ces femmes hors du village. Noza est une région retardée où les femmes observent le purdah, mais j'ai vu toutes ces femmes parler à cœur ouvert et participer au développement de leur région" (Niaz, 1995).

Le mollah montre le four solaire de sa femme

Le projet a commencé à associer les villageoises à la planification et à l'exécution des programmes de plantation d'arbres dans les villages, même si en fait les arbres sont plantés par les enfants pour éviter de contrevenir aux tabous sociaux. Pendant ce temps, les villageois plantent des arbres le long des canaux et dans certaines zones montagneuses. Dans trois villages, le projet est parvenu à persuader un homme d'autoriser sa femme à mener des démonstrations avec des pommiers nains dans leur jardin, ce qui est un résultat appréciable. Une des femmes a planté des légumes entre les rangées d'arbres, permettant ainsi de multiplier la portée de la démonstration.

Pommiers nains plantés dans des pâturages..

...et dans un jardin en alternance avec des légumes

PERSPECTIVES D'AVENIR

Récemment, les stratégies du projet ont été ajustées. Comme de nouveaux villages se sont associés au projet, on a dressé une carte représentant la manière dont les villageois souhaitent régénérer les terres ou les zones montagneuses, avec l'assistance du Département de la foresterie. On a demandé aux villageoises de choisir les buissons qu'elles voudraient pour le bois de feu et les plantes médicinales qu'elles souhaiteraient cultiver en montagne. Les conversations ont été enregistrées sur magnétophone pour que les connaissances locales sur les plantes médicinales puissent être divulguées à tous les autres villages, mais certaines femmes ont refusé que leur voix soit enregistrée. Le Département de la foresterie a accepté de soutenir un programme de semences. Les femmes recueillent les semences des plantes médicinales les plus recherchées et les vendent au Département de la foresterie pour qu'il les plante en zone montagneuse. Ce programme nécessite une étroite collaboration entre les hommes et les femmes des équipes de terrain et entre les villageois et les villageoises. Pour renforcer cette collaboration, le personnel du projet se propose d'organiser plus tard des cours de "sensibilisation au rôle spécifique des hommes et des femmes", dans les villages, avec l'aide de la Fondation Aurat (ONG locale qui vise à accroître le pouvoir des femmes au Pakistan).

Ce projet a prouvé qu'il était possible d'inclure des femmes qui sont peu libres de leurs mouvements et n'ont aucun pouvoir de décision à des programmes de foresterie sociale et de conservation des ressources naturelles; il a montré qu'il était nécessaire et possible d'adapter ces programmes aux mœurs locales. Au Baloutchistan, le processus a été lent. Les femmes doivent d'abord prendre confiance en elles en travaillant au sein d'un groupe; elles doivent être formées à l'encadrement et à la gestion et acquérir un niveau d'alphabétisation fonctionnelle. Il faut leur apprendre à gérer l'argent et les comptes bancaires. Quand elles sont ainsi organisées, les vulgarisatrices peuvent les aider à développer leurs compétences.

Le Département de la foresterie du Baloutchistan semble satisfait de la participation des femmes au projet de développement et de conservation des zones montagneuses, mais pour soutenir ce type d'action, il faut que le Département crée des postes permanents pour renforcer la participation des femmes à la foresterie sociale et à la gestion de l'environnement. Il n'est pas aisé de convaincre les responsables et les départements financiers provinciaux de créer de nouveaux postes pour les femmes dans le domaine de la vulgarisation. On suggère que le Département de la foresterie autorise les chefs de groupe, qui sont sur le point d'obtenir des diplômes, à présenter leur candidature aux postes d'"agents de vulgarisation en foresterie sociale".

Bien entendu, l'expérience d'un seul projet ne peut à elle seule ouvrir la voie à une participation et à une intégration idéales des femmes dans la gestion des forêts et des bassins versants. Toutefois, le projet pilote du Baloutchistan a prouvé que des progrès, même fragiles, peuvent être obtenus dans des conditions particulièrement difficiles. Il est utile de tirer les enseignements de ces récents efforts d'intégration des femmes à l'aménagement des ressources naturelles:

En résumé, les voies de la vulgarisation pour les femmes dans cette situation diffèrent de celles adoptées pour les hommes. Pour ces derniers, la mobilité, le contrôle des moyens de production, l'éducation et le degré général de confiance autorisent une approche davantage basée sur le transfert de technologie. Tant que les femmes n'auront pas acquis tout cela, en partie par les efforts de vulgarisation de groupe, le transfert de technologie sera impossible. Les petits progrès doivent être consolidés pour que ce qui était impensable il y a quelques années devienne non seulement envisageable et faisable, mais ordinaire. Il faut adopter une approche respectueuse des normes culturelles et de tous les membres de la société.

Bibliographie

Dankelman, I. 1993. Women, children and environment. In F.C. Steady, éd. Women and children first. Environment, poverty and sustainable development. Vermont, Etats-Unis, Schenkman Books.

Del Nevo, M. 1992. Planting the first seed. Aurat (numéro spécial), Rural women in Pakistan. Lahore, Pakistan.

FAO. 1993. Rapport de consultant no 4. Baloutchistan, Pakistan, Projet interrégional pour la conservation et la mise en valeur participatives des zones montagneuses, GCP/INT/542/ITA.

Niaz, S. 1995. Women's voices. Rapport de Shamshad Niaz, Département brahoui, Université du Baloutchistan, Pakistan. (Inédit)

Shirkat Gah. 1994. Training of women community organizers. Rapport fondé sur les expériences de Shirkat Gah. Préparé par A. Syed, R. Naz, S. Bashir, S. Masooma Kazmi, N. Fernandes et Z. Kamal. Province de Sindh, Pakistan.


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