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La résolution des conflits d'intérêt dans le secteur forestier - Concepts nouveaux issus du pluralisme

J. Anderson, J. Clément et L.V Crowder

Jon Anderson est forestier (vulgarisation) à la Division des ressources forestières, Département des forêts. FAO, Rome.

Jean Clément est Directeur de la Division des ressources forestières, Département des forêts, FAO, Rome.

Loy Van Crowder est fonctionnaire principal (communication pour le développement) à la Division de la vulgarisation de la recherche et de la formation. Département du développement durable, FAO Rome.

Utiliser le pluralisme pour mieux comprendre le dynamisme du développement rural et forestier durable.

Regroupés à l'origine sous une unique autorité technique (tout en admettant parfois l'existence de «partenaires»), le développement rural et forestier est en évolution vers des valeurs et des objectifs qui se révèlent «multiples, conditionnels, incompatibles et incommensurables» (Daniels et Walker, 1997) (voir exemples dans l'encadré).

Qu'est-ce que le pluralisme?

Le pluralisme a des racines philosophiques et politiques solidement ancrées, même si le terme est assez récent (Clément, 1997). En tant que concept, le pluralisme reconnaît l'existence inéluctable de positions divergentes, souvent antagoniques, sur une question de fond allant de la politique à la gestion des écosystèmes (Rescher, 1993; Clément, 1997). Le pluralisme décrit des situations dans lesquelles des groupes distincts sont activement autonomes et indépendants, mais souvent interdépendants, avec leurs propres revendications et prises de position légitimes et différentes sur des questions de fond déterminantes. Ces différences se fondent sur des valeurs, des perceptions, des objectifs et des connaissances distincts. Le pluralisme désigne l'interaction dynamique entre les différentes idéologies, organisations et intérêts. Si on l'applique de façon théorique à la foresterie et au développement rural, le pluralisme peut aider à mieux appréhender certaines situations organisationnelles et à améliorer l'évaluation et l'utilisation des techniques et des méthodes appliquées à l'aménagement durable des forêts.

Changement des valeurs et objectifs dans le développement forestier

· En dépit de procédures et de démarches intégrées de consultation populaire. la plupart des plans de gestion élaborés par le Service forestier des Etats-Unis pour le Système forestier national sont contestés auprès des tribunaux par de nombreux groupements de citoyens et ONG (Daniels et Walker, 1997)

· En Afrique, un nombre croissant d'études révèle que le personnel des services forestiers et les groupes locaux ont des perceptions, des valeurs et des objectifs radicalement différents en matière d'aménagement forestier (Sulieman, 1996; Sow et Anderson, 1996; Weirsum, 1997), et qu'une gestion exclusive par un seul organisme (que ce soit le service forestier national ou la communauté locale) n'est guère parvenue à un aménagement durable (Dubois, 1997; Vira, 1997; Babin, Bertrand et Antona, 1997).

· En Europe centrale et orientale, l'image du «forestier» dans la région a évolué: elle est passée de celle d'un «représentant tout-puissant du gouvernement donnant des ordres» à celle d'un fonctionnaire professionnel harcelé de toutes parts par les requêtes concurrentes émanant des propriétaires privés, des partis politiques, des autorités, du gouvernement local, des ONG, etc. (Begus et Veselic, 1997).

· En Inde, l'industrie forestière envisageant de créer des plantations pour satisfaire la demande croissante de bois industriel s'est heurtée à la résistance des ONG et des communautés locales. Un comité autonome spécial a été mis en place sous l'autorité d'un ancien directeur du Service forestier pour examiner les problèmes antagoniques des villageois, des ONG et de l'industrie forestière. Une question fondamentale qui se pose est de savoir comment créer et administrer une «plate-forme» ou un organe de négociations pour des parties multiples (Mukerij, 1997).

· Des ONG nationales et internationales prennent en charge la gestion de certaines ressources naturelles, telles que les parcs et les aires protégées. Certaines ONG internationales ont pris des mesures concrètes pour ne pas se contenter d'influencer la politique forestière mondiale mais aussi de la formuler; on peut citer, par exemple, le programme WWF/UICN Forêts pour la vie ciblé sur les zones protégées et la certification indépendante (WWF International et UICN, 1998).

Participants à l'atelier FAO sur le pluralisme et la foresterie durable pour le développement rural, décembre 1997

La foresterie et le développement rural sont de plus en plus caractérisés par différents types d'organisations et de groupements qui, bien que s'intéressant aux mêmes ressources, agissent souvent de manière autonome et ont des perceptions, valeurs, objectifs ainsi que des systèmes de connaissances différents, voire parfois divergents. En outre, ces groupes prétendent tous avoir un rôle légitime dans les processus décisionnels concernant la gestion des ressources naturelles. Ces différences semblent désarmer toutes les tentatives traditionnelles visant à dégager un consensus et un accord.

Le pluralisme est parfois considéré comme synonyme de diversité, ou encore de pluralité. L'existence de nombreuses organisations dans les activités de vulgarisation rurale ou forestière ne correspond pas forcément à une situation pluraliste car ces groupes peuvent en réalité ne pas être indépendants et autonomes.

Il peut s'avérer utile de considérer le pluralisme en opposition à deux autres doctrines apparemment opposées. L'une part du principe qu'il n'y a qu'un seul et unique système rationnel et acceptable de foresterie et de développement rural durables. C'est l'hypothèse qui se cache derrière «l'autorité experte», telle que le service forestier national, qui impose sa propre conception de gestion des ressources naturelles. L'autre postulat soutient que toutes les valeurs sont fondées sur les circonstances, qu'elles sont définies en fonction du contexte, et construites par la société. Par conséquent, dans une situation donnée, une valeur ou un système de valeurs particulier peut avoir la priorité sur d'autres. Les deux doctrines sont critiquables en ce sens qu'elles n'offrent pas des cadres opérationnels ou analytiques entièrement satisfaisants; la première, parce qu'elle est trop dogmatique et ne peut aisément être adaptée à un vaste éventail d'opinions et de préférences; la seconde, parce qu'elle ne fournit aucun critère d'évaluation et risque, de ce fait, l'anarchie (Daniels et Walker, 1997). Le pluralisme, en revanche, reconnaît n'y a aucune solution technique absolue et unique au problème de la gestion des ressources naturelles et qu'il existe une multitude de valeurs et d'objectifs, mais qu'il faut tout de même une comptabilité. Il rejette également l'idée que les divergences d'opinion sont toujours et exclusivement le fruit de l'ignorance et d'intérêts particuliers.

Le pluralisme dans le cadre de la foresterie et du développement rural

Plusieurs raisons justifient la prise en compte du pluralisme dans le cadre de la foresterie et du développement rural durables. En premier lieu, de nouveaux groupes et de nouveaux organes de discussion sont nés ou font l'objet d'une meilleure visibilité. Le monde entier prend davantage conscience du rôle des grands groupes s'occupant de développement durable, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), qui s'est tenue en 1992, en étant probablement l'exemple le plus patent et le plus récent, même si elle a davantage décrit des catégories d'acteurs plutôt que reconnu la dynamique des groupes autonomes et indépendants et l'évolution des processus décisionnels. Certains groupes exercent leur droit de préemption sur des rôles habituellement confiés aux gouvernements. Les ONG influencent voire élaborent - des politiques internationales et nationales et administrent des systèmes de ressources naturelles (par exemple les parcs) dans certains pays. Les Programmes forestiers nationaux et le Forum intergouvernemental sur les forêts sont des exemples de plates-formes déjà existantes ou naissantes impliquant de multiples parties intéressées à la gestion des ressources naturelles.

Un certain nombre de tendances politiques, sociales et économiques sont en train de renforcer l'avènement d'acteurs et de groupements autonomes et partant. de stimuler l'intérêt dans les démarches pluralistes et la connaissance de l'aménagement des ressources naturelles.

Chargement de bois d'œuvre industriel dans le cadre d'un projet de la FAO au Pérou, visant à améliorer les moyens de subsistance des populations locales

Evolution des régimes de propriété de la forêt/base de ressources naturelles. Les régimes de propriété forestière sont en pleine transformation dans certaines régions notamment l'Europe centrale et orientale. la Communauté des états indépendants (CEI) et certaines parties de l'Asie - passant d'un unique propriétaire (l'Etat, avec des objectifs relativement uniformes) à un véritable morcellement entre des centaines de milliers de petits propriétaires ayant des objectifs différents. En Europe centrale et orientale, il y a plus d'un million de nouveaux propriétaires de forêts depuis 1990 (FAO. 1997). Dans de nombreux cas ceux-ci s'organisent en groupements et associations indépendants.

Décentralisation. On note l'émergence d'un nombre croissant de pouvoirs locaux politiques et administratifs moins assujettis à l'autorité centrale. dont les résultats sont mitigés. Par exemple, en Bolivie grâce à de récentes réformes législatives, les municipalités jouent désormais un rôle décisionnel beaucoup plus important pour ce qui est de l'utilisation des ressources financières produites à l'échelon local, ce qui a un effet direct sur l'aménagement durable des forêts (Kaimowitz, 1997). En Inde en revanche, la décentralisation semble avoir fait naître une rivalité entre les secteurs gouvernementaux (technique et administratif) se disputant l'autorité d'accorder «des forêts communautaires», créant un climat de confusion (voire de conflit).

Démocratisation et multipartisme. Le déclin des Etats à économie planifiée et à parti unique fait la place à une multitude de partis politiques poursuivant des politiques et des objectifs divers - parfois très concernés par les problèmes d'environnement.

Réduction et transfert des responsabilités. Les gouvernements du monde entier sont incités pour des raisons financières à diminuer leur part de responsabilités et à ne conserver le contrôle que sur les fonctions de base telles que l'élaboration des politiques. la planification, la législation, l'application effective des lois et le suivi. D'où la délégation des autres fonctions aux organisations non gouvernementales aux organismes du secteur privé etc.

Transitions démographiques. Du fait de l'urbanisation croissante dans le monde entier et du transfert des offres d'emplois des zones rurales vers le secteur urbain parallèle, on assiste à une évolution des perceptions des intérêts et des objectifs de gestion forestière.

Séparation des fonctions. La difficulté pour une institution unique de gestion des ressources naturelles de faire concorder et d'unifier les contradictions apparentes entre les différentes fonctions (par exemple conservation et production, ou exécution et suivi), ainsi que les incohérences naissant du fait qu'une organisation est à la fois «juge» et «juré» a porté, dans certains cas, à la séparation des fonctions par réforme institutionnelle et au morcellement des organisations.

FIGURE: Les divers produits et services fournis par l'écosystème forestier sont la source de conflits entre les utilisateurs et les groupes d'intérêts

L'étude de l'éventuelle contribution du pluralisme à la gestion des ressources naturelles s'explique aussi par le mécontentement issu de l'état actuel des choses. La gestion exclusive d'«organismes uniques», qu'il s'agisse du gouvernement, du secteur privé, d'une ONG ou d'une communauté locale, s'est révélée souvent inadéquate:

· Le contrôle du gouvernement sur les ressources forestières, dans de nombreux cas, ne s'est pas traduit par un aménagement durable, comme le montrent les forêts classées d'Afrique qui n'existent que sur le papier

· Les domaines et concessions forestiers privés ont parfois été endommagés ou mal gérés, sacrifiant la viabilité aux profits à court terme;

· Les ONG directement impliquées dans les systèmes de gestion des ressources naturelles, en particulier dans la gestion des parcs et des aires protégées, se sont retrouvées en conflit à la fois avec les intérêts locaux divergents et les gouvernements;

Le transfert de la gestion forestière aux organisations de ruraux et aux communautés locales a souvent été entravé et n'a pas toujours été couronné de succès.

«Même lorsque leur rôle est renforcé, les organisations communautaires rencontrent encore des difficultés liées à la structure juridique, aux administrations locales et régionales, au manque d'outils technologiques et à la pénurie de capitaux et aux intérêts locaux ne se rapportant pas à la communauté» (IRG, 1997).

L'hétérogénéité des communautés et l'importance des liens entre les villages sont souvent négligées. La gestion par des groupements locaux ne bénéficiant d'aucun soutien d'autres organisations ne peut, en soi, garantir un aménagement durable.

Participation et pluralisme

Les gouvernements (ou tout autre organe unique dominant) tentent souvent de faire participer d'autres groupes à la gestion des ressources naturelles et d'introduire des processus participatifs, en particulier face à la pression politique et sociale, aux mesures d'austérité, à la décentralisation et à la privatisation, et, parfois, en reconnaissant les échecs passés et les exemples de gestion participative réussie par d'autres organisations. Toutefois, le succès de certaines «approches participatives» a été limité et sporadique. Un exemple des Etats-Unis atteste l'échec de certains processus de participation/consultation du public:

«Les mécanismes de participation du public adoptés par le Service forestier n'ont guère modifié la relation de base entre l'organisme et les électeurs... Le conflit permanent entre le Service forestier et les électeurs au sujet de la gestion des forêts nationales donne à penser que ces mécanismes publics ne sont pas efficaces... Il faut un changement de méthode plus radical - une nouvelle forme politique permettant à la gestion forestière de devenir véritable ment participative... L'échec de cette démarche est dû à l'adoption par le Service forestier d'une relation de "technocratie bénévole" avec les communautés locales, par laquelle il s'efforce d'administrer les forêts et le développe ment forestier en leur nom plutôt qu'en créant ensemble des associations efficaces et responsables» (Henderson et Krahl, 1996).

Certaines critiques d'exemples de Gestion commune des forêts en Inde suggèrent que les organisations ou comités locaux ne sont souvent guère plus qu'un mandataire pour le Service forestier, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas autonomes ni indépendants, et que le Service forestier continue à contrôler des aspects comme la distribution des avantages (Hildyard et al., 1997). Des contradictions naissent également lorsque les gouvernements essaient de créer ou de renforcer de nouveaux partenariats par le biais de la formation technique, comme pour la constitution de pépinières, ce qui se traduit encore une fois par des mandataires servant à satisfaire les objectifs du gouvernement, et non pas par une responsabilisation ou un «nivellement du terrain».

Même lorsqu'il existe une véritable volonté de participation, une simple association entre le gouvernement et les communautés locales peut ne pas suffire à assurer un aménagement des forêts et un développement rural durables. Il faut souvent un ensemble d'organisations, sans qu'aucun organisme ou groupe unique ne contrôle tous les aspects du régime de gestion des ressources naturelles. Par exemple, une analyse a indiqué la nécessité d'au moins trois types d'organisations services gouvernementaux, groupes et communautés locales et un intermédiaire, souvent une ONG - dans le processus de développement (Roling, 1988).

Existe-t-il la possibilité, voire la nécessité, d'un consensus?

La logique du pluralisme, appliquée à la gestion des ressources naturelles, laisse penser que le consensus sur les questions de fond, telles que la gestion des ressources naturelles pour le développement rural, est hautement improbable ou, au mieux, partiel et temporaire. Certaines tentatives visant à dégager un consensus obtiennent l'effet opposé et renversent le processus de participation. Dans certains cas, les services forestiers gouvernementaux ont formé des comités forestiers de village qui ne sont ni indépendants ni autonomes guère plus que des manifestations locales de l'Etat. Le «consensus» est obtenu par l'imposition de la manière de voir le service forestier comme une sorte d'«harmonie coercitive» (Hildyard et al., 1997.).

D'autres manières de voir et d'aborder la participation semblent rechercher un consensus au travers d'outsiders, dont l'identité est absorbée par des structures et des priorités internes. Il apparaît un consensus du type «le groupe local a toujours raison». Les outsiders recherchent le consensus en s'efforçant de devenir des initiés.

Ces deux formes de consensus, et peut-être même le consensus d'une façon générale, devraient être considérées avec scepticisme. Toutefois, ce progrès peut être atteint sans consensus. Les opinions, valeurs, perceptions et objectifs ont toutes les chances d'être différents - et de le rester mais ce n'est pas une barrière insurmontable à la communication, à la négociation et à la définition de normes et à la mise en place d'une comptabilité (Rescher, 1993). Des techniques de gestion dans un contexte pluraliste ont été mises au point en s'efforçant de respecter l'identité et les objectifs de chaque groupe, et en mettant moins l'accent sur le consensus.

L'application du concept de pluralisme

Une approche pluraliste à une question complexe de gestion des ressources naturelles n'appliquerait pas de façon restrictive des méthodes scientifiques jusqu'à ce qu'elle obtienne «la bonne réponse»; elle ne céderait pas non plus aux conflits d'intérêts particuliers ou aux revendications politiques en partant du principe que «tout ce que les groupes décident va bien». Elle considérerait plutôt les valeurs et intérêts conflictuels comme une manière d'étendre l'éventail des possibilités pour la gestion des ressources naturelles. Dans ce domaine, le milieu naturel a également des limites qui déterminent ce qui est possible et ce qui ne l'est pas (Binkley, 1996). Toutefois, les notions de limites dépendent de quelles caractéristiques de l'environnement sont jugées importantes ou des modèles disciplinaires que l'on construit. Il est donc possible (et même fortement probable) que les idées seront divergentes sur la définition des problèmes et des seuils de ressources qui constituent des obstacles.

D'autres concepts fondamentaux du pluralisme appliqué à la gestion des ressources naturelles sont les suivants:

· Il n'existe aucune solution unique, absolue, universelle et permanente à un problème fondamental de ressources naturelles. Pour toute parcelle donnée, il n'existe pas de scénario unique et absolu d'aménagement/d'utilisation des terres durable. Les «scénarios viables» sont innombrables, voire infinis. «S'il est vrai que les lois physiques mettent des limites à la construction sociale de la nature, elles ne nous astreignent pas à une seule perspective objectivement connaissable. Il existe de nombreuses options d'aménagement compatibles avec les constatations scientifiques disponibles» (Binkley, 1996).

· La séparation des pouvoirs, et des systèmes d'équilibre des pouvoirs sont nécessaires afin d'éviter les dysfonctionnements et les abus de monopole. Lorsque plusieurs organisations autonomes et indépendantes sont concernées, les fautes et les erreurs commises par l'une d'entre elles sont plus faciles à déceler et à corriger. Le pluralisme accepte le «conflit modéré» ou le «désaccord contenu» comme des facteurs non seulement inéluctables mais potentiellement utiles (Lee, 1993; Rescher, 1993). Le conflit naît de la pluralité des valeurs (qui peuvent être conflictuelles), de la multiplicité des parties (dont les volontés ne peuvent être satisfaites toutes en même temps), et des frontières du monde naturel (qui fixe les limites à ce qui est réalisable). Les seuls moyens d'éliminer le conflit seraient de: i) soit confluer vers un credo social et un but politique uniques axés sur la nature, la consommation, la population et la durabilité; ii) soit trouver une quantité infinie de ressources naturelles pour effacer les limites du monde naturel. Comme aucune de ces deux solutions n'est réalisable, il faut dessiner un cadre opérationnel différent. L'enjeu consiste donc à travailler avec de multiples perspectives et possibilités, sans chercher à s'y dérober ni à céder à l'une d'entre elles (Vira, 1997).

· Nous sommes encore loin de l'équité entre les groupes en matière de pouvoir décisionnel, mais nous ne devons pas abandonner les efforts pour autant, ni abaisser notre échelle des valeurs.

· Les conflits sont inévitables et ne peuvent être résolus de façon permanente. Au mieux, ils peuvent être temporairement maîtrisés. S'il est possible de résoudre des conflits spécifiques, les situations d'aménagement des ressources naturelles et de développement rural sont souvent caractérisées par une interaction complexe entre des aspects sociaux, politiques, culturels, économiques et scientifiques, et les solutions devront être continuellement révisées pour s'adapter aux circonstances. La tâche qui s'impose dans une optique pluraliste est donc d'administrer les situations de conflits plutôt que de tenter de les résoudre. En effet, nombre de situations complexes impliquant les ressources naturelles peuvent être gérées de façon positive, afin que les conflits qui peuvent surgir à leur égard ne deviennent pas destructeurs, mais se transforment en un processus constructif (Vira, 1997). Toutefois, la gestion des conflits est une démarche partielle car elle traite les problèmes à mesure qu'ils se présentent et est essentiellement réactive. Il est difficile d'effectuer une planification des ressources naturelles et de mettre en place des systèmes d'aménagement en présence de conflits ouverts.

Concepts clés du pluralisme en matière de foresterie et de développement rural durables

· Des groupes différents ont et auront toujours des expériences, des positions, des opinions et des objectifs différents sur l'aménagement forestier et le développement rural durables.

· Les groupes sont autonomes et indépendants; il n'existe aucune solution unique, absolue, universelle et permanente aux problèmes de fond de gestion des ressources naturelles - à toute parcelle donnée, il ne correspond aucun scénario durable, unique et absolu d'aménagement et d'utilisation des terres, mais en revanche une multitude de «scénarios viables».

· Aucun groupe/organisation ne peut revendiquer un scénario supérieur ou absolu.

· Les décisions en matière de foresterie et de développement rural durables ne sont plus limitées uniquement aux services autorisés.

· Un système de mécanisme d'équilibre organisationnel est fondamental pour éviter les erreurs d'un système de gestion par un seul organisme - ce sont là les aspects positifs d'un «conflit modéré».

· Les conflits sont inévitables; ils ne peuvent être résolus mais gérés.

· L'équité décisionnelle est un idéal encore lointain mais méritoire.

· Plates-formes, médiateurs et animateurs sont souvent nécessaires pour fournir les conditions de négociation et de coopération indispensables à l'aménagement durable des forêts.

· La communication est essentielle et aide les participants à mieux comprendre leurs différences.

· Le consensus est improbable mais n'est pas indispensable pour progresser.

· Les démarches de gestion durable des forêts visant à dégager un consensus sont irréfléchies et insoutenables à terme.

· Des démarches dynamiques et de nouveaux processus décisionnels en matière de gestion durable des forêts dans des contextes pluralistes sont en train d'émerger, mais il faut acquérir davantage d'expérience.

Étapes suivantes - comment affronter activement le pluralisme?

Une structure organisationnelle de plus en plus complexe avec des partenaires plus autonomes et interdépendants implique qu'il existe déjà un certain degré de pluralisme. Le pluralisme exprime une réalité à laquelle nous sommes de plus en plus confrontés aux niveaux local, national et international Autrement dit, «le pluralisme peut être compliqué, mais il nous aide à nous rapprocher de la réalité du terrain» (Garces, communication personnelle, 1997). Cela a de vastes répercussions en matière de politique, de gestion, de méthodes et de techniques de foresterie et de développement rural durables. La reconnaissance du pluralisme implique la conception de moyens d'y donner suite afin que différents groupes puissent collaborer et créer des cadres institutionnels dynamiques pour la foresterie durable.

La reconnaissance de l'existence du pluralisme n'est pas synonyme de promotion du pluralisme. On pourrait d'ailleurs se demander s'il est juste de le promouvoir. Dans nombre de cas, il semble que le pluralisme mérite d'être défendu dans le cadre du système de gestion des ressources naturelles. Il reste beaucoup à faire pour perfectionner et mettre en oeuvre des méthodes actives de foresterie et de développement rural durables dans des contextes pluralistes. Il importe d'améliorer ces méthodes car certaines tendances actuelles auront «vraisemblablement des effets contradictoires sur la viabilité des ressources forestières: en offrant parfois aux communautés locales les outils nécessaires pour protéger leurs ressources ou, en d'autres occasions, en responsabilisant les groupes participant à des activités qui endommagent la forêt» (Kaimowitz, 1997).

Conclusion

Cet article a analysé le pluralisme, les raisons pour lesquelles il peut être important, les façons dont il peut servir à mieux comprendre la dynamique de la foresterie et du développement rural durables, et les outils pratiques existant particulièrement adaptés à affronter le nombre apparemment croissant de situations pluralistes. L'encadré présente un bref résumé de divers aspects importants du pluralisme dans le domaine de la foresterie et du développement rural durables.

Reconnaître activement le pluralisme et me et son potentiel requiert prudence et circonspection - il serait peu prudent de promouvoir le pluralisme simplement pour le plaisir de le faire. Il faut effectuer une évaluation attentive des situations (dimensions tant humaines que biophysiques) afin d'établir si une meilleure connaissance de la dynamique pluraliste et l'application d'instruments appropriés pourraient améliorer la situation; et si, à longue échéance, un cadre pluraliste serait plus durable.

D'un point de vue institutionnel, la promotion du pluralisme dans le domaine de la foresterie et du développement rural ne peut passer uniquement par la décentralisation, la privatisation, la participation ou d'autres méthodes à l'ordre du jour en matière de développement. Les solutions requises sont d'une nature plus subtile et plus complexe. Il existe de nombreux exemples d'expériences réussies dont on peut s'inspirer- marchés ruraux de bois de feu, contrats de gestion des ressources, chartes territoriales, codes de conduite en utilisant divers mécanismes organisationnels.

La question fondamentale qui se pose est de savoir si le pluralisme a une signification concrète pour la foresterie et le développement rural durables, et s'il peut offrir des outils et des méthodes pratiques à la foresterie et au développement rural durables.

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