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RERCHERCHE ÉCOLOGIQUE EN VUE D'UNE EXPLOITATION DURABLE DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX (PFNL): GÉNÉRALITÉS2

Charles M. Peters

Résumé

Les arbres tropicaux ainsi que les forêts tropicales présentent plusieurs caractéristiques écologiques faisant de l'exploitation des produits forestiers non ligneux (PFNL) une entreprise plus difficile qu'il n'y paraît. Les forêts tropicales se caractérisent par leur grande biodiversité, une faible densité d'individus de la même espèce, le recours à des vecteurs animaux pour la pollinisation et la dissémination des graines, un taux de mortalité élevé, un taux de régénération réduit durant le stade de semis et la sensibilité de la structure de la population aux variations du taux de régénération naturelle. Si on sous-estime ces contraintes écologiques, on risque la surexploitation, la dégradation des ressources et la disparition progressive d'une espèce de la forêt.

Au niveau le plus élémentaire, la mise en place de systèmes d'exploitation durable nécessite deux données écologiques principales: d'une part, il est important de connaître la densité et la structure par classe de taille des populations de plantes produisant les PFNL (le stock des ressources) et d'autre part la quantité de ressources produites, par rapport à la demande, par ces populations pendant une période donnée (le rendement). La première série de données peut être rassemblée grâce à un inventaire forestier systématique, alors que la deuxième série nécessite des observations régulières de la croissance et de la productivité de sous-échantillons composés d'individus marqués de taille différente. On peut se baser sur le lien entre le stock de ressources et le rendement pour évaluer le niveau d'exploitation durable de nombreuses espèces de PFNL. Afin d'assurer un rythme d'exploitation qui soit soutenable, il faut contrôler le nombre de semis et de jeunes plants de manière continue et adapter les niveaux d'exploitation de manière à permettre le renouvellement des populations. Ces activités de collecte des données et de surveillance gagnent en efficacité lorsqu'elles sont menées par des communautés locales ayant bénéficié d'une formation adéquate.

Mots clés: impacts écologiques, aménagement forestier, produits forestiers non ligneux, durabilité

1. Introduction

Cet article contient les observations que j'ai rassemblées en me basant sur mon expérience en tant que botaniste et après avoir étudié pendant près de vingt ans l'écologie, l'utilisation et la gestion des produits forestiers non ligneux (PFNL) en zone tropicale. En fait, lorsque j'ai commencé à étudier ces ressources végétales, on les considérait encore comme des produits forestiers «mineurs» et peu dignes d'intérêt. Or la situation a radicalement changé depuis quelques années. Aujourd'hui le marché des PFNL est fort développé et de nombreux efforts sont entrepris pour promouvoir l'exploitation de ces ressources de grande valeur et très médiatisées. Leur potentiel économique attire de plus en plus l'attention: on s'efforce de développer le marché pour certains produits, de transformer les produits localement, d'utiliser des stratégies de transformation locale et de valorisation des produits, et de garantir une redistribution plus équitable des revenus. Mais des enjeux sociaux tels que la garantie des baux fonciers ou les droits d'usufruit destinés aux cueilleurs jouent également un rôle important. Dans un tel contexte, il est, d'une certaine manière, étonnant que les facteurs écologiques liés à l'exploitation des PFNL n'aient été que rarement évoqués. Pour pouvoir obtenir des revenus réguliers sur une période à partir de l'exploitation d'une parcelle forestière, il s'agit bien entendu de conserver les ressources qui génèrent ces revenus. Lorsque les ressources sont endommagées suite à une surexploitation, à des méthodes de récolte destructives ou à une mauvaise gestion, il est inutile de créer de nouveaux marchés et des industries artisanales ou de changer le régime foncier. A long terme, ce sont sans doute les facteurs écologiques qui sont à la base de la durabilité.

L'objectif de cet article est triple:

· Remettre en question l'opinion courante selon laquelle l'exploitation commerciale des PFNL a un impact minime sur les ressources des forêts tropicales;

En raison de mes expériences passées et de mon domaine d'intérêt, le débat portera surtout sur la gestion participative des PFNL par les communautés locales. Dans le cadre de cette étude, on définit un système d'exploitation des PFNL durable comme un système dans lequel les ressources forestières telles que les fruits, les noix, le latex et autres ressources non ligneuses peuvent être exploitées indéfiniment dans une portion limitée de la forêt, sans affecter de manière significative la structure et la dynamique des espèces exploitées.

2. Les impacts écologiques de l'utilisation forestière: un mythe

Les civilisations humaines ont développé une multiplicité de manières d'exploiter la végétation forestière. Chaque type d'exploitation de la terre entraîne une série de coûts écologiques. Peut-être la méthode la plus intensive et la plus coûteuse en terme écologique consiste à déboiser la forêt, la brûler et planter de nouvelles espèces sur le site (arbres de bois d'œuvre, cultures agricoles, herbes de pâturage). Dans ce cas, les conséquences écologiques sont immédiates, très visibles et souvent extrêmement graves. D'après certaines recherches en cours, les conséquences les plus importantes de cette «conversion» des forêts tropicales sont :

· La réduction de la biomasse et de la diversité des espèces;

Pour donner une idée de l'ampleur de ces conséquences, il suffit de rappeler que dans la région amazonienne au Brésil, une zone d'un hectare de forêt primaire peut contenir plus de 200 espèces (> 10 cm de diamètre) et a une biomasse d'environ 300 tonnes/hectare au dessus du sol (Brown et al., 1995). En abattant et en brûlant les arbres, on détruit une grande partie de la biodiversité et on déverse dans l'atmosphère près de 150 tonnes de carbone par hectare sous la forme de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre (Keller et al., 1991). La suppression de la couverture forestière risque d'accroître le ruissellement, l'érosion du sol et la perte d'éléments nutritifs, de réduire l'évapotranspiration et la productivité de l'ensemble de l'écosystème (Jordan, 1987), voire de provoquer une modification locale du climat, suite à une réflexion plus forte de la radiation solaire (Skula et al., 1990). Le site se caractériserait alors par des souches, des troncs calcinés et, selon la topographie du site, par un réseau croissant de ravines d'érosion. Même l'observateur le plus distrait serait en mesure de constater l'ampleur du désastre écologique qui aurait eu lieu sur le site.

Un autre type d'exploitation forestière consiste à abattre de manière sélective les arbres produisant le bois d'œuvre. Bien qu'il s'agisse d'un type d'exploitation moins préjudiciable que la reconversion totale des forêts, l'exploitation forestière sélective a également un certain nombre de répercussions sur l'environnement. Parmi celles-ci, les plus évidentes sont :

· La disparition de certaines espèces animales et végétales;

Un problème majeur de l'exploitation sélective des arbres en forêt tropicale vient du fait que les houppiers de nombreux grands arbres sont souvent attachées aux houppiers des arbres voisins par une profusion de lianes et de plantes grimpantes. Lorsque certains arbres sont abattus, d'autres espèces de la couverture forestière sont entraînées et une masse ligneuse importante s'écrase alors sur le sous-étage, causant la cassure de troncs d'arbres et de branches, et écrasant une proportion importante des espèces du sous étage. L'exploitation des arbres, même réduite, peut détruire jusqu'à 55% du peuplement résiduel et endommager gravement un nombre supplémentaire de 3 à 6% d'arbres sur pied (Burgess, 1971; Johns, 1988). Les impacts associés sont importants: compaction du sol, diminution de l'infiltration d'eau, perte de sols plus importante causée par l'érosion, perturbation des populations animales vivant sur le site, risque majeur d'incendies (Uhl et al., 1988) et perte d'éléments nutritifs, suite à l'extraction des grumes. L'exploitation commerciale des arbres présente donc un impact important sur l'ensemble de l'écosystème forestier et les dégâts sont immédiatement perceptibles: routes forestières, pistes de débardage et souches dispersées, modifiant l'aspect de la forêt pendant de nombreuses années.

Enfin, un autre type d'exploitation forestière ayant récemment suscité l'attention est la cueillette sélective des ressources forestières non ligneuses telles que les fruits, les noix et le latex. Bien que cette activité ait un impact relativement minime sur l'environnement si on la compare à d'autres formes d'exploitation telles que le défrichage et l'exploitation forestière sélective, elle a toutefois certaines répercussions écologiques, parmi lesquelles :

· Une réduction progressive de la vigueur des plantes récoltées;

A première vue, ces conséquences semblent peu importantes car la cueillette de produits forestiers non ligneux ne provoque pas nécessairement la mort de la plante, la compaction du sol ou l'érosion et n'apporte pas de modifications importantes dans la structure ou la fonction de la forêt. Une forêt exploitée pour ses ressources forestières non ligneuses, contrairement à une forêt surexploitée pour son bois, conserve l'apparence d'un milieu non perturbé. Il est facile de fermer les yeux sur l'impact subtil de l'exploitation des PFNL et de supposer a priori que cette activité peut se poursuivre à long terme sans conséquences sur la durabilité des ressources. Ce type de considération est fréquemment diffusé par les livres, les articles scientifiques, les comptes-rendus de conférence, les propositions de subvention, les revues, les journaux, la télévision, la radio, les rapports annuels des sociétés et même au dos des boîtes de céréales et des emballages de glace industrielle. Malheureusement, dans la majorité des cas, cette idée est démentie par les faits.

3. Quelques considérations sur les arbres et les forêts tropicales

Les forêts tropicales présentent certaines caractéristiques écologiques particulières rendant l'exploitation durable des ressources forestières non ligneuses plus difficile qu'il n'y paraît. Ce type de forêt se caractérise avant tout par une grande biodiversité et par un nombre élevé d'espèces de plantes par unité de surface. Le tableau 1, contenant les données floristiques rassemblées dans de petites parcelles de forêts tropicales à travers le monde, illustre bien ce point. Bien que les sites varient beaucoup entre eux, les résultats de ces prospections montrent que les forêts tropicales se caractérisent par une très grande biodiversité et contiennent entre 100 et 300 espèces d'arbres par hectare.

Tableau 1 : Nombre d'espèces d'arbres (dont le diamètre est _ 10 cm) enregistré dans de petites parcelles de forêt tropicale.

Lieu

Zone échantillonnée (en hectares)

Nombre d'espèces

( dont le diamètre_10 cm )

Source

       

Cuyabeno, Ecuador

1.0

307

Valencia et al., 1994

Mishana, Peru

1.0

289

Gentry, 1988

Lambir, Sarawak

1.6

283

Ashton, 1984

Bajo Calima, Colombia

1.0

252

Faber-Lagendoen and Gentry, 1991

Sungei Menyala, Malaysia

2.0

240

Manokaran and Kochummen, 1987

Wanariset, East Kalimantan

1.6

239

Kartawinata et al., 1981

Gunung Mulu, Sarawak

1.0

225

Procter et al., 1984

Rio Xingu, Brazil

1.0

162

Campbell et al., 1986

Barro Coloado, Panama

1.5

142

Lang and Knight, 1983

Oveng, Gabon

1.0

123

Reitsma, 1988

D'un point de vue commercial, cette diversité biologique caractéristique des forêts tropicales présente à la fois des avantages et des inconvénients. D'un côté, les forêts contenant une grande variété d'espèces différentes se caractérisent également par une grande richesse de ressources. En effet, la variété des espèces et la richesse des ressources vont souvent de pair. L'intérêt suscité par les forêts tropicales en tant que source potentielle de nouveaux produits, d'aliments et de médicaments résulte sans doute de l'importance du réservoir des espèces dans ces écosystèmes. Mais d'un autre côté, en raison de la grande diversité des espèces, il arrive souvent que les individus de certaines d'entre elles ont une très faible densité. Le nombre d'arbres par hectare de forêt tropicale étant limité, il est clair que lorsqu'il y a de nombreuses espèces, celles-ci ne soient représentées que par quelques individus.

La figure 1, basée sur des données d'inventaire récoltées dans de petites parcelles de forêt au Brésil et au Sarawak, montre que les forêts tropicales combinent souvent une grande diversité et une faible densité des espèces. Comme l'indique l'histogramme, la plupart des espèces présentes sur les sites ne sont représentées que par un ou deux individus et moins de 10% d'entre elles ont une densité supérieure à 4 arbres par hectare. Bien que les forêts tropicales soient riches en ressources, celles-ci sont inégalement réparties et sont éparpillées dans la forêt, avec de très faibles densités. De fait, les cueilleurs ont souvent du mal à les localiser et sont amenés à effectuer de longs déplacements dans la forêt. De plus, le rendement des espèces par unité de surface est faible et elles sont très sensibles aux effets de la surexploitation. Il est clair que ces caractéristiques ne favorisent pas l'exploitation durable des ressources dans les forêts tropicales.

D'autre part, les arbres tropicaux présentent une seconde caractéristique entravant leur exploitation durable: la pollinisation et la dispersion des graines. La faible densité et la distribution dispersée des individus dans les populations d'arbres tropicaux complique le processus de pollinisation. Etant donné que la distance entre deux individus de la même espèce est parfois supérieure à 100 mètres, le transfert du pollen des fleurs d'un arbre à celles d'un autre ne s'en trouve pas facilité. C'est pourquoi de nombreux arbres tropicaux ont dépassé cette difficulté par des relations d'évolution conjointe avec une grande variété d'animaux, allant de minuscules moucherons et abeilles jusqu'aux grandes chauves-souris, agissant comme vecteurs de pollinisation à longue distance. Ces rapports sont parfois très spécifiques, certains insectes n'étant responsables de la pollinisation des fleurs que d'une espèce particulière, voire d'un genre d'arbres forestiers (Wiebes, 1979). Ce recours à des vecteurs biotiques pour le transfert du pollen semble être la norme dans les forêts tropicales et des études récentes menées au Costa Rica (Bawa et al., 1985) permettent de déduire que plus de 96% des espèces d'arbres locaux dépendent exclusivement des animaux pour leur pollinisation.

Figure 1: Densité d'un certain nombre d'espèces d'arbres à l'intérieur de petites parcelles de forêt tropicale. Données d'inventaire enregistrées à Semengoh au Sarawak, sur un lot de 4,0 hectares (Ashton, 1984). Données d'inventaire récoltées à Manaus au Brésil, sur un lot de 1,0 hectare (adapté de Prance).

En outre, les animaux jouent un rôle important dans la dispersion des graines produites par les arbres tropicaux. Des études réalisées en Ecuateur, dans la région de Rio Palenque (Gentry, 1982), indiquent que 93% des arbres du couvert forestier produisent des fruits pouvant être consommés par les oiseaux et les mammifères, tandis que Croat (1978) estime que dans l'île de Barro Colorado au Panama, 78% des arbres du couvert forestier et 87% des arbres du sous-étage produisent des fruits qui sont dispersés par des animaux. Ceux-ci peuvent se procurer les fruits ou les graines directement à partir des arbres (on les appelle alors des vecteurs primaires) ou fouiller parmi les fruits qui sont tombés sur le sol et déjà ouverts (vecteurs secondaires).

Ce qui est important de retenir de ce qui précède est le fait que la production de fruits, de graines et de semis dans les forêts tropicales requiert la participation des animaux. Bien qu'on néglige souvent cet aspect et que l'on a parfois tendance à considérer les animaux comme des nuisances endommageant ou consommant de grandes quantités de fruits, il ne faut pas oublier que l'exploitation durable des ressources dans les forêts tropicales dépend, en fin de compte, de la présence des animaux pollinisateurs et propagateurs de graines. Pour l'exprimer plus simplement: sans pollinisation il n'y a pas de fruit, l'absence de fruits et/ou de vecteurs rend impossible l'établissement des semis, ce qui se traduit par l'absence de nouvelles générations, et donc de produits et de profits. En fin de compte, et c'est très important, le système n'est plus durable.

Enfin, ce qui caractérise de nombreuses espèces d'arbres tropicaux est la difficulté de recruter de nouveaux semis dans la population. Même avec une pollinisation abondante, des fruits nombreux et bien dispersés, il y a toujours une très faible probabilité pour qu'un semis s'établisse avec succès dans la forêt. La graine doit éviter la prédation, bénéficier d'une luminosité adéquate et d'un sol suffisamment humide. De plus, les conditions nutritives doivent être adaptées pour permettre la germination et la graine doit être en mesure de germer et de croître plus rapidement que les graines appartenant à d'autres espèces qui sont en compétition pour s'établir sur le micro-site. Ensuite, le jeune plant doit être exempt d'éléments pathogènes, capable de se remettre des dégâts causés par les herbivores et ne pas subir d'accidents tels que la chute de branches ou autres. Enfin, le processus de photosynthèse doit être continu et le jeune plant doit se frayer un chemin en montant dans la couverture forestière. Il n'est dès lors pas étonnant que le taux de mortalité d'une plante tropicale durant les premières étapes du cycle de vie soit extrêmement élevé.

Cet exemple est bien illustré par le graphique suivant (figure 2) qui illustre le taux de survie des semis de 4 espèces d'arbres tropicaux. Brosimum alicastrum est un arbre forestier très répandu en Amérique tropicale (Peters, 1990a). Shorea curtisii et Shorea multiflora sont des espèces d'arbres dominants qui se trouvent en Asie du sud-est (Turner, 1990) et Grias peruviana est un arbre de sous-étage abondant, que l'on trouve à l'est de l'Amazonie (Peters, 1990b).

Figure 2: Graphique représentant le taux de survie des semis pour les espèces Brosimum alicastrum, Shorea curtisii, Shorea multiflora et Grias peruviana. Ces histogrammes représentent le pourcentage de semis ayant survécu la première année après la germination. Les données sur l'espèce B. alicastrum ont été rassemblées à Veracruz au Mexique (Peters, 1990a), les espèces S. curtisii et S. multiflora ont été étudiées dans la péninsule de Malaisie (Turner, 1990) et les données sur G. peruviana ont été rassemblées dans la région amazonnienne du Perou (Peters, 1990b).

Comme le montrent ces diagrammes, le taux de survie des semis des 4 espèces citées durant les 12 premiers mois après germination varie entre 3% (pour l'espèce B. alicastrum) et 22% ( pour l'espèce S. curtisii). La demi-vie, à savoir le temps nécessaire avant que 50% de la population initiale ne périsse, est comprise entre 2 et 5 mois. En tenant compte de la prédation des graines et des germinations infructueuses, on remarque que moins de 0,1 % des graines produites par B. alicastrum deviennent des plants (Peters, 1989). Une proportion très réduite de ceux-ci (approximativement 1 sur 1,5 millions) rejoindra la couverture forestière et sera en mesure de produire des fruits. Ce cas est loin d'être atypique pour les arbres tropicaux et constitue sans doute une des preuves les plus convaincantes de la difficulté à laquelle est confrontée une espèce pour se maintenir dans la forêt, même en l'absence de toute forme d'exploitation des ressources.

4. La réalité de l'exploitation des PFNL

Etant donné la faible densité des espèces d'arbres tropicaux, leur dépendance vis-à-vis des animaux pour leur pollinisation et la difficulté d'installation de leur semis, il est clair que la récolte d'une partie de la plante, quelle qu'elle soit, aura des répercussions sur l'espèce. L'équilibre écologique fragile caractéristique des forêts tropicales est très vulnérable aux effets des activités humaines et même les extractions qui, à première vue, paraissent avoir un impact minime, peuvent plus tard affecter la structure et la dynamique des populations d'arbres forestiers. Cet impact qui n'est pas détectable par un _il peu averti, est cependant bien réel.

L'impact écologique de l'exploitation des PFNL dépend généralement du type de récolte et de son intensité, ainsi que du type de ressource ou de l'espèce exploitée. La cueillette occasionnelle de quelques fruits ou la récolte périodique de feuilles peuvent n'avoir qu'un faible impact sur la stabilité à long terme d'une population d'arbres. En revanche, la récolte annuelle intensive d'un fruit ou d'un type de graine oléagineuse prisée sur le marché peut entraîner l'extinction progressive d'une espèce de la forêt. De même l'exploitation d'arbres adultes de grande taille peut avoir un effet semblable beaucoup plus rapidement.

Bien que cela ne soit pas souvent mentionné dans la documentation existant sur ce sujet, un grand nombre de ressources forestières non ligneuses sont actuellement exploitées de manière destructive. Par exemple, l'abattage incontrôlé du palmier aguaje (Mauritia flexuosa), pour la cueillette de ses fruits, a quasiment entraîné la disparition de cet arbre de valeur dans une grande partie des plaines péruviennes (Vasquez et Gentry, 1989). Des méthodes de récolte destructrices ont également diminué l'abondance locale des palmiers ungurahui (Jessenia bataua) et babassu (Orbignya phalerata), ainsi qu'une vaste gamme d'autres espèces d'arbres fruitiers importants présents dans la région amazonienne, tels que Parahancornia peruviana, Couma macrocarpa et Genipa americana (Peters et al., 1989). En Asie du sud-est, on exploite souvent les arbres Gharu (Aquilaria malaccensis), afin d'en extraire le bois de c_ur résineux (Jessup et Peluso, 1986). On y pratique également le récolte de damar à partir de l'arbre Dipterocarpus, en taillant dans le tronc une large cavité et en y allumant un feu pour stimuler la coulée de résine oléagineuse (Gianno, 1990). Au Cameroun, on exploite les arbres de l'espèce Prunus africana pour leur écorce en les abattant ou en les dépouillant complètement de leur écorce (Cunningham et Mbenkum, 1993). Enfin, il existe de nombreux autres cas dans lesquels la récolte des produits forestiers non ligneux occasionne des dégâts graves, voire la mort des espèces forestières.

Même lorsqu'on n'utilise pas des méthodes de récolte destructrices, la cueillette commerciale de grandes quantités de fruits et de graines peut toujours avoir un impact significatif sur l'environnement. Pour l'exprimer en termes démographiques, lorsqu'une population d'arbres produit 1000 graines et que 95% des nouveaux semis produits par ces graines meurent durant la première année, la population compte cependant 50 nouveaux individus. En revanche, lorsque, suite à une récolte commerciale, il ne reste que 100 graines sur le site avant le stade de germination, le nombre maximum de semis pouvant être recrutés dans la population est limité à 5. Cela signifie que le nombre de nouveaux individus est 10 fois inférieure, ce qui provoque un changement très important dans la structure de la population.

Mais cet exemple est vraisemblablement trop optimiste et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, il se base sur l'hypothèse que toutes les graines se trouvant dans la forêt sont situées dans des endroits où elles peuvent germer et se développer de manière optimale. En second lieu, il est toujours possible que les fruits et les graines dispersés dans la forêt aient un taux de mortalité supérieur à 95%. En effet, les cueilleurs professionnels sont souvent en compétition avec les animaux frugivores et leurs activités réduisent le stock de ressources disponibles. Suite à cette diminution de fruits et de graines, les frugivores auront tendance à fouiller davantage pour trouver la nourriture nécessaire provoquant ainsi une augmentation du pourcentage de graines détruites.

Tous ces facteurs interagissent dans une forme de synergie et inhibent le processus de recrutement de nouveaux individus dans une population donnée. Au cours du temps, la diminution du recrutement risque d'altérer la distribution des classes d'âge de la population exploitée et, si l'exploitation commerciale devait se poursuivre en dehors de tout contrôle, l'espèce risque de disparaître progressivement de la forêt. Ce processus graduel de disparition de la population est représenté dans la figure 3 qui se base sur les données démographiques obtenues pour l'espèce Grias peruviana et sur les résultats obtenus pas à pas à partir de simulations informatiques utilisant une matrice de passage (Peters, 1990b). Les classes de grandeur de 1 à 3 se basent sur la mesure de la hauteur des semis, des jeunes plants et des arbres juvéniles, alors que les classes de grandeur de 4 à 8 reflètent une différence de diamètre de 5,0 cm entre les arbres adultes. Pour les besoins de la simulation, l'intensité de la récolte a été fixé à 85% de la production annuelle totale de fruits. Il convient de noter le changement d'échelle aux années 10, 50 et 80 pour compenser la diminution graduelle de la taille de la population. Le relevé de points dans la moitié inférieure de la figure montre le nombre total de fruits récoltés à partir d'une population de Grias, pour chaque année de la simulation.

Figure 3: Simulation du changement dans la structure de population de Grias peruviana suite à la récolte excessive de fruits. Les résultats sont basés sur des analyses pas à pas, grâce à un modèle utilisant une matrice de passage et aux données démographiques rassemblées par Peters (1990b). L'intensité de la récolte a été fixée à 85% de la production annuelle globale de fruits. A noter: le changement d'échelle dans les 3 dernières périodes, pour compenser la diminution progressive de la population.

Comme le montre le graphique à l'année 0, les classe de taille de la population de G. peruviana se distribuent selon un histogramme en J inversé ou en exponentielle négative. Cet arbre fait partie du couvert forestier, tolère l'ombre et possède une régénération abondante. Après 10 années de récolte de fruits, la structure de la population a déjà été considérablement modifiée. La diminution de la régénération a provoqué une réduction des arbres dans les classes de grandeur les plus petites, alors que l'augmentation des arbres dans la classe de grandeur intermédiaire est due à la croissance des jeunes plants établis avant le début de l'exploitation. Lors de la 50ème année, la population a été davantage dégradée, en raison du manque chronique de régénération. Certaines classes intermédiaires contiennent moins de 10 individus et le nombre de semis et de jeunes plants ne suffit pas à repeupler les classes d'arbres adultes. Le diagramme représentant les classes de grandeur lors de la 80ème année représente l'apogée de ce long processus de surexploitation. A ce point la population d'arbres ne contient que des individus adultes, grands et sénescents, dont aucun n'est apte à se régénérer. Si aucune mesure n'est prise pour y remédier, l'extinction locale de l'espèce G. peruviana n'est qu'une question de temps.

La leçon principale à tirer de cette simulation est le fait que lors de ce long processus de surexploitation, les dégâts ne sont pas immédiatement visibles. On ne voit pas d'arbres morts ou mourant indiquant la gravité de la situation. Ce n'est que 30 ans après la première exploitation que la production de fruits et le niveau de récolte commencent à baisser même si de nombreux fruits sont toujours disponibles pour la récolte commerciale après de nombreuses décennies (voir la courbe de points de la figure 3). Lors des derniers stades de la simulation, la forêt contient encore de nombreux arbres adultes de l'espèce G. peruviana produisant des fruits. Il est clair que dans ces conditions, la récolte des fruits se poursuit avec la même intensité jusqu'à ce que les arbres deviennent sénescents forçant les cueilleurs à changer de site.

L'exemple montré dans la figure 3 est certes un cas extrême de surexploitation sauvage des ressources et il n'est pas certain que toute exploitation provoque nécessairement l'extinction d'une espèce. Toutefois, la simulation est un instrument très utile qui nous aide à comprendre à quel point les conséquences écologiques de ce type d'exploitation sont parfois relativement subtiles, très graduelle, à peine perceptibles même si, à long terme, elles peuvent être aussi graves que les dégâts causés par l'exploitation du bois d'œuvre car elles perturbent les populations locales et peuvent provoquer l'extinction d'une espèce.

Outre les risques de perturbation de la régénération et de modifications de la structure de la population, la récolte de produits forestiers non ligneux est en mesure de modifier la composition génétique des populations de plants exploités (Peters, 1990c). Une population d'arbres fruitiers se compose le plus souvent de quelques individus produisant des fruits abondants et savoureux , d'un grand nombre d'individus produisant des fruits de taille et de qualité moyenne et de quelques individus produisant des fruits peu aptes à la commercialisation du fait de leur petite taille, d'un goût amer ou d'un aspect peu engageant. Lors de la récolte commerciale de fruits, ce sont les arbres fruitiers de qualité inférieure qui seront laissés de côté de sorte que leurs fruits et leurs graines pourront se régénérer. Au cours du temps, la récolte sélective des fruits de meilleurs qualité fera en sorte que la population sera dominé par les arbres ayant une valeur économique peu importante. Ce processus, bien que plus subtile et peu perceptible à court terme, provoque néanmoins des effets semblables à un "écrémage" des meilleurs arbres lors des exploitations forestières.

5. Données de base et activités de suivi visant à minimiser l'impact de la récolte sur l'environnement

Etant donné les cycles d'expansion et de crise caractérisant historiquement l'exploitation des produits forestiers non ligneux, il est peu probable que l'interaction sans entraves entre les marchés, les cueilleurs professionnels et les espèces forestières tropicales garantisse une exploitation durable des ressources. Pour atteindre un tel objectif, il ne suffit pas d'avoir une confiance aveugle dans la capacité productive des arbres tropicaux, une foi inébranlable dans l'économie de marché ou une conviction certaine que les cueilleurs locaux privilégient instinctivement la conservation des forêts sur leurs gains personnels. Une exploitation durable des PFNL requiert une gestion concertée et une participation de toutes les parties impliquées. Il s'agira d'effectuer une sélection minutieuse des espèces, des ressources et des sites à exploiter et d'appliquer une technique de récolte contrôlée en surveillant régulièrement la régénération et la croissance des espèces exploitées. Mais avant tout, il faudra partir du principe que l'écologie et l'aménagement sont les pierres angulaires de toute exploitation durable des ressources.

D'un point de vue écologique, un facteur clé contribuant à l'exploitation durable des ressources est l'information, celle-ci concernant à la fois la densité et la distribution des ressources à l'intérieur de la forêt, la structure et la productivité de la population, ainsi que l'impact écologique que représentent les différents niveaux de récolte. La stratégie globale permettant la collecte de ces données et leur application dans le but de favoriser le maintien à long terme des populations d'espèces végétales dans la forêt, est présentée dans le graphique de la figure 4. Le concept dans son ensemble et la séquence des opérations décrites sont basés sur l'approche de Peters (1994). Les différentes procédures sont suffisamment générales pour pouvoir être appliqué à tout type de PFNL, à toute échelle, tant dans les forêts déjà intensément exploitées que dans des environnements en meilleur état et peu exploités.

Figure 4: Graphique représentant la stratégie de base à utiliser pour l'exploitation à rendement soutenu de plantes tropicales non ligneuses. L'ensemble du processus se compose de six étapes principales: (1) la sélection des espèces, (2) l'inventaire forestier, (3) les études de rendement, (4) les inventaires de régénération, (5) les évaluations des récoltes et (6) les ajustements de récolte. Pour les explications de chaque opération, se référer au texte.

Comme l'indique la figure 4, le processus comprend au total six étapes: (1) la sélection des espèces, (2) l'inventaire forestier, (3) les études de rendement, (4) les inventaires de régénération, (5) les évaluations des récoltes, (6) les ajustements de récolte. L'ensemble de ces opérations permet d'accomplir trois activités principales d'aménagement: d'abord, on sélectionne les espèces ou les ressources à exploiter, ensuite on rassemble les données de base sur la densité actuelle et la productivité de ce ressources et enfin, on procède au suivi des impacts de la récolte et aux ajustements éventuels afin de minimiser cet impact.

Le concept de base consiste à fournir un flux continu d'informations diagnostiques sur la réaction écologique des espèces suivant différents degrés d'exploitation. L'exploitation durable est réalisée grâce à un processus continu de réactions réciproques: la réaction des espèces cibles au niveau démographique doit être accompagnée d'ajustements adaptés au niveau de l'exploitation. La nature exacte de ce processus minutieusement réglé dépendra du site choisi, de l'avis du gestionnaire des ressources, du degré de précision des données diagnostiques collectées, de l'efficacité des contrôles de récolte et, peut-être le point le plus important, du comportement écologique de la population des espèces choisies dans le cadre de l'aménagement.

5.1. La sélection des espèces

Le choix des ressources forestières à récolter dépendra surtout de facteurs économiques. En général, ce sont les ressources ayant un prix actuel élevé sur le marché et un meilleur potentiel commercial qui sont sélectionnées en premier lieu. Mais les facteurs sociaux peuvent être eux aussi déterminants: certaines ressources sont exploitées depuis longtemps dans la région et ont un certain nombre d'utilisations traditionnelles de sorte que la population locale peut avoir une préférence culturelle forte pour celles-ci. D'autres ressources, telles que les plantes médicinales ou d'importance rituelle, sont parfois sujettes à des tabous interdisant leur exploitation commerciale.

En plus des facteurs économiques et sociaux, il existe un troisième facteur à prendre en considération, à savoir le potentiel de la ressource à gérer, de manière à garantir un rendement durable. Bien qu'on ait souvent tendance à l'oublier, certaines espèces résistent davantage que d'autres aux perturbations répétées, causées lors de l'extraction des ressources. Les principaux facteurs écologiques à prendre ici en compte sont: le cycle de vie caractéristique de l'espèce (par exemple, la phénologie de la floraison et de la fructification, la pollinisation et la dissémination des graines), le type de ressource qu'elle produit (fruits, troncs, écorce, etc.), l'abondance de l'espèce dans la forêt et la distribution des classes de grandeur des populations naturelles. L'idée de base est assez simple: étant donné plusieurs types de ressources ayant un rendement économique comparable, pourquoi ne pas sélectionner celles qui sont plus simples à gérer et plus susceptibles d'être exploitées de manière durable ?

5.2. L'inventaire forestier

L'aménagement des ressources nécessite deux types d'informations essentielles: la densité des espèces et la structure, en classes de grandeur, de leur population. De même que la gestion des forêts pour leur bois requiert une estimation du nombre de mètres cubes de bois d'oeuvre contenus dans une zone forestière donnée, l'aménagement des produits forestiers non ligneux dépend d'une estimation de la distribution et de l'abondance des différentes espèces. Ces données ne peuvent être obtenues que grâce à un inventaire forestier quantitatif. En outre, les inventaires fournissent également les données de référence nécessaires lors des activités de contrôle de l'impact des récoltes. En effet, sans informations de base sur la densité initiale et la structure de la classe de grandeur, la population risque l'extinction progressives, au fur et à mesure des récoltes successives, sans que cela ne soit perceptible.

Malheureusement, les inventaires sont coûteux en temps et en argent et demandent un travail fastidieux. C'est pourquoi nous recommandons fortement qu'un forestier professionnel ou un expert en inventaires participe à la planification du travail sur le terrain. D'une manière générale, les inventaires devraient être conçus pour fournir les informations suivantes :

5.3. Etudes de rendement

Après avoir estimé la densité et la distribution selon la classe de grandeur d'une espèce forestière, la prochaine étape consiste à se demander quelle quantité du produit désiré est produite par les populations naturelles de cette espèce. Supposons que l'on récolte 250 kg de fruits dans la forêt, s'agit-il d'un niveau de récolte durable ? Cela dépend de plusieurs facteurs. Il faudra d'abord déterminer le nombre de fruits produits par la population. Cela représente-t-il seulement 10% de la production totale de graines de la population considérée, ou bien 95% des fruits sont-ils récoltés ? Cela fait clairement une différence. Les forestiers utilisent de manière théorique les données de croissance des arbres, afin d'éviter de couper le bois à un rythme supérieur à celui de sa production. De manière semblable, la gestion à rendement soutenu des ressources non ligneuses nécessite des informations sur la capacité productive des espèces exploitées, et celles-ci peuvent être obtenues grâce à des études de rendement.

Le principal objectif de ces études consiste à obtenir une évaluation suffisamment précise sur la quantité totale de ressources produites par une espèce dans différents types d'habitats ou de forêts. Etant donné que les plantes de plus grande taille sont toujours plus productives que les plantes plus petites, il est utile d'étudier le rapport entre la taille de la plante et sa productivité. Probablement, la manière la plus simple d'obtenir ces données consiste à former les cueilleurs locaux pour qu'ils se chargent, dans le cadre de leurs activités de récolte, de peser, compter ou mesurer la quantité de ressources produite par des arbres sélectionnés. Ce type d'étude devra être répété après quelques années, en se basant sur le même groupe d'échantillons de plantes pour pouvoir contrôler les variations dans le rendement des espèces.

5.4. Information à partir des données d'inventaire et de croissance

En ce qui concerne les ressources dont on extrait les tissus végétatifs (chaume à partir des palmiers Raphia, cannes de jonc, bambou), on peut utiliser les données de base obtenues lors des inventaires forestiers et des études de rendement pour faire une évaluation préliminaire utile de la durabilité de ces ressources. Cette évaluation se fait en tenant compte du rapport entre le stock actuel ou le peuplement sur pied et sa production annuelle. En général, les espèces les plus abondantes ayant un stock de ressources important ont le taux de production annuel le plus élevé alors que les espèces dispersés et de faible densité ont un taux de production annuel bien plus faible. Par exemple, dix cannes de jonc dont le taux de croissance annuel est de 50 cm produisent 5 mètres de cannes alors que mille cannes de joncs ayant le même taux de croissance produisent 500 mètres de cannes.

Vu le rapport existant entre le stock des ressources et la production annuelle, il est important que le niveau d'exploitation ne dépasse pas la croissance annuelle si nous voulons garantir une exploitation identique, année après année. Lorsque le niveau d'exploitation dépasse le taux de croissance, il y a une diminution du stock des ressources et, à plus long terme, la disparition possible de l'espèce dans la forêt. Un exemple, hypothétique, est fourni par le graphique (figure 5) qui illustre les effets de la surexploitation de rotin. Les barres en grisé représentent le stock actuel de cannes de jonc au début de chaque année, les barres non colorées qui se trouvent au sommet de chaque barre en grisé représentent la croissance totale à la fin de l'année. Enfin les barres en pointillés montrent la quantité totale de rotin récoltée chaque année.

Figure 5: Exemple hypothétique de surexploitation des ressources de rotin illustrant le lien entre le stock des ressources et la productivité annuelle. Pour des explications plus complètes sur des paramètres tels que le stock, la croissance et la récolte des ressources, se référer au texte.

Dans l'exemple illustré par la figure 5, le stock actuel de rotin est de 1000 cannes au début de la première année d'étude. Ce stock de ressources produit 500 nouvelles cannes en un an et, à la fin de la première année, 700 cannes sont récoltées (à savoir un nombre supérieur de 200 au nombre de cannes produites), de sorte que le stock de ressources est réduit à 800 cannes. La deuxième année, le stock de ressources ne produit que 400 nouvelles cannes alors que 700 cannes sont récoltés (soit, 300 cannes de plus que la production). Le stock de ressources se réduit à 500 cannes qui en produisent 250 à la fin de l'année, ce qui donne un stock total de seulement 750 cannes. La récolte de 700 cannes à la fin de la troisième année réduit le stock total à 50 cannes. A ce stade, l'exploitation commerciale du rotin n'est plus envisageable car la croissance annuelle de cette ressource s'est réduite à 25 cannes par an. Si rien n'est entrepris pour remédier à cette situation, le rotin disparaîtra probablement de cette forêt comme cela s'est déjà produit dans de nombreuses parties de l'Asie du sud-est (Dransfield et Manokaran, 1994).

En utilisant les données sur la densité et le rendement de la population de rotin de cet exemple, on peut recommander un niveau d'extraction plus durable. En sachant que le stock initial de rotin produit annuellement 500 nouvelles cannes, il s'agira de récolter un nombre de cannes ne dépassant pas ce chiffre et la canne de rotin pourra être exploitée sur ce site pendant une très longue période. L'essentiel est de couper la quantité de rotin correspondant à sa production annuelle. Cela paraît simple, mais il ne faut pas oublier que c'est uniquement grâce aux inventaires forestiers et aux études de rendement que l'on a pu définir ces paramètres clés.

5.5. Les inventaires de régénération

Une activité de contrôle régulière est essentielle pour pouvoir déterminer et maintenir un niveau d'exploitation de PFNL durable. Pour la plupart des espèces et de ressources, les effets de la surexploitation sont déjà perceptibles lors du stade de régénération ou de jeune plant. L'exploitation des PFNL peut causer la mort de nombreux arbres adultes, diminuer la vigueur des arbres au point d'affecter la floraison ou la fructification et diminuer le nombre de graines présentes dans la forêt. Du point de vue de la structure de population, le résultat est le même: la réduction du taux de régénération. Cet impact peut être détecté (et espérons-le, évité) par un contrôle régulier de la densité de semis et de jeunes plants dans la population exploitée. Les densités de semis et de jeunes plants constituent un véritable "mètre démographique", permettant de mesurer l'impact réel de l'exploitation sur le long terme. Pour utiliser une analogie médicale, ces données sont les signes vitaux grâce auxquels on évalue la bonne santé ou la maladie d'une population.

5.6. Evaluations des récoltes

L'évaluation des récoltes est une activité de contrôle supplémentaire, permettant de mesurer l'impact écologique de la récolte des ressources. Il s'agit essentiellement d'estimations visuelles, effectuées sur le comportement et l'état des arbres adultes lors des opérations de récolte. Dans la plupart des cas, ce type d'évaluation rapide permet de détecter un problème dans la reproduction ou la croissance d'une population avant qu'il ne s'aggrave au point de réduire le taux de régénération. Les échantillons de plants sélectionnés et marqués lors des études de rendement sont parfaitement adaptés pour ce type d'observations. Les informations collectées lors de ces évaluations comprennent, par exemple: la vigueur générale de la plante, les blessures causées lors de l'exploitation, le piétinement des semis par les cueilleurs, les signes de dégâts causés par les insectes ou les moisissures, la quantité de fleurs et de fruits immatures tombés sous la couronne.

5.7. Les ajustements des récoltes

Les opérations de contrôle servent à évaluer la durabilité des niveaux de récolte actuels (voir figure 4). La densité des semis et des jeunes plants recensée au cours de la prospection de régénération initiale représente les valeurs seuils d'après lesquels on mesure la durabilité. Tant que la densité est supérieure à cette valeur seuil et que les évaluations de récolte ne détectent pas de problèmes majeurs, il est fort probable que le niveau de récolte actuel puisse être maintenu. Si, en revanche, la densité des semis et des jeunes plants est en dessous de ce seuil, il faudra entreprendre des démarches visant à réduire le niveau de récolte. L'efficacité éventuelle de cette réduction sera vérifiée lors de l'évaluation suivante de la régénération. Si on remarque que la densité des semis et des jeunes plants ne se stabilise pas à un certain seuil ou diminue, il faudra réduire davantage le niveau de récolte.

Dans la pratique, on remarque que le maintien d'un rendement soutenu demande invariablement un nombre considérable d'ajustements des récoltes. Il y a souvent un décalage entre la perturbation et la réaction de la population et il arrive souvent qu'après plusieurs séries de résultats stables, obtenus dans le cadre d'évaluation de régénération, la population connaisse brusquement des fluctuations importantes dans la densité des semis et des jeunes plants. Il est important de noter ces fluctuations. En réduisant progressivement (ou même dans certains cas en augmentant) l'intensité de l'exploitation des ressources, le niveau de régénération devrait normalement s'approcher du niveau de seuil établi pour cette population.

6. Quelques questions difficiles sur la durabilité des ressources

Dans un monde parfait, les données de référence sur la structure des classes de grandeur et le rendement des différentes espèces de PFNL seraient collectées, les prospections de régénération seraient une affaire de routine et les niveaux de récolte seraient ajustés périodiquement pour garantir la durabilité à long terme de l'exploitation des ressources. Hélas, dans la réalité, l'histoire de l'exploitation forestière dans les tropiques est plus triste et les choses se déroulent souvent différemment. Au niveau technique, la gestion à rendement soutenu des ressources forestières non ligneuses ne pose aucun problème. Il est d'autant plus étonnant, compte tenu de l'intérêt récent pour la conservation et les avantages sociaux et financiers des produits forestiers non ligneux, que l'on n'ait pas accordé davantage d'attention aux activités de contrôle de la durabilité des ressources, dont dérivent tous ces bénéfices. Pour conclure, je souhaiterais poser trois questions, dont les réponses expliquent en grande partie le manque totale de durabilité qui caractérise actuellement le monde nouveau des PFNL.

6.1. Qui est responsable des activités de contrôle ?

Il me semble que cette question n'a jamais été clairement définie. Si on décide de donner la responsabilité du contrôle des forêts aux collectivités locales (ce qui me semble la meilleure solution), comment expliquer alors le manque de programmes visant à former les cueilleurs afin qu'ils puissent inventorier, contrôler et gérer les ressources au niveau de l'exploitation commerciale ? Plusieurs centaines de projets axés sur le développement, la commercialisation et l'exploitation durable des PFNL sont actuellement en cours dans les régions tropicales. La plupart d'entre eux comprennent un plan d'aménagement mis en œuvre par des professionnels du développement étrangers, des forestiers universitaires, et des vulgarisateurs. Je me demande toutefois si les communautés locales participent toujours avec enthousiasme à l'élaboration de ces plans. Une autre question qui mérite d'être posée est de savoir si l'on accorde une attention suffisante aux aspects économiques, sociaux et écologiques de cette entreprise. Enfin, les activités de contrôle et de gestion des ressources vont-elles continuer après que l'on ait retiré l'encadrement technique venu de l'extérieur ?

6.2. Qui finance ces activités ?

La réalisation d'inventaires forestiers, d'études de rendement et de prospections périodiques des parcelles de régénération sont des activités coûteuses. Même si on se base sur des experts locaux pour la collecte des données, où trouver l'argent pour garantir la poursuite du travail de terrain une fois que le projet de développement ou de recherche est arrivé à sa fin ? Si on tient réellement à maintenir la durabilité à long terme de l'exploitation forestière, on doit considérer que ces activités ont un coût. Quels sont les financements prévus pour garantir que ces coûts soient couverts par la vente des produits forestiers ?

6.3. Comment arrêter des activités quand elles ne sont plus durables ?

L'intérêt actuel pour la gestion des PFNL dérive surtout des bénéfices potentiels, en terme de conservation, qu'apporte ce type d'utilisation des terres. On peut utiliser les ressources de la forêt tout en la conservant, la structure et la fonction de l'écosystème sont maintenues pratiquement intactes et les populations locales bénéficient d'une amélioration de leur situation financière et de leurs conditions de vie. Cependant, il s'agit là d'un scénario idéal. En tant qu'écologiste, je remarque qu'il existe de nombreuses ombres dans ce tableau. Prenons l'hypothèse selon laquelle tout se déroule de manière optimale: de nouveaux débouchés sont créés pour certains PFNL, les données de référence ont été collectées et des systèmes de contrôle ont été mis en place, une industrie artisanale locale a été créée et le volume des ventes augmente chaque année. Enfin, la communauté dans son ensemble profite des bénéfices crées par cette entreprise. Imaginons, que lors de la troisième prospection de régénération on constate que les taux courants d'exploitation ne sont pas durables et que les ressources sont progressivement surexploitées. C'est alors qu'on prescrit une réduction des niveaux de récolte de 20%, ce qui provoque une chute nette et immédiate des profits réalisés par l'entreprise. D'où viendrait alors les moyens pour poursuivre la démarche vers une gestion durable ?

Références

Sunderland, T.C.H., C.J. Ros, J.A. Comiskey & A. Njiamnshi. 1997. The vegetation of the Campo Faunal Reserve and the Ejagham Forest Reserve, Cameroon. International Cooperative Biodiversity Group / Smithsonian Institution - Man and the Biosphere Program.

2 Une version similaire de cet article est présent dans la publication : Current Issues in Non-Timber Forest Products Research, M. Ruiz-Perez et J.E.M. Arnord (eds), 1996. Centre pour la recherche forestière internationale, Bogor, Indonésie.

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