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POUR UNE GESTION DURABLE DES OKOK (GNETUM AFRICANUM ET GNETUM BUCHOLZIANUM): DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX SUREXPLOITÉS DANS LES FORÊTS D'AFRIQUE CENTRALE

Patrick Nde Shiembo

Résumé

Les feuilles de Gnetum africanum et de Gnetum bucholzianum sont des légumes verts à haute valeur nutritive qui se trouvent en Afrique centrale et qui font l'objet d'un commerce transfrontalier considérable. Depuis quelques années, ce commerce a connu une augmentation dramatique et la ressource est sérieusement menacée par des méthodes de récolte non durable et par la disparition progressive de leur habitat. Dans le but d'assurer et de renforcer la pérennité de ces deux espèces, des recherches ont été entreprises sur leur sélection, leur amélioration génétique, leur multiplication végétative et leur gestion ex situ.

Jusqu'à présent, les deux espèces ont été reproduites avec succès, avant d'être multipliées puis plantées dans des placettes expérimentales en station de recherche. Les plants réagissent bien aux essais de culture et ont produit pour la plupart une grande quantité de biomasse, ainsi que des fleurs et des fruits. On a produit du matériel génétique issu de 85 provenances pour une future sélection et amélioration génétique, en vue d'une production en masse de matériel de plantation ayant une base génétique large. Des essais ont été mis en place au niveau des exploitations agricoles et des méthodes de récolte appropriées, permettant la pousse rapide des lianes commencent à être introduites. Ces efforts visent non seulement à assurer, dans l'avenir, la disponibilité du Gnetum, mais également à garantir la supériorité génétique des nouvelles cultures.

Mots clés: Gnetum africanum, Gnetum buchholzianum, domestication, essais de terrain, durabilité.

1. Introduction

Le genre Gnetum est le seul de la famille des Gnetaceae. Il comprend environ 30 espèces, en majorité des lianes, réparties dans les régions tropicales d'Asie, d'Amérique du Sud (Mialoundama et Paulet, 1986) et d'Afrique centrale (Watt et Breyer-Brandwijk, 1962). Ces plantes sont dïoques: les fleurs mâles produissent des châtons composés d'étamines et les fleurs femelles, des châtons composés d'ovules à peine protégés par une enveloppe (Letouzey 1986).

En Afrique on trouve deux espèces de Gnetum différentes - le G. africanum et le G. bucholzianum - réparties dans les forêts tropicales humides, qui s'étendent du Nigeria à l'Angola, en passant par le Cameroun, la République Centrafricaine, le Gabon et la République Démocratique du Congo (Mialoundama, 1993). Toutes les deux sont des lianes de sous-étage, toutefois il arrive que l'on trouve certains individus grimpant jusque dans les cimes des arbres dominant (observation personnelle de l'auteur). Les deux espèces sont tellement semblables qu'il est difficile de les distinguer, si ce n'est par la forme de leur feuilles et les caractéristiques des organes reproducteurs mâles (Lowe, 1984).

2. Importance et avantages de l'exploitation du Gnetum spp.

Le Gnetum africanum et le Gnetum bucholzianum ont une grande importance pour de nombreuses communautés forestières et on leur donne différents noms vernaculaires et commerciaux. Par exemple, dans la République Centrafricaine, au Gabon, au Congo, dans la République Démocratique du Congo et en Angola, les deux espèces sont localement appelées KoKo (Bahuchet, 1990). Dans la partie anglophone du Cameroun, le nom local est eru alors que dans la partie francophone l'appellation est okok. Enfin, au Nigeria, la tribu des Igbo leur donne le nom de ukasi, et celle des Efiki/Ibibio leur donne celui d'afang.

Au Nigeria, on utilise les feuilles de G. africanum comme traitement contre la dilatation de la rate, le mal de gorge ou comme cathartique (Burkill, 1994). A Oubangui (République Démocratique du Congo), on s'en sert comme remède contre la nausée et on le considère comme antidote contre certains types de poison (Burkill, 1994). Au Congo-Brazzaville, les feuilles des deux espèces de Gnetum servent de pansement contre les verrues et les furoncles et les boutures sont à la base de tisanes soulageant les douleurs liées à l'accouchement. Notons également que le Gnetum africanum est utilisé comme plante médicinale au Mozambique (Watt et Breyer-Brandwijk, 1962).

Cependant, c'est surtout pour sa valeur nutritive que le Gnetum est particulièrement prisé. Les feuilles peuvent être consommées crues ou bien, finement hachées et ajoutées dans les soupes et les ragoûts (Burkill, 1994). Bien que les feuilles de G. bucholzianum soient, elles aussi, nutritives, elles sont plus difficiles à trouver dans le commerce (Busson, 1965). Tant les feuilles de G. africanum que celles de G. bucholzianum ont une grande valeur nutritive et constituent des sources importantes de protéines, d'acides aminés et de minéraux (Busson, 1965; Fokou et Domngang, 1989; Mialoundama 1993; Ouabonzi et al.,1983)

Les feuilles de Gnetum africanum et Gnetum bucholzianum représentent une denrée commerciale importante en Afrique centrale, surtout au Cameroun, où la cueillette des feuilles de Gnetum, destinées à la vente sur les marchés locaux et régionaux, est une activité quotidienne. Les feuilles des deux espèces étant sempervirentes, on peut les cueillir tout au long de l'année. Le volume d'exportation de ces espèces a considérablement augmenté ces dernières années.

Le Cameroun compte deux ports principaux pour l'exportation de Gnetum: celui de Idenau, un village de pêcheurs situé sur la côte et celui de Campo, situé dans la province du Sud près de Kribi. Le premier exporte vers le Nigeria, le second vers le Gabon et le Congo-Brazzaville. Après avoir été exportées, les feuilles de Gnetum sont acheminées vers les grandes villes frontalières et vendues dans les marchés. Ceux-ci, remarquablement bien organisés, sont fréquentés par les marchands des nombreux pays concernés par le commerce de ce produit.

Afin de répondre à la demande élevée, la récolte de Gnetum s'est étendue jusqu'aux régions les plus reculées du Cameroun de sorte que, aussi bien dans les forêts du littoral que dans les provinces du Sud-ouest, cette ressource, autrefois abondante, est maintenant difficile à trouver. Le mercredi et le jeudi, il arrive souvent que des véhicules chargés de Gnetum se rendent à Idenau. Ils arrivent chaque semaine des forêts des provinces du centre, de l'est et du sud du pays. On estime que 600 tonnes de ce produit transitent annuellement dans la seule ville de Idenau pour une valeur commerciale sur le marché local de 1,8 milliards de francs CFA (Bokwe et Ngatoum, 1994). Grâce à un tel volume d'échanges, de nombreux jeunes au Cameroun et dans les pays voisins bénéficient d'un emploi rémunérateur. Par exemple, le chiffre d'affaires mensuel d'un des marchands exerçant à plein temps dans la vente du Gnetum à Idenau, s'élève à 450 000 F CFA (observation personnelle de l'auteur).

3. La non durabilité de la récolte de Gnetum

Le Gnetum africanum et le Gnetum bucholzianum poussent abondamment dans un grand nombre d'habitats différents: jachères, terres agricoles abandonnées, forêts secondaires et forêts denses. Dans les forêts humides complexes, les lianes des deux espèces de Gnetum tolèrent des supports très variés: arbres grands ou petits, arbres morts ou jeunes, arbustes, autres plantes grimpantes telles que les rotins, et d'autres hôtes végétaux. Les Gnetum poussent de manière luxuriante et produisent une grande quantité de biomasse de feuille.

A l'état sauvage, les deux espèces se développent en formant des tubercules ou racines souterraines, où sont stokées les réserves de la plantes. Ces organes peuvent survivre pendant de nombreuses années, même lorsque la végétation et les lianes de Gnetum se trouvant au-dessus de la terre ont été défrichées et que le surface du sol a été mise à nu. On rapporte que certaines tribus locales dans l'Est du Cameroun et au Congo, consomment ces tubercules comme des ignames sauvages, surtout pendant les saisons de disette (Bahuchet, 1990). Lors de la coupe des lianes, les bourgeons sur les tubercules sont souvent endommagés et il faut parfois du temps avant que les nouveaux bourgeons donnent des lianes. Dans certains cas, une extraction trop vigoureuse des lianes provoque parfois des blessures sur les tubercules et les racines, qui deviennent ainsi plus sensibles aux attaques de champignons et peuvent pourrir. Il est clair que les effets provoqués par la récolte entravent la repousse et le renouvellement du stock de feuilles de Gnetum. Il ne s'agit donc pas d'une méthode de récolte durable.

Durant la collecte, il arrive souvent que l'on abatte les arbres sur lesquels poussent les feuilles de Gnetum, causant de graves dégâts. Il apparaît donc que la récolte de Gnetum à l'état sauvage n'est pas une méthode durable. De plus, de nombreuses zones forestières où le Gnetum prolifère subissent une dégradation importante suite à l'exploitation illégale et incontrôlée du bois d'œuvre, à l'agriculture, à la construction de routes et à d'autres formes de développement économique.

4. Comment gérer les ressources de Gnetum de manière durable ?

Pour commencer à limiter certains problèmes liés à la surexploitation de Gnetum, un programme de domestication a été mis en place. L'objectif de ce programme est de parvenir, grâce à la culture de ressources de Gnetum, à réduire la pression sur les ressources sauvages tout en contribuant aux revenus des communautés locales, grâce à des systèmes de culture en coopérative, basée sur la participation du village.

Lors des premiers essais visant à évaluer le potentiel de la culture de Gnetum, de nombreuses techniques de multiplication furent étudiées dont la germination et l'enracinement de boutures feuillues de lianes. De plus, les meilleurs méthodes d'enracinement furent sélectionnées, ainsi que les éléments de propagation les plus efficaces et les moins chers, qui pourraient être fournis aux agriculteurs locaux.

Les premiers essais de multiplication ont permis d'écarter la technique de multiplication de Gnetum par des semences, celle-ci ne pouvant germer dans les pépinières alors qu'elles germent sans problèmes sur le tapis forestier.

4.1. La multiplication végétative

D'après notre étude, il est clair que la technique de propagation végétative des boutures feuillues de lianes constitue la meilleure méthode de multiplication de Gnetum. Durant la période 1994 - 1995, 65 provenances ont été récoltées dans la zone forestière des provinces du Sud-ouest et du Littoral. Ce sont les espèces les plus communément récoltés qui ont été sélectionnées, étant donné que l'appétibilité des Gnetum est très variable. Trente cinq boutures de chaque provenance ont été placées dans des châssis d'enracinement simple, sans système de brumisation, faits de cadres en bois et de panneaux de polyéthylène ( voir la figure 1).

Dans les châssis d'enracinement, les boutures ont été arrosées deux fois par jour pendant une période maximum de six semaines, jusqu'à ce que suffisament de racines se soient développées pour permettre la transplantation dans des pots. Après une période initiale de renforcement (4 à 6 semaines), les individus sont prêts pour la plantation.

4.2. Les essais de terrain

Outre les premiers essais de multiplication, d'autres expériences ont été menées afin d'évaluer le potentiel de culture des Gnetum sur le terrain. Cinq boutures issues de vingt-huit provenances différentes ont étés plantées de manière aléatoire dans un des 28 lots étudiés, sous cinq espèces différentes d'arbres plantés pour des études sur la production de bois, dans le sud de la réserve forestière Bakundu. Après avoir été plantées, les boutures ont été désherbées et des tuteurs ont été posés. La croissance des lianes, leur production de biomasse sous forme de feuilles et leur survie ont été contrôlées et les données ainsi obtenues ont été collectées sur une feuille de données prévue à cet effet.

Un régime de récolte a été mis en œuvre dans le but de déterminer les effets de l'extraction des feuilles sur la repousse. Cinq types de régimes différents ont été testés :

5. Résultats obtenus

En octobre 1997, on compta le nombre de feuilles produites par le Gnetum planté en août 1996 et on l'a soumis à un test de variance. Comme on pouvait s'y attendre, la longueur des lianes variait fortement selon la provenance, certaines ayant une croissance plus rapide que d'autres. En effet, le taux de croissance varie du simple au double selon les provenances et influence fortement des facteurs tels que le rendement et la régénération après la récolte. Dans l'ensemble, le taux de survie du Gnetum, 18 mois après avoir été planté, est élevé. Les taux de survie les plus élevés, 78,2% et 76,7%, ont été enregistré pour les deux provenances les plus vigoureuses, alors que le taux de survie le plus faible était de 57,1%.

En général, on a constaté que les lianes sur lesquelles on avait laissé des feuilles lors de la récolte, produisaient de nouvelles feuilles et que de nouvelles lianes poussaient sur les n_uds où l'on avait récolté les feuilles. Lors de l'application de la méthode d'élagage, un nombre maximum de trois nouvelles lianes ont pu pousser à partir des trois n_uds situés en dessous de la partie coupée de la plante. Aucune repousse n'a été observée dans le cas des lianes coupées au niveau du sol. On a constaté également que lorsque de nouvelles boutures furent prélevées à partir de lianes clonées en pépinière ou en unité de propagation, de nombreuses pousses de lianes et un nombre plus élevé de feuilles ont été produites. Ce qui montre que la production de biomasse de Gnetum peut être récoltée de manière durable, à condition que les méthodes de récolte soient appropriées.

6. Conclusions et recommandations

Les résultats obtenus lors de cette expérience démontrent clairement que les deux espèces de Gnetum peuvent être aisément domestiquées. Des essais en exploitation agricole et en station de recherche ont montré que le Gnetum possède un potentiel considérable pour être utilisé en agroforesterie et dans des systèmes d'agriculture de subsistance. A condition de l'aménager de façon durable, cette espèce peut produire un nombre suffisant de feuilles tant pour la consommation des ménages que pour la vente.

D'autres recherches sont requises afin de déterminer les coûts et les bénéfices de cette culture, et de voir si des cultures de Gnetum peuvent réellement diminuer la dépendance vis-à-vis des ressources sauvages.

Remerciements

L'auteur de cet article remercie l'Union européenne, le British Council et le Darwin Initiative of the Government of the United Kingdom pour leur soutien financier.

Références

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