Previous PageTable Of ContentsNext Page

ECOLOGIE ET PÉRENNITÉ DE PAUSINYSTALIA JOHIMBE: UNE PLANTE MÉDICINALE SUREXPLOITÉE DANS LES FORÊTS D'AFRIQUE CENTRALE

Terry C.H.Sunderland, Marie-Laure Ngo-Mpeck, Zacharie Tchoundjeu et Amougou Akoa

Résumé:

L'espèce Pausinystalia johimbe (K. Schum), Pierre ex Bielle ou yohimbe, est une plante médicinale largement répandue et dont l'écorce est utilisée pour traiter l'impuissance masculine. Elle est exploitée en grandes quantités tant pour le marché local des plantes médicinales que pour les marchés d'exportation en pleine expansion. Or les récents développements dans l'utilisation du yohimbe pour des préparations pharmaceutiques ont provoqué une hausse de la demande à l'exportation, causant ainsi une surexploitation considérable de la ressource et, localement, une pénurie de cette espèce.

Préoccupé par le fait qu'à l'avenir, l'approvisionnement pourrait être compromis par les niveaux actuels de surexploitation, l'industrie pharmaceutique allemande Boehringer Ingelheim, qui importe l'écorce de P. johimbe directement du Cameroun à travers la société Plantecam, filiale du Groupe Fournier, a chargé le CIRAF (Centre international pour la recherche en agroforesterie) de mener une étude pilote sur l'ethnobotanique, l'écologie et la répartition naturelle de cette espèce. L'étude a également évalué les effets des pratiques de récoltes actuelles (Sunderland et al., 1997). Des données plus approfondies ont été collectées en vue d'intégrer cette espèce dans les programmes du CIRAF de domestication des espèces pour leur utilisation dans des systèmes agroforestiers. Cette recherche menée sur le terrain a fourni le matériel de base de notre article.

Mots clés: Pausinystalia johimbe, yohimbe, plante médicinale, culture

1. Introduction

Pausinystalia johimbe est une espèce originaire des forêts littorales d'Afrique centrale, dont l'aire de répartition s'étend du sud-est du Nigeria au Mayombe du Congo (Vivien et Faure). L'écorce contient jusqu'à 6% d'alcaloïdes dont le principal est la johimbine (Tyler, 1993), qu'on appelle également aphrodine, quebranchine ou corynine (Lawrence Review of Natural Products, 1990). P. johimbe est largement utilisée dans les systèmes médicaux traditionnels. Ses utilisations sont très variées: directement comme aphrodisiaque (Small et Adams, 1922; Greenish, 1929; Ainslie, 1937; Dalziel, 1937; Raponda-Walker et Silans, 1961; Motte, 1980; Farnsworth, 1984; Oliver-Beyer, 1986; Tyler, 1993), comme anesthésique local (Greenish, 1929; Oliver-Beyer, 1986), comme un léger stimulant contre la fatigue (Raponda-Walker et Silans, 1961; Obama, observation personnelle de l'auteur), comme hallucinogène (Tyler, 1993), comme remède contre l'angine (Lawrence Review of Natural Products, 1990), comme hypertenseur (Oliver-Beyer, 1986; Lawrence Review of Natural Products, 1990), comme tonifiant (Ainslie, 1937), comme stimulant pour les athlètes, comme remède pour accroître la clarté de la voix des chanteurs lors de longues exhibitions (Motte, 1980), comme poison pour poissons et comme stimulant tonique pour augmenter la résistance des chiens de chasse (Raponda-Walker et Silans, 1961).

Outre son utilisation diversifiée au niveau local, l'espèce est exportée depuis longtemps en Europe pour la médecine occidentale tant sous forme de médicaments que dans le secteur de l'herboristerie. L'usage le plus fréquent de la johimbine dans les produits pharmaceutiques sur ordonnance est actuellement le traitement de l'impuissance masculine liée au diabète (Lawrence Review of Natural Products, 1990; Vaughan, observation personnelle de l'auteur). Parmi les stimulant sexuels en vente libre, beaucoup contiennent de la johimbine . En Grande Bretagne, son usage est devenu très en vogue comme un des "herbal high" qui a été l'objet d'une grande attention médiatique (Castle, 1997). Enfin, les produits à base de johimbine sont depuis longtemps un familiers dans les sex shops à travers l'Europe (Tyler, 1993).

Pfizer, une compagnie pharmaceutique américaine a récemment mis au point un produit pharmaceutique contre l'impuissance et qui ne contient pas de johimbine . Le nom de ce médicament est "Sildenafil" mais il est commercialisé sous le nom de Viagra (Montague, 1997). Il a susciter une grande attention médiatique et un intérêt immense auprès du public pour ce nouveau "remède miracle contre l'impuissance". La médiatisation du Viagra a déclenché une réaction en chaîne, provoquant une recrudescence des ventes de remèdes plus accessibles à base de plantes, surtout ceux contenant de la johimbine (Laird, observation personnelle).

2. Autécologie

2.1. Distribution naturelle et structure des populations

L'espèce P. johimbe se trouve dans les forêts classifiées par Letouzey (1985) comme les forêts atlantiques sempervirentes de Biafran à Caesalpiniaceae, une zone forestière importante, s'étendant du sud-est du Nigeria au Congo-Brazzaville, en passant par le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Gabon (Vivien et Faure, 1985). Le P. johimbe est un arbre à croissance rapide mais n'atteignant pas un diamètre important (on a enregistré un diamètre maximum de 50 cm). Ce diamètre réduit semble être une caractéristique naturelle du genre et n'est pas directement lié à la surexploitation des individus de diamètre supérieur.

On a souvent considéré P. johimbe comme une espèce "commune" (Raponda-Walker et Silans, 1961). Pourtant, il semble que cette espèce, bien qu'elle ne soit pas rare, est loin d'être commune. Lors d'un inventaire établi au Cameroun et en Guinée équatoriale, les données ont indiqué une moyenne de 15 arbres par hectare dont le diamètre est >1cm D1.3 et seulement 4 arbres par hectare potentiellement exploitables dont le diamètre est > 10cm. Vu ces données, il est clair que nous ne pouvons pas soutenir l'hypothèse selon laquelle l'espèce est commune.

2.2. Reproduction

Les graines légères et ailées de P. johimbe sont dispersées par le vent sur de longues distances. Par conséquent, cette espèce ne se reproduit généralement pas à proximité de l'arbre mère. En effet, la distance la plus courte que l'on ait trouvé était de 25 mètres entre la régénération et l'arbre mère. Dans presque tous les autres cas, les semis étaient isolés des arbres mères, ce qui indique une dispersion sur de longues distances.

Bien que cette espèce se trouve la plupart du temps dans des forêts à couvert dense, la germination et le développement des semis requièrent la présence de la lumière. Peu de semis survivent dans la forêt dense si ce n'est dans des zones plus éclairées. Le taux de survie des semis sous un couvert forestier fermé est très bas ce qui permet de déduire que l'espèce P. johimbe a besoin de lumière lors des premiers stades de son développement. Des observations similaires ont été faites récemment sur Lovoa trichiliodes, une espèce importante commercialement pour son bois d'oeuvre (Tchoundjeu, sous presse).

Tableau 1: Données d'inventaire cumulatives de P. johimbe, collectées sur des parcelles au Cameroun et en Guinée équatoriale (Sunderland et al., 1997).

Site d'étude

Description de la végétation

Méthode d'échantillonage

Superficie échantillonnée

Nombre de troncs >1cm de diamètre

Nombre de troncs/ha >10cm D1.3

Campo F.R.

Cameroun

Secondaire junénile

1000mx10m

transect

1 ha

0

0

Campo F.R.

Cameroun

Secondaire évoluée

1000mx10m

transect

1 ha

1

1

Campo F.R.

Cameroun

Couverture forestière dense

100mx100m parcelle carrée

1 ha

16

7

Ntole F.R.

Guinée E.

Couverture forestière dense

500mx10m transect

0.5 ha

10

6

Ntole F.R.

Guinée E.

Couverture forestière dense (légèrement exploitée)

1000mx10m transect

1 ha

3

2

Ntole F.R.

Guinée E.

Couverture forestière dense

1000mx10m transect

1 ha

7

2

Angoma

Guinée E.

Couverture forestière dense (20 ans après exploitation)

500mx10m transect

0.5 ha

29

8

NOMBRE MOYEN DE TRONCS EXPLOITABLES PAR HA = 4

3. Durabilité des ressources

3.1. Pratiques actuelles d'exploitation de l'écorce de P. johimbe au Cameroun

L'écorce de P. johimbe est actuellement entièrement exploitée à partir de populations sauvages. Ce type d'exploitation ne se fait qu'au Cameroun, bien qu'on commence à envisager la possibilité d'exploiter l'écorce dans d'autres pays, tels que la Guinée équatoriale et le Gabon. Il est intéressant de noter que l'exploitation du P. johimbe est souvent menée de concert avec les prospections pour le bois d'œuvre. En effet, les individus de cette espèce sont souvent identifiés lors des inventaires précédant l'exploitation. Après l'exploitation du bois d'œuvre, ce sont souvent les mêmes employés de la société d'exploitation forestière qui s'occupent d'abattre et de tailler les arbres de yohimbe.

Actuellement, Plantecam est le seul exportateur d'écorce de P. johimbe en Europe et son offre annuelle se situe autour de 100 tonnes (120 tonnes en 1996, Simons, 1997). Alors que Plantecam dispose de ses propres équipes de collecte pour l'espèce Prunus africana (représentant jusqu'à 33% de la quantité totale récoltée), l'exploitation de P. johimbe est exclusivement menée par des exploitants extérieurs contactés. Ceux-ci sont regroupés dans des entreprises locales, disposant de permis d'exploitation pour les plantes médicinales. Ces permis sont accordés par le Département des Forêts (voir encadré 1) et la société Plantecam déclare ne pas accepter la livraison de matériel venant d'entreprises ou de particuliers dépourvus de cette autorisation (Nkuinkeu, observation personnelle de l'auteur).

Dans les faits, la situation est toute différente: la plupart du temps, c'est la population locale qui se charge de la récolte de l'écorce et de la vente le long des routes. Celle-ci ne dispose ni de permis, ni d'autorisation permettant d'exploiter l'écorce de P. Johimbe et - à l'insu de Plantecam qui déclare suivre scrupuleusement la loi - se charge de fournir illégalement l'écorce aux contractants. Il en découle que la société Plantecam peut être à son tour approvisionnée de manière illégale.

Figure 2: La surexploitation de Pausinystalia johimbe (Photo: T. Sunderland).

Encadré 1: Permis d'exploitation

L'exploitation à grande échelle de produits forestiers non ligneux tels que les plantes médicinales est soumise à l'obtention préalable d'un permis d'exploitation. Celui-ci détermine la quantité de produits exploitable pour chaque région spécifique et prévoit le volume ou la quantité récoltée en fonction de chaque produit (fruits, écorce, feuilles, etc.). Les quotas devraient être fixés par le Département des forêts, bien que, malheureusement les données de référence et de contrôle sont encore incomplètes. Généralement, la durée d'un permis d'exploitation n'excède pas un an (Loi forestière nationale n°94/01, Article 56, octobre 1994) sauf en cas d'arrangement spécial, comme c'est le cas du permis obtenu par Plantecam pour l'exploitation de Prunus africana dont la durée s'étend jusqu'à 3 ans (Cunningham et Mbenkum, 1993). Il existe aussi des permis qui s'appliquent à des produits spéciaux, qui peuvent être des espèces médicinales ou des espèces d'utilité reconnue. Enfin, même lorsque les ressources de ces produits spéciaux se trouvent sur des terres appartenant à des particuliers, ceux-ci demeurent propriété de l'état, sauf en cas d'acquisition de ces produits par les particuliers en question.

La société Plantecam achète l'écorce à un prix variant entre 125 et 280 francs CFA au kilo, selon le taux d'humidité, l'écorce séchée étant plus coûteuse. Cependant, les exploitants locaux vendent l'écorce au bord des routes à un prix variant entre 75 francs CFA (lorsqu'il s'agit de pygmées vendant l'écorce fraîchement cueillie le long de la route allant de Kribi à Campo) à 150 francs CFA (lorsqu'il s'agit de Boulou qui vendent l'écorce après l'avoir séchée sur des caisses servant à sécher la viande). Récemment, on a chargé le Président du North-West Traditional Healers Association (Association des guérisseurs du nord-ouest), le Chef Formentum, de fournir une quantité importante d'écorce à un négociant (pour la fournir à Plantecam), au prix de 50 francs CFA/kg pour l'espèce P. johimbe et de 75 francs CFA/kg pour l'espèce Prunus africana. Il est clair d'après ce qui précède que la marge de profit des intermédiaires est très élevée, alors que la population locale ne bénéficie pas d'un prix équitable. Malgré cela, aucun des exploitants locaux interviewés ne connaissait la valeur réelle de l'écorce et tous estimaient que la récolte de ce produit et la vente aux intermédiaires étaient une activité rentable.

L'exploitation de l'écorce de P. johimbe est une activité saisonnière car la quantité de johimbine dans l'écorce est plus élevée lors de la saison des pluies (Paris et Letouzey, 1960). Entre mai et septembre, les commerçants se rendent dans les zones où la présence de P. johimbe est connue, prennent contact avec les villageois pour qu'ils exploitent l'écorce, moyennant en échange la prise en charge des moyens de transport et le paiement dans un délai de 2 à 3 semaines.

Les principes d'une exploitation "durable" de l'écorce sont appliqués à l'espèce Prunus africana, à savoir l'extraction de 2 quarts opposés de l'écorce (située face à face) et l'extraction successive, quelques années plus tard des 2 quarts restants. Ces principes, ne sont pas appliqués pour l'espèce P. johimbe. L'écorce récoltée est souvent exploitée exclusivement à partir du tronc principal (sauf dans le cas de l'exploitation de l'arbre par les pygmées, voir ci-dessous) et les branches sont laissées de côté. C'est assez surprenant, étant donné que tant les branches et les jeunes troncs que les feuilles contiennent de la johimbine . Afin d'accroître la production, les arbres sont souvent abattus et Plantecam reconnaît elle-même que "98% des arbres exploités sont probablement abattus" (Nkuinkeu, observation peronnelle de l'auteur). Selon la majorité des personnes interrogées, les arbres peuvent être exploitée quand ils ont environ 10 cm de diamètre. Bien que tous estiment qu'il est plus facile et plus économique d'exploiter des arbres ayant un diamètre supérieur, de tels individus ne se trouvent pas si facilement.

Lors d'une visite sur le terrain, on nous a expliqué que si les arbres P. johimbe cicatrisaient bien lors de l'extraction d'une petite quantité d'écorce5, l'extraction d'une surface plus importante exposait l'arbre aux attaques de foreurs de tiges, qui pénètrent dans le tronc sans protection et tuent l'arbre. C'est pour cette raison que de nombreux exploitants préfèrent abattre les arbres "qui mourraient de toute façon" (Bivina, observation personnelle de l'auteur). Les exploitants bakola (des pygmées), qui sont souvent employés dans la récolte du yohimbe le long de la route entre Edea et Campo, procèdent en abattant l'arbre et en le tronçonnant successivement en parties faciles à transporter. L'écorce est extraite directement à partir des grumes découpées et transportée au bord de la route pour y être vendue. Les pygmées exploitent l'écorce sur toute la surface de l'arbre, y compris sur les branches. Enfin, les grumes restantes sont utilisées comme combustible (Mana, observation personnelle).

3.2. Les conséquences liées à l'exploitation

Malgré l'exploitation intense dont elle est l'objet, l'espèce P. johimbe possède une bonne capacité pour reproduire de jeunes individus sains et son taux de régénération semble satisfaisant. Cependant, ces données sont trompeuses car, bien que la capacité de régénération actuelle de l'espèce ne semble pas encore compromise, si l'abattage d'arbres semenciers se poursuit au rythme actuel, dans certaines régions le potentiel de régénération de l'espèce risque d'être menacé (une diminution des semences de l'arbre causant une diminution des semis, provoquant à son tour un recrutement plus réduit et affectant en fin de compte le nombre arbres pouvant être potentiellement exploités).

4. La confusion entre P. johimbe et P. macroceras

Lors d'une étude sur l'espèce P. johimbe et d'autres espèces proches, Henry (1939) a conclu que l'espèce P. macroceras contient un certain nombre d'alcaloïdes, en particulier des quantités importantes d'alcoïde johimbine inactive, à tel point que cette espèce a été appelée "faux yohimbe" (Small et Adams, 1922). La johimbine est elle-même présente dans l'espèce P. macroceras mais dans de très faibles quantités. Malgré la concentration réduite de johimbine , l'écorce de P. macroceras est couramment utilisée comme aphrodisiaque, dans les zones où l'espèce est présente, surtout en l'absence de ressources de P. johimbe (Motte, 1980, observation personnelle de l'auteur) et les deux espèces sont utilisées selon les coutumes locales de soins médicaux. (Ibid.)

On peut distinguer les deux espèces sur le terrain grâce aux caractères des entailles. La johimbine se caractérise par une teinte entre le jaune, l'orange et le marron lors de l'exposition à la lumière. Alors que P. johimbe s'oxyde très lentement prenant une teinte rouge-brunâtre, P. macroceras s'oxyde rapidement. Cependant, il est clair que cette caractéristique n'est pas fiable sur le terrain. Les caractéristiques de l'écorce et du troncs étant fort semblables pour les deux espèces, il est presque impossible de les distinguer en se basant sur les caractères des entailles. De plus, la distinction entre ces deux espèces n'est pas facilitée par le fait qu'elles sont très allopatriques, rendant une identification directe sur le terrain souvent impossible. La distinction se fait plus facilement à partir des feuilles: P. johimbe a des feuilles sessiles, obovale, de 15-25 cm de long et souvent en trois lobes, possédant chacun un pétiole à la base, alors que P. macroceras a des feuilles pédonculées, ovoïdes, de 6-15 cm de long.

Il existe certaines différences plus subtiles: l'écorce de P. johimbe est très amère et facile à écorcer, alors que celle de P. macroceras est moins amère et extrèmenent difficile à écorcer, nécessitant souvent d'être d'abord battue pour détacher la couche de cambium recouvrant le bois de c_ur. Il est intéressant de noter la recommandation de Plantecam, selon laquelle l'écorce de P. johimbe doit être systématiquement battue avant son extraction. Lors de notre travail sur le terrain, nous avons cependant constaté que ce n'était pas nécessaire et que, pour tous les individus de P. johimbe échantillonés, l'écorce pouvait être aisément retirée.

Autre remarque intéressante: parmi tous les groupes ethniques que nous avons interviewés, seul le groupe des Boulou distinguait les deux espèces P. johimbe et P. macroceras en attribuant le nom "crocodile" au premier et "caïman" au second. Les autres groupes (Fang, Bassa, Bali, Béti, Baka et Bakola) ne faisaient pas la distinction, ce qui indique que les deux espèces ont les mêmes utilisations. Cependant, même s'ils distinguaient les deux espèces, les Boulou les utilisaient de la même façon et notre informateur nous a confirmé qu'il n'y avait pas de différence dans les effets du traitement à l'écorce des deux espèces (Bivina, observation personnelle de l'auteur). En outre, on dit de l'écorce de P. macroceras qu'elle est plus souvent exploitée car elle est plus répandue (Ibid.).

Vu les données récoltées sur le terrain et le fait qu'une partie de l'écorce fournie à la société Plantecam ne contient qu'une faible proportion de johimbine , il ne fait aucun doute qu'une grande partie de l'écorce livrée (de 60 à 70%) appartient à l'espèce P. macroceras, caractérisée par un faible contenu de johimbine de qualité médiocre. Un simple manuel de terrain, spécialement conçu pour les cueilleurs, pourrait sans doute faire en sorte que l'écorce livrée soit de l'espèce P. johimbe, ce qui permettra à la fois de conserver les ressources de P. macroceras et d'assurer la rentabilité de la récolte (grâce à la plus grande concentration d'alcaloïdes contenus dans l'écorce après sa transformation).

5. Conséquences sur l'aménagement et la durabilité

5.1. Potentiel de domestication de l'espèce

Suite à des méthodes de récolte destructrices et à l'expansion importante du marché des produits aphrodisiaques, le CIRAF a entrepris un programme de recherche visant à évaluer le potentiel de domestication de P. johimbe et son introduction dans des systèmes agroforestiers.

Un des dilemmes majeurs, auquel tout programme de domestication se trouve confronté, est d'évaluer si cela vaut la peine d'entamer la domestication d'une espèce pour un hypothétique marché futur, qui pourrait ne plus exister lorsque le produit concerné atteint sa maturité. Au contraire,certains pourront décider que la nature volatile de ces marchés rend l'entreprise risquée et préféreront éviter de prendre des actions, attitude conduisant inévitablement à l'éradication de l'espèce. En ce qui concerne les espèces P. johimbe et Prunus africana, le développement de systèmes de culture se justifie pleinement, tant par l'urgence écologique évidente de conservation de ces espèces que par la stabilité prévisible du marché à court et moyen terme. Si le marché devait disparaître à long terme, les espèces pourraient quand même être utilisées pour d'autres usages, par exemple en tant que combustible, sans compter leur utilité pour l'environnement.

Tableau 2: Critères de détermination des écorces de P. johimbe et P. macrocera (à partir de Small et Adams, 1922).

 

P. johimbe

P. macroceras

Caractères macroscopiques

   

Epaisseur

4-20mm

2-5mm

Face externe

   

Couleur

Gris à rougeâtre-marron

marron fonçé ou clair

Surface

Sillons longitudinaux; nombreuses fentes transverses, séparées de 1-2 cm

Souvent rugeuse; crêtes et sillons longitudinaux; crâquements transversaux courbés

Lichens

Gris ou blanc; peu ou nombreux

Gris, souvent nombreux

Liège

Fin ou épais, souvent facilement détachable

Fin, adhérent fortement

Face interne

   

Couleur

Rougeâtre-marron

marron fonçé ou rougeâtre-marron

Surface

Finement striée et ondulée

Ondulée et striée

Cassure

Courte, fibreuse, parfois splintery à l'intérieur, surfaces douce, duveteuse.

Comme P. johimbe

Caractères microscopiques

   

Liège

   

Epaisseur du liège

1/20 to 1/3

1/4 to 2/3

Epaisseur du cortex (Nb de cellules)

3-30

2-40

Couleur

Gris à marron fonçé

Marron foncé

Phelloderme

   

Epaisseur (Nb de cellules)

2-12

4-20

Couleur

Jaunâtre gris à rougeâtre marron

Comme P. johimbe

Cortex

   

Epaisseur du cortex

1/16 to 1/1

1/6 to 1/1

Couleur

Jaunâtre marron à rougeâtre marron

Comme P. johimbe

Rayons médullaires

   

ST épaisseur du liber interne

1-4 cellules

1-3 cellules

Régularité

Droit

droit

ST épaisseur du liber externe

1-3 cellules

1-3 cellules

    Régularité

Divergeant, cellules s'allongant tangentiellement

Se courbant irregulièrement, cellules s'allongant tangentiellement

    Extremités

Droites ou courbées

Souvent tordues, courbes

SL tangentielle, épaisseur

1-3 cellules

1-3 cellules

Profondeur

6-35 cellules

5-20 cellules

Forme

Etroit ou rectangulaire

Assez rectangulaire, avec des extrémités légèrement éfilées

SL profondeur radiale

8-30 cellules

5-20 cellules

Fibres libériennes

   

Regroupement

Le plus souvent en lignes d'une cellule d'épaisseur, 1-3 apparaissent «en perles», non jointes dans le liber externe

Lignes radiales de 2-3 cellules d'épaisseur, fréquentes mais pas «en perle»; jointes dans le liber externe

Diamètre

22-29_

22-23_

Longueur

0.7-1.6mm

0.6-1.9mm

Forme ST

Rectangulaire

Rectangulaire

Forme SL

En long, extrémités pointues

En long, extrémités très pointues

Canal médullaire

En forme de point, parfois linéaire

Linéaire ou parfois en forme de point

Paroi

Épais, non striée

Épais, non striée

5.2. Multiplication végétative

Les souches des individus abattus sont connues pour rejeter facilement au niveau où la coupe a été effectuée et les nouvelles pousses sont souvent à la fois saines et nombreuses. Cette capacité de produire des rejets est une indication positive, montrant la grande possibilité de production d'un matériel de propoagation clôné, qui peut être obtenu à partir d'un stock d'individus bien selectionnés. Des premiers essais de propagation végétative ont été extrêment positifs (Tchoundjeu et al.; sous presse).

Figure 3: souches de taillis de Pausinystalia johimbe (Photo: T: Sunderland).

5.3. Propagation des semences

Les graines de P. johimbe ont des caractéristiques classiques. De telles graines sont souvent capables de rester dormantes dans le sol pendant un certain temps, et de germer seulement lorsque la qualité de lumière devient favorable (rapport rouge/infra-rouge), en particulier lorsque davantage de lumière directe peut atteindre le sol. Des essais sur la récolte des graines et la germination ont montré que la propagation des graines est possible, mais les jeunes semis sont vulnérables au "damping off", une maladie causée par des champignons qui attaquent les cotylédons nouvellement éclos. Des recherches plus approfondies visant à améliorer les méthodes de propagation par graines sont actuellemt en cours.

5.4. La gestion in situ

S'il est important d'instaurer un programme de domestication pour les espèces menacées d'extinction telles que P. johimbe, il est également essentiel de compléter cette démarche par un système d'aménagement forestier rationnel. Les caractéristiques écologiques de P. johimbe (croissance rapide, reproduction grégaire, nécessitant de la lumière) suggèrent que, grâce à des recherches plus approfondies sur les possibilités de peréniser une récolte d'écorce à partir de l'arbre sur pied, on pourra obtenir une estimation assez fiable des quantités que l'on peut récolter dans la forêt sur pieds.

Enfin, il est également essentiel que la population locale tire des bénéfices de l'exploitation d'une ressource telle que le yohimbe. Au Cameroun, et bientôt au Gabon et en Guinée équatoriale, on s'oriente vers un aménagement des ressources forestières avec, pour objectif, que la gestion durable puisse assurer aux communautés concernées des bénéfices liés à l'exploitation et un prix équitable des produits. Malheureusement, ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. P. johimbe pourrait sans doute fournir une bonne étude de cas de la gestion équitable et rationnelle des ressources d'un produit forestier d'une telle valeur.

Remerciements

Nous tenons à remercier Anacletus Koufani, Augustin Njiamnshi, Crisantos Obama et Dinga Njingum Franklin pour leur contribution précieuse lors de notre étude sur le terrain.

Références

5 On a récolté un échantillon de l'écorce pour pouvoir déterminer sa teneur en Johimbine et la qualité de celle-ci. Ces facteurs ont des conséquences sur la gestion durable potentielle des populations sauvages.

Previous PageTop Of PageTable Of ContentsNext Page