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LE PROGRAMME DE CONSERVATION PAR LA CULTURE, MIS EN OEUVRE AU JARDIN BOTANIQUE DE LIMBE: RÉUSSITES ET AVANTAGES

Joseph P.Nkefor, Nouhou Ndam, Paul C. Blackmore et Terry C.H. Sunderland

Résumé

Le Jardin Botanique de Limbe a développé un Programme de conservation par la culture (Programme CTC), dans le but de favoriser la conservation de la biodiversité riche et fragile du Mont Cameroun. Le premier objectif de ce programme est de préserver les espèces sauvages commerciales les plus menacées, en réduisant la pression d'exploitation sur les ressources sauvages, grâce la disponibilité du matériel cultivé. La réalisation de cet objectif passe par l'application d'un programme de recherche structuré, impliquant le développement de méthodes de domestication et de culture efficaces et peu coûteuses pour les espèces cibles.

Cet article présente à la fois la méthodologie appliquée dans le cadre du Programme de conservation par la culture et les avantages écologiques et sociaux (immédiats et à long terme) du travail déjà entrepris. Quelques problèmes particuliers rencontrés lors de ce programme de recherche seront également traités.

Mots clés: Conservation, culture, produits forestiers non ligneux, Jardin Botanique de Limbe, Cameroun.

1. Introduction

Le Mont Cameroun est caractérisé par une biodiversité très riche et très fragile, comprenant un nombre élevé d'espèces animales et végétales endémiques. Or ce patrimoine est menacé en raison de la destruction de l'habitat de ces espèces, la reconversion rapide des forêts en plantations, le défrichement causé par les cultures itinérantes et le risque associé au feu de brousse, l'exploitation à faible impact de bois d'œuvre et la surexploitation des produits forestiers non ligneux, tels que Prunus africana et Gnetum spp.. Pour lutter contre ce dernier problème en particulier, le Jardin Botanique de Limbe (JBL) a développé en 1994 le Programme de conservation par la culture, dont l'objectif est de réduire l'ampleur des dégâts causés par la surexploitation des PFNL, tout en améliorant les revenus des ménages et en assurant un partage équitable des bénéfices dérivant de ces ressources forestières.

2. Objectifs

Le but principal du Programme de conservation par la culture est de préserver les populations sauvages produisant des PFNL en réduisant la pression d'exploitation à laquelle elles sont soumises. Ce programme comprend les activités suivantes :

Ce programme est structuré de façon à réaliser ces objectifs, grâce à la mise au point d'une stratégie de recherche cohérente et systématique pour chaque espèce cible. Les méthodes employées pour ces premiers travaux sont :

3. Méthodes utilisées

3.1. Sélections de taxons cibles

La sélection d'espèces cibles se fait selon des règles strictes, dépendant des critères sociaux et institutionnels suivants :

Ces règles sont renforcées par les critères biologiques suivants :

Ce processus de sélection tient également compte des études de marché sur la demande locale, le niveau de la consommation de certains PFNL et des entretiens avec les exploitants forestiers locaux, le personnel du Jardin Botanique de Limbe et les experts nationaux du projet pour le Mont Cameroun, qui sont constamment en contact étroit avec la population villageoise de la région.

3.2. Recherche préliminaire

La recherche préliminaire implique le rassemblement de nombreux documents, afin d'obtenir le maximum d'informations sur les taxons cibles. Cette documentation fournit la base indispensable du programme et permet d'appliquer une stratégie de recherche cohérente pour chaque espèce sélectionnée. Une attention particulière est accordée aux données taxonomiques, à l'abondance et la distribution, ainsi qu'aux aspects écologiques et socio-économiques de chaque espèce. La majorité de ces espèces n'ayant pas encore été cultivée, il est souvent difficile d'obtenir des informations sur les données de culture existantes.

Une enquête éco-géographique reposant à la fois sur la documentation existante et sur des herbiers comprenant les taxons cibles est également entreprise, dans le but de fournir une description taxonomique précise des espèces considérées, une analyse de la distribution géographique et des variations écologiques, permettant l'échantillonnage d'un pool de gènes diversifié. Cette étude tient également compte de la phénologie des taxons, pour assurer que les campagnes de collection de graines puissent être programmées de la manière la plus opportune possible. L'enquête éco-géographique constitue la condition nécessaire pour la réussite de la collection des semences et est essentielle pour obtenir, dans des systèmes de culture, un échantillon aussi représentatif que possible des espèces sauvages.

3.3. La collection de matériel génétique sur le terrain et la méthode d'échantillonnage

Il est important d'obtenir la base génétique la plus large possible, en se procurrant des échantillons prélevés au hasard à partir de l'ensemble de l'aire géographique de l'espèce considérée et en faisant en sorte de cibler le maximum d'écotypes différents. Par exemple, dans le cas de Prunus africana, on privilégie le critère de la distribution par rapport à d'autres tels que la distance et l'altitude (ces 2 facteurs géographiques confèrent au milieu des conditions écologiques différentes, donnant lieu à une grande variété d'écotypes). On fait particulièrement attention à maintenir séparés les échantillons de population récoltés durant tout le processus de domestication (Blackmore, 1997). On récolte des données détaillées sur les populations (données de provenance) au cours de la collecte des échantillons. Ces données doivent porter autant sur les conditions écologiques (altitude, longitude, latitude, type de sol, conditions du sol, aspect et type de végétation) que sur les collecteurs (date de la collection, nom des collecteurs, etc...). Il s'agit d'informations essentielles tant pour leur valeur scientifique que pour la conservation.

La qualité du matériel génétique dépend étroitement de sa manipulation avant et après la collecte, ainsi que sur le maintien de la séparation de chaque génotype identifié. Tous les efforts sont mis en œuvre afin d'éviter les mélanges dans le matériel collecté lors des stades de semis et de plantation.

3.4. Tests de germination et essais de propagation

Des essais de propagation et de multiplication sont entrepris pour déterminer les méthodes les plus rentables de production de masse. La dormance des semences est un des problèmes les plus sérieux auquel se trouve confronté le Programme de conservation par la culture et se manifeste surtout auprès de nombreuses espèces de rotin qui peuvent prendre jusqu'à 9 mois pour germer. Cependant, il est possible de lutter contre ce problème de dormance grâce à toute une série de traitements pré-semis. Il arrive souvent (comme c'est le cas pour Gnetum spp.) que les boutures soient la méthode de multiplication la plus appropriée. Il faut cependant essayer de nombreux types de boutures et de méthodes artisanales de production de plants, faire de nombreux essais et connaître des erreurs, avant de pouvoir déterminer quelles sont les méthodes de propagation les plus appropriées et les plus utilisables.

3.5. La distribution de plants et le suivi après la plantation

La réussite du Programme de conservation par la culture dépend étroitement d'une distribution de plants bien organisée et des activités de contrôle après la plantation. Une grande partie des plants produits est mise à disposition des communautés locales à un prix réduit minimum. L'expérience a montré que lorsqu'on donne gratuitement les plants, la population n'en prend pas soin de la même manière que lorsqu'elle les achète. Peu importe que l'investissement soit faible: une plante achetée a une valeur importante et est bien entretenue. Grâce à la vente des plants, le JBL est en mesure de récupérer une petite partie des coûts d'investissement pour les essais de propagation et de culture.

Le plus souvent, la distribution du matériel végétal est assuré par le réseau de village du projet du Mont Cameroun, ainsi que par l'intermédiaire d'équipes de vulgarisateurs, de coopératives agricoles et, plus récemment, d'organisations non gouvernementales (ONG). Une condition préalable à la distribution est la possibilité de suivre la croissance et le développement des plants distribués par le personnel du JBL.

3.6. Caractérisation et évaluation du matériel végétal

La caractérisation est l'observation des caractères hautement héréditaires et qui se maintiennent dans le milieu. Ces caractères sont très importants car ils déterminent la qualité du matériel végétal, tant au niveau génétique que commercial (par exemple une quantité élevée d'alcaloïde pour les espèces médicinales, une valeur nutritive importante pour les espèces alimentaires). Les données concernant l'évaluation du matériel végétal se basent sur l'observation et sur des mesures de l'interaction entre le matériel génétique et son nouvel environnement. Ces caractères sont importants car ils indiquent la survie ou la perte de certains génotypes et de leurs caractéristiques en fonction des conditions de milieu (Ford et al., 1986). Ce raisonnement est à la base du programme de contrôle des taxons cibles entrepris par le Jardin Botanique de Limbe.

Figure 1: Essais de multiplication de Prunus, entrepris par le CIRAF et le Jardin Botanique de Limbe à Tote
(Photo: T. Sunderland).

3.7. Publication et diffusion des informations

Ce travail a donné suite à de nombreuses publications dans le but de diffuser les connaissances rassemblées au cours de notre recherche (Sunderland and Nkefor, 1997b; Earth Love Fund, 1997).

La diffusion des informations a également été possible grâce à des réunions d'experts scientifiques (Sunderland et Nkefor, 1996a; Sunderland et Nkefor, 1996b; Sunderland et Nkefor 1997a) et grâce à des présentations informelles du travail réalisé au Jardin Botanique de Limbe, faites à des groupes d'agriculteurs et à des vulgarisateurs.

3.8. La vulgarisation des informations

Après avoir déterminé des méthodes appropriées et transférables de propagation en masse de chaque espèce cible, il faut transmettre les connaissances acquises à ceux qui sont susceptibles de les appliquer. Une des réussites les plus importantes de ce programme a été la formation de formateurs et de vulgarisateurs dans le domaine des méthodes de propagation adaptées pour chaque espèce. Cette formation a été organisée de manière formelle et informelle et a permis la formation d'étudiants et d'étudiants-chercheurs en horticulture (parmi eux, huit sont issus du Collège régional d'agriculture de Bambilli, de l'Ecole forestière Mbalmayo et de l'Université de Buea). Du personnel de terrain du Ministère de l'Environnement et des Forêts (MINEF) a également été formé.

Figure 2: Diffusion des résultats des travaux de recherches et des techniques de multiplication (Photo: T. Sunderland).

4. Réalisations obtenues grâce au Programme de conservation par la culture.

Au-delà de l'apport des données techniques rassemblées grâce à la méthodologie décrite ci-dessus, d'autres réalisations ont été possibles, grâce à l'utilisation du matériel produit dans le cadre du Programme. Il s'agit de:

5. Les avantages du Programme CTC

5.1. Avantages pour les populations locales

Les principaux avantages que ce programme a fourni aux populations locales sont :

6. Les problèmes rencontrés lors de ce programme

Initialement, la plupart des problèmes étaient d'ordre technique et concernaient surtout le choix de la meilleure méthode de multiplication en masse. Afin de résoudre ces problèmes, différentes variantes d'une approche sont proposées: par exemple, si la propagation des graines pose un problème, on applique la méthode de propagation clonale.

La distribution de matériel végétal a été entravée du fait que de nombreux groupes locaux d'agriculteurs, les ONG et les organismes de vulgarisation n'ont pas accès aux moyens de transport et ont du mal à acheminer le matériel de la pépinière du Jardin Botanique jusqu'au site de plantation. Au sein du Jardin Botanique de Limbe, l'ODA a fourni un support important au programme, bien qu'aucun budget n'ait été initialement prévu pour couvrir les frais supplémentaires.

7. Menaces pesant sur la réussite du Programme CTC

8. Autres commentaires et nouvelles étapes proposées

La prochaine étape de ce Programme est de continuer l'identification d'espèces appropriées pour continuer et approfondir le travail réalisé jusqu'à présent et utiliser l'expérience acquise, afin de préserver d'autres espèces menacées. Il est également important de poursuivre le contrôle des jeunes plants existants, surtout ceux en condition de plantation, de façon à déterminer la viabilité d'une telle approche. Le Jardin Botanique de Limbe a créé un programme de surveillance qui est actuellement dans sa phase d'application. Il serait également utile d'entreprendre une analyse de marché pour de nombreuses espèces cibles, afin de pouvoir déterminer la viabilité économique de la culture de tels produits.

Remerciements

Les financements pour le lancement de ce Programme ont été fournis en 1994 par le "Earth Love Fund". L'ODA (maintenant DFID) a financé le programme par la suite. Nous remercions également les Amis du Jardin Botanique de Limbe, pour leur participation active dans l'établissements d'essais de Gnetum, ainsi que le personnel de la pépinière du Jardin Botanique de Limbe, pour leurs efforts et leur volonté de contribuer à la réussite de ce Programme

Références

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