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LA DOMESTICATION DES ARBRES INDIGÈNES AGROFORESTIERS: LA STRATÉGIE DU CIRAF DANS LES RÉGIONS TROPICALES HUMIDES D'AFRIQUE CENTRALE ET D'AFRIQUE DE L'OUEST

Zacharie Tchoundieu, Bahiru Duguma, Marie-Laure Tiencheu et Marie-Laure Ngo-Mpeck

Résumé

Les forêts tropicales humides d'Afrique centrale et d'Afrique de l'ouest sont riches en espèces d'arbres fruitiers et en plantes médicinales indigènes. De nombreux ménages ruraux de la région dépendent de ces ressources qui leur fournissent des bien essentiels tels que des fruits, des médicaments, de la nourriture et du matériel de construction. En outre, certains de ces produits, en particulier les plantes médicinales, font l'objet d'un commerce international et contribuent de manière significative à l'économie des pays de cette région. A présent, la majorité de ces produits sont exclusivement exploités à partir de ressources sauvages. Or, le taux accéléré de destruction des forêts d'Afrique centrale est actuellement estimé à 60% par an (FAO, 1997). Le défrichement des forêts pour faire place à l'agriculture, l'urbanisation croissante ainsi que d'autres formes de développement économique rendent impératif le recours à la domestication de nombreuses ressources forestières ayant une valeur élevée. Ainsi, on peut espérer donner la possibilité aux petits exploitants de cultiver ces espèces dans un système durable d'un point de vue écologique et économiquement rentable. Afin d'augmenter le potentiel d'utilisation de ces cultures, on préconise la recherche de nouveaux débouchés meilleurs, grâce à la transformation de marchandises ayant une plus grande valeur ajoutée et à une politique de l'environnement rationnelle. Cet article présente une vue d'ensemble sur l'approche de domestication des arbres, préconisée par le CIRAF, ainsi que les premiers résultats pratiques obtenus jusqu'à présent en Afrique centrale et en Afrique de l'ouest.

Mots-clé: Domestication, multiplication végétative, semence, marcottage

Introduction

Depuis des millénaires, la gamme importante des espèces ligneuses pérennes réparties dans les régions tropicales humides ont satisfait bon nombre des besoins des populations indigènes (Leakey, 1998; Okafor et Lamb, 1994; Abbiw, 1990). Avec la pression démographique, ces ressources s'épuisent, du fait de la demande croissante de terres productives destinées à être reconverties en terres agricoles, qui se traduit par un défrichement important des forêts. La déforestation réduit la diversité des espèces et provoque l'érosion de la base génétique des arbres tropicaux, y compris ceux qui contribuent de manière essentielle à la survie des populations de ces régions.

Malgré leur grande richesse et la diversité des espèces qu'elles abritent, les forêts humides sont également extrêmement fragiles. Par exemple, lorsque les terres forestières subissent un défrichement pour faire place à l'agriculture (basée sur le système de cultures itinérantes traditionnelles), elles restent productives pendant une période ne dépassant pas 3 ans. Ensuite, elles doivent être mises en jachère ou en repos pendant plus de 20 ans avant de pouvoir être à nouveau cultivées. Les pratiques de cultures itinérantes détruisent la végétation et exposent le sol à des conditions climatiques rigoureuses (plus forte radiation solaire et pluies abondantes). Ces conditions climatiques provoquent à leur tour une perturbation du cycle nutritif et des dégâts importants au stock des ressources naturelles, ayant des conséquences sur l'environnement global (Ahn, 1974; Lal et al., 1975; Jha et al., 1979). On estime que les pratiques de cultures itinérantes sont responsables de 60% des pertes annuelles des forêts (FAO,1997).

En réponses aux dégâts causés à l'environnement et à la nécessité d'assurer la subsistance des populations de la région, l'agroforesterie est avancée comme une solution possible (Leakey, 1998). L'objectif de ce système est de développer une forme d'utilisation durable des terres, tout en améliorant le bien-être des populations concernées. Les systèmes agroforestiers traditionnels font déjà partie intégrante des systèmes de culture dans les régions tropicales humides d'Afrique. De simples systèmes indigènes à plusieurs étages, comme la culture de cacao (Theobroma cacao) ou les potagers mixtes, composés de plusieurs espèces de plantes médicinales et d'arbres fruitiers, existent déjà dans la région (Okafor et Fernandez, 1987).

Dans d'autres parties du monde, des potagers semblables, composés d'arbres, sont en mesure de couvrir 44% des besoins en féculents et 32% des besoins en protéines des populations concernées, tout en ne prenant que 7% de leur temps de travail (Cooper et al., 1996). Outre leur importance économique et nutritionnelle, ces systèmes se caractérisent également par leur diversité écologique et leur plasticité environmental.

En Afrique de l'ouest et en Afrique centrale, les objectifs en matière de production de ces systèmes agroforestiers simples, comme les plantations de cacao ou de café, sont souvent ciblés sur un seul produit de base (par exemple le café ou le cacao). Ce type de système expose les agriculteurs à des risques importants lors des fluctuations de prix, des changements de politique ou des catastrophes naturelles telles que les épidémies. Par exemple, lors de la chute dramatique du cours mondial du cacao entre la fin des années 80 et le début des années 90, tant les producteurs que l'ensemble des nations concernées ont souffert d'une grave récession économique. La plupart des agriculteurs ont alors abandonné leurs fermes ou reconverties leurs plantations de cacao en d'autres plantations agricoles (Duguma et al., 1998).

Comme nous l'avons remarqué auparavant, dans l'immense majorité des systèmes agroforestiers, les agriculteurs cultivent différentes variétés de fruits indigènes et de plantes médicinales. Toutefois, aucune de ces espèces n'a fait l'objet d'une sélection systématique ou d'une amélioration en termes de quantité ou de qualité. Le système de cultures intercalaires, développé de manière informelle par les agriculteurs, n'a jamais profité de la science moderne pour optimiser la rentabilité des ressources tant du point de vue de l'environnement qu'au niveau économique. Bien que de nombreuses espèces sont connus pour être intercallées dans les cultures, les systèmes agroforestiers simples d'Afrique centrale et d'Afrique de l'ouest semblent nettement moins diversifiés et sous-utilisés, comparativement aux systèmes agroforestiers plus complexes d'Asie du Sud-Est (CIRAF, 1987, Duguma et al.,1990, Duguma, 1994). Cela laisse supposer qu'il y a un potentiel considérable pour le développement de ces systèmes en Afrique centrale et en Afrique de l'ouest.

Depuis quelque temps, néanmoins, on s'intéresse davantage à l'optimisation de la valeur et du rôle des espèces indigènes prisée dans les systèmes de cultures à base d'arbres, en Afrique centrale et en Afrique de l'ouest. Le Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF) a développé une telle initiative en 1994, dont les objectifs sont les suivants: premièrement, identifier les espèces prioritaires (ayant une grande valeur pour les agriculteurs), en cherchant à améliorer leur base génétique et deuxièmement, intégrer ces espèces, grâce à des techniques de domestication, dans des systèmes améliorés à plusieurs étages, mis au point grâce aux données de la science agroforestière et du savoir traditionnel. Les stratégies utilisées dans ce programme et les résultats préliminaires obtenus jusqu'à présent sont développés ci-dessous.

Identification des espèces prioritaires

A quelques exceptions près, le matériel génétique des arbres utilisés, ou prêt à l'usage, dans les systèmes agroforestiers est sauvage et n'a pas subi d'améliorations. Le nombres d'espèces existant dans les technologies agroforestières est énorme: il varie entre 100 et 2500 espèces (Simons, 1996). Il va de soi qu'un programme de domestication ne peut être appliqué à tant d'espèces de manière efficace et que toutes les espèces ne peuvent être domestiquer.

Ainsi le CIRAF a établi une structure décisionnelle dans le but de déterminer si une espèce devait être domestiquée ou non et, le cas échéant, avec quelle intensité et quels objectifs (Jaenicke et al., 1995; Franzel et al., 1996). Cette échelle des priorités est importante dans la mesure où elle permet d'identifier quelles sont les espèces prioritaires pour les agriculteurs et quelles sont celles qui contribuent le plus à réaliser les objectifs de la recherche tout en étant peu coûteuses et rentables. Dans cet exercice d'établissement des priorités, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui indiquent quelles sont les arbres les plus importantes et de quelle manière ils souhaitent les améliorer.

Ces directives concernant l'établissement de priorités représentent une avancée importante pour le développement de méthodologies procédurales. Le processus comprend 7 phases :

Ensuite, les chercheurs pourront cibler leur collection de matériel génétique sur des individus d'arbres que les agriculteurs estiment de meilleure qualité. Cette méthodologie pour l'établissement de priorités a été utilisée dans bon nombre d'écorégions: les plaines semi-arides et les plaines humides d'Afrique de l'ouest, les plaines amazoniennes du Pérou, la péninsule du Yucatán au Mexique et l'écozone forestière de Miombo en Afrique du Sud (CIRAF, 1994).

Grâce à l'application de cette méthodologie dans les plaines humides d'Afrique de l'ouest (HULWA), on a identifié les espèces suivantes en vue de leur domestication (classées par ordre d'importance) :

Outre les espèces citées, deux autres espèces ont été ajoutées dans le programme de domestication du CIRAF: Prunus africana et Pausinystalia yohimbe. Ce choix a été fait car il s'agit d'arbres qui ont des vertues médicinales, qui sont très importants dans les marchés internationaux actuels et futurs, qui constituent donc une source potentielle de revenus et qui sont surexploités dans les peuplements naturels (Cunningham et Mbenkum, 1993; Dawson, 1997; Ndibi et Kay, 1997; Leakey, 1997; Sunderland et al., 1997).

La création d'une banque de gènes

Après la selection des espèces prioritaires, la création d'une banque de gènes est une étape cruciale dans le processus de domestication des arbres. En premier lieu, elle joue le rôle de "banque", pour fournir de manière continue le matériel génétique diversifié des espèces prioritaires, en vue d'une selection future. Il va de soi que cet objectif ne peut être atteint que lorsque la récolte du matériel génétique initial est entreprise dans un rayon géographique suffisamment vaste et diversifié dans l'aire de répartition naturelle de l'espèce. Ainsi, les chercheurs disposent d'informations préliminaires sur le terrain concernant la croissance, l'architecture, la sensibilité ou la résistance aux maladies, etc ...., informations fondamentales dans le processus de selection. L'expérience du CIRAF sur les espèces Irvingia gabonensis, Irvingia wombulu, Prunus africana et Pausinystalia johimbe est rapportée ci-dessous.

3.1. Irvingia gabonensis

Dans les plaines humides d'Afrique de l'ouest, les agriculteurs ont identifié l'espèce Irvingia gabonensis (mangue sauvage) comme espèce prioritaire dans leur écorégion. La mangue sauvage est très commercialisée dans l'ensemble de la région (Ndoye, 1995) et les parties utilisés sont le fruit (très nourrissant) et les cotylédons ou amandes, à partir desquelles on tire un épaississant pour les ragoûts. Cette espèce a un grand potentiel d'amélioration, étant donné les variations importantes existant dans la qualité, le goût et la taille du fruit, la taille de l'amande, le moment de la production du fruit et le processus de maturation. Les agriculteurs cultivent cette espèce de manière extensive et récoltent fréquemment les sauvageons dans les forêts pour les planter dans leurs potagers.

Lors du lancement du programme de domestication, on a récolté des semences à partir d'individus que les agriculteurs jugeaient de qualité supérieure (au Gabon, au Cameroun et au Nigeria). Ces semences ont été utilisées pour créer des banques de gènes dans trois sites différents: à Mbalmayo au Cameroun, à Ibadan et à Onne au Nigeria. Les résultats préliminaires de ces essais de banques de gènes sur plusieurs sites ont révélé une très grande variation entre et au sein de chaque provenance. Dans les banques de gènes au Nigéria, les différences de développement en hauteur étaient très significatives.

Statistiquement, on a également constaté une variation significative dans le diamètre au collet entre les différentes provenances des banques génétiques au Nigeria. Un autre critère de distinction est le nombre de branches. Dans la banque de gènes à Mbalmayo, la hauteur, le diamètre du tronc et le nombre de branches connaissait des variations significatives entre et au sein des différentes provenances. 12 mois après la plantation, une provenance du Gabon (G1) et deux du Nigeria ont donné de bons résultats en terme de diamètre et hauteur.

De manière générale, les banques de gènes étaient en meilleur état au Nigeria qu'au Cameroun. Les variations dans la hauteur, le diamètre du tronc et le développement phénologique, entre et au sein des différentes populations d'Irvingia gabonensis, étaient très significatives à ce stade de développement (soit 12 mois après la plantation pour le Cameroun et 24 mois après la plantation pour le Nigeria). Si les mêmes tendances devaient se confirmer après que les plants aient atteint un stade de maturité suffisante pour que les agriculteurs puissent discerner les caractéristiques jugées souhaitables (taille des fruits, facilité d'ouvrir les noix pour I. Wombulu), les chercheurs devront alors mettre l'accent sur l'identification des meilleures techniques de multiplication, de clônage, de multiplication en masse et d'évaluation sur site agricole des meilleures lignées.

3.2. Le marcottage d'Irvingia gabonensis

Le marcottage est une méthode de propagation végétative entreprise à partir de branches intactes. Elle consiste à enlever un anneau d'écorce et à envelopper la zone écorcée dans un substrat humide, afin de provoquer l'enracinement. Cette méthode est couramment utilisée en horticulture afin de multiplier les arbres fruitiers traditionnels dans les régions tempérées. L'application de cette méthode à des espèces tropicales indigènes est très récente, mais les résultats préliminaires sont déjà fort encourageants.

Afin de procéder au marcottage aérien d'Irvingia gabonensis, des équipes nationales ont interviewé les agriculteurs et placé des marcottes sur les arbres qu'ils jugeaient de qualité supérieure. Au total, 1200 agriculteurs ont participé au placement de 2000 marcottes à Ibadan, à Omne (Nigeria) et à Ebolowa et Mamfé (Cameroun).

Si cette technique a donné des propagules, son taux de réussite a été plutôt faible (30%) et le taux de survie des individus a été encore plus faible (10%). Le taux d'enracinement peut sans doute être amélioré grâce à l'utilisation d'hormones pour stimuler l'enracinement et le taux de survie peut être augmenté grâce à une meilleure manipulation des propagules fragiles. On suppose également que le sevrage des marcottes avec racines dans un châssis d'enracinement sans système de brumisation (décrit par Leakey et al., 1990), comme pour les boutures feuillues, devrait considérablement améliorer le taux de survie.

Malgré son taux de réussite faible, la technique du marcottage est cependant préférable à celle de l'enracinement des boutures, étant donné la difficulté d'obtenir des boutures à partir d'arbres adultes. L'unique alternative consiste à abattre l'arbre et à enraciner les boutures à partir des rejets juvéniles qui se développent sur la souche de l'arbre. Mais si cette technique ne pose pas de difficultés en soi, il n'en reste pas moins qu'il faut attendre un longue période avant que les clônes aient atteint la maturité sexuelle. Une fois que les phénotypes sélectionnés ont été récoltés, il faut développer des techniques permettant de créer des boutures à partir des marcottes enracinées, afin que celles-ci puissent être rapidement multipliées. Une autre espèces, Irvingia wombulu, possède un intérêt particulier pour la sélection des caractéristiques souhaitables. En effet, cette espèce possède des individus dont les noix éclatent spontanément, libérant le noyau et le rendant ainsi beaucoup plus facile à extraire. Ce caractère peut être source d'avantages économiques et sociaux énormes, car on pourrait ainsi économiser considérablement sur la main d'œuvre. En effet, lorsque les arbres n'ont pas été améliorés, l'extraction des noix requiert souvent l'utilisation de la machette pour briser la noix dure et en extraire le noyau.

3.3. Prunus africana

L'espèce Prunus africana (jadis appelé Pygeum africanum), est un arbre indigène de bois d'œuvre des régions tropicales des montagnes d'Afrique de l'ouest, d'Afrique centrale, d'Afrique de l'est et de Madagascar. Les extraits d'écorces sont couramment utilisées dans le traitement de l'hyperplasie bénigne de la prostate et dans celui de l'hypertrophie du gland de la prostate, des affections qui touchent près de 60% des hommes en Europe et aux Etats-Unis. La complexité de cet extrait semble apparemment exclure la production synthétique de ce médicament (Waterman, 1994). Cette mixture est extraite presqu'exclusivement à partir de l'écorce brute de Prunus africana qui alimente un commerce dont le chiffre d'affaires annuel est d'environ 220 millions de $ (Cunningham et al., 1997). Malheureusement des méthodes d'exploitation non-durables ont provoqué une forte érosion des populations de cette espèce de montagne, tant à Madagascar qu'au Cameroun (Cunningham et Mbenkum, 1993). Actuellement le commerce international de Prunus africana est soumis à davantage de contrôles, du moins en théorie, suite à l'intégration de cette espèce dans l'annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune menacées d'extinction (CITES).

Le CIRAF a développé un programme en collaboration avec l'UNESCO, le Jardin Botanique de Limbe, la "Cameroon Development Cooperation" (CDC) et l'Institut de recherches agricoles pour le développement (IRAD), afin d'étudier le potentiel de domestication de cette espèce. Ce programme met l'accent sur la sélection des populations produisant la plus grande quantité d'écorce ou sur celles qui produisent les extraits d'écorce de meilleure qualité et quantité pour un usage médicale. Ce programme a débuté avec une étude sur la variation génétique de P. africana à l'état sauvage, suivie d'une collection de semences et de la création de banques de gènes.

Les semences destinées à ces banques de gènes ont été récoltées dans trois zones du Cameroun (Mendankwe, la montagne de Kilum et le Mont Cameroun). Des semences collectées à partir de 80 arbres ont été placées dans une banque de gènes à Tole, près de Limbe et des échantillons de feuilles provenant de 31 arbres ont également été récoltées pour des analyses de génétique moléculaire. Ces analyses sont actuellement en cours et on attend les résultats.

Les résultats préliminaires, obtenus dans les banques de gènes à Limbe et analysés par le projet du Mont Cameroon, ont montré que le taux de survie de l'ensemble des provenances varie entre 60 et 100%. Il y avait une variation statistiquement significative de la croissance initiale, en foncion des différents lots. La hauteur moyenne des plants âgés de 5 mois variait de moins de 40 cm à plus de 100 cm. Les variations observées pour le taux de survie et la croissance initiale des plantes ne semble pas avoir un lien directe avec la provenance des semences. Indépendamment des sources de semences considérées, l'existence d'une telle variation indique que l'espèce a un potentiel élevé d'amélioration génétique à condition de procéder à une sélection minutieuse.

L'amélioration génétique par la méthode de propagation végétative

Les techniques de multiplication végétative constituent le moyen le plus rapide et efficace de sélectionner, collecter et multiplier les caractères considérés par les agriculteurs comme désirables parmi ces espèces prioritaires avant l'intégration de celles-ci dans des systèmes agroforestiers.

La méthode de multiplication végétative permet aux généticiens forestiers de reproduire des caractères ayant un intérêt particulier et de résoudre le problème de la pénurie des semences. Ce problème est important car la plupart des espèces des forêts humides ont une fructification irrégulière. La multiplication végétative est également une technique relativement simple pour multiplier, tester, sélectionner et utiliser pleinement la diversité génétique présente dans la plupart des espèces d'arbres et elle peut être facilement appliquée par les agriculteurs. Ainsi, des clônes selectionnés, très productifs mais sans lien, peuvent être commercialisés pour le reboisement ou d'autres techniques agroforestières. Le programme du CIRAF utilise diverses méthodes de multiplication végétatives telles que l'enracinement, l'écussonnage et le marcottage aérien, pour sélectionner les caractères désirables des espèces ayant une valeur élevée.

4.1. L'enracinement de tiges feuillus de Prunus africana

L'enracinement de jeunes boutures s'est avéré un moyen de multiplication végétative efficace (Tchoundjeu, 1996; Tchigio et Duguma, 1998). L'amélioration de châssis d'enracinement peu coûteux, sans système de brumisation, est la clé de la réussite de cette technique (Tchoundjeu, 1997; Leaky et al., 1990).

L'objectif du programme de recherche du CIRAF sur la multiplication végétative dans les forêts humides de plaine en Afrique de l'ouest est de déterminer les principaux facteurs influençant l'enracinement des jeunes boutures feuillues de P. africana. Pour réaliser cet objectif, nous avons testé différents facteurs, dont le type de substrat et la surface des feuilles.

Les types de substrats testés étaient la sciure de bois, le sable et un mélange des deux. L'enracinement des boutures se déroulait nettement mieux dans la sciure et le mélange sable-sciure que dans le sable seul. Une tendance semblable a été observée concernant la différence très significative du taux de mortalité des boutures en fonction de chaque traitement. Le taux de mortalité le plus élevé a été constaté dans le substrat composé d'un mélange de sable et de sciure, suivi par celui composé de sciure et enfin le substrat composé de sable. Malgré la difficulté de l'enracinement dans le sable, ce moyen était paradoxalement celui où le taux de mortalité des boutures était le plus faible. Le sable semble être le substrat d'enracinement approprié pour la conservation des boutures fragiles. Cette constatation est valable pour un environnement humide comme celui de la forêt tropical. Il est clair, que ce type de résultat est peu probable au Sahel où le taux d'humidité de l'atmosphère est inférieur.

La superficie de la feuille joue également un rôle important dans l'enracinement de P. africana. Comme cela avait été observé dans de nombreuses expériences similaires concernant les arbres tropicaux, l'enracinement des premières boutures n'a eu lieu que deux semaines après le début de l'essai. La présence des feuilles est essentielle lors du processus d'enracinement: l'enracinement ne s'est pas produit lorsque les boutures étaient dépourvues de feuilles. De plus, le succès de l'enracinement est apparu d'autant meilleur que les feuilles étaient grandes. On a observé que les boutures dont les feuilles avaient une superficie comprise entre 20 et 25 cm2 s'enracinaient significativement mieux que celles dont la superficie était comprise entre 5 et 10 cm2. Si des expériences précédentes sur d'autres espèces tropicales telles que Lovoa trichiliodes ont montré que les feuilles ayant une superficie plus grande peuvent parfois entraver le processus d'enracinement (Tchoundjeu, 1998), ce n'est pas le cas dans cet assai avec l'espèce P. africana, pour laquelle 80% des boutures dont les feuilles mesuraient entre 20 et 25 cm2 ont pris racine. Des expériences de suivi testant des feuilles ayant une superficie plus grande devraient contribuer à clarifier cette question.

Lors de l'examen des boutures mortes, on a constaté que le taux de mortalité était inversement proportionnel à la superficie de la feuille. Aucune bouture dépourvue de feuilles n'a survécu à la fin de cette expérience. La présence de feuilles et leur superficie jouent un rôle essentiel dans le processus d'enracinement de P. africana.

Alors que le taux de mortalité est inversement proportionnel à la superficie de la feuille, la moyenne du nombre de racines pour chaque bouture enracinée est proportionnelle à la superficie de la feuille. Les boutures pourvues de feuilles, dont la superficie était comprise entre 20 et 25 cm2, ont produit en moyenne le plus grand nombre de racines, mais cette différence n'est toutefois pas significative.

Les deux expériences menées sur l'espèce P. africana montrent clairement que cette espèce peut être multipliée grâce à la technique de l'enracinement. Cependant, des recherches plus approfondies sur le type d'hormones pouvant être utilisées ainsi que sur leur concentration sont nécessaires pour comprendre davantage le processus d'enracinement de cette espèce importante. Ces recherches pourraient en effet contribuer à ouvrir la voie de la domestication de l'espèce P. africana, qui produit des graines récalcitrantes perdant leur capacité de germer quelques jours seulement après leur récolte. Cette particularité a entravé la culture de cette espèce d'arbre à Madagascar, même si les agriculteurs y ont depuis longtemps acquis une longue pratique dans le domaine de la multiplication des arbres et des techniques de plantation.

Les efforts entrepris dans la mise au point de techniques de multiplication végétative pour cette espèce permettront aux chercheurs et aux agriculteurs d'obtenir une population stable et domestiquée de cette espèce. Cela permettrait de garantir un revenu régulier à la population utilisant ce matériel génétique amélioré tout en diminuant la pression sur les ressources naturelles qui sont pour le moment surexploitées dans toute l'aire de répartition naturelle de l'espèce.

4.2. L'enracinement de tiges feuillues de Pausinystalia johimbe

L'arbre de P. johimbe est une espèce des forêts secondaires évoluées, dont l'écorce est exploitée à des fins commerciales. Elle constitue l'ingrédient principal dans de nombreuses préparations pharmaceutiques ou remèdes à base d'herbe, visant à soulager les symptômes de l'impuissance masculine d'origine organique (Sunderland, 1997). Au niveau local, l'écorce est utilisée comme aphrodisiaque et comme un stimulant léger visant à prévenir la somnolence. Cette espèce est souvent commercialisée à l'état brut et fait l'objet d'un commerce important tant au niveau local qu'au niveau international.

Etant donné la polyvalence de l'espèce P. johimbe, sa valeur dans les marchés internationaux et les méthodes de récolte destructrices utilisées pour extraire l'écorce, cette espèce est actuellement sérieusement menacée d'extinction, surtout au sud du Cameroun. On abat des arbres entiers pour les découper en grumes et en extraire l'écorce. Jusqu'à présent, l'écorce a toujours été exploitée à partir d'arbres dans les peuplements naturels et aucun effort n'a été fait pour développer des stratégies d'aménagement durables de cette ressource sauvage. Ce n'est que récemment que l'on a entrepris des tentatives de domestication de cette espèce (voir Sunderland et al., dans la présente publication).

Le CIRAF, en collaboration avec Boehringer Ingelheim a initié un programme utilisant des techniques de multiplication végétative dans le but d'évaluer le potentiel de domestication de cette espèce. L'équipe de collaborateurs du CIRAF a testé l'efficacité de différents types de substrats utilisés pour l'enracinement de boutures de tiges feuillues, dans des châssis d'enracinement sans système de brumisateur, dans la pépinière de Mbalmayo au Cameroun. Le matériel utilisé au cours de cette expérience a été récolté à partir des souches laissés par les exploitants qui avaient réalisé des coupes destructrices. Ces essais montrent clairement que le succès de l'enracinement de P. johimbe dépend étroitement du substrat utilisé. Les boutures mises dans la sciure ou dans un mélange de sable et de sciure s'enracinaient significativement mieux que celles placées dans un substrat composé uniquement de sable. Bien que le pourcentage de boutures ayant pris racine dans un substrat composé de sciure était plutôt faible au bout de six semaines, le taux d'enracinement a augmenté rapidement à partir de la septième semaine pour atteindre un taux maximum de 74% vers la neuvième semaine, à la fin de l'expérience.

Des observations sur le taux de mortalité des boutures dans les différents substrats ont indiqué qu'aucune bouture n'a péri dans le substrat composé de sable. Le nombre de boutures mortes était significativement plus élevé dans le mélange de sable et de sciure que dans le substrat composé uniquement de sciure. Le sable est un substrat poreux, ou les boutures peuvent facilement absorber l'humidité par capillarité, à partir de la table d'eau des châssis d'enracinement sans système de brumisation. Cela pourrait expliquer le fait que les boutures n'ayant pas pris racine étaient toujours vivantes après six semaines passées dans le châssis d'enracinement. De plus, ce fait démontre la tolérence des boutures de P. johimbe et permet d'étendre la période de la récolte, dans des conditions appropriées, sur plusieurs jours. Ceci indique qu'il est possible de récolter du matériel génétique de cette espèce menacée dans des pays voisins, tels que la Guinée équatoriale, où des peuplements naturels existent encore.

Le nombre de racines produites en moyenne par bouture varie également en fonction du substrat utilisé. Le nombre de racines par bouture est plus élevé en moyenne dans un substrat de sable que dans les substrats composés uniquement de sciure ou d'un mélange sable/sciure. Cet essai indique que l'enracinement de boutures de P. johimbe en utilisant des châssis d'enracinement sans système de brumisation est tout à fait réalisable.

D'autres recherches axées sur la germination des graines de cette espèce importante sont actuellement en cours. Les graines de P. johimbe sont extrêmement petites et les tentatives de faire germer cette espèce se sont avérées très difficiles jusqu'à présent, étant donné le taux de mortalité très élevé des jeunes semis.

Conclusions

Le programme de recherche sur la domestication des espèces dans les plaines humides d'Afrique de l'ouest n'en est encore qu'à ses débuts. Jusqu'à présent, les expériences n'ont porté que sur quelques espèces prioritaires (Irvingia gabonensis, Prunus africana, Dacryodes edulis, Ricinodendron heudelotii, Garcinia kola et Cola nitida). Les résultats de ce programme et le matériel génétique amélioré sont disponibles. Ce matériel génétique concerne les espèces identifiées par les agriculteurs, en fonction de leur potentiel de commercialisation ou de leur contribution au bien-être de leurs familles. Ces arbres agroforestiers pourront donc être intégrés dans des systèmes agricoles de plantation dans toute la région. Après leur intégration dans ces systèmes et leur développement en systèmes agroforestiers complexes, ces arbres ont le potentiel pour devenir eux-mêmes des sources majeures de revenu en raison de la gamme importante de produits commercialisables qu'ils procurent. Qui plus est, ce type de stratégie agroforestière réduit les risques: si la valeur de marché diminue pour un des produits, la diversité des espèces plantées par les agriculteurs réduira l'impact de la perte de revenus. En conclusion, non seulement de tels systèmes sont viables économiquement, mais ils sont également diversifiés biologiquement, ce qui crée un véritable mariage entre une production durable respecteuse de l'environnement et la rentabilitée: c'est là le but ultime de tous les programmes de recherche du CIRAF.

Références

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