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Chapitre 5: NEUF ÉTUDES DE CAS


Étude de cas 1 - Le commerce de détail en produits vivriers à Kinshasa: Efficacité économique versus efficacité sociale
Étude de cas 2 - La stratégie des grossistes formels en produits vivriers au Zaïre
Étude de cas 3 - Les marchés ruraux de collecte inefficaces, une opportunité pour le secteur informel au Zaïre
Étude de cas 4 - Le phénomène des «par-colis» ou colporteurs de manioc au Zaïre: Une réponse informelle à la disparition du secteur formel
Étude de cas 5 - Le phénomène des «paysans-grossistes» dans le commerce de gros de l’igname en Côte D’ivoire
Étude de cas 6 - Les filières maraîchères en afrique subsaharienne: L’absence du secteur formel et lastagnation technologique
Étude de cas 7 - La dichotomie du commerce du lait et des produits laitiers en Afrique subsaharienne
Étude de cas 8 - Le commerce du manioc à bouaké en Côte d’Ivoire: Une source d’emplois informels en milieu urbain
Étude de cas 9 - La commercialisation de la banane plantain à bouaké en Côte d’Ivoire

Étude de cas 1 - Le commerce de détail en produits vivriers à Kinshasa: Efficacité économique versus efficacité sociale1

Résumé et conclusions

Le secteur de la distribution des vivres contribue à la sécurité alimentaire, parce qu’il est souvent l’unique source d’emploi à laquelle les personnes en insécurité alimentaire ont accès. Les marchés de détail s’approchent du modèle du marché libre tel qu’il est décrit dans la littérature économique: un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs, de l’atomicité, l’absence de barrières à l’entrée, une certaine transparence. Le problème, par contre, est qu’il y a peu de compétition entre les commerçants qui évitent les risques et préfèrent la solidarité entre eux, d’où une hausse des marges de distribution. Le rôle social des marchés, c’est-à-dire la création d’emplois à basses barrières à l’entrée et la distribution des revenus, devient relativement plus important que le rôle économique du marché, à savoir la distribution efficace des vivres.

Introduction

Cet article décrit le circuit de distribution au détail des vivres à Kinshasa. Ce système peut être considéré comme un exemple-type pour l’Afrique subsaharienne. L’étude démontre l’interaction entre le rôle social d’un tel marché de détail et son efficacité économique.

La structure des marchés de détail

La ville de Kinshasa compte un grand nombre de marchés de détail dispersés sur toute la ville, dont la taille est très diverse et qui forment le niveau le plus bas du système de distribution en produits vivriers. En mai 1989, une liste complète des marchés de détail a été établie: Kinshasa en possède 115. Environ 20 % des vendeurs ne disposent pas d’une table. Sept marchés ont uniquement des vendeurs installés par terre, 22 marchés ont seulement des vendeurs avec des tables, 68 marchés sont uniquement ouverts durant la journée, 40 durant la journée et la soirée et sept marchés seulement le soir. Les marchés les plus grands sont le Marché central (15 500 vendeurs), ceux de Gambela (4 600 vendeurs), de Somba Zikida (+Type KA) (4 000 vendeurs), de Matete (3 600 vendeurs) et de Lemba (2 100 vendeurs). Selon une enquête menée en 1985, il y avait 85 marchés de détail avec 72 000 vendeurs (Kanene, 1990). Les cinq marchés les plus grands avaient 30 000 vendeurs, soit 42 % du total. Les marchés de Kinshasa sont classés en deux catégories, à savoir les marchés urbains et les marchés de zone. Les marchés urbains sont ceux dont la gestion, l’aménagement, l’équipement et le bon fonctionnement nécessitent une intervention de l’autorité urbaine, tandis que ceux de la deuxième catégorie tombent sous l’autorité des responsables de zone (la ville de Kinshasa comprend 24 zones administratives). Généralement, chaque zone dispose d’un grand marché de détail et de plusieurs wenzes. Ces marchés constituent une importante source de revenus pour les autorités de zone.

Le commerce en produits vivriers est principalement entre les mains des femmes (plus de 95 % des détaillants sont des femmes) qui pratiquent le commerce pour la survie. Le manioc, les légumes, l’arachide et la banane sont généralement achetés auprès des colporteurs. Ils sont souvent commercialisés à travers le circuit court et informel. Les achats se font sur les soi-disant «parkings», où les camions venant de l’intérieur du pays s’arrêtent. Il y a environ 65 à 70 parkings dans la ville de Kinshasa. Le riz, les haricots et la farine de maïs sont généralement achetés auprès des semigrossistes, qui s’approvisionnent eux-mêmes auprès des grossistes.

L’infrastructure des marchés est généralement pauvre: les tables sont en bois, le sol n’est pas goudronné, il n’y a généralement pas de voirie ni d’installations sanitaires. Néanmoins, une série de taxes existe avec le but spécifique (souvent théorique) d’entretenir l’infrastructure et d’assurer l’hygiène. Les produits sont répartis sur le marché de telle sorte que chaque produit occupe une aire spécifique appelée pavillon. Chaque pavillon comprend un nombre d’étals qui, à leur tour, sont composés de tables. Il existe deux types principaux. Le plus fréquent comporte quatre piliers soutenant une toiture à deux versants. Les tables sont disposées de manière à former un carré. Le deuxième type d’étal a une forme rectangulaire. Un étal comprend en moyenne cinq tables. Celles-ci sont construites et vendues par des entreprises désignées par la zone. Le constructeur vend les tables aux commerçants et doit généralement verser 10 % des recettes à la zone. A chaque renouvellement des tables, les vendeurs perdent leur droit de propriété et doivent payer à nouveau s’ils tiennent à continuer leur commerce. Environ 60 % des vendeurs sont propriétaires des tables. Les détaillants se plaignent que les autorités renouvellent trop souvent les tables.

La plupart des marchés sont nés spontanément suivant l’extension spatiale de la ville. La population commence par organiser un petit marché autour de quelques tables. Dès que le marché atteint une certaine taille, les autorités appliquent la réglementation en cours et ajoutent une administration officielle. Le taux de croissance du marché dépend de la localisation. Ainsi, les principaux marchés de détail se situent autour des routes venant des provinces du Bandundu et du Bas-Zaïre, à la gare de Matete et dans l’ancien centre-ville.

Tableau 2

DÉTAILLANTS PAR TAILLE DE L’ENTREPRISE
(OCTOBRE-NOVEMBRE 1990)


Valeur d’achat par transaction
($EU)

Jours de vente

Manioc

32

2,7

Maïs

49

3,3

Riz

55

3,6

Arachides

39

3,2

Bananes

38

4,3

Huile de palme

89

6,2

Légumes

17

2,2

Haricots

84

5,1

Moyenne

50

3,6

Source: Goossens, F. 1994.
Les pratiques commerciales

En 1990, la valeur de la transaction d’achat d’un détaillant était de $EU 48 en moyenne, variant entre $EU 17 pour les vendeurs de légumes et $EU 89 pour les vendeurs d’huile de palme. Ces produits étaient écoulés en 3,6 jours en moyenne (voir tableau 2). Il est clair que les détaillants ont généralement un petit fonds de roulement. Ils ne font presque jamais appel aux caisses d’épargne pour des crédits de démarrage. Généralement, ils trouvent les fonds nécessaires dans la famille. Les frais de démarrage d’un commerce de détail sont restreints et ils ne couvrent que la taxe journalière, éventuellement l’achat d’une patente, le loyer d’une table et les fonds de roulement. Ceci entraîne une augmentation énorme du nombre de vendeuses pendant les périodes de problèmes économiques. Durant la période de la récolte, il est relativement facile d’obtenir des produits à crédit.

L’uniformité des unités de vente et une claire définition des qualités des produits offerts, avec une différenciation des prix, sont des facteurs structurels importants pour une bonne performance du système de commercialisation. En l’absence de ces conditions, le temps nécessaire pour les transactions est plus élevé parce qu’un contrôle personnel de la qualité et de la quantité est indispensable. Aux marchés de détail, les ventes s’effectuent à l’aide d’unités de mesure diverses de toutes natures et de toutes dimensions. Les qualités et quantités des produits sont relativement bien définies: un assortiment assez large est offert au consommateur avec une différenciation des prix. Mais pour le consommateur, les prix sont difficiles à comparer. Cette diversification fait partie de la stratégie des commerçants. Le détaillant, pour qui le prix n’est pas un instrument de compétition, se tourne vers d’autres instruments. Les détaillants préfèrent vendre des qualités et des formes de produits autres que leurs collègues, ou ils utilisent d’autres unités de vente afin que le marché soit moins transparent. Le marché des haricots en est un exemple typique: souvent plus de dix variétés ou mélanges de variétés sont offerts au consommateur. D’autres exemples sont: la vente de légumes et fruits en bottes ou piles de tailles différentes, la vente au détail de manioc où les chikwangues ont plusieurs tailles, différentes qualités de cossettes ou de farine de manioc, différentes unités ou piles de cossettes et tubercules, etc. Une plus grande gamme de produits convient plus aux désirs du consommateur.

L’emballage sert surtout à protéger les produits durant le transport contre les dégâts d’origine mécanique, et aussi à répartir le produit en colis pratiques pour la manutention et la commercialisation. Le manioc, le maïs et l’arachide sont vendus par sac. La quantité par sac est relativement bien standardisée, la qualité par contre nécessite souvent un contrôle personnel. Dans le secteur des fruits et légumes, il y a très peu d’emballage, ou la qualité est insuffisante. Les oranges et les citrons sont souvent transportés par sacs. Seulement pour les tomates et pour certains fruits, il existe des casiers en bois qui sont utilisés et standardisés dans la région du Bas-Zaïre. En cas d’utilisation de casiers, il n’y a pas de feuilles ou de papier afin de doubler l’emballage. Les légumes-feuilles sont transportés et vendus en bottes. Pour certains fruits et légumes, tels que le safou, la carotte, etc., il y a des paniers en bambou ou rosier. L’avantage des paniers est qu’ils ne doivent pas être utilisés de nouveau. Le potentiel d’améliorer la manutention de la production horticole et fruitière afin d’éviter les pertes et de préserver la qualité et l’aspect, est immense, mais il n’est pas certain que tout cela puisse être réalisé sur le plan économique. Il est très difficile d’introduire un nouveau type d’emballage pour des raisons différentes: le secteur est très atomisé; les commerçants n’ont pas les moyens nécessaires; le transport de l’emballage vide pose des problèmes de mobilité des commerçants; le consommateur n’est actuellement pas prêt à payer un supplément pour une qualité ou des services supérieurs.

Les services d’information sur les marchés ont pour but d’aider les producteurs et les commerçants à équilibrer l’offre et la demande à tel ou tel marché et de limiter ainsi des fluctuations excessives de prix. En général, les intermédiaires reçoivent assez vite l’information sur les prix aux différents marchés grâce au grand nombre de colporteurs qui passent. Le marché des légumes est moins transparent que celui du manioc et des céréales. Le marché des haricots, du maïs, du riz et de l’huile de palme, à savoir des produits hautement standardisés, est relativement transparent: l’information du marché et la connaissance des prix sont meilleures, les marges de détail sont basses, et on ne discute pas le prix. Des biens peu standardisés comme le manioc, les fruits, les légumes et les bananes nécessitent plus d’intervention personnelle, plus de discussion sur les prix, ont des marchés moins transparents et les commerçants disposent de très peu de sources d’information. La qualité des informations sur les fruits et légumes est généralement médiocre en raison des problèmes de standardisation et des petites transactions, ce qui fait qu’il est difficile de donner des informations valables.

Les prix

Pour la fixation des prix, le marchandage est d’usage courant au marché de détail. Le prix est discuté dans 70 à 80 % des cas. Pour les produits qui sont peu standardisés, tels que les légumes et les fruits, le marchandage est même utilisé par 80 à 100 % des détaillants. Au marché des céréales, il y a moins de marchandage: les vendeurs de riz, de haricots et d’huile de palme discutent dans 50 à 60 % des cas. Le processus de formation des prix par marchandage est une pratique courante et même indispensable au marché des produits périssables. C’est la seule façon d’arriver à un accord sur le prix d’un produit non standardisé.

Durant la journée, les prix changent. Le matin, les prix sont les plus élevés et sont stables jusqu’à midi. Dans l’après-midi, il y a une baisse. Les détaillants baissent les prix vers la fin de la journée afin de récupérer leur argent et d’éviter des pertes. Le matin, le vendeur est plus intransigeant sur le prix minimum qu’il peut accepter. Pour les tubercules séchés de manioc, les prix à la fin de la journée sont de 6 à 10 % plus bas que le matin, pour les légumes les différences sont beaucoup plus importantes. Pour les céréales, la différence n’est que de 3 à 4 %. La pratique du matabish consiste à ajouter une petite quantité de produit acheté en guise de remerciement, surtout avec un client habituel. La pratique est très fréquente au marché des fruits et des légumes.

Tableau 3

STRUCTURE DES PRIX DES PRODUITS AGRICOLES DU BAS-ZAÏRE ET DU BANDUNDU AUX MARCHÉS DE DÉTAIL À KINSHASA
(1987, 1988, 1989) (100 % = PRIX AU CONSOMMATEUR)



Manioc

Maïs

Arachides

BDD

BZ

BDD

BZ

BDD

BZ

Producteur

22

38

33

36

35

58

Demi-grossiste

68

66

84

83

78

77

Détail

100

100

100

100

100

100

Source: Goossens, F. 1996.
Les marges de distribution

La marge de distribution des produits vivriers peut être évaluée sur la base de trois critères:

Comme le démontre le tableau 3, aussi bien la marge de collecte et de transport que la marge de distribution sont larges et contribuent au prix élevé à la consommation. A la fin des années 80, les agriculteurs dans les régions du Bas-Zaïre et du Bandundu recevaient 20 à 40 % du prix au consommateur pour le manioc, 30 à 35 % pour le maïs, 30 à 60 % pour l’arachide. En 1996, le prix au producteur est seulement de 50 % du prix au consommateur en moyenne pour certains légumes-feuilles en provenance du milieu périurbain (distance de 3 à 15 km), ce qui est extrêmement élevé étant donné les courtes distances jusqu’au consommateur urbain.

Tableau 4

RATIO ENTRE LA MARGE DE DÉTAIL ET LE PRIX AU CONSOMMATEUR
(100 % = PRIX AU CONSOMMATEUR)


1984

1985

1986

1987

1988

1989

Manioc cossette Bandundu

17,8

22,3

25,4

32,2

43,3

44,8

Manioc cossette Bas-Zaïre

12

13,4

18

20

24,9

34,7

Maïs (grains)

11,5

12,8

16,3

16,1

20,8

15,4

Arachides en gousses

14,6

28,0

24,8

26,4

20,3

24,8

Riz local

13,7

12,4

15,2

15,6

21,8

22,4

Haricots blancs

11,1

8,3

12,5

24,5

31,5

29,6

Plantains

35,4

19,8

45,8

36,6

20,7

33,6

Huile de palme

20,3

22,1

32,1

34,5

46,1

65,4


Le tableau 4 démontre l’évolution de la marge de distribution entre 1984 et 1989. Depuis 1984, la situation s’est dégradée. En 1984-1985, la marge de distribution était de 11 à 20 % du prix au consommateur, en 1988-1989 par contre, elle variait de 20 à 40 % pour la plupart des produits, ce qui est exagéré pour ce type de commerce de détail. Le tableau 5 démontre que la détérioration trouve son origine au niveau de la distribution: les prix à la consommation augmentent beaucoup plus vite que ceux au demi-gros. Riley (1972) considère des marges pour le commerce de détail de 5 à 15 % à Cali (Colombie, Amérique latine), dans un système de commercialisation très semblable à celui de Kinshasa, comme acceptable. AKinshasa, on est loin d’une situation pareille.

La marge de distribution doit couvrir les frais de distribution, le remboursement des investissements, le profit rétribuant la prise de risques, une rémunération pour la main-d’oeuvre, les frais de transformation. Le tableau 6 présente la structure de la marge de distribution. Les frais directs et mesurables des détaillants ne sont pas tellement élevés, mais l’échelle du commerce, c’est-à-dire la quantité vendue par jour, est très petite. Par conséquent, les détaillants ont besoin d’une grande marge nette afin de gagner un revenu acceptable (de $EU 1 à 1,5 par jour). De façon générale, la marge brute est de 33 % du prix de vente, la marge nette de 10 % (voir tableau 7).

Tableau 5

CHANGEMENTS DES PRIX RÉELS À KINSHASA
(JANVIER 1984-DÉCEMBRE 1989)


Demi-gros

Détail

Manioc (tubercule séché)

-16 %

+22 %

Manioc (farine)

-

+38 %

Maïs (grains)

+5 %

+13 %

Arachides (gousses)

+65 %

+65 %

Haricots

-4 %

+33 %

Riz local

+17 %

+31 %

Huile de palme

-48 %

+11 %

Plantains

+44 %

+36 %

Feuilles de manioc

-

+63 %

Source: Goossens, F. 1994.
La taille des commerces est trop petite, ce qui fait que les marges sont nécessairement devenues trop grandes pour garantir un revenu minimal. Les causes principales de ces coûts élevés sont le nombre important d’intermédiaires, la faible quantité traitée par chacun, le manque d’une compétition efficace, le va-et-vient inutile, le manque de standardisation des poids, des mesures et des emballages nécessitant un contrôle exhaustif à chaque échange, de nombreuses pertes de produits, le manque d’informations objectives sur les marchés. La diminution de la quantité vendue par détaillant, qui gonfle les frais par unité de produit, s’explique à son tour par:

Ce sont surtout les plus démunis qui souffrent du manque d’efficacité dans la distribution, car leurs maigres revenus ne leur permettent pas de s’approvisionner aux marchés de demi-gros.

Le comportement des détaillants

Dans la théorie économique, on suppose toujours que, si le nombre de commerçants augmente, il y a plus de concurrence et les marges baissent. Ceci ne semble pas être le cas au Zaïre en raison du comportement des détaillants: ils évitent une compétition basée sur les prix, et se partagent le marché.

Dans leur extrême environnement social, les détaillants à Kinshasa ont adopté un comportement de «vivre-et-laissez-vivre». Mais si 97 % des détaillants disent pratiquement le même prix que leurs collègues, 60 % des détaillants arrangent le prix avec leurs collègues. Ce comportement est dans l’intérêt de tous: une situation stable au marché garantit un revenu bas mais régulier à tous, on est membre d’un groupe ce qui facilite l’accès au crédit, et on a accès aux systèmes d’épargne et de solidarité. Un commerçant, ayant beaucoup de succès, préfère changer vers un produit plus rentable ou plus prestigieux, plutôt que de faire la compétition au même niveau. La situation est stable aussi longtemps que personne n’utilise le prix comme instrument de compétition. De plus, un groupe de détaillants pourrait toujours prendre des sanctions sociales ou autres contre des détaillants qui cassent les prix. Dans la société africaine, le contrôle social du groupe sur l’individu est considérable.

Tableau 6

LA STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES DÉTAILLANTS SUR LES MARCHÉS DE KINSHASA
(OCTOBRE 1990)


 

Produits vendus
(en $EU par jour)

Moyenne

Manioc

Maïs

Riz

Arachide

Haricot

Recettes vente

15,6

19,8

16,0

15,5

15,8

15,8

Dépenses achat

10,4

13,2

13,6

10,9

14,7

12,0

Bénéfices bruts

5,2

5,6

2,4

4,6

1,1

3,8

Frais

2,6

2,3

1,8

2,2

1,9

2,2

Bénéfices nets

2,6

3,3

0,6

2,4

-0,8

1,6

Source: Goossens, F., Minten, B. & Tollens, E. 1994.
Des pratiques collusoires sont souvent attribuées à la présence de groupes ethniques, organisés le long des chaînes de commercialisation. Il y a également des exemples au Zaïre: le poisson séché et fumé est souvent vendu par les Lokele, Ngombe et Mbunza, groupes ethniques qui vivent au bord du fleuve Zaïre, le fumbwa (légume-feuille) est vendu par les Basengombe, les chèvres et les moutons par les Bakongo, les haricots par les ethnies du Kivu et du Haut-Zaïre, le riz local par les tribus du Haut-Zaïre et de l’Equateur, les bananes par les groupes du Bas-Zaïre et du Haut-Zaïre. Aussi les transporteurs et les colporteurs opèrent dans leurs régions d’origine.

Il existe des profils spécifiques des détaillants et des semi-grossistes selon le produit qu’ils vendent:

Tableau 7

LA STRUCTURE DES RECETTES ET DES DÉPENSES DES VENDEURS DE LÉGUMES SUR LES MARCHÉS DE DÉTAIL


En $EU par mois

En %

Recettes

335

100

Dépenses achats

214

63,9

Bénéfices bruts

121

36,1

Frais




Transport commerçant

10

3


Transport produits

8,5

2,5


Stockage

1

0,3


Emballage

1

0,3


Taxes

3

0,9


Table

1,5

0,5


Inflation

8

2,4


Pertes

33

9,9

Frais

66

19,8

Bénéfices nets

55

16,3

Source: Goossens, F. 1996.
L’homogénéité relative des caractéristiques des commerçants dans chaque segment et à chaque niveau du marché des vivres, est due à une organisation hiérarchique de la chaîne en termes de statut social, rentabilité et investissements de base. Le commerce du manioc et du charbon est situé à la base de la pyramide, le commerce des haricots, du riz et du poisson fumé au sommet. Les détaillants disposant de suffisamment de moyens financiers n’investissent pas dans un travail sale, ni dans le commerce de manioc, de légumes, etc. Le résultat en est que, dans chaque section du marché, les commerçants sont relativement homogènes en ce qui concerne les caractéristiques personnelles, les moyens, la taille de l’entreprise, le comportement, la stratégie, etc., et qu’il y a peu d’innovateurs. Il en résulte une situation où il y a peu de compétition. La conséquence d’un tel comportement est qu’on trouvera les personnes en insécurité alimentaire sur les marchés de détail, surtout dans le commerce du manioc et du charbon, à cause du travail qui est méprisé, et dans le commerce des légumes en raison de l’investissement limité, enfin dans le micro-détail.

Étude de cas 2 - La stratégie des grossistes formels en produits vivriers au Zaïre2

Introduction

Cet article décrit la stratégie des grossistes formels dans la ville de Kinshasa. Il s’intéresse surtout à leur spécialisation et à la motivation de cette spécialisation, à savoir les économies d’échelle qui peuvent être réalisées dans ces secteurs et la compétitivité vis-à-vis du secteur informel. Il s’agit des produits importés et de ceux qui nécessitent une transformation industrielle et une technologie qui n’est pas disponible au niveau informel.

Les caractéristiques générales

Les grossistes ont généralement des entreprises anciennes, solidement implantées dans le pays depuis l’époque coloniale ou de création plus récente depuis la zaïrianisation (nationalisation) de 1974. En effet, la plupart des «maisons de gros» ont été mises sur pied par des intérêts étrangers, souvent comme succursale ou filiale d’une entreprise étrangère. Avec la zaïrianisation, toutes ces entreprises ont été confiées à un acquéreur zaïrois. Après l’échec de la plupart d’entre elles, le gouvernement avait décidé, à l’époque, de «radicaliser» la zaïrianisation, c’est-à-dire de confier les entreprises zaïrianisées en difficulté à l’Etat. Quelques années après, la politique de rétrocession aux anciens propriétaires a succédé à l’aventure malheureuse et certains grossistes d’origine non zaïroise ont repris leurs affaires, souvent en association avec un partenaire zaïrois.

La caractéristique principale des grossistes est qu’ils sont toujours verticalement intégrés, avec des succursales et des représentations à travers le pays, et la maison mère le plus souvent en Europe, au Moyen-Orient ou en Asie. Beaucoup sont également intégrés horizontalement; ils s’occupent de plusieurs produits relevant de la même branche ou de branches apparentées. Cette intégration permet d’échapper en partie à la taxation sur le chiffre d’affaires (CCAde 3 à 20 % selon le produit) à chaque vente des produits lorsqu’une facture de vente est établie. Ainsi, un produit importé de la société mère en Europe, et vendu à un client dans une ville à l’intérieur du pays, peut avoir passé à travers plusieurs établissements de la même société, mais finalement la CCA ne sera payée que deux fois, à l’importation lorsque les droits, les taxes ou les accises d’importation sont acquittés et lors de la vente finale au client. C’est ainsi que l’importation de produits vivriers est toujours l’affaire de grossistes.

La spécialisation

Les grossistes sont également actifs dans les produits d’origine locale qui nécessitent une transformation industrielle ou un conditionnement spécialisé, par exemple le maïs, les arachides, le riz, l’huile de palme et les produits d’exportation comme le café, le cacao, le caoutchouc, le thé et le quinquina. Le produit vivrier principal, le manioc, n’est généralement pas l’affaire des grossistes. S’ils s’occupent de ce produit, il s’agit plutôt d’une activité secondaire pour, par exemple, approvisionner leurs propres travailleurs et employés. Nulle part au Zaïre le manioc subit une transformation industrielle et le caractère semi-périssable des tubercules séchées de manioc ou de la farine exclut un stockage dépassant un mois.

Les grossistes disposent généralement d’une infrastructure commerciale et d’une infrastructure de transport importantes. Ceux qui se spécialisent dans l’importation ont généralement une source importante de génération de devises, à savoir le commerce de l’or, du diamant, du café, etc. Une seule entreprise importante approvisionne la capitale et beaucoup de villes à l’intérieur du pays en produits congelés (poisson de mer, viande bovine, poulets et autres produits). Environ 200 grands camions frigorifiques et 400 chambres froides à Kinshasa assurent une chaîne de froid non interrompue.

Les économies d’échelle à l’importation et la maîtrise technique et économique de la distribution des vivres importés sont en grand contraste avec la commercialisation des produits d’origine locale, et surtout avec le système de commercialisation du manioc caractérisé par l’absence de vrais grossistes.

Pour les produits vivriers achetés en milieu rural, les grossistes font usage d’un réseau de dépôts, de camions, d’infrastructures portuaires (quai privé, grues), de bateaux ou de baleinières, de magasins et d’usines de conditionnement ou de transformation. Ils sont particulièrement importants pour le maïs et le riz. Pour ces deux produits, il existe une dizaine de grossistes importants disposant d’un réseau d’achat, de stockage et de transport et d’unités de transformation. Les achats se font par des commissionnaires ou des employés de la société. Pour le maïs, les moulins se trouvent presque toujours au principal centre de consommation en ville, tandis que pour le riz, les usines de décorticage sont souvent situées dans la ville la plus proche des lieux de production. Ce sont ces mêmes grossistes qui s’occupent également de l’importation de ces produits en cas de nécessité et si l’opération est rentable. Pour le maïs, le principal grossiste est la Gécamines à Lubumbashi, société para-publique d’exploitation du cuivre et des minerais associés, qui fournit la farine de maïs à ses travailleurs et à ses employés comme partie intégrante du salaire. Cette même société importe annuellement des quantités importantes de maïs de l’Afrique australe, même quand la production nationale est suffisante.

Les grossistes approvisionnant Kinshasa à partir de l’intérieur du pays utilisent presque toujours des bateaux ou des baleinières, sauf pour le Bas-Zaïre. Pour le Bandundu, ces bateaux/baleinières ont généralement moins de 100 tonnes de charge utile, tandis que pour les autres régions, ils dépassent 100 tonnes. L’Equateur et le Haut-Zaïre fournissent surtout de l’huile de palme, du maïs et du riz, tandis que les haricots, les légumes et le bétail viennent surtout du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

Les grossistes travaillent à grande échelle, aussi bien dans l’usinage que dans le transport et la distribution. Les secteurs de commerce dans lesquels les grossistes sont importants (maïs, riz, haricots) ont généralement une performance bien meilleure que celle des sous-secteurs (manioc) caractérisés par l’absence ou la moindre importance des grossistes. L’importation et la distribution urbaine du poisson frais et du poulet sont d’une importance cruciale pour les familles qui se trouvent en insécurité alimentaire. De plus, ces produits sont riches en protéines, tandis que le Zaïre et surtout les centres urbains sont déficitaires en protéines.

Étude de cas 3 - Les marchés ruraux de collecte inefficaces, une opportunité pour le secteur informel au Zaïre

Résumé et conclusions

Le système de production traditionnel du manioc au Zaïre permet le fonctionnement pendant toute l’année d’un système informel, et sur petite échelle, de colporteurs achetant du manioc séché et de la pâte. Le secteur formel ne s’intéresse pas à la collecte d’une récolte de manioc qui est tellement fractionné et qui ne leur donne pas d’avantages comparatifs. Associée à un environnement macroéconomique incertain, hostile à un commerce efficace, la collecte rurale inefficace de manioc mène à un commerce informel, sans innovation, et non à une chaîne formelle de grossistes.

Introduction

Le but de cette étude est de démontrer comment des problèmes de collecte peuvent déterminer la structure d’un circuit de commercialisation. En effet, si les frais de collecte sont élevés à cause d’une production fractionnée et échelonnée sur toute une année, un système informel basé sur la main-d’oeuvre bon marché est plus efficace que des grossistes formels. Ceux-ci évitent d’investir dans un secteur pareil. Le cas du marché de collecte de manioc au Zaïre sera commenté comme exemple. Des problèmes de collecte pareils se posent pour tous les produits périssables et semi-périssables, tels que les légumes et les fruits.

La collecte rurale du manioc

Une collecte rurale inefficace mène à de petites transactions, des coûts de transaction élevés et des prix bas au producteur. Ces prix empêchent l’introduction de nouvelles technologies dans un environnement où l’on hésite à prendre des risques. En moyenne, une transaction de vente de manioc en équivalents de tubercules secs s’élève à 64 kg dans la région du Bandundu et à 22 kg dans la région du Bas-Zaïre. Au Bandundu, les ménages vendent du manioc 19 fois par an, réparties sur toute l’année, au Bas-Zaïre ils en vendent 43 fois par an. Vu le manque total d’équipement de transport à la ferme, 80 à 90 % des transactions ont lieu sans transport ou avec un transport manuel. Le rayon d’action des agriculteurs pour les transactions de vente est très réduit: 50 à 60 % des transactions ont lieu à une distance de moins de dix minutes à pied, 60 à 65 % à moins de 26 minutes (voir tableau 8).

Les petites transactions sont dues au fait que: les fermes sont petites; que le manioc est récolté durant toute l’année, ainsi la production n’est pas centralisée dans le temps; des produits comme le riz, le maïs et les arachides sont récoltés une ou deux fois par an, durant une période limitée; que l’input de travail pour récolter et transformer le manioc étant élevé, l’offre par ménage et par unité de temps est limitée; les agriculteurs essaient de stabiliser leur revenu dans le temps et utilisent le manioc pour compenser les fluctuations saisonnières des recettes du maïs, des graines de courges et des arachides; les coûts pour trouver et collecter les produits sont élevés en raison du manque de marchés de collecte locaux spécialisés dans le domaine et disposant de facilités de stockage, en raison de la basse densité de la population, du manque complet d’équipement de transport à la ferme et du bas degré de standardisation des produits. Les commerçants ont des difficultés à acheter et à évacuer de grandes quantités

Des tubercules frais de manioc sont extrêmement périssables. De ce fait, la transformation à la ferme est importante, donne lieu à une gamme large de formes intermédiaires semi-périssables, et implique de petites transactions de vente dues aux coûts élevés de collecte et de marchandage.

Les stratégies des participants

Une ou deux fois par semaine, les commerçants achètent à la ferme et sur des marchés organisés dans le village même. La vente de manioc, de maïs et d’arachides a lieu par bassin ou par sac. L’acheteur doit apporter les sacs pour l’emballage. Il n’y a pas de vente par unité de poids (kg). Les commerçants remplissent les sacs eux-mêmes afin de contrôler la qualité des produits, pour éviter la fraude. Dans un marché atomisé, il est intéressant pour l’agriculteur de tromper le commerçant. Pour un commerçant, il est presque impossible de récupérer son argent quand il se rend compte qu’il a été dupé, parce qu’à ce moment-là, il est déjà de retour à Kinshasa. Les montants concernés sont généralement trop petits pour faire des démarches car il n’y a pas de protection légale, il y a un manque de communication, les distances sont trop grandes, etc. L’agriculteur ne doit pas avoir peur pour sa réputation après avoir trompé un commerçant. Cela ne nuit pas à ses futures transactions. Il y a toujours d’autres commerçants. Le contrôle de la qualité doit être très strict, ce qui prend beaucoup de temps.

Les agriculteurs ne sont pas motivés à grouper et centraliser leurs produits, parce que cela affaiblit leur position de négociation: en cas de non-accord, ils doivent remporter la récolte à la ferme. Attendre les commerçants à la maison leur semble souvent la meilleure stratégie. Au Bas-Zaïre, 42 % des ventes de manioc ont lieu à la ferme même, 20 % sur les marchés ruraux. Au Bandundu, 51 % du manioc est vendu dans les villages, 32 % sur les marchés. Le poids du transport vers le marché est limité à 30-40 kg par ménage car les femmes doivent porter les produits. La collecte de manioc est condamnée à avoir lieu de manière, fractionnée. Les petites transactions sont des contraintes endogènes qui mènent à une utilisation inefficace des camions, les commerçants impliqués étant très nombreux. Cette inefficacité a des implications pour la chaîne de commerce. Afin de réaliser une collecte plus efficace, les agriculteurs devraient centraliser les transactions de vente dans le temps et, à moindre mesure, dans l’espace. La collecte optimale se situerait au niveau du village ou d’un groupe de villages, avec un calendrier de vente fixe. Une transaction de vente de trois à quatre sacs par ménage, au lieu du nombre actuel de un ou moins, mènerait de manière significative à de moindres coûts de collecte et de transport. L’introduction d’équipement, de transport bon marché dans les régions rurales permettrait aux agriculteurs de transporter leurs produits aux marchés sans perdre leur pouvoir de négociation.

Tableau 8

LES CONDITIONS DE VENTE DU MANIOC À LA FERME



Bas-Zaïre

Bandundu

Moyen de transport
(% des recettes de la transaction)

Transport manuel

57 %

44 %

Pas de transport

19 %

45 %

Camion

13 %

8 %

Lieu de vente
(% des recettes de la transaction)

Marché rural

20 %

32 %

Marché urbain

14 %

_

Champ

17 %

5 %

Village

42 %

51 %

Durée de transport
(% des recettes de la transaction)

<10 min

47 %

59 %

11-15 min

12 %

6 %

26-50 min

16 %

9 %

>50 min

24 %

26 %

Transactions par année

Manioc

43

19

Maïs

3

4

Arachides

5

3

Taille de la transaction

Equivalents cossettes

22 kg

64 kg

Source: Goossens, F. 1994.
L’information des marchés entre les collecteurs et les agriculteurs se fait généralement de vive voix. Ceci veut dire que les participants à la chaîne s’interrogent les uns les autres sur les prix et les conditions de marché dans les lieux où ils viennent faire du commerce. Ce processus prend du temps et souvent l’information sur les prix est erronée, soit intentionnellement par l’intermédiaire qui espère gagner un peu en mentionnant des prix plus bas, soit sans penser à mal, par les imperfections normales de communication (Slater, Riley et al., 1969). Le système d’information peut fonctionner relativement bien dans le cas d’une densité élevée de la population et une bonne infrastructure routière lorsque suffisamment de commerçants passent. Le manque d’information de marché peut être considéré comme un coût parce qu’il crée l’incertitude. Au Bas-Zaïre, les participants du marché sont des price takers et le système d’information semble fonctionner assez bien. Au Bandundu, la négociation est plus importante dans certaines régions éloignées (Kwango, Mai-Ndombe) que dans le Kwilu. La négociation indique que le système d’information sur les ventes et achats ne fonctionne pas.

Étude de cas 4 - Le phénomène des «par-colis» ou colporteurs de manioc au Zaïre: Une réponse informelle à la disparition du secteur formel

Résumé et conclusions

Le système des «par-colis» ou colporteurs de manioc au Zaïre est un système de crise qui réussit à nourrir les quatre millions d’habitants de la ville de Kinshasa.

Introduction

Le circuit de la commercialisation du manioc au Zaïre est caractérisé par une catégorie de colporteurs qui s’appellent les «par-colis» et qui dominent le circuit du manioc, la nourriture de base au Zaïre. Ils organisent la collecte, le transport et une partie de la distribution urbaine. Ils vendent, soit au consommateur, soit au détaillant. Il s’agit par conséquent d’un circuit court, avec un ou deux intermédiaires entre producteur et consommateur. Ils sont dominants dans les circuits d’autres produits périssables, tels que les tubercules, les légumes et les fruits.

Le circuit

Au niveau national, la situation socio-économique est depuis longtemps fort défavorable. Un système de commercialisation efficace nécessite un cadre macroéconomique stable et sain qui conduit à l’investissement à long terme. Malheureusement, il y a l’état déplorable des moyens de communication et d’évacuation, des infrastructures et des équipements de transport, l’inefficacité des services de contrôle et d’encadrement. L’infrastructure de transport a continué sa tendance générale à la détérioration depuis longtemps. Les facteurs qui ont contribué à cette dégradation sont: le climat politique et le manque d’un système d’entretien efficace. La cause profonde est l’incapacité de mobiliser, de gérer et de canaliser effectivement les ressources financières de manière suffisante pour la remise en état fonctionnelle de l’infrastructure économique et sa maintenance.

Le système de collecte, de transport et de distribution en demi-gros est basé sur de petits commerçants ambulants ou des colporteurs qui opèrent à moindres frais fixes. Ils sont appelés «par-colis», «lutteurs» ou lolema et ils constituent un facteur important de compétition dans le système. Les «par-colis» sont les opérateurs dominants dans le secteur de commercialisation des produits (semi-)périssables, tels que les fruits, les légumes, les bananes et aussi le manioc.

Le profil du «par-colis«

Les «par-colis» sont généralement de jeunes hommes entre 20 et 40 ans, avec un niveau d’études plutôt bas, qui habitent à Kinshasa et vont souvent acheter des produits dans leur région d’origine».Il s’agit souvent d’anciens producteurs ou de citadins au chômage qui s’engagent dans le commerce, sans propre moyen de transport. Ils travaillent toujours pour leur propre compte. Certains sont des commerçants, d’autres des agriculteurs, qui s’occupent occasionellement du commerce, qui veulent visiter Kinshasa, ou ne sont pas d’accord avec le prix pratiqué au village, ou encore parce qu’il n’y a pas d’occasions de vente au village, etc. Il y a également des étudiants partant pour l’école, qui vendent des vivres pour financer leur transport ou une partie de leurs études. Quand ils ont rassemblé suffisamment de vivres, ils louent une place sur un camion ou un bateau partant pour Kinshasa, pour eux-mêmes et leurs sacs. Arrivés à la capitale, ils vendent leurs produits sac par sac sur un parking ou un marché de demi-gros».

Il n’y a que deux, ou éventuellement un, intermédiaire(s) entre le producteur et le consommateur, notamment le collecteur-revendeur et le détaillant. Ces collecteurs-revendeurs n’ont pas de propre moyen de transport et ont généralement peu de fonds de roulement. Ils louent un camion en groupe et procèdent à des achats sur les lieux de production. Ils achètent directement auprès du paysan et revendent souvent au détaillant, et même au consommateur. L’achat des produits se fait aux marchés ruraux ou dans les villages de maison à maison. Après leur arrivée en ville, les «par-colis» vendent leurs produits sur les «parkings» qui sont en fait des marchés de demi-gros.

Goossens (1994) décrivait les parkings comme suit: «Ces parkings sont en fait de larges rues, sans infrastructure spécifique, où la vente de demi-gros est organisée. En 1990, Kinshasa comptait 62 parkings, où deux à douze camions par jour arrivaient et où les commerçants vendaient leurs produits. Le nombre et la localisation des parkings changent régulièrement. La sphère d’influence d’un parking est plutôt limitée, de façon que les prix peuvent fluctuer sérieusement de jour en jour, selon l’arrivée des camions. Après la vente de leurs produits, les «par-colis» paient le prix de leur transport. Après avoir passé quelques jours à Kinshasa, ils retournent généralement à l’intérieur sans rien, à l’exception de leurs sacs et l’argent nécessaires pour l’achat de vivres. Les «par-colis» se situent surtout dans le commerce du manioc, bien que certains d’entre eux s’engagent dans le commerce d’autres produits vivriers».

Il n’y a pas ou peu de «par-colis» spécialisés uniquement dans le transport des fruits et des légumes. Généralement, ils transportent le manioc, le maïs, l’arachide et une petite quantité de légumes (souvent feuilles de manioc) et de fruits. Les commerçants spécialisés en légumes sont actifs dans les régions du Bas-Zaïre et du Kivu où il y a une certaine spécialisation dans la production horticole. Les «par-colis» qui commercialisent les produits périssables opèrent à une échelle beaucoup plus limitée que leurs collègues dans le secteur du manioc ou des céréales. Il y a également des «par-colis» qui opèrent sur les bateaux du fleuve.

Il existe également un circuit informel qui lie l’horticulteur et l’agriculteur urbain et périurbain au consommateur urbain. Les horticulteurs vendent les produits au bord du champ, «par plate-bande», et l’acheteur récolte les produits lui-même pour les vendre en ville. Les maraîchers évitent souvent les risques de commercialisation. Parfois, ils récoltent leurs produits et partent eux-mêmes vers les marchés pour vendre aux consommateurs ou aux détaillants. Les ménages ayant des parcelles de case vendent parfois de petites quantités aux voisins et sur le marché du quartier, en cas de surplus ou de besoin d’argent. Le commerçant se déplace à pied, à vélo, en bus, etc., sur une distance de quelques kilomètres. Généralement il s’agit de femmes. Elles n’amènent que de très petites quantités de légumes. Ce circuit domine l’horticulture périurbaine des villes. Généralement, il n’y a qu’un seul intermédiaire entre l’horticulteur et le consommateur.

Les seuils d’entrée dans la profession sont presque inexistants: 60 % des «par-colis» n’ont pas de permis d’achat; ils paient seulement des taxes sur les parkings et ils exercent le métier depuis peu de temps, ce qui explique aussi la forte augmentation du nombre de «par-colis» durant ces dernières années. Souvent, ils obtiennent les produits agricoles à crédit dans leur village et ils ne paient le transport qu’après la vente de leurs produits en ville. Il est évident que des personnes en insécurité alimentaire essaient de développer ce type d’activité, bien que les conditions de travail soient extrêmement difficiles et souvent dangereuses en raison de l’état des routes et des conditions de voyage.

L’origine et la croissance du circuit

Le circuit des «par-colis» s’est développé comme une réponse locale aux contraintes du système de collecte, de transport et de distribution en demi-gros des produits vivriers périssables et semi-périssables. Ce système de commercialisation fonctionne sans marchés de collecte bien organisés, sans crédits, sans infrastructures de distribution et réussit à nourrir Kinshasa tout au long de l’année.

Goossens (1996) mentionnait les causes suivantes: «Le système des «par-colis» a évolué énormément depuis la fin des années 70. Il s’est développé sui-generis comme le résultat de plusieurs facteurs:

L’efficacité économique

Goossens (1996) analyse l’efficacité économique de ces circuits:

«En camion, les «par-colis» de vivres semi-périssables qui peuvent être stockés (arachides, cossettes, huile de palme, maïs) transportent une charge dont la valeur d’achat représente à peu près $EU 180, ceux qui transportent des produits périssables sur de courtes distances (tomates, chikwangues, plantains) ont une charge avec une valeur d’achat de $EU 30 à 45. La valeur de vente moyenne de la charge d’un «par-colis» en camion représente $EU 440 par voyage (voir tableau 9); pour les «par-colis» en bateau, il s’agit de $EU 1 770 en moyenne. Les revenus nets par mois sont comparables pour les deux groupes et varient entre $EU 260 et 290. La structure des recettes du transport routier et par bateau est composée de la manière suivante: la valeur d’achat (plus ou moins 30 % des recettes totales), les coûts de transport (20 à 30 % des recettes totales), le transport du commerçant lui-même (2 à 2,5 %), les pertes (estimées à 8 % des recettes), l’emballage (1 %). Les marges nettes sont de 20 % pour le transport routier et de 38 % pour le transport fluvial».
Ces marges nettes sont une indication claire du manque d’économies d’échelle dans la collecte et le transport de l’intérieur vers la ville. Malgré le grand nombre de «par-colis», la collecte de produits alimentaires est déficiente en raison de la mobilité et de la communication imparfaites dans les zones rurales et de l’offre fragmentée. Les coûts de localisation et de transaction sont élevés. Les dépenses de transport en fonction du nombre de sacs par commerçant sont présentées à la figure 5. Les dépenses de transport par sac diminuent rapidement jusqu’à 25 à 30 sacs par commerçant, et continue à diminuer si le nombre s’accroît. Les coûts de localisation et de suivi et contrôle de la collecte par sac augmentent quand le volume de la charge s’accroît. Le «par-colis» stocke ses produits temporairement au niveau du village. Ceci implique des pertes, des coûts de stockage et la possibilité de vol. Son rayon d’action est limité car, en général il n’y a pas d’équipement de petit transport au ni-veau du village. Pour chaque sac qu’il ajoute à sa charge, ses coûts marginaux et moyens de collecte par sac augmentent. Le coût total par sac est une courbe en U. Sans la restructuration de la collecte et la réduction du nombre de «par-colis», la charge optimale et le volume de l’opération seront bas, le revenu du commerçant stagnera et la collecte restera inefficace. La réorganisation de la collecte du manioc mènera à un prix au producteur plus élevé, des marges de transport plus basses et une ré-duction de 60 % du nombre de «par-colis», de façon que la charge augmente de 15 à 55 sacs par commerçant. Ceci veut dire que la charge d’un camion appartient au transporteur et un ou deux commerçants supplémentaires.

A Kinshasa, la plupart des ventes se font au comptant à des détaillants ou directement aux consom-mateurs. Les ventes ne sont pas basées sur des relations personnelles et une inspection visuelle du contenu du sac est suffisante. Les camions venant du Bandundu ont 5,3 «par-colis» à bord avec 14 sacs par commerçant en moyenne, les camions du Bas-Zaïre comptent 12,6 «par-colis» en moyenne, apportant chacun huit sacs. Les charges plus petites des camions provenant du Bas-Zaïre sont une indication d’une plus haute compétitivité.

Tableau 9

RECETTES ET DÉPENSES DES “PAR-COLIS” DE MANIOC EN BATEAU OU EN CAMION
(OCTOBRE 1990) ($EU)


Camion

Bateau

Valeur de vente/voyage

442

1 814

Valeur d’achat/voyage

161

559

Dépenses/voyage

193

574

Marge brute

281

1 255

Marge brute (%)

64

69

Marge nette/voyage

87

681

Marge nette/voyage (%)

20

38

Marge nette/mois

262

286

Prix de vente ($EU/sac)

16,3

14,7

Prix d’achat ($EU/sac)

6

4,5

Transport ($EU/sac)

5,1

3

Sacs/commerçant

27

123

Voyages par mois

3

0,42

Source: Goossens, F. 1994.

Figure 5: Coûts de transport et de collecte en fonction du nombre de sacs

Étude de cas 5 - Le phénomène des «paysans-grossistes» dans le commerce de gros de l’igname en Côte D’ivoire

Jespers, Z.3 et Goossens, F.

Résumé et conclusions

Le phénomène des «paysans-grossistes» dans le commerce de l’igname en Côte d’Ivoire est un pas en avant dans la spécialisation de la commercialisation. Ceux-ci ont cassé le monopole des grossistes traditionnels. Les grossistes traditionnels agissent sur le commerce en détail, où ils revendent à crédit aux détaillants, et sur l’exportation. Les paysans-grossistes se concentrent plus sur la collecte rural et le commerce local. Dans ce domaine, les grossistes ne semblent plus compétitifs en raison de la baisse du coût d’opportunité de la main-d’oeuvre après la dévaluation du FCFA.

Introduction

Ces dernières années, une nouvelle catégorie de commerçants dans le commerce de l’igname en Côte d’Ivoire est née, à savoir les «paysans-grossistes» qui sont en compétition avec le grossiste traditionnel. Cette évolution a abouti à une meilleure allocation des inputs, une hausse des prix au producteur et probablement une baisse des prix au consommateur.

La collecte et le commerce de gros: les participants

Au niveau national, la production d’igname est estimée à 1,2 millions de tonnes. L’igname représente une source économique importante dans les régions de Bondoukou, de Dabakala et de Korhogo, situés au nord de la Côte d’Ivoire. Une région comme Dabakala fournit à elle seule, la moitié de l’igname commercialisée aux marchés de Bouaké et d’Abidjan (Doumbia, 1995). Le grand carrefour du commerce de gros est situé à Bouaké. La plupart des agriculteurs ne cultivent pas spécialement pour la vente. C’est plutôt le surplus familial, environ 10 % de la récolte selon Doumbia (1995) et 25 à 30 % selon CIDT, qui est destiné à la commercialisation. De ce fait, il y a une atomisation des points de vente «bord-champ», qui rend la collecte difficile et chère et qui implique des collecteurs informels disposant de peu de moyens logistiques et une main-d’oeuvre bon marché. En période de récolte, le producteur envoie parfois son produit au marché de gros de Bouaké. Autrement, les paysans vendent à un paysan-grossiste, à un collecteur informel ou à un grossiste. Le prix «bord-champ» est celui payé par les acheteurs au champ du producteur. L’igname est pesée et le prix est fixé après discussion. En septembre 1995, le prix était de FCFA 500 la tonne. Ce prix dépend de la distance et de l’accès au champ, de la quantité offerte et de la qualité. Le prix payé pour l’igname qui est transportée au village est souvent plus bas. Les paysans qui collectent leur produit n’ont généralement pas d’autre choix parce que les quantités traitées sont trop faibles ou l’accès au champ est trop difficile.

Les collecteurs indépendants achètent des stocks d’igname au cultivateur. Ils sont surtout actifs dans les villages où il n’y a pas de coopérative et ou l’équipement de la coopérative accuse des insuffisances. La vente peut se faire de trois façons. Première possibilité, le collecteur envoie ses produits au marché de gros de Bouaké avec son propre véhicule ou avec un camion loué et essaie de les vendre lui-même dans le magasin d’un grossiste, en payant FCFA 500 la tonne pour le stockage jusqu’à ce que tout soit écoulé. Il ne paie ni la taxe communale ni le gardiennage. Deuxième possibilité, le collecteur envoie son stock à Bouaké où il le vend aux grossistes. Troisième possibilité, l’igname, propriété du collecteur, reste stockée chez le paysan et le collecteur contacte des grossistes pour la vente. Son bénéfice est fonction de la quantité. Il y a également des collecteurs dits «dépendants» qui travaillent pour un grossiste. Celui-ci leur donne des responsabilités selon la confiance qu’il leur témoigne. Ainsi, il peut leur donner de l’argent pour les achats ainsi que pour le transport de la marchandise. Autre possibilité, il leur confie des liquidités pour acheter l’igname qui reste stockée chez le paysan jusqu’à ce que le grossiste organise le transport. Ou encore, le collecteur cherche les stocks et le grossiste organise l’achat et le transport. Les collecteurs sont très actifs durant les périodes de pénurie.

Les grossistes envoient généralement un de leurs fils ou quelqu’un du clan pour organiser la collecte. Ils achètent auprès des paysans-grossistes occasionnels, des collecteurs indépendants, des paysans et des coopératives. Les grossistes vendent l’igname, soit aux femmes détaillantes du grand marché ou des petits marchés dans les quartiers, soit à d’autres grossistes, ou ils l’envoient à Abidjan ou dans d’autres villes de la Côte d’Ivoire, et parfois dans d’autres pays.

Les paysans-grossistes fonctionnent comme collecteurs indépendants et grossistes en même temps. En général, les paysans-grossistes achètent les produits «bord-champ», souvent dans leur propre village ou un village voisin, ou directement au marché des paysans, des collecteurs ou des coopératives qui y ont transporté leurs produits. Souvent, ils vendent les produits des parents, des voisins et des amis. Dans ce cas, ils ne reçoivent souvent que quelques pourboires pour l’effort fourni.

Une petite quantité est vendue dans les petits marchés ruraux. La paysanne y va parfois avec une cuvette pour vendre de petites quantités d’ignames ou d’autres vivres et pour acheter des produits ménagers. Ce sont surtout les consommateurs locaux qui achètent ou les détaillants des villes environnantes. Le transport au marché se fait en taxi, en gbaka (petit autobus) ou à pied. Les producteurs utilisent les marchés ruraux pour écouler des quantités qui sont trop petites pour intéresser un grossiste. Des petits producteurs y écoulent également la récolte. Un grand producteur y vend seulement en cas d’urgent besoin d’argent.

Un deuxième circuit est celui des coopératives villageoises qui ne sont pas nombreuses dans le commerce de l’igname par manque de facilité de stockage. Leur participation consiste généralement à: rassembler l’igname et la stocker dans le village; chercher les meilleurs marchés; envoyer l’igname au marché de gros de Bouaké de temps en temps, ou l’expédier directement à Abidjan; louer un véhicule aux grossistes ou aux collecteurs si la coopérative en est le propriétaire.

Les détaillants achètent par caisse de 200 kg ou par demi-caisse et vendent par tas de deux, trois ou quatre tubercules (FCFA 200 à 1 000) au consommateur. Il est possible pour un consommateur d’acheter de petites quantités chez le grossiste.

Il y a des vendeurs indépendants d’information ou «coxers» dans le circuit de l’igname. Ils circulent en brousse avec leur mobylette ou bicyclette, cherchent les stocks d’igname et donnent cette information à un grossiste. Souvent de jeunes chômeurs s’en occupent. La prime qu’ils reçoivent n’est pas fixe, le grossiste leur donne un pourboire. Ce n’est pas à l’avantage du grossiste de les traiter mal, parce que les coxers préfèrent vendre l’information au grossiste qui donne les meilleurs pourboires.

Les grossistes traditionnels

Les grossistes traditionnels sur le marché de gros de Bouaké sont généralement d’origine malienne. Ils ont souvent des liens familiaux entre eux et donnent facilement des prêts informels aux membres de la famille. La concurrence entre eux est minime. Ils préfèrent se protéger au lieu de se jeter dans un combat concurrentiel. Selon certaines personnes, il y a même des arrangements de prix. On peut parler d’un oligopole ayant même les caractères d’un cartel.

Le commerce de gros est entravé de barrières à l’entrée, à savoir le nombre limité de magasins sur le marché de gros de Bouaké, la barrière financière et, en moindre mesure, le savoir-faire. D’abord, un débutant-grossiste doit financer une charge d’igname. Les agriculteurs ne vendent jamais à crédit au grossiste. Au contraire, le paysan parfois est payé d’avance. Les fonds nécessaires s’élèvent à environ FCFA 50 000 pour une camionnette bâchée avec une charge utile de une tonne, FCFA 250 000 pour le chargement d’un camion de cinq tonnes, jusqu’à FCFA 2 millions, si on utilise une remorque de 40 tonnes. Puis, il y a l’achat d’une bascule. Quelques grossistes possèdent un véhicule, les autres en louent un. Le tarif de location varie en fonction de la distance et de l’état des routes, du tonnage du véhicule (pour l’igname les camions sont souvent de 5 ou 10 tonnes), et de la période de l’année. Les tarifs ont presque doublé après la dévaluation du FCFA, en raison de la hausse du prix des véhicules, du carburant, des frais de dépannage et d’entretien du camion. De plus, beaucoup de camions sont en panne parce que les pièces de réchange sont devenues trop chères.

La principale barrière est l’achat d’un magasin. Pour obtenir un magasin sur le marché de gros de Bouaké, il est nécessaire que quelqu’un veuille vendre sa place et son «titre de la mairie». Un grossiste d’igname est obligé d’avoir cette autorisation formelle pour la vente. La mairie vendait à l’époque ces «titres de la mairie». Aujourd’hui, la plupart des débutants ont hérité leur magasin et titre. Il est très rare qu’un magasin soit effectivement vendu. Selon une enquête, quelques paysans-grossistes en ont acheté un pour FCFA 400 000, mais le vendeur et l’acheteur avaient des liaisons familiales ou amicales. Tout grossiste n’est pas obligé d’avoir directement son propre magasin. Il peut toujours louer un magasin ou stocker ses produits dans le magasin d’un autre grossiste.

Le savoir-faire est une troisième barrière à l’entrée. En effet, les grossistes doivent bien maîtriser les marchés et les circuits de Bouaké ainsi que ceux d’autres villes (comme Abidjan), et éventuellement les marchés des pays voisins, Burkina Faso et Mali. Les grossistes prennent le soin de garder cette connaissance et ces liaisons pour la famille. Le fils apprend le métier du père. Le commerce est une affaire familiale. Les employés du grossiste sont généralement des membres de la famille.

Il existe aussi des barrières administratives. L’enregistrement au registre du commerce est obligatoire, mais par absence de contrôle effectif, il n’est pas effectué. Le grossiste paie aussi une taxe communale de FCFA7 000 par mois, et la douane. Le transport vers un autre département ou des pays limitrophes est plus cher du fait des taxes officielles, mais également à cause des diverses tracasseries administratives rencontrées par le transporteur ou le commerçant. Le nombre élevé de barrages et de contrôles routiers abusifs accroît le montant des taxes officieuses à débourser aux arrêts, et ralentit la livraison de la marchandise, augmente les pertes lorsque les agents de la douane, de la police ou de la gendarmerie ordonnent le déchargement pour vérification.

Le phénomène des paysans-grossistes

Depuis quelques années et surtout après la dévaluation du FCFA en janvier 1994, on constate qu’à côté des grossistes traditionnels, certains paysans se sont engagés à vendre leurs produits vivriers eux-mêmes au marché de gros. La méfiance des producteurs à l’égard des grossistes traditionnels, la baisse des prix réels et la déscolarisation des jeunes après la dévaluation ont poussé certains paysans et coopératives villageoises à envoyer un représentant, souvent le fils d’un paysan, au marché pour faire du commerce de gros. On parle de paysans-grossistes. En période de pénurie d’ignames, ils essaient de garder l’activité et commercialisent l’arachide, le maïs, etc. A l’époque, quelques paysans vendaient leurs marchandises en cas de besoin d’argent ou après la récolte, mais c’est seulement depuis ces dernières années qu’on peut parler d’une organisation bien structurée. Le phénomène des paysans-grossistes existe surtout à Bouaké. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’activités semblables d’une importance significative dans les autres villes.

Certains paysans-grossistes sont en permanence sur le marché de gros et louent un magasin. Il y a également des paysans-grossistes occasionnels qui ne louent pas de magasin mais qui vendent dans le magasin d’un autre grossiste et paient une prime pour le stockage (francs CFA500 par tonne). Leur nombre fluctue selon la période de l’année. Bien qu’ils soient moins nombreux que les paysans-grossistes permanents et qu’ils ne soient pas bien organisés, leur importance est significative. Ils se comportent comme des grossistes indépendants.

Les barrières à l’entrée du commerce pour le paysan-grossiste sont basses. Le paysan-grossiste n’est pas directement obligé de financer un stock d’igname parce qu’il vend la récolte de ses parents ou de ses amis. En outre, il est plus facile d’obtenir un crédit auprès d’amis producteurs quand on est soi-même paysan. La plupart louent encore un magasin. Le propriétaire du magasin est parfois un grossiste, par exemple de maïs ou d’arachides, qui n’en a pas besoin durant cette période ou qui a arrêté ses activités. Souvent deux ou trois paysans-grossistes louent ensemble un magasin. Le tarif est environ de FCFA 10 000 par mois si les taxes et les impôts sont à la charge du locataire, et environ de FCFA15 000 par mois si ces frais sont à la charge du propriétaire. La taxe communale est de FCFA7 000 par mois.

Figure 6: Filière de commercialisation de l’igname en Côte d’Ivoire

Une nouvelle compétition et spécialisation

A présent, le circuit à Bouaké est dominé par les paysans-grossistes qui sont en forte compétition avec les grossistes traditionnels. Ces derniers ont régulièrement des problèmes de ravitaillement. Les agriculteurs ont tendance à écouler leurs produits chez les paysans-grossistes qui viennent souvent du même village ou qu’ils connaissent, qui sont mieux informés sur les stocks, et qui paient un prix plus élevé.

En raison du prix d’achat très élevé, le circuit de Bouaké n’est plus intéressant pour les grossistes traditionnels. Ils ne réussissent plus à gagner ici une marge bénéficiaire suffisante, alors ils se sont engagés pour l’expédition à Abidjan. Les grossistes permanents se sont organisés pour avoir les marchés d’Abidjan et ceux des autres villes et des pays voisins. Les grossistes sont obligés d’acheter à un meilleur prix parce qu’avant, il n’y avait pas de concurrence mais une situation d’oligopole.C’est la première fois qu’ils connaissent une concurrence. Le circuit de Bouaké est déjà dominé par les paysans-grossistes. Mais il faut savoir que les paysans-grossistes avaient aussi déjà une bonne connaissance des marchés des autres villes. Nos recherches ne nous ont pas permis de mettre en évidence un flux important de marchandises des paysans grossistes vers l’extérieur.

Si un grossiste de Bouaké expédie son produit à Abidjan, il obtient le même prix qu’un grossiste là-bas. Quand il part de Bouaké, il a déjà une bonne connaissance du prix d’Abidjan et souvent déjà un acheteur grossiste. Cette communication se passe par téléphone. A la différence du marché de Bouaké, on ne fait pas à Abidjan de sélection de qualité, donc il n’y a qu’un seul prix. Ici, le prix peut fluctuer jusqu’à FCFA 15 selon la qualité de l’igname. Ainsi, pour un stock d’ignames de moindre qualité il est souvent intéressant de l’expédier à Abidjan (il en est de même pour les autres centres).

Le prix demandé à un grossiste étranger qui vient avec son propre véhicule pour expédier l’igname est identique. Quoiqu’aux alentours des villes comme Dabakala et Daloa, il y ait des champs d’ignames, les grossistes viennent s’approvisionner à Bouaké avec des camions de 5 ou 10 tonnes. La raison est que l’igname de Bouaké est d’une meilleure qualité (il contient moins d’eau). Rarement un grossiste du Mali ou du Burkina arrive à Bouaké avec un camion de 10 ou 15 tonnes, mais ce circuit n’est pas fréquemment utilisé parce que ce sont plutôt les grossistes qui expédient. En outre, les grossistes qui arrivent à Bouaké achètent parfois directement chez un collecteur.

Discussion

Le marché de l’igname en Côte d’Ivoire est un cas intéressant par quelques aspects importants. Au cours de ces dernières années, il y a eu la dévaluation du FCFAqui a atteint le revenu du milieu rural. Le résultat est la création d’un circuit de paysans-collecteurs qui ressemble fort au système des «par-colis» du Zaïre. Il s’agit en fait d’une déspécialisation et d’un retour au circuit informel.

Il est intéressant de voir que sous la pression d’une baisse du revenu et du pouvoir d’achat, il y a création d’une nouvelle catégorie de commerçants, appelés les «paysans-grossistes». Cette catégorie est comparable aux «par-colis» du Zaïre. Cette catégorie de commerçants résulte en une meilleure allocation des inputs: la main-d’oeuvre et la connaissance des paysans est mieux utilisée, les paysans gagnent plus, une partie plus importante de la valeur ajoutée reste en milieu rural, un prix plus élevé est payé au producteur et un prix plus bas au consommateur.

Étude de cas 6 - Les filières maraîchères en afrique subsaharienne: L’absence du secteur formel et lastagnation technologique

Résumé et conclusions

Selon la théorie de la commercialisation, la filière qui correspond le plus aux exigences des consommateurs urbains a le plus de succès. Pour les filières maraîchères de l’Afrique subsaharienne, la combinaison «colporteur-détaillant informel» est la filière dominante. Le manque de compétitivité du secteur formel de commercialisation des produits horticoles se situe à tous les niveaux de la chaîne de commercialisation: collecte inefficace, main-d’oeuvre trop chère, distribution trop coûteuse. Les désavantages de la dominance informelle sont la stagnation technologique et le manque d’économies d’échelle.

Introduction

Les filières de légumes en Afrique subsaharienne se trouvent presque toujours dans le secteur informel, avec des colporteurs et des détaillants. Elles se ressemblent beaucoup. Cette étude démontrera que la dominance des colporteurs est basée sur leur compétitivité dans ces activités. On se base sur des analyses empiriques à Bangui, et à Brazzaville en Afrique centrale, à Madagascar, au Zaïre, au Sénégal, en Guinée-Bissau.

Les caractéristiques de la filière

Il est évident que le commerce de légumes se trouve dans le secteur informel en raison de la structure de la production horticole, souvent en milieu périurbain. L’oignon est souvent importé de RSA et des Pays-Bas, mais il y a également des producteurs relativement spécialisés en Afrique de l’Ouest. La production se situe souvent en milieu périurbain à cause des problèmes de transport. La détérioration des infrastructures physiques de transport a influencé la structure de l’horticulture en milieu rural: elle est en voie de disparition dans les zones où il y a eu une réduction de l’accès au marché, par exemple dans les Cataractes (Bas-Zaïre). En même temps, il y a une croissance accélérée de l’horticulture périurbaine, et un glissement vers les centres urbains.

Les circuits de commercialisation contiennent quatre chaînes de vente, comme le démontre les enquêtes à Bangui et Brazzaville en Afrique Centrale, (Moustier et David), à Madagascar (Seck, 1989) au Sénégal. Goossens (1994) les confirme également pour le Zaïre:

Les marchés de gros se caractérisent par une multiplication de petites transactions.

Le consommateur urbain

Le consommateur fait ses achats de légumes chaque jour ou tous les deux jours. La consommation des légumes est dominée par les ingrédients du plat traditionnel africain: les légumes-feuilles (amarante, bilolo, épinards, feuilles de manioc, feuilles de patates douces), la tomate locale et l’oignon. La majorité de la population urbaine n’achète qu’un assortiment limité de légumes: légumes-feuilles, pili-pili, oignons, tomates (en boîtes); étant donné son pouvoir d’achat, elle préfère acheter les légumes et les fruits les moins chers, délivrés avec le minimum de services supplémentaires (une valeur ajoutée limitée, emballage qui ne coûte pas cher, un minimum de standardisation, etc.). Elle n’est pas prête à payer des qualités supérieures ou des services de marché complémentaires. Le développement de filières, qui s’adressent à la masse populaire, et qui offrent un produit d’une meilleure qualité, ou avec une valeur ajoutée plus élevée, est seulement possible si le prix n’augmente pas. La majorité de la population n’a pas de possibilités de conservation (frigos, etc.) à la maison pour les produits périssables. Elle achète journellement des légumes, près de la maison au marché du quartier, en petites quantités. Ceci implique un nombre important de points de vente, un service offert par les marchés de détail du secteur informel. En outre, la façon de préparer (bouillir longtemps) les légumes implique que la présentation et la qualité visuelle ont souvent une importance secondaire. Les débouchés des légumes tels que la pomme de terre, le chou, le poireau, la ciboule, le céleri, etc., sont actuellement limités en termes relatifs de la population, bien que pour les grandes villes, il s’agisse d’un nombre considérable de consommateurs. Il y a une demande de la part des Zaïrois aisés, des hôtels et restaurants de luxe et des expatriés au Zaïre. Ces produits sont actuellement hors de portée de la majorité des consommateurs. Le nombre de consommateurs permet le développement d’un circuit limité de fruits et légumes de qualité.

La production horticole

L’horticulture en milieu rural s’effectue généralement par des entreprises hautement traditionnelles. La culture des légumes se fait surtout durant la saison sèche, dans les bas-fonds, quand la pression des maladies est moindre. L’horticulture est caractérisée par le recours à une main-d’oeuvre familiale, par de petits capitaux et une abondance de terres en milieu rural. La plupart des petits agriculteurs cultivent leurs terres avec des instruments manuels, dont des houes en métal, des machettes, des bâtons à bêcher et des couteaux. Les dépenses en espèces pour l’achat d’intrants représentent un faible pourcentage de la valeur de la production. Les engrais et les produits phytosanitaires ont très peu d’importance. En milieu périurbain, l’horticulture est plus intensive. Néanmoins, l’horticulteur semble bien maîtriser les techniques de production qui sont à sa disposition.

L’horticulteur type est handicapé par le manque de moyens économiques, ce qui l’empêche de prendre de trop gros risques, et souvent par un sentiment d’infériorité sociale. Traditionnellement, la profession de maraîcher était socialement peu respectée. Les maraîchers étaient souvent âgés et les jeunes étaient rebutés par les conditions de travail difficiles: corvée d’arrosage à la main, transport d’eau sur de longues distances, tri manuel des ordures ménagères pour le compost, etc. Etant donné la crise économique dans plusieurs pays, l’attitude vis-à-vis des cultures maraîchères a changé de façon positive.

L’offre en légumes dans la ville de Kinshasa provient principalement d’un grand nombre de petites fermes de subsistance de la région du Bas-Zaïre, des entreprises maraîchères dans la ceinture verte de la ville, et en moindre mesure de la région du Kivu qui est située à l’est du pays. Au Bas-Zaïre, la production de fruits et de légumes se situe surtout dans les zones de Mbanza-Ngungu, de Songololo et de Madimba, c’est-à-dire les zones autour de la route asphaltée Matadi-Kinshasa, à une distance de 80 à 200 km de la capitale. Les conditions écologiques sont favorables à un grand nombre de cultures. En outre, la zone de Mbanza-Ngungu, à une hauteur de 500 à 900 m, est favorable à la culture des légumes des régions tempérées. Dans le Bas-Zaïre, il y a une longue tradition de production de fruits et légumes pour Kinshasa. Dans la région de Bandundu, à l’est de Kinshasa, il n’y a qu’une production très limitée de légumes et de fruits pour Kinshasa, du fait que les principales zones de production se situent à une distance de 300 à 600 km de la capitale. La production est principalement destinée à l’autoconsommation.

La production de légumes-feuilles, notamment le matembele, le ngai-ngai, le biteku-teku, etc., se situe surtout dans la ceinture verte de Kinshasa. Le Bas-Zaïre n’est pas concurrentiel dans ce segment du marché à cause des problèmes de transport, du caractère périssable de ces légumes et de la valeur basse de ces produits (coût de transport). La seule exception est la feuille de manioc, qui est produite au Bas-Zaïre comme produit secondaire - le tubercule étant le produit principal - et à Kinshasa comme produit principal. En milieu urbain, les feuilles sont récoltées toutes les trois semaines. Une enquête du BEAU en 1986 démontrait que les autres cultures importantes dans le Bas-Zaïre sont la tomate, le piment, la patate douce et l’oignon. Etant donné la détérioration de l’état de la route Matadi-Kinshasa, il y a un déplacement de la production des cultures très périssables vers la proximité des villes. ASongololo, par exemple, les paysans préfèrent la production d’oignons, de manioc et d’arachides comme cultures de rente à celle de la tomate. Les légumes dits «européens», tels que le persil, l’aubergine, le haricot vert, la laitue, la carotte, le navet, le chou, l’artichaut, provenaient principalement de la région du Kivu durant les années 80 et avaient une importance limitée dans le Bas-Zaïre (BEAU, 1986).

Les avantages comparatifs du colporteur

Dans le circuit informel, au niveau de la commercialisation, il existe des risques liés au type de produits et à l’absence presque totale de technologie de commercialisation, telle que balances, emballage, marchés spécialisés, etc. Les transactions de vente sont petites, ce qui implique qu’un acheteur-collecteur de légumes doit nécessairement visiter un nombre important de producteurs afin de rassembler un lot considérable. Ceci est une première raison pour le secteur formel de ne pas s’intéresser au secteur des légumes. La qualité des légumes n’est pas standardisée (maturité, variété génétique, méthode de récolte, etc.), ce qui implique qu’il est difficile d’appliquer un prix uniforme: il faut un contrôle strict pour chaque transaction de vente. Ensuite, il faut souvent discuter le prix, ce qui augmente le temps nécessaire pour les transactions. Il est d’ailleurs difficile d’envoyer un employé payé pour faire ce genre de transactions d’achat. Ceci est une deuxième raison pour le secteur formel de ne pas s’intéresser au secteur des légumes. Aux problèmes du morcellement et de la standardisation de la production, s’ajoutent encore les problèmes des infrastructures de transport et l’absence de marchés de gros ou de demi-gros à Kinshasa. Par conséquent, les petits commerçants informels détiennent la totalité du commerce, la quantité vendue par jour est extrêmement basse, les marchés sont peu transparents, les marges et les prix élevés.

Encadré 9

L’HORTICULTURE PÉRIURBAINE ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE À KINSHASA

En 1972, l’aire maraîchère de Kinshasa comprenait 101 ha (estimation CECOMAF). Selon le Département de l’agriculture, il y avait 4 300 producteurs ayant la production de légumes comme activité principale en 1981. La superficie moyenne par cultivateur variait généralement entre 0,09 et 0,11 ha.

Ces dernières années, l’importance de la ceinture verte de Kinshasa s’est accrue considérablement et ceci surtout en dehors des périmètres aménagés, principalement à cause de la dégradation de la situation socio-économique, de l’inflation et de l’érosion des revenus. Surtout depuis 1992, il y a un “boom” dans ce secteur. Un grand nombre de familles dépendent de cette production pour leur survie ou pour compléter leur régime alimentaire plutôt monotone. Il y a les zones de squatting et les parcelles le long de routes et de rivières en pleine ville. Sur les terres de mauvaise qualité, il s’agit surtout d’une production de feuilles de manioc.

Fin février 1995, les prix des légumes à Kinshasa étaient, pour une plate-bande de 20 m2: ciboule ($EU 13), bilolo ($EU 12), épinard ($EU 10), biteku-teku ($EU 8), ngai-ngai ($EU 8), matembele ($EU 5), pointe noire ($EU 4).

L’horticulture urbaine et périurbaine s’adapte facilement à la stratégie de sécurité alimentaire des consommateurs. Beaucoup de gens à Kinshasa s’intéressent uniquement à des cultures dont la période végétative ne dépasse pas un mois, par exemple le matembele, le biteku-teku, le ngai-ngai et l’épinard. De cette façon, la culture de légumes-feuilles donne un revenu stable et très régulier. Une personne qui cultive 15 plate-bandes de 20 m2 peut en vendre une tous les deux jours. Ceci lui rapporte un revenu brut de $EU 4 à 5 par jour ou environ $EU 100 par mois. Le revenu net varie dans ce cas entre $EU 60 et 75. Les risques techniques de production sont minimes. Grâce au cycle court, il y a moins de problèmes de maladies. De plus, les légumes-feuilles peuvent être cultivés toute l’année, même durant la saison des pluies.

Le nombre de commerçants a fort augmenté en raison de la crise socio-économique qui fait rage au Zaïre. Les commerçants en insécurité alimentaire évitent la compétition basée sur les prix. Ils préfèrent une paix sociale entre les commerçants. Il y a donc une absence quasi-totale de compétition et la quantité vendue par jour est extrêmement basse, ce qui aboutit à une hausse des marges de distribution. La dominance des petits commerçants résulte en une absence quasi-totale de technologie de commercialisation, telle que balances, emballage, marchés spécialisés, etc.


Les quelques grossistes en légumes à Kinshasa organisent eux-mêmes la production (c’est le cas de SEBO), ou importent des légumes afin de résoudre les problèmes d’approvisionnement en légumes et fruits en quantités suffisantes et d’une qualité standardisée.

La structure de la production vivrière, horticole et fruitière, implique la nécessité d’un secteur informel de commercialisation afin d’organiser la collecte. La structure des unités de production et les petites quantités mises en vente augmentent le coût de collecte et sont peu attractives pour le secteur formel.

En ce qui concerne la commercialisation des vivres, des légumes et des fruits, on a constaté que la performance du circuit est faible. Les indicateurs de cette faiblesse sont les suivants:

Plus spécifiquement pour le secteur des fruits et légumes, on peut conclure que:

Étude de cas 7 - La dichotomie du commerce du lait et des produits laitiers en Afrique subsaharienne

Résumé et conclusions

Les ventes ambulantes de porte à porte sont moins importantes pour les produits importés, qui se conservent bien, mais plus importantes pour les produits laitiers locaux, qui connaissent des difficultés de conservation.

Les problèmes trouvent principalement leur origine dans la structure de la production locale de lait. Il existe en effet une compétition avec le lait reconstitué sur base de lait en poudre; un problème de collecte à partir des unités de production traditionnelle; une adjonction d’eau dans le lait de la part du paysan; et un évident problème de qualité.

Introduction

Les circuits de distribution des produits laitiers en Afrique subsaharienne sont:

La filière des importations

Jusqu’en 1975, les importations de lait et de produits laitiers en Afrique subsaharienne se situaient à environ 1 million de tonnes d’équivalents-lait. Apartir de cette période, les importations ont augmenté de 3 à 3,5 millions de tonnes en 1981 et 1985.

Le lait concentré sucré et non sucré, et le lait entier en poudre, représentent plus de 90 % des équivalents-lait importés dans la plupart des pays. Pour distribuer ces produits, des circuits de distribution se sont mis en place. Dans chaque pays, certains grossistes importent et vendent à d’autres grossistes, ou bien aux semi-grossistes ou aux mini-alimentations.

La filière formelle est constituée par les magasins d’alimentation (grandes surfaces et mini-alimentation). Ce circuit distribue la gamme complète des produits importés et la gamme de produits des unités de transformation locales: les produits frais sous froid, le lait UHT, le lait pasteurisé, le yaourt «formel», le fromage local et importé et le beurre importé. Les produits importés traditionnels, tels que le lait concentré et le lait en poudre, sont plus importants que les produits frais. Pour ces premiers produits, le marché est très transparent: les différences de prix ne dépassent généralement pas 2 à 3 % dans le cas de la mini-alimentation.

On trouve le lait en poudre et le lait concentré, sucré ou non, partout dans les magasins, boutiques et kiosques, même dans la plus petite boutique au fond de la brousse. Le système de distribution de lait et de produits laitiers comprend le circuit ambulant, le circuit des kiosques, boutiques, tabliers et le circuit de la mini-alimentation. Les ventes concernent surtout le lait concentré sucré, le lait concentré non sucré, le beurre (souvent confondu avec la margarine) et le lait en poudre. Les détaillants s’approvisionnent auprès des grossistes locaux ou des semi-grossistes.

Encadré 10

UNE SOCIÉTÉ COMMERCIALE D’IMPORTATION ET DE COMMERCE DE GROS AU BURKINA FASO

La société X, une société anonyme tenue par des libanais, est de loin le plus grand importateur de produits laitiers au Burkina Faso. Le lait et les produits laitiers représentent environ 20 % du chiffre d’affaires. Ils ont un magasin de gros à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, et un magasin de détail annexé à celui de gros à Ouagadougou. Le lait concentré sucré est le principal produit laitier importé, surtout en boîtes métalliques d’un kg. Puis, il y a le lait en poudre entier, souvent en sacs de 25 kg. Le lait stérilisé en bouteilles de plastique d’un litre et le fromage ne sont importés que rarement et en petites quantités. Ils importent directement des Pays-Bas et de France. Ils achètent toujours CAF (coûts, assurances, fret payés). Ils importent avec un crédit documentaire qui leur donne un délai de paiement de 60 à 80 jours après commande ferme. Ils vendent également sur crédit fournisseur de maximum quinze jours, sans garantie. Sans ce crédit fournisseur, beaucoup d’acheteurs ne seraient pas en mesure d’acheter. Ils importent toujours en conteneur complet d’un même produit, ce qui constitue le lot minimum. La marge commerciale entre les niveaux gros et détail varie de 2 à 15 %.

Les importations ont diminué de 50 % après la dévaluation.


Les éleveurs et les colporteurs

Dans les élevages traditionnels, une grande partie du lait est autoconsommée. Le circuit ambulant traite de la vente directe de l’éleveur au consommateur, ou d’un colporteur qui achète auprès de l’éleveur et vend au consommateur. Il s’agit d’un système traditionnel et informel qui approvisionne les populations rurales en lait local, en lait caillé, en beurre artisanal, le tout à base de lait produit par le secteur d’élevage périurbain. Au-delà d’une certaine distance, le transport se réalise en taxi ou bus, et le lait est vendu à un collecteur-colporteur qui approvisionne en vélo ou en mobylette ses clients (cas fréquent à Dakar, à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), à Bujumbura (Burundi), à Korhogo et à Bouaké (Côte d’Ivoire).

La production périurbaine de lait est en croissance rapide, surtout après la dévaluation du FCFAsurvenue en janvier 1994. La majorité des producteurs est située en zone rurale et une partie des troupeaux sont en transhumance plus ou moins lointaine. Ces éleveurs habitent la ville ou tout près de la ville. Les animaux sont nourris pendant la journée dans des espaces ou pâturages situés bien en dehors de la ville, mais le soir ils y rentrent. Au Burkina Faso, on peut prendre un rayon de 25 km autour du centre-ville comme limite géographique de la production périurbaine. Jusqu’à une distance pouvant atteindre 8 à 10 km, les femmes portent à pied le lait au marché où elles le distribuent à des clients plus ou moins fidélisés. Généralement, les femmes des éleveurs s’occupent de la traite, de la transformation et de la commercialisation du lait et des produits dérivés. Elles le vendent généralement en louches faites de calebasses, en récipients en plastique ou en bouteilles de verre. En Afrique de l’Ouest, les femmes Peuhl vendeuses de lait ont deux calebasses de volume différent: une petite calebasse pour la saison sèche et une plus grande pour la saison des pluies, le prix de vente de la calebasse restant le même.

Les produits transformés stabilisés qui se substituent au lait frais sont le lait caillé au Sénégal, et le beurre en Ethiopie et au Burundi. Les motivations des consommateurs pour acheter auprès des vendeurs ambulants sont les prix bas, la disponibilité des produits et la fidélisation. Ces motivations sont surtout liées aux produits qui sont uniquement disponibles dans ce secteur.

Encadré 11

L’EXPLOITATION LAITIÈRE DE M. NOMBRÉ À OUAGADOUGOU

M. Nombré, Directeur général d’une entreprise privée, est en train d’investir dans une exploitation laitière de type moderne à 63 km de Ouagadougou. Il a construit une étable en matériaux durs, un magasin de stockage de spai, un bâtiment de mini-laiterie et des logements pour les travailleurs. Actuellement, l’exploitation compte 17 bovins. L’intention est d’arriver à terme à une exploitation de 35 à 40 vaches et un cheptel d’une centaine de bovins. Tous les animaux du noyau de départ sont plutôt de type taurin à dominance de sang européen (Tarentaise, Montbéliarde, Jersey). Le taureau est de type frisone. M. Nombré ne croit pas à la race Azawak pour son exploitation, car il envisage une production moyenne de 200 litres par jour. Tout le lait sera transformé dans la mini-laiterie. Les conseils zootechniques et vétérinaires viennent de l’INERA et du CIRDES, ainsi que de l’Administration de l’élevage. L’alimentation des vaches est très soignée pour obtenir des rendements laitiers intéressants: herbe, son de froment, tourteaux de coton, graines de coton, mélasse, paille de riz.

Le lait des éleveurs des environs sera également acheté, après contrôle de la qualité. La mini-laiterie sera équipée d’un équipement complet de pasteurisation, de cuves de fermentation, d’une écrémeuse et d’une unité d’emballage semi-automatique de sachets en plastique. Les produits envisagés sont le lait pasteurisé, le lait caillé, le lait stérilisé, la crème, le beurre et le yaourt.


La production laitière moderne

Dans tous les pays, on trouve autour des principaux centres urbains des élevages laitiers de type moderne, avec des vaches croisées, zébu et de souche européenne. La production est combinée à une petite unité de transformation. Souvent, un réseau de collecte est organisé à partir d’une unité de traitement-transformation du lait. Les apports modestes des producteurs locaux sont complétés par des quantités importantes produites dans les fermes laitières modernes. Ce type de collecte existe à Addis-Abéba, à Bujumbura, à Bobo-Dioulasso, à Bamako et en Tanzanie.

Les débouchés les plus réguliers et rémunérateurs se trouvent dans les grandes agglomérations, loin des zones de production les plus favorables. Il se pose donc une importante contrainte de collecte du lait. Un des grands problèmes du lait local est la saisonnalité.

L’autoconsommation rurale absorbe la plus grande proportion du volume de lait local disponible.

Le problème majeur des laiteries est que le prix du lait payé aux éleveurs s’avère souvent inférieur au prix pratiqué en vente directe: au Burundi, ils reçoivent 50 % de plus, en Ethiopie de 0 à 60 %, au Sénégal de 30 à 100 %. Les laiteries ont à supporter des frais industriels, des coûts de conditionnement, d’emballage et de commercialisation et paient un prix bas au producteur.

Selon Centres et al., les unités laitières qui collectent le lait auprès des petits éleveurs n’occupent qu’une place très marginale dans l’approvisionnement des villes pour plusieurs raisons: l’approvisionnement en lait local, la gestion technique et financière, et le personnel mal formé. La plupart des laiteries affichent des résultats négatifs: la laiterie de Kyriama a fermé au Burundi, la laiterie centrale de Bujumbura a changé plusieurs fois de propriétaire, la laiterie de Bobo-Dioulasso sait survivre grâce à une aide de la FAO et du gouvernement burkinabé. L’utilisation du lait en poudre est une solution de facilité pour pallier tous les inconvénients d’un approvisionnement local.

La transformation moderne et artisanale

Le secteur de transformation moderne utilise souvent le lait en poudre comme matière première. Pour la fabrication des produits locaux industriels, les transformateurs achètent le lait en poudre auprès des grossistes et ils revendent leurs produits directement aux magasins de mini-alimentation, ou à certains détaillants.

Encadré 12

MADAME OUÉDRAOGO: UNE FABRICANTE INFORMELLE DE YAOURT

Madame Ouédraogo habite à Ouagadougou. Elle achète le lait local de vache à francs CFA 350 par litre et le transforme de façon artisanale en fromage frais et en fromage blanc. Elle ne possède pas d’équipement spécialisé et transforme jusqu’à 50 litres par jour, six jours par semaine. Le jour de la visite, elle avait acheté 17 litres de lait à des éleveurs qui le livrent jusqu’à sa résidence. Tout le lait est pasteurisé au bain-marie, puis ensemencé avec du ferment venant de France, après égouttage et réfrigérateur. L’emballage est soit du film étirable, soit du papier alimentaire pour le fromage frais, ou encore des pots en plastique de 500 g achetés sur place. Ces pots coûtent francs CFA 140 pièce et on rencontre souvent des ruptures de stock. Les produits sont vendus dans une dizaine de magasins d’alimentation à Ouagadougou sous le sigle: Fromage du Burkina Faso. Elle a fait imprimer les étiquettes sur papier glacé et celles-ci reviennent à francs CFA 35 pièce. Elle ne rencontre pas de réels problèmes d’écoulement. Elle a appris le métier de fromager lors d’un séjour chez une amie en France pendant les vacances. Elle respecte scrupuleusement les consignes de bonne hygiène. Elle a payé la patente du commerce (francs CFA 8 000 par an) et tient un registre de commerce. Elle n’a pas de comptabilité. Cette jeune femme sait entreprendre et a un savoir-faire indéniable. Les conditions pour permettre le développement à une grande échelle sont l’accès au capital de départ, des supports administratifs et de gestion, et des équipements.

Source: Tollens, E.


Il existe également un circuit ambulant, où le yaourt artisanal, produit à base de lait en poudre, est vendu. La transformation du lait local et du lait reconstitué est faite par des unités artisanales, des mini-laiteries. A Ouagadougou, il existe une dizaine de mini-laiteries dites artisanales avec une capacité de 25 à 100 litres de lait par jour (voir encadré 10).

Le consommateur

Le comportement d’achat est déterminé par le revenu du ménage, le nombre et l’âge des membres du ménage et les prix des produits laitiers. Pour les produits locaux du secteur informel (lait cru, lait caillé, yaourt maison), des plaintes quant à la qualité et le conditionnement ont été déposées. Pour les produits importés, les quelques plaintes concernent l’accès financier. Une amélioration de l’accès aux produits de transformation locale est possible si on réussit à vendre en unités plus petites, et à augmenter le nombre des points de vente (commerce ambulant ou à travers des boutiques).

Des recherches au Burkina Faso ont démontré que la clientèle des producteurs locaux préfère souvent le goût spécifique du lait local. Le revenu n’est pas un facteur important.

Figure 7: Le circuit de distribution et de transformation du lait au Burkina Faso

Étude de cas 8 - Le commerce du manioc à bouaké en Côte d’Ivoire: Une source d’emplois informels en milieu urbain

Jespers, Z.3 et Goossens, F
Résumé et conclusions

Le commerce du manioc, plus que celui de l’igname, se situe dans le secteur informel. Le fait que ce produit soit plus périssable joue un rôle important. La catégorie des grossistes, qui contrôle et finance le commerce de l’igname, n’existe pas ici. Il y a moins de barrières à l’entrée que pour l’igname.

Introduction

Le manioc étant très périssable, sa commercialisation s’avère difficile en Côte d’Ivoire. Le manioc frais est seulement destiné aux marchés urbains locaux près de la zone de production. Après sa transformation en attiéké, une partie est écoulée vers les autres marchés ivoiriens et étrangers, comme au Burkina Faso et au Mali. Ce circuit est principalement destiné aux femmes, celles qui vont chercher le produit dans certaines zones, comme Bouaké et ses environs. Les femmes grossistes-collecteurs traitant surtout le manioc se situent au marché de gros de Bouaké. Pour le manioc, les collecteurs, semi-grossistes et détaillants, tout comme les fabricants d’attiéké, sont presque tous des femmes.

La femme grossiste-collecteur

Les grossistes-collecteurs de manioc sont presque toujours des femmes Baoulé. Outre les femmes grossistes-collecteurs, il existe également les femmes détaillants-collecteurs qui opèrent sur une plus petite échelle. Pour la collecte, la commerçante part en brousse tous les deux ou trois jours dans l’après-midi et en revient le jour même. Généralement, les quantités par voyage ne sont pas importantes car le manioc ne peut se conserver que deux à trois jours. L’achat s’effectue directement avec les paysans. L’approvisionnement à partir des marchés ruraux de brousse est très rare. Le prix est discuté en fonction de l’accès au champ, de la qualité et de la quantité. Bien que le manioc se vende aussi en gros, et donc pas seulement par tas et par unité de poids, le produit n’est jamais pesé. Le marchandage est donc indispensable pour arriver à un accord sur le prix. La femme collecteur loue généralement un véhicule. Pour aller à Dabakala, Kong, Niakara, Tafire, Satama, des camions de 5 tonnes sont utilisés. Le tarif du transport varie de FCFA 65 000 à 80 000, selon la distance et l’état de la route. En provenance de Bottro, Diabo, M’Bahiakro et en utilisant généralement des camionnettes bâchées de 1 à 2 tonnes, le tarif de transport varie entre FCFA 12 000 et 18 000. Un camion à demi-plein est une perte financière, raison pour laquelle elles combinent souvent la commercialisation du manioc avec d’autres produits: arachide, orange, mandarine, tomate, piment, gombo et même bois de chauffe. Entre elles, il n’ existe pas de concurrence, mais des contacts très étroits; la concurrence vient plutôt des femmes grossistes d’autres villages.

Un système d’information payante comme pour la commercialisation de l’igname n’existe pas pour le manioc. Parfois, on donne un pourboire au collègue grossiste qui a indiqué la localisation des stocks de manioc. Le manioc ne se garde que quelques jours et n’est pas assez valable pour que la collecte d’information soit rentable. Alors, si on ne trouve pas sur place une quantité de manioc suffisante pour charger le camion, on est obligé de le charger avec d’autres produits. Généralement, la femme collecteur sait déjà où trouver le manioc avant son départ. Soit elle reçoit l’information bien avant de se déplacer pour la collecte, soit elle se sert de l’information d’un collègue. Souvent, le nouveau chargement est déjà commandé lors d’un achat.

Sur le marché de gros en ville, le manioc se vend toujours par tas; la qualité ou la taille des tubercules joue un rôle moins important. Presque tout est écoulé à crédit. La clientèle se compose de fabricantes d’attiéké, et de détaillantes ou semi-grossistes urbaines. La vente directe aux consommateurs reste limitée. Les femmes fabricants d’attiéké constituent la clientèle la plus fidèle. En période d’abondance, ce sont les grossistes qui vont chercher «des contrats» avec les femmes fabricantes. En période de pénurie, les fabricantes prennent la peine de s’informer au niveau des grossistes pour l’achat du produit. Les petits fabricants, les détaillantes et les semi-grossistes prennent toujours l’initiative d’aller elles-mêmes vers les grossistes.

Le chiffre d’affaires et le prix du manioc fluctuent considérablement. Le risque est élevé en raison des pertes et des problèmes de stockage. Selon nos enquêtes, le bénéfice net varie entre FCFA3 000 et 6 000 par chargement de 1 tonne, ce qui représente environ FCFA 1 500 à 2 000 par jour. Elles ne paient pas de droit à la mairie pour obtenir une place (comme les commerçants d’ignames), mais tous les jours, un agent passe pour collecter la taxe communale de FCFA100 à 200.

Les barrières à l’entrée du marché du manioc sont basses et plus facilement surmontables que pour l’igname. Premièrement, parce que la barrière financière n’est pas élevée; l’achat des produits, la location d’un véhicule et une place sur le marché n’exigent pas une solvabilité aussi grande; souvent, il s’agit d’un crédit acquis auprès de la famille pour commencer ou de l’épargne accumulée dans les groupes de tontine; récemment, ceux-ci sont devenus moins populaires à cause des abus fréquents. Deuxièmement, il est moins difficile d’obtenir une place sur le marché de gros; un «titre de la mairie» n’est pas nécessaire, comme pour l’igname. Troisièmement, il y a quelques réglementations officielles et non officielles qui obstruent l’entrée directe dans ce commerce; un enregistrement officiel est obligatoire, mais les autorités publiques n’exercent pas de contrôles.

Les semi-grossistes

Les semi-grossistes ne se déplacent pas en brousse pour la collecte. Leur clientèle est un groupe hétérogène de détaillantes, de petites fabricantes d’attiéké et de consommateurs. Leur rôle est le financement du commerce. Il existe un système de crédit entre une (semi-)grossiste et une détaillante ou une fabricante d’attieké. Presque tout le chargement est vendu à crédit et ce n’est qu’après la vente de l’attiéké qu’elles paient les grossistes et les semi-grossistes. La durée du crédit est de zéro à sept jours, le montant varie de FCFA 0 à 200 000 (selon la relation entre les deux). Le système est fondé sur la confiance.

La distribution urbaine

Il y a deux types de marchés urbains. Le premier, qui est généralement plus grand et où un agent de la mairie vient tous les jours collecter les taxes communales (francs CFA 100), est plus formel que le deuxième où le chiffre d’affaires est souvent moins élevé et où n’est payé aucun droit à la mairie. Contrairement au grand marché de Bouaké, les marchés locaux n’ont pas un jour fixe de repos, et selon notre enquête, le chiffre d’affaires est souvent plus élevé les jours où l’activité au grand marché est insignifiante, comme le dimanche.

Pour l’approvisionnement des femmes détaillants en manioc, il y a deux circuits. D’abord, il y a les femmes détaillants-collecteurs. Elles vont en brousse pour collecter des produits vivriers. Le transport se fait souvent avec des camionettes bâchées de 1 à 2 tonnes. Parfois deux ou trois femmes partagent les frais de location. Ensuite, les femmes qui n’ont pas de liquidité pour payer le transport ou acheter des quantités relativement élevées en brousse peuvent s’approvisionner au grand marché de Bouaké. Elles achètent alors auprès des semi-grossistes et des femmes grossistes-collecteurs. Le transport de la marchandise se fait en pousse-pousse ou taxi.

Les fabricants d’attiéké et de placaly

Les fabricants d’attiéké et de placaly sont tous des femmes. Elles sont regroupées en deux catégories, selon la taille des activités. Les femmes de la première catégorie traitent de grandes quantités de manioc; elles sont bien équipées, et sont groupées au centre de Bouaké. Elles font la collecte en brousse, s’occupent de la transformation du manioc en attiéké et en placaly, et organisent la vente, c’est-à-dire les expéditions d’attiéké vers d’autres villes et d’autres pays (souvent le Burkina Faso ou le Mali). Le transport se fait par train. La deuxième catégorie opère sur une plus petite échelle. Elles le vendent accompagné de poisson au bord des routes, ou directement aux consommateurs. Elles traitent de petites quantités, surtout sur les marchés locaux, ainsi que sur le marché de gros.

Figure 8: La filière du manioc en Côte d’Ivoire

Étude de cas 9 - La commercialisation de la banane plantain à bouaké en Côte d’Ivoire

Jespers, Z.3 et Goossens, F.
Introduction

Ce document décrit brièvement le circuit de commercialisation de la banane plantain en Côte d’Ivoire. Il s’agit d’une filière à partir d’un système de production villageois.

La filière de commercialisation

Les producteurs de banane plantain en Côte d’Ivoire sont souvent les propriétaires de plantations de cultures pérennes comme le café et le cacao, surtout dans le sud du pays. La banane plantain est souvent cultivée en association avec ces cultures. Les bananes, venant de Vavoua, Daloa, Sinfra, Gagnoa, Oume, San Pedro, Yamoussoukro, arrivent à Bouaké et sont destinées à l’alimentation de la ville même. En cas de saturation des marchés, elles sont expédiées vers le Mali et le Burkina Faso. Le producteur vend les bananes par tas de FCFA 500, 1 000, 1 500, 2 000, 2 500, selon le type de régime.

Les femmes grossistes-collecteurs de Bouaké sont presque toujours d’origine Baoulé, souvent propriétaires des camions de 5 tonnes. Elles sont très bien organisées et monopolisent jusqu’à présent le circuit. L’achat se fait directement au champ après une discussion avec le paysan sur le prix. La qualité joue un rôle non négligeable. En cas de pénurie, les grossistes achètent sur commande pour s’assurer de leur approvisionnement. Les principaux problèmes sont les pertes durant le transport, les pertes par manque de moyen de transport, et les problèmes d’écoulement en période d’abondance. Elles vendent aux grossistes et parfois directement aux détaillants.

Les grossistes sont des hommes, presque toujours d’origine malienne, et en possession de liquidités. Ils se situent sur le marché de gros de banane plantain (quartier Dar Es Salam) ou le marché de gros de Bouaké. Deux ou trois maliens se groupent pour acheter le chargement d’une femme collecteur, non pas par manque de liquidité, mais parce qu’il n’y a pas assez de camions qui arrivent. Durant la récolte de bananes (période d’abondance), un grossiste prend le chargement entier à son compte. Il la revend aux femmes semi-grossistes et aux femmes détaillants.

Les semi-grossistes des petits marchés des quartiers, toujours des femmes, s’occupent de l’approvisionnement des femmes détaillants sur les marchés urbains. Le crédit se fait entre grossistes maliens et semi-grossistes. Pas plus de 1 tonne n’est écoulée sur crédit (maximum de FCFA50 000 à 100000 pour éviter les fuites).

Il y a des femmes détaillants sur le marché de gros de Bouaké, mais un peu dispersées sur le marché de gros de banane (Dar Es Salam) et sur les marchés des quartiers urbains. En général, il n’y a pas de crédit entre détaillants et consommateurs. Les détaillants accordent seulement un peu de crédit aux femmes qui font de l’aloco. Le consommateur, parfois des clientes fidèles, ne discute pas le prix. Les détaillants vendent par tas de FCFA100 à 300. Les bananes trop mûres sont vendues à FCFA20 la pièce aux femmes qui font l’aloco au bord des routes. Selon une enquête d’octobre 1995, le chiffre d’affaires fluctue entre deux et quatre chargements de 2,5 tonnes par mois, avec un bénéfice moyen de FCFA30 000 à 40 000 par chargement. Mais les bénéfices fluctuent beaucoup d’un mois à l’autre, le commerce comportant alors peu de risques. Les frais les plus importants à la charge de la détaillante sont la taxe communale (FCFA 100 par jour) et la location du magasin si on n’est pas propriétaire (FCFA2 500 par mois à la femme qui est propriétaire du titre de la mairie). Parfois, cette détaillante peut à son tour sous-louer la moitié du magasin à une autre femme, si le lieu est assez grand. Pour la location d’une place, il n’y a pas de système de réservation ou de contacts écrits. L’accord sur le prix de la location s’accorde après discussion. Il y a une situation de concurrence entre les détaillantes, surtout en période d’abondance.

Figure 9: La filière de la banane plantain en Côte d’Ivoire


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