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Priorités stratégiques de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale


Cette section met en lumière quelques-uns des principaux défis de la région et propose des approches et des possibilités d’investissement. Le tableau 4.2 indique le potentiel de chaque système pour la croissance agricole et la réduction de la pauvreté ainsi que l’importance relative des cinq principales stratégies des ménages pour la réduction de la pauvreté. Ce tableau a été préparé à partir d’avis d’experts, et les moyennes pour la région ont été calculées à partir des moyennes pondérées des populations agricoles (voir tableau 4.1).

Tableau 4.4 Potentiel et importance relative des stratégies des ménages pour la réduction de la pauvreté en Europe de l’Est et en Asie centrale.




Stratégies de réduction de la pauvreté

Système d'exploitation agricole

Potentiel de croissance agricole

Potentiel de réduction de la pauvreté

Intensifi-
cation

Diversifi-
cation

Accroissement de la taille de l'exploitation

Accroissement du revenu hors exploitation

Sortie de l'agriculture

Irrigué

important

moyen

4

3

1

1

1

Mixte

moyen

important

3

2,5

2

1,5

1

Elevage basé sur la forêt

moyen

moyen

3

2

2,5

1

1,5

Mixte horticulture

moyen

moyen

4

2

2

1

1

Céréales à grande échelle

important

moyen

2,5

2

4

1

0,5

Céréales-élevage à petite échelle

faible

moyen

3

2

2

1

2

Céréales-élevage extensif

faible

moyen

3

1

4

1

1

Pastoral

faible

moyen

2

1

2

2

3

Dispersé (froid)

faible

faible

1

1

1

3

4

Dispersé (aride)

faible

faible

1,5

1

0,5

2

5

Urbain

faible

faible

2

2

0

2

4

Moyenne pour la région


2,7

1,8

2,3

1,4

1,8

Source: Avis d’experts.

Note: Le total des points pour chaque système agricole est de 10. Les évaluations ne concernent que les agriculteurs pauvres. Les pondérations par système des populations agricoles sont tirées du tableau 4.1.

Bien que ces deux objectifs ne soient pas forcément interdépendants (en particulier en raison de la distribution de la terre), il est possible de viser à la fois la croissance agricole et la réduction de la pauvreté.

L’intensification de la production est, au niveau de la région, la plus prometteuse des stratégies pour réduire la pauvreté, elle est suivie par l’augmentation de la taille des exploitations. L’essentiel de l’augmentation de la taille des exploitations devrait provenir de nouvelles distributions de terres; toutefois, l’amélioration du fonctionnement du marché de la terre (à la fois formel et informel) devrait probablement y contribuer au cours des prochaines 30 années. Un nombre important de ménages devrait quitter l’agriculture pour d’autres emplois. Les futures actions publiques devraient faciliter la mise en œuvre de stratégies pour aider ces ménages. Ces conclusions doivent être interprétées dans un contexte de réduction et de vieillissement des populations rurales[114].

Certains systèmes de production caractérisés par des petites exploitations familiales privées pourraient gagner en importance avec la poursuite de la privatisation, des ajustements structurels et de la libéralisation des marchés. Après presque 10 ans de réformes, les différences entre les pays de l’ECS et les pays baltes d’une part, et les pays de la CEI d’autre part, se sont accentuées. L’adoption de politiques de transition plus complètes a permis une transformation plus rapide de l’agriculture en Europe centrale et dans les pays baltes; la production agricole récupère et la productivité du travail s’accroît, en partie grâce à la création d’emplois en dehors de l’agriculture.

La transformation de l’agriculture dans les pays de la CEI n’en est encore qu’à ses débuts. Les unités agricoles de grande taille ont survécu dans de nombreux pays, et les distorsions dans la production, dans la structure des prix et dans la commercialisation des produits «stratégiques» perdurent. Pour toutes ces raisons, les discussions ci-dessous concernent les pays de la CEI, où les problèmes sont beaucoup plus graves et où les solutions ne sont pas toujours disponibles.

POLITIQUES, INSTITUTIONS ET BIENS PUBLICS

Les tentatives de réforme des exploitations de grande taille de la Russie et de l’Ukraine[115], menées dans le cadre de projets internationaux, n’ont pas été couronnées de succès. Les exploitations restructurées sont encore trop grandes pour être gérées efficacement, les rendements restent faibles et la réorientation vers les marchés difficile. Dans la plupart des cas, le processus de restructuration n’a abouti qu’à la création d’un nombre restreint d’exploitations familiales.

Il serait nécessaire de trouver une autre approche qui prenne en compte la totalité de la communauté agricole si la réforme de l’ensemble de la structure de la gestion agricole venait à échouer. Il est significatif de constater que la production des parcelles familiales s’est considérablement accrue au cours de la dernière décennie et représente maintenant près de 50 pour cent de la valeur totale de la production. Cependant, les agriculteurs de parcelles familiales ne sont pas encore prêts - ou ne sont pas autorisés - à devenir des agriculteurs privés. Une relation tend à se développer entre les petites unités de production et la ferme mère[116], les premières se spécialisant, si possible, dans des activités gourmandes en main-d’oeuvre et la seconde dans la fourniture de services (accès aux intrants, tracteurs, et parfois commercialisation). Les ouvriers agricoles ont besoin de parcelles familiales pour nourrir leur famille, tandis que la position des directeurs des fermes semble dépendre plus des relations qu’ils entretiennent avec la communauté des ouvriers que de leur performance dans la gestion de groupes coopératifs. Une telle forme d’association pourrait devenir le cadre de la transformation des exploitations de grande taille, même si elle implique la création d’un grand nombre d’exploitations familiales, trop petites au départ pour être rentables. Cette possibilité peut être préférable à la liquidation à grande échelle des fermes mères entraînant leur dépouillement de tous leurs actifs valables et le départ des ouvriers agricoles - comme cela se passe dans des zones marginales du Kazakhstan.

Dans les pays où la restructuration agricole est incomplète, il est conseillé d’essayer d’autres types de restructuration qui prennent plus en compte la dimension sociale et moins en compte le souci de maintenir les grandes exploitations en vue d’accroître la production nationale. Même dans les zones relativement marginales du système d’exploitation agricole extensif céréale-élevage, une exploitation de 40 à 50 ha de terres cultivées qui a accès aux pâturages procure à une famille un meilleur niveau de vie que le travail dans une grande exploitation; d’autre part, la contribution agricole de cette famille à l’économie nationale est supérieure. Le minimum de terre nécessaire peut tomber à moins de cinq ha dans les zones à haut potentiel du système d’exploitation agricole céréale-maraîchage.

Les meilleures combinaisons et voies pour atteindre les meilleurs résultats finaux varient d’une zone à l’autre. On peut aussi envisager deux autres approches, l'une aboutissant à de petites exploitations privées recevant les services d’un groupe agricole coopératif de taille moyenne[117], louant les terres de ses ex-membres et fournissant des services sur une base contractuelle. L’autre approche conduirait à de petites exploitations complètement indépendantes qui assureraient entre-elles la fourniture des services (par exemple propriétaires de tracteurs pour les services de mécanisation) ou qui auraient recours à divers mécanismes de coopération. La première solution aurait le mérite de permettre aux grandes unités de conserver certains des services principaux requerrant des qualifications spécialisées et un équipement coûteux (par exemple, ateliers de réparation), jusqu’à ce que le secteur privé puisse effectivement prendre la relève. Les problèmes spécifiques entraînés par de telles solutions varieraient en fonction du lieu, leur solution nécessiterait généralement l’annulation de la dette de l’ancienne ferme de grande taille. Les arrangements fonciers devraient, si possible, permettre le libre transfert des titres de propriétés, au moins pour la terre cultivée. En ce qui concerne les terres de pâturage, des arrangements de location passés avec les communes pourraient assurer une meilleure gestion et éviter l’exclusion des plus pauvres.

Bien que les restructurations du secteur agricole ne soient pas encore terminées dans les pays de l’ECS, la plupart des terres sont, à l’exception de deux pays, maintenant sous le contrôle d’individus. Cependant, la part de la terre sous le contrôle de l’état reste importante dans certains pays où le marché de la terre est peu développé. Toutefois les changements sont rapides, en particulier dans les pays souhaitant rejoindre l’UE. Il est très important de mettre en place un système de propriété foncière qui facilite la sécurité et l’accès équitable à la terre. Cela nécessitera la création de fonctions administratives foncières, généralement assurées par le secteur public dans les économies de marchés développés, dont les activités couvrent l’enregistrement, l’estimation de la valeur et la planification. Cela implique aussi la formation des professionnels et des institutions associées à ces activités et à d’autres activités en rapport avec le marché de la terre. Maintenant que l’enregistrement des terres est sur le point d’être terminé, l’attention se concentre sur l’amélioration et le renforcement de l’administration foncière et de ses structures pour assister les transactions commerciales. Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes afin d’assurer un accès équitable, transparent et sûr à la terre et aux ressources naturelles - soit dans le cadre de la propriété soit de la location - et pour protéger les droits de propriété.

De nouvelles qualifications professionnelles sont nécessaires, particulièrement dans le domaine de l’estimation de la valeur et de la gestion des biens immobiliers. Il est donc nécessaire d’aller plus loin que l’actuelle mise en place d’institutions modernes de cadastres et de systèmes d’enregistrement, qui restera cependant prioritaire. Il faudra aussi aider au développement d’autres institutions, faisant normalement partie de l’administration foncière, et à la formation de leur personnel. La mondialisation du capital et le développement de standards internationaux de comptabilité et d’évaluation, entraînent la nécessité de formation dans ces domaines.

Les politiques de réforme agraire axées sur la création de grandes exploitations efficaces, en espérant que les ouvriers agricoles trouvent du travail à l’intérieur de ces exploitations, peuvent faire plus de mal que de bien. Toute politique agricole, en particulier dans les pays où la majorité les exploitations est de grande taille, doit être testée pour son impact potentiel sur le travail et la pauvreté. Des politiques spécifiques de réduction de la pauvreté rurale sont nécessaires pour, entre autre, améliorer l’accès des pauvres à une information objective sur les droits de propriété de la terre et sur leurs autres droits, et pour impliquer la société civile dans la protection des droits des pauvres. La formulation des initiatives de diminution de la pauvreté rurale doit tenir compte de l’importance des communautés rurales et de leur mode de vie. Elle doit en particulier tenir compte des aspects non agricoles de la vie rurale, tels que la santé, l’éducation, l’infrastructure et les activités économiques non agricoles. Ces méthodes participatives, impliquant les ONG lorsque cela est possible, facilitent la mise en place d’approches intégrées du développement local et de la réduction de la pauvreté.

LIBÉRALISATION DU COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS

La commercialisation des produits agricoles est l’une des principales difficultés rencontrées par les producteurs de la région, particulièrement face à la nécessite de diversifier les productions pour réduire la pauvreté. Cependant, la situation actuelle est différente dans les deux sous-régions.

Au cours des dernières années, l’environnement macro-économique est devenu plus favorable dans les pays de l’ECS (sauf dans la plupart des pays des Balkans); les prix sont, en général, libres et soumis aux influences du marché mondial. Les aides à l’agriculture et la protection des marchés intérieurs se sont accrues durant les quatre à cinq dernières années; elles restent généralement inférieures à celles pratiquées dans l’UE mais devraient les rattraper dans les prochaines années. Le défi consistera à conserver les types d’aides qui permettront une efficacité et une compétitivité accrues, plutôt que la protection de structures agricoles inefficaces.

Dans la plupart des pays de la CEI, la situation paraît bien pire qu’avant la transition. La réforme économique a souvent entraîné la faillite du système précédent fondé sur l’allocation contrôlée par l’état de produits bruts et transformés et la spécialisation de certaines régions ou républiques dans la production agricole. Cependant, le processus naturel prévu de transition vers une économie de marché semble, après 10 ans, n’avoir pas été capable de mettre en place une infrastructure de remplacement pour la commercialisation ou les services d’appui. Ceci a contribué à augmenter la pauvreté parmi les producteurs et à développer une économie de troc durant les années 90. Des pays entiers, dont l’économie reposait sur l’agriculture, ont vu disparaître leurs mécanismes de distribution et de production centralisés et sont tombés dans la pauvreté. Ceci est particulièrement le cas de la Moldavie, de l’Arménie, de la Géorgie (spécialisées dans les produits horticoles tels que les fruits, le maraîchage et les vins) et à un moindre degré de la Macédoine.

Les causes profondes de cette situation sont: i) la généralisation de la crise économique dans la région qui a entraîné une chute dramatique du pouvoir d’achat des populations et de la demande pour les produits agricoles; ii) l’inefficacité et l’obsolescence des industries de transformation locales de grande taille, souvent en faillite, et leur obstruction à des approches de remplacement pour la commercialisation et le développement des marchés; iii) des barrières de toutes sortes au commerce dans toute la région, qui réduisent la concurrence entre les intermédiaires, gênent la recherche et l’expérimentation de nouvelles opportunités de marché, et en général, limitent les possibilités des agriculteurs à se spécialiser dans des activités où ils auraient un avantage comparatif; iv) l’incapacité actuelle à pénétrer d’autres marchés tels que ceux des pays de l’Europe de l’Ouest pour un certain nombre de raisons telles que les mesures de protection, les difficultés de satisfaire les standards de qualité, le manque de stratégies de développement du commerce, et les difficultés de transport; v) la faiblesse de la position des producteurs, dispersés, produisant de petites quantités d’une gamme limitée de produits inégaux et souvent de mauvaise qualité; et vi) le manque d’information sur les marchés.

Il semble très difficile de trouver dans la région des projets de commercialisation qui aient réussi et qui puissent servir d’exemple. Au niveau politique, il est aussi important d’améliorer la politique des prix et de la commercialisation que de comprendre le fonctionnement des mécanismes informels qui entravent le commerce et de voir comment les atténuer. Les politiques devraient s’attaquer aux obstacles légaux, qui entravent le développement des marchés, et à la nécessité d’améliorer, entre autres, la qualité par la promulgation de certaines normes, tout en favorisant l’émergence de nouvelles formes de petites entreprises de transformation. Cependant, les politiques ne peuvent pas faire grand-chose sans une mise en œuvre efficace. Des obstacles à la création et à la croissance de nouvelles entreprises existent fréquemment en violation de la législation nationale et des déclarations politiques; ils sont le fait de groupes établis qui ne veulent pas voir les systèmes évoluer en dehors de leur contrôle. A cet égard, les possibilités de développer un secteur commercial efficace et fonctionnel dans la région sont généralement étroitement associées à la création d’entreprises privées efficaces, domaine qui va bien au-delà de l’agriculture.

Le renforcement des institutions locales, capables d’encourager et d’aider le développement de nouvelles structures de commercialisation, est aussi très important. Ceci pourrait inclure l’aide à la création d’organisations de producteurs (coopératives, groupes de commercialisation) et d’organisations professionnelles formées autour de produits spécifiques ou d’une gamme de produits; ces organisations permettraient un meilleur échange d’information entre les participants (sur les besoins du marché par exemple) et faciliteraient les arrangements contractuels.

INFORMATION ET CAPITAL HUMAIN

La revitalisation et le renouveau des systèmes de recherche agricole nécessiteront, en plus de la volonté politique et des ressources financières dont nous avons discuté ci-dessus, des efforts accrus dans le domaine de l’enseignement et de la formation.

Les agriculteurs et leurs fournisseurs de services auront besoin de formation sur les aspects techniques et agronomiques de leurs entreprises respectives, dans le domaine de la planification et de la gestion - gestion administrative et comptabilité - et dans le domaine de la commercialisation. Cette importante tâche ne peut être réalisée que si les efforts et les coûts induits sont répartis entre le gouvernement, les formations locales, les services de conseils et les bénéficiaires eux-mêmes.

L’ancienne économie dirigée fonctionnait sans système de vulgarisation: des techniciens spécialistes étaient disponibles sur les fermes, ils utilisaient les techniques prescrites pour exécuter les ordres centralisés. Ainsi, la recherche est délabrée et la vulgarisation toujours non-existante. Des services de conseil ont besoin d’être rapidement mis en place, particulièrement pour les petites exploitations familiales. Leur rôle ne devrait pas être limité aux aspects techniques, bien que ceux-ci soient importants. En raison du peu de techniques réellement bien adaptées disponibles, les conseillers devront tester, dans des expérimentations simples faites avec la participation des agriculteurs, des variétés différentes ou des nouveaux systèmes de gestion et de conservation des ressources, etc. Ce travail devrait aussi englober la formation et le conseil en gestion agricole; la planification des activités d’entreprise; la comptabilité et la tenue des livres comptables; et le crédit et ses applications. Certains de ces services pourraient être payés par les agriculteurs, qui devraient prendre une part actives dans les nouveaux réseaux de systèmes de conseil agricole en développement afin d’échanger l’information, d’organiser les réunions et les visites pour partager les nouvelles connaissances, non seulement sur les systèmes de production mais aussi sur la planification de la commercialisation.

La plupart de ces services auront besoin d’un financement public, au moins dans la phase initiale. Cependant, les erreurs communes aux grands systèmes publiques de vulgarisation devraient être évitées, car elles coûtent très chères et ne peuvent être supportées par les budgets nationaux. Cette situation peut être évitée en mettant les conseillers dans un système quasi-concurrentiel, pour les obliger à oeuvrer pour le bénéfice des agriculteurs. Des formules variées peuvent être utilisées à cette fin, dont les coupons (système un peu pesant), les primes ou rétributions aux fournisseurs de service, payées à partir d’un programme de travail établi avec les groupes d’agriculteurs. La mise en route progressive et souple du système, permettant une adaptation qui tienne compte des situations locales et assurant des services de qualité, est préférable à un démarrage rapide couvrant dès le départ tous les problèmes. Les programmes d’appui au développement des services de conseil devront mettre l’accent sur la formation, particulièrement en ce qui concerne les méthodes participatives et la gestion agricole.

Les services d’assistance aux grandes exploitations devraient être privés dès le départ; l’état pourrait assurer le financement de la formation des techniciens de ces services et une assistance financière au démarrage des activités. Les services d’information doivent pouvoir atteindre un grand nombre d’agriculteurs et leur fournir une information utilisable directement. L’information permettant aux agriculteurs de prendre conscience de leurs droits (droits concernant la terre, la santé publique et l’information commerciale, etc.) est particulièrement importante.

SCIENCE ET TECHNOLOGIE

Le potentiel d’amélioration de l’ensemble de la productivité par l’utilisation de technologies améliorées est généralement important, aussi l’intensification de la production des exploitations familiales est-elle considérée comme la voie prioritaire pour permettre la réduction de la pauvreté au niveau de la région. Certaines des meilleures possibilités consistent à développer une agriculture qui permette de préserver les ressources naturelles des zones semi-arides, particulièrement dans le système d’exploitation agricole extensif céréale-élevage par l’introduction du travail réduit du sol et par des pratiques de semis plus précises. L’intensification de la production céréalière du système d’exploitation agricole céréale-maraîchage à grande échelle pourrait se faire grâce à l’introduction et à l’adaptation de certaines technologies mises au point en Europe de l’Ouest. Il faut cependant être prudent dans ce domaine; en effet, 40 ans d’intensification ont entraîné la production de surplus et l’éclatement des communautés rurales et ont causé des dommages à l’environnement.

La réintroduction des cultures fourragères dans la rotation et le développement de systèmes de gestion des pâturages bien adaptés aux situations locales est un moyen de combattre ces effets, en réduisant la dépendance en céréales pour l’alimentation animale et en permettant une meilleure association agriculture élevage. Simultanément, il est possible d’améliorer la gestion de l’eau d’irrigation afin de réduire la consommation totale, de limiter ainsi les dommages sur l’environnement et d’accroître la productivité.

Les systèmes de recherche peuvent être réhabilités. Ils ont besoin d’être réorganisés et bien financés, même s’il s’agit là d’un long processus demandant un investissement à long terme. Le recours aux stimulants financiers, primes d’incitation en fonction des résultats, est une bonne stratégie pour modifier les comportements au travail des vulgarisateurs et les inciter à résoudre les problèmes pratiques des agriculteurs. Ces changements doivent s’accompagner d’efforts en vue d’obtenir une participation accrue des agriculteurs dans le choix des priorités et leur engagement dans l’évolution des stratégies nationales de recherche. L’infrastructure, l’équipement, la formation et les programmes centraux répondant aux objectifs, aux priorités et aux stratégies, doivent faire l’objet d’investissements importants. Il est préférable d’installer un nombre réduit de centres bien équipés plutôt qu’un grand nombre d’installations dispersées et spécialisées, surtout en tenant compte du fait qu’une proportion croissante d’essais sera effectuée dans les champs des agriculteurs. Un réseau d’activités de recherche appliquée au niveau des exploitations, réalisées par des groupes d’agriculteurs, basées dans des régions agroécologiques ou socioécologiques distinctes, pourrait être relié à ces centres principaux. Il est recommandé, lors de la réhabilitation des systèmes de recherche, d’introduire des sociologues dans les équipes et de bannir toute approche technocratique centralisée des programmes de recherche et de développement de technologies.

La réhabilitation des systèmes de recherche est un processus à long terme. Les agriculteurs n’ont pas le temps d’attendre les résultats, il faut utiliser des raccourcis. Une partie de la technologie peut être empruntée à l’extérieur et être adaptée aux conditions locales. L’horticulture et l’agriculture irriguées, par exemple, pourraient bénéficier de transferts de technologie. Dans la sous-région de l’ECS, les technologies convenant aux conditions locales, qui ne sont pas disponibles localement, peuvent généralement être empruntées au pays de L’UE et être assez facilement adaptées. Cela est rarement le cas pour la plupart des pays de la CEI. Par contre, on peut trouver en Amérique du Nord, où les grandes exploitations dominent, des conditions agroclimatiques assez semblables à celles rencontrées dans la région du système d’exploitation extensif culture-élevage. Cependant les contextes socioculturels et économiques sont très différents et un simple transfert de technologie n’est généralement pas possible. Même lorsque l’adaptation est relativement facile, comme dans le cas du système d’exploitation culture-maraîchage à grande échelle, l’introduction, auprès des directeurs d’exploitations, de technologies améliorées pour la production des céréales s’est avérée difficile. Il y a d’importantes leçons à tirer de l’évolution rapide des structures agricoles en Europe et des changements importants qui ont eu lieu aux Etats-Unis durant les trente dernières années.

La culture pluviale, qui doit faire face à divers contraintes (humidité, sol ou température) et dont les ressources en capital sont limitées, a besoin d’adaptations importantes aux conditions locales. Dans ce cas, le développement participatif de technologie (DPT) peut être la meilleure approche pour produire, vérifier, adapter et diffuser une technologie nouvelle. Une telle approche permet aux agriculteurs de se former à l’expérimentation et de décider, avec l’aide des scientifiques, des objectifs et des méthodes. Il existe encore peu d’exemples de réussite du DPT dans les pays de la CEI; les essais en cours (projets de vulgarisation au Kirghizistan financés par les Suisses, par exemple) montrent que le DPT nécessite du temps et une assistance technique importante pour obtenir des résultats fructueux. Mais, dans un certain nombre de domaines il n’existe pas d’autre possibilité que le développement de technologies locales. Les domaines pour lesquels l’approche DPT peut être particulièrement intéressante sont ceux de l’agriculture de conservation (y compris le non travail ou le travail réduit du sol), ceux de l’amélioration des systèmes d’alimentation animale et de gestion agricole.

RESSOURCES NATURELLES ET CLIMAT

Les défis soulevés par le développement inconsidéré des périmètres irrigués et la difficulté de les réhabiliter et de les maintenir ont déjà été mentionnés. Toutefois, certains pays ont trouvé des solutions faisant appel à la gestion participative, pour éviter toute nouvelle dégradation et pour développer des systèmes durables, particulièrement au niveau des exploitations. Un nombre important de ces systèmes irrigués a été mis en place dans des zones où la culture peut être réalisée sans irrigation, en améliorant substantiellement les pratiques culturales. L’agriculture de conservation, déjà explorée par un certain nombre de scientifiques soviétiques, mais décriée sous l’ancien système politique, permettra, en plus d’une amélioration des sols et de la teneur en matière organique, une meilleure utilisation de l’eau de pluie, l’augmentation des rendements et la réduction des risques de sécheresse et des coûts de production. Ces systèmes furent, au départ, mis au point pour la production de cultures de rente telles que le coton et la betterave à sucre. Le revenu net de ces cultures est faible et risqué en raison de la faiblesse des marchés et des prix de ces produits. Les options possibles sont soit la réduction de l’irrigation qui permettrait le développement de systèmes plus durables et la réhabilitation de l’environnement, soit la production intensive de cultures vivrières pour améliorer la santé et le revenu des populations locales ou une combinaison de ces deux approches.

La pénurie en ressources et la mauvaise gestion des pâturages ont eu des conséquences sévères sur les ressources naturelles de base du système d’exploitation agricole pastoral d’Asie centrale, entraînant la détérioration de la végétation naturelle et une érosion importante des sols. Face à cette situation, il est nécessaire de mettre au point de nouveaux systèmes de gestion des pâturages capables de préserver les ressources de base et d’en contrôler l’accès sans en exclure les pauvres. De tels systèmes différeront selon les conditions locales, ils doivent être développés conjointement avec les communautés concernées. Ils devraient, en général, mettre l’accent sur la protection et la réhabilitation des zones de pâturage intensif situées près des villages et sur une plus grande utilisation des prairies éloignées. Dans les zones cultivées, la gestion de systèmes individuels de coupe et de transport de foin peut être préférable au pâturage communal. Les ressources plus éloignées resteraient sous la responsabilité de l’administration locale ou sous celle de l’état, qui autorise généralement une certaine diversité dans les modes de gestion des pâturages pour tenir compte des droits d’utilisation des nomades et des groupes transhumants. Les interventions techniques peuvent associer l’enrichissement des zones de pâturage et des pentes dégradées grâce au semis d’espèces bien adaptées, avec ou sans travail minimum du sol, au contrôle des animaux et à la réintroduction des cultures fourragères. Pour réussir, la mise en œuvre de tels systèmes doit se faire en même temps que la mise en place d’une gestion des systèmes communaux de pâturage (voir l’étude de cas concernant la steppe syrienne dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord du chapitre 3) dans laquelle les utilisateurs des ressources jouent un rôle actif dans la planification, l’exécution et le contrôle du système. Pour être efficaces, de tels systèmes requièrent un important capital social et une bonne organisation.

CONCLUSIONS

Les possibilités d’augmenter la production agricole et de réduire la pauvreté au niveau de la région sont importantes. L’intensification de la production est la meilleure stratégie pour permettre aux ménages pauvres d’échapper à la pauvreté, elle est suivie par l’augmentation de la taille des exploitations. Notre analyse, réalisée au niveau régional, ne permet pas de faire des recommandations spécifiques au niveau national; toutefois, la réduction de la pauvreté fait globalement appel à trois initiatives stratégiques. Elles concernent toutes le renforcement des capacités des institutions locales - publiques et privées - afin de tirer le meilleur profit de la restructuration des exploitations et de la libéralisation de l’économie. Cela implique que le secteur public abandonne son rôle de planificateur d’un système économique centralisé pour celui de guide et d’assistant de la restructuration. Cela suppose aussi l’acquisition par le secteur privé des connaissances et des qualifications nécessaires pour opérer dans une économie ouverte. Il est, d’autre part, nécessaire de mettre en place des structures qui permettent aux agriculteurs d’avoir accès aux nouvelles institutions et de participer activement à leurs activités, par exemple dans le cadre de groupes de producteurs. La réhabilitation des périmètres irrigués viables et l’établissement de mécanismes de financement doivent aussi être considérés comme prioritaires. Cependant, ces actions ne pourront se faire efficacement sans le renforcement des capacités locales.

Les initiatives, interdépendantes, sont les suivantes:

Amélioration de l’accès aux ressources. L’utilisation efficace de la terre et l’émergence d’unités agricoles privées, rentables, passent obligatoirement par l’amélioration des systèmes fonciers. Ceci implique de parachever la distribution des terres, de continuer d’aider au développement de systèmes administratifs fonciers efficaces, d’encourager les transferts légaux de terre (par la location ou la vente) faits à partir d’une estimation juste de la valeur des terres et d’assurer la formation en gestion de biens immobiliers.

Réorientation et renforcement des services agricoles. La viabilité des systèmes agricoles réclame de nouveaux types de services post-privatisation. Ceci entraîne la mise sur pied de services mixtes secteurs public et privé de conseil et de formation afin d’améliorer les qualifications techniques, commerciales et de gestion des exploitations privées.

Renforcement du développement des marchés. L’existence de marchés efficaces pour les produits alimentaires et pour les autres produits agricoles, intrants et travail, est essentielle. Le développement de ces marchés implique: l’appui aux organisations efficaces de producteurs, de commerçants et d’industriels; l’investissement dans l’infrastructure des marchés (y compris les systèmes d’information sur les marchés et les prix); l’amélioration de la qualité des produits alimentaires pour se conformer aux normes internationales; et la levée des barrières légales à une commercialisation efficace.


[114] Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, certaines études montrent que les vieilles personnes sont mieux traitées que les jeunes couples avec enfants (D’Avis, communication personnelle).
[115] Lerman et Csaki, 2000.
[116] Serova, 1998.
[117] En Russie, de nombreux officiels de l’agriculture étudient la possibilité de conserver les grandes unités, lorsqu’elles sont efficaces et qu’elles peuvent attirer directement les investissements étrangers et les technologies améliorées (D’Avis, communication personnelle).

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