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Première Partie - Allocation foncière et immatriculation foncière: Analyse de la politique actuelle en R.D.P. Lao


1. FORÊTS, SYSTÈMES AGRAIRES ET POPULATIONS RURALES AU LAOS

Le Laos est encore aujourd’hui le pays le plus boisé d’Asie du Sud-Est et l’un des plus riches en termes de biodiversité. Environ 10 millions d’hectares sont couverts par des forêts naturelles, dont trois millions classés comme NBCA (Zones de Biodiversité Exceptionnelle). Le Laos reste étroitement dépendant de ses forêts d’un point de vue économique et social. Les ressources forestières représentent 34% des recettes de l’État et ce chiffre atteint 50% certaines années. De plus, près de 80% de ses habitants (dans les zones rurales mais également périurbaines) utilisent quotidiennement des produits forestiers ou des zones forestières dans le cadre de leurs activités de subsistance. Les forêts leur procurent du bois, de la nourriture, de l’énergie et des produits médicaux; elles jouent également un rôle symbolique et religieux important. Les produits forestiers non-ligneux (NTFP) représentent quant à eux 55% du revenu des villageois (MAF 2003:78): pousses de bambou, poisson, légumes, champignons, cardamome, rotin, résines notamment.

Les systèmes agraires du Laos sont principalement extensifs et classés officiellement en trois grandes catégories: agriculture inondée ou irriguée dans les plaines, agriculture commerciale (plantations de café des Boloven notamment) et agriculture sur brûlis dans les zones montagneuses. Cette dernière est pratiquée de façon exclusive par 43% de la population rurale (environ 100 000 foyers) sur environ 13% de la superficie du pays. Une distinction majeure est opérée entre l’agriculture sur brûlis cyclique (dans laquelle un champ est cultivé une seule année, parfois deux, puis laissé en jachère pendant une longue période, le nombre d’année de jachère dépendant du degré de pression foncière dans la région considérée) et l’agriculture sur brûlis itinérante, ou “pionnière” (le sol est défriché, cultivé jusqu’à épuisement puis abandonné) (GoL 2003: 55). Ces classifications apparaissent inadéquates puisque les systèmes agraires constituent en fait presque toujours une mosaïque de techniques et de pratiques différentes: dans certaines zones de plaine, les habitants pratiquent encore l’agriculture sur brûlis comme préalable ou supplément à la riziculture inondée tandis que certains villages montagnards ont réussi à développer des rizières en terrasse ou des plantations permanentes. En d’autres termes, il ne s’agit pas ici de classer ces pratiques en catégories totalement séparées les unes des autres mais d’évaluer la part de chaque technique dans un système donné. En fait, une analyse basé sur les modes de vie paysans montre que la plupart des foyers du Laos s’appuient pour leur subsistance sur une multitude de techniques et d’activités agricoles ou non agricoles (chasse, cueillette, agriculture, jardinage, vannerie, élevage, tissage) soit pour leur propre consommation, soit à des fins commerciales (UNDP 2001:74). Si toutes ces activités sont prises en compte pour définir les systèmes agraires, ceux-ci apparaissent rapidement bien plus nombreux. Le Ministère de l’Agriculture et des Forêts a récemment publié une classification en dix catégories tandis que Laurent Chazee (1998:186-189) identifie lui 15 systèmes agraires différents au Laos.

Au cours des cinquante dernières années, la couverture forestière du Laos n’a cessé de décliner. En 2003, les zones forestières (couverture de la canopée d’au moins 20%, hauteur minimale de 5 mètres, superficie minimum d’un demi hectare) représentaient 41,5% du territoire contre 47% en 1992 et 64% au milieu des années soixante. Outre leur superficie, les forêts sont également plus compartimentées: les compartiments de forêts de moins de 10 ha représentent 6,7% du total aujourd’hui contre seulement 1% en 1992 tandis que les compartiments de forêts de plus de 1000 ha sont passés de 88% à 54% de la surface forestière totale durant la même période. Ceci montre que la richesse, et donc la valeur commerciale des forêts lao a décliné au cours de la dernière décennie et ceci semble particulièrement vrai dans la partie centrale du pays (MAF 2003:14). Dans ses documents officiels (MAF 2003: 14-15), le MAF attribue systématiquement cette réduction des espaces forestiers à l’agriculture sur brûlis tandis que l’impact des coupes de bois (légales ou illégales) est lui passé sous silence. De façon générale, l’agriculture sur brûlis est systématiquement accusée de détruire la forêt alors qu’il s’agit en soi d’une technique efficace et parfaitement pérenne lorsque la densité humaine reste faible (ce qui est encore le cas au Laos). En fait, la détérioration des systèmes agraires basés sur l’essartage au Laos tient davantage aux contraintes légales imposées par l’administration et aux déplacements de villages montagnards vers les basses terres, déplacements dont l’effet principal pour l’instant a été d’accroître localement la pression foncière sans parvenir à faire évoluer les techniques agricoles. La problématique foncière telle qu’elle se pose aujourd’hui au Laos apparaît comme le résultat d’un parti pris délibéré en faveur d’une politique “forestière”, “légaliste” et “conservationniste” qui officiellement vise à améliorer le niveau de vie des paysans mais qui cherche avant tout à protéger la forêt. Et ce alors que les populations montagnardes, les plus dépendantes de la forêt pour leur subsistance, et donc les premières concernées par les nouvelles régulations, concentrent deux fois plus de pauvreté que les populations des plaines.

2. LA DÉFINITION DU CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL DE LA RÉFORME FONCIÈRE

2.1 Le cadre juridique

Au moment de la création de la RDP LAO en 1975, il n’existait pas d’inégalités foncières aussi marquées que dans les pays voisins. La faiblesse du pouvoir central au cours du dix-neuvième siècle n’avait pas favorisé, comme cela était par contre le cas dans le royaume de Siam, le développement d’une accumulation foncière au profit des membres de l’aristocratie, excepté, mais à une échelle très limitée, autour de la ville de Louang Prabang. Durant les deux premiers tiers du vingtième siècle, cette situation avait peu évolué, même dans les principales plaines du pays. Une certaine tendance au développement d’un “prolétariat agricole” (paysans sans terres employés comme journaliers) apparaît dans les dernières années du gouvernement royal mais elle concerne essentiellement la plaine de Vientiane et résulte avant tout de l’accroissement de la pression foncière, liée à l’afflux important de réfugiés depuis les zones bombardées ou bien de paysans pauvres depuis la rive droite du Mékong. D’une manière générale, et à l’exception de ces quelques configurations locales particulières, le nouveau régime reconnaît en 1975 que le problème principal dans le domaine agricole n’est pas une répartition inégalitaire du foncier mais une diffusion insuffisante des techniques modernes retardant l’émergence d’une agriculture intensive. Ce constat reste en grande partie encore valable aujourd’hui.

Le programme de collectivisation appliqué entre 1975 et 1979 visait à intensifier l’usage du sol et augmenter la production rizicole en mettant en commun les moyens de production et en réformant l’organisation du travail. Il fut dans une large mesure un échec. A partir des années quatre-vingt, les dirigeants du Laos opèrent une réorientation stratégique de leur politique dans le domaine agricole et forestier, répondant en cela aux pressions des bailleurs de l’aide internationale dont ils deviennent de plus en plus dépendants après le tarissement de l’aide en provenance de l’Europe de l’Est. Dès le milieu des années quatre-vingt, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International conditionnent en effet le versement de leur aide à la réalisation d’une série de réformes structurelles de l’appareil d’Etat et notamment à la formalisation du droit foncier[3]. L’orientation stratégique qui prévaut depuis cette date est double. Dans le domaine forestier, il s’agit d’établir un recensement et un contrôle strict des surfaces boisées afin d’une part de gérer de façon plus rationnelle les revenus qu’elles procurent à l’Etat et d’autre part de stopper la tendance à la déforestation et même de l’inverser par le développement d’économies de plantations. Dans le domaine agricole, l’ambition est de stopper l’agriculture sur brûlis d’une part en limitant les surfaces disponibles, d’autre part en sécurisant les droits des agriculteurs pour leur permettre d’investir durablement sur leurs terres. Ces deux éléments doivent permettre de rationaliser l’organisation de l’espace du nouvel État et d’augmenter ses recettes fiscales par l’intermédiaire de la collecte plus systématique que par le passé de taxes foncières sur toutes les parcelles cultivées.

En 1986, le 4e Congrès du Parti marque une libéralisation de l’économie: le projet socialiste est repoussé dans le temps et les dirigeants acceptent d’introduire certains mécanismes capitalistes pour relancer l’économie. Les réfugiés sont autorisés à revenir dans le pays et l’État leur reconnaît le droit de récupérer leurs terres lorsque celles-ci ont été occupées et mises en valeurs pendant leur absence par des membres de leur famille. Dans le même temps, les rizières communales, nationalisées après 1975, redeviennent propriété des villages. Cette date marque le début de deux processus distincts mais étroitement liés l’un à l’autre: premièrement, l’élaboration d’une législation forestière uniforme sur l’ensemble du territoire national; d’autre part, la mise en place d’un programme d’allocation foncière visant à sédentariser et à intensifier les systèmes agraires.

Concernant le premier point plusieurs documents sont publiés à partir de la fin des années soixante-dix (décret n°74 du Premier Ministre daté du 17 juillet 1979, décret n°66 de Septembre 1991, décret n°117 de 1993 notamment) et posent les bases de la législation forestière qui sera finalisée dans la Loi sur la Forêt (n°96/NA11) promulguée en 1996. A partir de cette date, l’ensemble des forêts du territoire national sont réparties en cinq grandes catégories (traduction littérale des textes de lois):

Si les trois premières catégories sont généralement établies sans trop de difficultés, on peut d’ores et déjà indiquer que la distinction entre les deux dernières catégories forestières constitue aujourd’hui un des enjeux majeurs de la politique de limitation de l’agriculture sur brûlis. Officiellement, toute forêt de plus de cinq ans d’âge est classée comme “forêt en régénération” et ne peut être mise en culture. Ceci oblige les agriculteurs à ne pas laisser une parcelle en friche plus de quatre années ce qui, dans les conditions actuelles de soutien technique, revient à mettre directement en péril tous les systèmes agraires montagnards basés sur de longs cycles de jachère.

Le cadre juridique de l’allocation foncière est établi parallèlement à la législation sur les forêts. En 1989, le décret du Premier Ministre n°117 sur l’aménagement et l’usage des terres forestières en pose les premières fondations. Il prévoit d’attribuer entre deux et 5 ha à chaque famille et entre 100 et 500 hectares à chaque village et autorise les villageois à gérer eux-mêmes ces espaces tant que le volume forestier ne diminue pas. Il reconnaît également aux villageois le droit de transmettre ou de transférer l’espace forestier ainsi alloué par l’État. Enfin, il délivre également un droit de propriété à des villageois et à des associations sur des terres non boisées en échange d’opération de reforestation ou d’un usage agricole sédentaire (plantations, élevage). Ce premier décret est précisé au cours des années suivantes par une série de décrets portant soit spécifiquement sur le foncier, soit sur des domaines connexes[4]. Finalement, en 1997, les articles 17, 18, 21 et 22 de la loi sur la terre (33/PDR 31 Mai 1997) formulent de façon définitive le cadre juridique relatif au foncier. L’État alloue, sous la forme de Titres d’Usage Temporaires, jusqu’à 25 hectares de terres par unité de main d’œuvre à chaque famille: un hectare pour la riziculture et la pisciculture, trois hectares pour les cultures commerciales trois hectares pour les vergers, quinze hectares pour les pâturages (sols dénudés) et trois hectares de forêts dégradées pour des actions de reforestation. Ces Titres d’Usage Temporaires sont transmissibles au descendants et considérés comme une première étape vers une titularisation complète. Ils ne sont cependant valables que trois ans (article 18), ne peuvent être transférés par voie onéreuse avant qu’un titre permanent ne soit délivré (article 57) et peuvent être retirés au bénéficiaire si l’usage qu’il fait de la terre n’est pas conforme aux réglementations en vigueur ou bien si les taxes foncières ne sont pas payées régulièrement (article 62).

2.2 Le cadre institutionnel

Si le cadre juridique se trouve donc progressivement élaboré et clarifié au cours des années quatre-vingt-dix le cadre institutionnel reste, lui, assez opaque et complexe.

1) La réforme foncière ne suit pas les mêmes procédures dans les zones rurales et dans les zones urbaines ou périurbaines. L’allocation foncière proprement dite telle qu’elle est définie dans la loi foncière ne concerne que les premières, les secondes faisant l’objet d’une procédure d’immatriculation foncière. Alors que dans le premier cas les agriculteurs se voient délivrer des certificats temporaires d’usage du sol dont la fonction est d’accélérer la sédentarisation des pratiques agricoles, les habitants des zones urbaines peuvent eux prétendre à l’obtention de titres de propriété privée transférables à un tiers y compris par voie onéreuse (le but affiché est ici de faciliter la mises en place des cadastres, d’augmenter les recettes fiscales de l’État et de favoriser l’émergence de marchés fonciers urbains). Il s’agit en théorie de deux processus parallèles et complémentaires car un titre temporaire d’usage doit pouvoir à terme être transformé en titre permanent mais, en pratique, de nombreux problèmes administratifs et techniques se posent. Une analyse détaillée des titres fonciers existants aujourd’hui au Laos est insérée dans le chapitre suivant.

2) Trois grandes institutions se partagent la responsabilité de la mise en œuvre de la réforme foncière: le Ministère de l’Agriculture et des Forêts, le Ministère des Finances et le “Department of Land Use Planning and Development” (DONLUPAD).

3) Le rôle et le poids politique respectif de chacune de ces trois institutions est actuellement en cours de renégociation au plus haut niveau de l’État et constitue un sujet relativement sensible pour les responsables lao rencontrés. Une version révisée de la loi foncière de 1997 a été approuvée en octobre 2003 par l’Assemblée Nationale et était encore fin novembre en attente de signature par le Président de la République Khamtay Siphandone. D’après plusieurs informateurs, la seule modification substantielle de la précédente version concerne la transformation du DONLUPAD en une (article 8) “National Land Administration Agency” qui agira désormais comme l’instance suprême en matière foncière. La nouvelle version de la loi attribue douze missions à la future agence (article 10): conception des régulations foncières, planning pour les zones urbaines, collaboration avec les agences concernées afin de clarifier et de coordonner la politique foncière, administration des cas de retrait, de concession ou de prêts, collecte des données statistiques et édition des registres fonciers, collection des frais de procédures, arbitrage des conflits fonciers, gestion des transactions foncières, documentation des transactions foncières, et enfin “toute autre tâche demandée par l’État”. La création de la NLAA s’accompagne d’un transfert partiel de personnel depuis le Département Foncier du Ministère des Finances ce qui laisse penser que la nouvelle agence reprend sans doute une partie des prérogatives auparavant attribuées à ce Département.

3. LA MISE EN OEUVRE DE LA RÉFORME FONCIÈRE

3.1 La mise en œuvre de l’allocation des terres

L’allocation des terres constitue l’une des six grandes politiques sectorielles, ou “causes nationales” relatives au développement rural et à la gestion des ressources naturelles mises en œuvre par le gouvernement lao depuis la fin des années quatre-vingt[6]. Elle se donne pour buts principaux:

Les stratégies mises en place pour parvenir à ces résultats incluent un zonage des finages villageois basé prioritairement sur le degré de pente des terres considérées, une planification de l’affectation des espaces à tel ou tel type de production, l’introduction de cultures commerciales et de vergers pour diversifier l’agriculture, l’amélioration des réseaux de transports et des connections avec les marchés locaux, la généralisation des systèmes de micro-financement et enfin la délivrance de titres fonciers.

L’allocation des terres est testée dans quelques villages du Nord du pays au tout début des années quatre-vingt dix avant d’être officiellement introduite en 1994. En 1996, un décret du Premier Ministre sur l’allocation des terres (03/PM 25/06/1996) généralise cette politique à l’ensemble des provinces du pays, insiste sur la nécessité de transformer les terres cultivées de façon itinérante en terres agricoles permanentes et sur les besoins de formation des personnels en charge de l’application de ces procédures à l’échelle des districts et des provinces. Le Programme National d’Eradication de la Pauvreté jusqu’en 2020 présenté par le gouvernement lao en 2003 (National Poverty Eradication Programme 2020, NPEP) identifie 72 districts prioritaires -la plupart dans les provinces du Nord- parmi les 142 que compte le pays et parmi eux 47 devant faire concentrer les efforts des services concernés avant 2006. En pratique, cela signifie que des équipes du Ministère de l’Agriculture et des Forêts doivent travailler chaque année dans dix districts afin de récolter les données, former les personnels locaux, effectuer les études de suivi nécessaires et initier une dynamique d’allocation foncière que les districts devront ensuite généraliser à l’ensemble des villages selon une procédure identique. Ces équipes sont composées de représentants des quatre unités techniques mentionnées dans le chapitre précédent: FIPC et RSCEC, unités techniques rattachées au Département des Forêts, et deux centres de recherche appliquée, NAFRI et NAFES, fonctionnant plus ou moins comme des unités techniques autonomes et bénéficiant chacun de différents programmes d’aide étrangers (Coopération bilatérale suédoise, IRD, CIRAD, FAO notamment).

NAFRI compte 238 employés, dont 40% de scientifiques, plus 140 personnes sous contrat temporaire, soit 378 personnes au total. Il s’agit de l’unité la plus importante parmi les quatre précédemment citées. L’institut possède deux centres de recherche agronomique à Louang Prabang et sur le plateau des Boloven et travaille également sur la pisciculture et sur l’élevage, notamment pour les zones péri-urbaines. Une collaboration en cours avec l’IRRI au Philippines doit permettre, à partir des 13500 variétés de riz gluant récoltées dans le pays, de créer sept à huit mille variétés améliorées[8]. Dans le domaine de l’allocation des terres, NAFRI a développé depuis le début des années 90 avec l’aide de la coopération suédoise (Lao-Swedish Forestry Program jusquen 2001, Lao-Swedish Upland Agriculture and Forestry Research Program ou LSUAFRP depuis cette date) une méthodologie en huit étapes, modifiée récemment et comptant désormais dix étapes. Depuis février 2002, une unité socio-économique implantée dans les locaux de l’Institut est chargée d’effectuer les études de suivi et de formuler des recommandations pour améliorer la méthodologie et l’adapter aux difficultés rencontrées. Cette unité socio-économique travaille notamment dans 8 villages tests répartis dans deux districts des provinces de Louang Prabang (Phonexay) et Oudomxay (Namo).

Le rôle premier du FIPD est de procéder à l’étude des sols et de proposer une affectation productive des espaces étudiés. Les enquêtes de terrain s’effectuent en saison sèche, de novembre à avril, l’analyse des données pendant les six autres mois de l’année. C’est à partir des études et des recommandations techniques du FIPD que les districts procèdent à l’allocation foncière dans les villages concernés. Jusqu’en 2000, le FIPD s’occupait également de la mise en œuvre concrète de l’allocation des terres (il a d’ailleurs participé à la définition de la méthodologie en huit étapes mentionnées précédemment) mais ce rôle est désormais davantage du ressort du RSCEC et de NAFES. Le FIPC participe néanmoins encore aux recherches menées par NAFRI dans le Nord du pays et teste notamment dans la province d’Oudomxay une procédure de cultures alternées devant permettre en quelques années, sur un ensemble de sept parcelles, le remplacement de la culture de riz de pente avec cycles de jachère par des cultures de rente permanentes, cardamome et benjoin notamment.

Le Service de Vulgarisation Agricole (NAFES) compte 180 employés dont la tâche principale consiste à former des vulgarisateurs agricoles pouvant ensuite travailler de façon autonome dans les districts. Son but est notamment d’assurer le développement et la duplication de “fermes modèles” fonctionnant comme des centres d’éducation agricole et d’aide à la sécurité alimentaire. L’un des programmes du NAFES, le Programme Spécial de Sécurité Alimentaire (SPFS) est financé en partie par la FAO et concerne 8 villages répartis sur 6 sites dans quatre provinces (Vientiane, Borikhamsay, Louang Nam Tha et Oudomxay). Le NAFES travaille en étroite collaboration avec le Centre pour l’Eradication de l’agriculture sur brûlis (RSCEC, rattaché au Département des Forêts du MAF) qui ne compte que 12 personnes. Outre ses activités de terrain (mise en œuvre de l’allocation des terres dans des villages cibles, formation d’agents de district), le RSCEC tient à jour et édite les données statistiques nationales concernant la réduction de l’agriculture sur brûlis et l’allocation des terres.

Méthodologie pour le Plan d’Usage des Terres (LUP) et l’Allocation Foncière (LA)

Etape

Details

1

LUP and LA preparation

2

Village boundary delineation and land use zoning

3

Data collection and analysis

4

Village land use plans

5

Forest and land allocation decisions

6

Field measurements of agricultural land

7

Forestry-land agreements and transfer of rights to villagers

8

LUP and LA information storage

9

Agricultural land records

10

Monitoring and evaluation

D’après Lao-Swedish Forestry Programme, Fevrier 2001 (Leuangkhamma & Jones & Sysomvang, 2001: 5)

Le processus d’allocation des terres s’effectue dans chaque village selon une procédure identique[9], présentée officiellement par le MAF dans son instruction de 1996 sur l’allocation foncière[10] et mise au point par NAFRI et le FIPC avec la coopération d’experts du Lao-Swedish Forestry Programme. Cette méthodologie contenait auparavant huit étapes mais fut modifiée en 2001 et en compte désormais dix. Le personnel en charge de l’étude villageoise utilise une série de manuels en langue lao comprenant les principaux documents et informations nécessaires pour chaque étape (support graphique pour les cartes de finage, questionnaire type pour l’enquête socio-economique, documents officiels devant être signés par les villageois etc...). Dans ce processus, le plan d’usage des terres (Land Use Planning ou LUP, kan vang pén nam saï ti din en lao) concerne la collectivité villageoise dans son ensemble tandis que l’allocation foncière proprement dite (LA ou mob din mob pha en lao) s’effectue au niveau des maisonnées. La première étape consiste en une démarcation précise des limites du finage villageois et en un zoning des terres en fonction de leur degré de pente. Une enquête socio-économique est conduite dans un deuxième temps auprès de toutes les maisonnées. Dans un troisième temps sont établis les plans d’usages des terres, c’est à dire l’affectation productive des espaces villageois en fonction de leurs caractéristiques et des potentiels locaux. La cinquième étape entérine la délimitation des différents espaces productifs délimités au sein du finage. Les deux étapes suivantes ont pour but de mesurer et de répartir les terres agricoles entre les maisonnées et d’établir les titres fonciers correspondants. Les dernières étapes consistent en une formation à l’archivage des données recueillies et aux techniques de suivi. L’ensemble du processus demande entre 45 et 60 jours d’après le responsable du RSCEC, parfois en cas de conflits entre les villages ou à l’intérieur de ceux-ci.

Au cours du processus, au moins quatre documents officiels sont rédigés et signés par les villageois:

Les TLUC constituent des titres provisoires non transférables par voie onéreuse et valables seulement trois années. Ils peuvent être théoriquement transformés en titres permanents à condition que le Contrat d’Usage de la Terre rédigé en même temps que le TLUC, soit respecté. Les TLUC ne donnent pas lieu au paiement d’une taxe foncière car cette procédure relève, comme mentionné précédemment, des représentations locales du Ministère des Finances. Seuls les espaces bâtis et les jardins à proximité donnent lieu au paiement de cette taxe, qui ne concerne pas les essarts (mais il existe un système d’amendes pour les défrichements illégaux). Au cours de la procédure d’allocation des terres, les zones forestières (classées en cinq catégories comme indiqué dans le chapitre précédent), celles destinées à l’élevage ainsi que les terres agricoles “mises en réserve” (attribuables en fonction des besoins futurs) sont attribuées au communautés villageoises dans leur ensemble (terres communales) et les terres agricoles (rizières, essarts, jardins) aux maisonnées. La délivrance des TLUC dans un village peut ne concerner qu’une partie des maisonnées, celles qui n’ont pas accès à des rizières ou bien dans une proportion insuffisante.

D’après les statistiques du SCREC (voir tableaux en annexe), des TLUC ont été délivrés à plus de 330 000 foyers (50% du total national) dans 5365 villages (40% du total national) depuis 1991. Un autre document, en cours de publication par le MAF (MAF 2003:65), annonce lui 6188 villages et plus de 370 000 foyers. Chaque fermier recevant en moyenne deux ou trois parcelles, on peut estimer qu’entre 600 000 et un 1 000 000 de TLUC ont été délivrés au cours de la dernière décennie. Pourtant, d’après le responsable du SCREC lui-même, de nombreux villages inclus dans ces chiffres n’ont pas encore fait l’objet d’une procédure complète d’allocation des terres. Bien souvent seule le planning de l’affectation productive des espaces (LUP) est finalisé mais l’allocation foncière proprement dite est encore en cours. Les études de suivi réalisées par l’unité socio-économique de NAFRI sont sur ce point assez éloquentes. En septembre 2002 dans le district de Phonexay (province de Louang Prabang), 67 villages avaient fait l’objet d’une procédure LUP mais l’allocation foncière proprement dite n’avait été réalisée que dans 8 d’entre eux, soit 12%.

Depuis 1996, les surfaces exploitées selon la méthode du brûlis ont diminué de 37% et le nombre de maisonnées pratiquant cette forme d’agriculture a lui baissé de plus de 50%. Ces statistiques, qui doivent être considérées avec précaution[11], montrent bien que la priorité affichée du gouvernement est de réduire les surfaces touchées par l’agriculture sur brûlis car dans le même temps l’amélioration des conditions de vie des paysans ne fait elle l’objet d’aucune tentative statistique. D’autre part, cette baisse est assez inégale selon les régions: de 2001 à 2003, les surfaces concernées par l’agriculture sur brûlis ont diminué de moitié dans le Sud et le Centre, mais seulement d’un quart dans les provinces du Nord. Deux d’entre-elles, Louang Nam Tha et Houaphan, ont même vu leurs surfaces de brûlis augmenter au cours de cette période. Enfin, il est important de noter que le nombre de villages concernés chaque année par une procédure LUP/LA tend à baisser depuis 1996. A cette date, plus de 1200 nouveaux villages étaient concernés chaque année mais en 2002, la procédure LUP/LA n’avait été initiée que dans 315 nouveaux villages seulement. Ce ralentissement indique qu’après avoir procédé assez rapidement au début, les services du MAF doivent désormais appliquer la procédure LUP/LA dans des zones plus difficiles où les négociations sont longues et compliquées.

3.2 La mise en œuvre de l’immatriculation foncière

L’article 43 de la loi foncière de 1997 prévoit la mise en place d’une procédure d’enregistrement des titres fonciers de façon uniforme sur tout le pays. Dans un premier temps cependant, l’immatriculation doit être mise en place dans les zones urbaines et péri-urbaines selon un système standardisé au normes internationales et qui pourra par la suite être étendu aux autres régions du pays (section 10 de la loi foncière). Ce système sert de base opérationnelle pour l’établissement des cadastres et pour la taxation foncière; son but premier est d’augmenter les recettes fiscales de l’État tout en facilitant la gestion du foncier urbain. Il est mis en œuvre par le Département Foncier du Ministère des Finances, entité qui n’a cependant qu’un rôle technique, les questions stratégiques étant du ressort soit du Ministère des Finances, soit du DONLUPAD.

L’immatriculation foncière démarre effectivement en 1997 avec le Land Titling Project mis en place grâce à un prêt de la Banque Mondiale et une assistance du gouvernement australien. Seules les quatre principales villes du pays sont concernées au départ (Vientiane, Savannakhét, Chamapssak et Louang Prabang) ainsi que leurs proches périphéries. Par la suite, les opérations d’immatriculation se sont étendues aux centres urbains de cinq autres provinces (Vientiane province, Kammouan, Borikhamsay, Sayaboury et Saravane). La première phase de ce projet s’est achevé fin 2003; une deuxième phase est prévue jusqu’en 2008 avec un nouveau prêt de la Banque Mondiale et la poursuite de l’assistance technique australienne. Le budget total pour cette deuxième phase est de 23,92 million de dollars: 14,82 millions sous forme d’un prêt de la Banque Mondiale (IBRD/IDA), un don de 6,84 millions de l’Australie (AusAid) sous forme d’assistance technique et 2,2 millions de dollars apportés par le gouvernement lao.

L’attribution des parcelles peut s’effectuer de deux façons différentes:

Environ 190 000 parcelles ont été attribuées depuis le début du projet. Cependant, moins de 135 000 titres fonciers ont été effectivement enregistrés et distribués. En l’état actuel, le projet -possède une aire d’extension très limitée. Il faut également insister sur le fait que même dans les zones urbaines, l’attribution foncière tend à se faire en priorité et parfois exclusivement pour des parcelles bâties, les terrains cultivés étant parfois également enregistrés, mais moins de façon moins systématique.

La seconde phase, qui débute à la fin 2003 et représente un budget total d’environ 23 millions de dollars sur six ans, sera consacrée en priorité au renforcement des capacités institutionnelles (renforcement du rôle du DONLUPAD[12], formulation de la politique à long terme et formation des personnels nationaux et locaux) et au développement à plus grande échelle des procédures testées durant la première phase. Cette extension géographique du projet est réclamée par le gouvernement lao qui souhaite voir le projet s’étendre le projet LTP à cinq nouvelles provinces: Sekong, Attapeu, Louang Nam Tha, Bokèo et Oudomxay. De leurs côtés, les donneurs sont plus réticents et posent une série de critères pour la sélection des nouvelles régions. Ces critères insistent principalement sur les ressources humaines et la capacité à suivre pas à pas la méthodologie mise au point sans brûler les étapes (backlogs). Deux nouvelles provinces parmi les cinq proposées par le gouvernement lao devraient être choisies au cours des deux prochaines années et faire l’objet de procédures test.

Parallèlement, dans le but d’étendre l’immatriculation aux terres agricoles et aux zones rurales, la Banque Mondiale conduit actuellement une série d’études sur différents sujets encore mal compris des décideurs afin de formuler des recommandation concrètes pour appliquer le projet LTP dans ces nouvelles régions:

Cette attention accordée au enjeux sociaux du projet est un signe à la fois encourageant et inquiétant: encourageant parce que de telles études seront en effet nécessaires pour déterminer les modalités de mise en œuvre dans des régions rurales ou prévalent des arrangements coutumiers et des systèmes fonciers variables d’un groupe ethnique à l’autre, inquiétant parce que de telles études devraient être menées avant même la mise en place du projet, et non seulement dans sa deuxième phase, six ans après son démarrage...,


[3] La liste exhaustive des réformes structurelles que les dirigeants lao devaient entreprendre est donnée par Yves Bourdet dans " Le processus de transition laotiens et ses résultats, 1980-1994 ", Les Cahiers de Péninsule, n°3, 1995: 78-79.
[4] Décret n°99 du Premier Ministre sur le foncier (99/PM, 19/12/1992), décret du Premier Ministre sur la taxe foncière (50/PM 13/3/1993), décret du Premier Ministre sur l'organisation et l'administration des villages (102/PM 5/7/1993), décret du Premier Ministre sur l'usage des forêts et des terres forestières (169/PM 3/11/1993), décret du Premier Ministre sur l'allocation des terres pour la reforestation et la préservation des forêts (186/PM 12/10/1994), décret du Premier Ministre érigeant l'allocation foncière en programme national (PM/3, 1996), instruction du Ministère de l'Agriculture et des Forêts sur les droits coutumiers et l'usage des ressources forestières (0054/MAF 7/3/1996), loi sur l'eau et les ressources hydrologiques (126/PDR 2/11/1996), instruction du Ministère de l'Agriculture et des Forêts qui met en place les principes généraux, les cibles spécifiques, les procédures à suivre, les types de terres pouvant être allouées et les conditions d'éligibilité pour bénéficier du programme (0882/MAF 1996).
[5] D'autres institutions sont également impliquées, mais à un degré moindre, dans la mise en œuvre de la réforme foncière. Il s'agit du Ministère de l'Industrie et textiles, du Ministère des Transports, Postes et Communication; du Ministère de l'Information et de la Culture; du Ministère de la Défense; du Ministère de l'Intérieur; de l'Union des Femmes et enfin du Front d'Edification Nationale.
[6] Il s'agit des programmes suivants: création de Zones Nationales de Conservation de la Biodiversité (National Biodiversity Conservation Areas ou NBCA) débutée en 1988, sédentarisation de l'agriculture initiée en 1989 suite au décret du Premier Ministre (PM 117/1989), l'éradication de la culture de l'opium; programmes forestiers communautaire; déplacements et regroupements de villages dans des zones "focales" à des fins de développement rural (programme initié dès le début des années quatre-vingt dix mais formulé précisément seulement en 1998); allocation des terres.
[7] La fin de l'agriculture sur brûlis est régulièrement annoncée dans les documents du gouvernement lao dans des délais irréalistes. Au cours des années quatre-vingt dix, la disparition totale de l'agriculture sur brûlis était planifiée par l'an 2000.
[8] Le Laos est le second pays au monde après l'Inde pour le nombre de variétés de riz, et le seul à promouvoir le développement de variétés de riz gluant.
[9] Certains projets ont développé leur propre méthodologie, notamment la coopération allemande (méthodologies NAWACOP et PILUM, très proches de celles mises en place par NAFRI et le LSUAFRP). Le projet Hua Phan Shifting Cultivation Stabilization Pilot Project (HPSCSPP), financé par la Banque Asiatique du Développement, constitue un autre exemple très intéressant: son approche est basée sur l'identification de trois catégories de villages auxquelles sont appliquées trois "options": la délimitation des frontières, le zonage ou l'allocation foncière. Chacune de ces options ou modules peut être mise en œuvre indépendamment des autres en fonction des besoins locaux, ou bien en combinaison avec les autres modules sur une période déterminée (voir Benjamin Mohr 2003: 38-39).
[10] Instruction du MAF 0822/AF de 1996: Instruction on Land and Forest Land Allocation Management and Use.
[11] L'impact réel de l'allocation foncière en termes de sédentarisation des pratiques agricoles reste très flou: les essarts illégaux, très nombreux notamment dans le Nord, ne sont, par définition, pas pris en compte dans ces statistiques.
[12] notamment sur les thèmes suivants: droits des investisseurs étrangers, taxes pour terrain de taille supérieure à la limite maximum autorisée, droits des organisations et collectivités, modalités des compensations foncières en cas d'expropriation, réinstallation, statut des parcelles non utilisées.

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