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Utilisation rationnelle des résidus forestiers

E. Alvarez Godoy, S. Díaz Aguirre et M. Alessandrini Díaz

Esther Alvarez Godoy,
Susana Díaz Aguirre
et Marta Alessandrini Díaz

sont chercheuses au Centro
de Estudios de Biomasa Forestal
(Centre d'études sur la biomasse
forestière) de l'Université
de Pinar del Río , Cuba.

Recherche sur les méthodes permettant d'obtenir divers produits, tels qu'aliments pour animaux, engrais, cosmétiques et produits pharmaceutiques, à partir du feuillage et des résidus de bois non utilisés par les industries forestières.

Laboratoire du Centro de Estudios de Biomasa Forestal de l'Université de Pinar del Río, Cuba

- R. RUZ

Dans certains pays, l'élimination des résidus non utilisés par les industries forestières, notamment feuillage et débris ligneux, pose un problème. Pourtant, ces résidus peuvent être utilisés de manière économiquement rationnelle et écologique, pour la production d'énergie et de nombreux articles pour lesquels il existe une forte demande. On possède déjà d'innombrables informations sur leur utilisation comme source d'énergie alternative, par exemple pour la production de combustibles renouvelables comme l'éthanol et l'ETBE (oxyde d'éthyle et de tertio-butyle). C'est pourquoi le présent article se concentre sur la transformation des résidus forestiers en produits de haute valeur pour les industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques, et pour le secteur agricole. Il fait la synthèse des recherches effectuées à Cuba par l'Instituto de Investigaciones Forestales, l'Instituto de Ecología y Sistemática et, en particulier, le Centro de Estudios de Biomasa Forestal de l'Université de Pinar del Río.

Le Centro de Estudios de Biomasa Forestal effectue des recherches sur l'utilisation des résidus forestiers pour la fabrication de quatre catégories de produits:

Ces produits en sont à des stades de développement divers (mise au point en laboratoire, essais en laboratoire, modèle de présérie, production industrielle). La stratégie de recherche a pour objectif d'atteindre les phases de la production et de la commercialisation des produits dans la région.

FEUILLAGE DES ARBRES

Le feuillage des arbres abattus représente une source de biomasse qui peut être utilisée pour la fabrication d'huiles essentielles, de cires, d'extraits végétaux (dérivés de chlorophylle et concentrés alimentaires) et d'aliments fourragers (Yagodin, 1981; Díaz, 1998). Bien que le feuillage restant sur le tapis forestier procure certains avantages (recyclage des éléments nutritifs et protection contre l'érosion du sol), son accumulation excessive sur le sol peut causer des problèmes (augmentation des risques de maladies et de feux de forêt). Ces problèmes se vérifient en particulier dans les parterres de coupe, où Vidal (1995) estime qu'entre 35 et 45 pour cent du feuillage est généralement laissé sur place. Les conifères, par exemple, laissent derrière eux entre 2 et 4 tonnes d'aiguilles par hectare et par an. L'enlèvement d'une partie du feuillage après la coupe contribue donc à atténuer les risques de feux et de maladies.

Les préparations biologiques obtenues à partir du feuillage d'essences forestières ont une forte teneur en chlorophylle et en caroténoïdes, de sorte qu'elles ont une vaste gamme d'applications dans diverses branches de production (pharmacie, cosmétiques et médecine vétérinaire). L'utilité des dérivés de la chlorophylle vient du fait qu'ils accélèrent la régénération des tissus et ont des propriétés antimicrobiennes démontrées par des études sur le pin et l'épicéa (Pavlutskaya, 1983; Mednikov, 1985).

Des chercheurs du Centre d'études ont mis au point une méthode (brevet en instance) pour fabriquer en laboratoire, à partir de feuillage, des cires végétales, des huiles essentielles, de la pâte de chlorophylle-carotène et du fourrage. Le procédé d'extraction permet de varier les produits finals en fonction de l'espèce, des conditions de production et des besoins de l'économie. La méthode a été validée par une étude de deux essences de conifères communes à Pinar del Río: Pinus caribaea et Pinus tropicalis.

Pour la transformation, il est préférable d'utiliser du feuillage vert et frais dans les 24 heures qui suivent la coupe de l'arbre. Après avoir retiré les feuilles des branches à la main, le matériel est transformé à l'aide d'une machine conçue au Centro de Estudios (Vidal, 1995) qui sépare les feuilles du bois, puis les broie pour produire un extrait foliaire. Cette machine peut traiter entre 6 et 10 tonnes de feuillage par jour. (Après ce processus, les branches peuvent être utilisées pour la dendroénergie ou à d'autres fins.)

Une étude de la composition biochimique et de la valeur nutritionnelle du feuillage après l'extraction et le séchage indique qu'il peut être utilisé avec succès comme complément alimentaire pour le bétail et la volaille.

À partir d'une tonne d'aiguilles issues d'une plantation de conifères, on peut obtenir:

Les produits extraits sont utilisés dans la préparation d'onguents et de crèmes à usage dermatologique et vétérinaire, de dentifrice, de savon médicinal, de rouge à lèvres et de parfums - articles pour lesquels il existe une forte demande à Cuba.

Pinus caribaea var. caribaea est l'essence qui a eu les meilleurs rendements pour tous les produits (Díaz, 1998).

Il est encore difficile de faire une analyse économique des avantages du procédé. Sur le plan des besoins en matières premières, le procédé de production commerciale de la pâte de chlorophylle-carotène est peu coûteux. La matière première principale est représentée par les aiguilles de pin, qui sont actuellement dénuées de valeur marchande et n'ont, par conséquent, pas de prix défini, les autres matières utilisées étant un solvant organique et l'hydroxyde de sodium. Le procédé permet de récupérer et de réutiliser 60 pour cent du solvant organique employé pour l'extraction de ces produits.

Des méthodes d'extraction ont été mises au point grâce à l'étude d'essences de résineux cultivées à Pinar del Río

- R. RUZ

D'après les résultats expérimentaux, le coût de 1 kg de pâte de chlorophylle-carotène serait de 5,70 dollars EU (Les autres produits obtenus étant des sous-produits du procédé technologique d'obtention du dérivé de la chlorophylle). Les autres coûts directs et indirects de la transformation varient avec l'échelle de production. Toutefois, étant donné que le kilogramme de pâte de chlorophylle-carotène vaut actuellement entre 65 et 75 dollars EU sur le marché, sa production commerciale devrait être à la fois économiquement viable et compétitive au niveau international.

À l'heure actuelle, les dérivés de la chlorophylle ont une valeur marchande élevée, tant au plan national qu'international, en raison de la vogue que connaissent les produits naturels; le moment est venu de faire une étude de marché, car les petites usines pilotes pour la transformation de la biomasse se multiplient partout dans le monde.

Transformation de feuilles d'arbres pour en tirer des dérivés de la chlorophylle

- R. RUZ

Différents produits tirés des résidus forestiers

- R. RUZ

RÉSIDUS DE TRANSFORMATION DU BOIS

Les définitions des résidus de bois varient en fonction de leurs utilisations. La FAO (2000) en a donné la définition suivante:

«Le volume de bois rond qui n'a pas été utilisé lors de la transformation industrielle des produits forestiers et qui n'a pas été réduit en copeaux ou en particules [les copeaux et les particules étant définis comme suit "bois qui a été réduit à dessein en petits morceaux au cours de la manufacture d'autres produits dérivés du bois"]. Sont inclus: les déchets de sciage, les délignures et les rognures, les âmes de grumes de placage, les déchets de placage, la sciure, les résidus des travaux de menuiserie et de charpenterie, etc. Sont exclus: les copeaux de bois formés naturellement (dans la forêt) à partir du bois rond ou fabriqués à partir de résidus (c'est-à-dire déjà recensés comme bois de trituration, copeaux et particules de bois rond et fendu).»

En général, la production moyenne de résidus durant le sciage des bois de conifères est égale à environ 30 pour cent de la biomasse de grumes utilisées, dont 5 à 8 pour cent de sciure et 10 à 14 pour cent d'écorce (Kalincha, 1978). Les déchets doivent être évacués rapidement car leur accumulation dans les scieries peut gêner le processus de production. Quelques producteurs les vendent ou les donnent à des entreprises qui les exploitent pour divers usages, mais ils sont le plus souvent jetés à la poubelle ou brûlés sans discernement, d'où un gaspillage de matière organique riche en nutriments.

Les tas de sciure que l'on trouve dans la forêt ou dans les chantiers des scieries deviennent des foyers de propagation de champignons (les plus typiques appartenant aux genres Fomes, Schyzophylum et Polyporus, entre autres) responsables de la pourriture du bois des arbres moribonds ou morts dont la teneur en humidité est relativement élevée. La sciure augmente aussi les risques d'incendie.

De plus, l'accumulation de sciure peut avoir des effets négatifs sur l'environnement:

L'utilisation des résidus de transformation du bois, en particulier dans les pays en développement, est une question très complexe, qui dépend de considérations économiques et de la disponibilité de moyens de transport.

Propriétés du tourteau de sciure saccharifiée de Pinus caribaea et Eucalyptus saligna (pourcentage poids sec)

Propriété

P. caribaea

E. saligna

Norme1

Sucres réducteurs libres (%)

11,4

11,9

 

Sucres réducteurs totaux (%

16,2

13,3

8

Substances solubles dans l'eau (%)

23,0

18,0

 

Extrait à l'éther (%)

1,6

0,3

 

Protéines brutes (%)

3,9

5,1

4

Cellulose brute (%)

58,0

40,0

<60

Digestibilité (%)

32,0

49,0

 

Furfurol (%)

0,017

traces

<0,1

Acide acétique (%)

traces

traces

 

Cendre (%)

3,9

3,8

 

pH

5-6

5-6

4-7

1 Normes russes TU OP 64.11.105-86 pour la qualité des compléments alimentaires fourragers carbohydratés, d'origine végétale.
Source: Jolkin, 1989.

Les résidus sont traditionnellement utilisés comme: combustibles (Bintley et Gowen, 1994), agents de nettoyage des chantiers industriels, litière pour la volaille ou le bétail (Oconnell et Meaney, 1997) et pour fabriquer divers produits artisanaux ou industriels (Arends et Donkersloot, 1985). Les industries chimiques, de la pâte et des panneaux sont les principales consommatrices de débris ligneux. L'industrie chimique utilise des copeaux de bois et de la sciure comme matières premières pour la production d'alcool, de levure fourragère, de furfurol (solvant qui est aussi un précurseur de l'alcool furfurylique, largement utilisé dans les fonderies) et, plus récemment, de compléments d'alimentation animale à base d'hydrates de carbone, de minéraux et/ou protéines (Jolkin, 1989). Dans l'industrie des panneaux, les résidus sont utilisés entre autres pour la fabrication de panneaux de particules, de panneaux lattés et de panneaux de fibres de densité moyenne.

Engrais obtenu par la transformation biologique de la sciure de pin par des lombrics

- R. RUZ

Produits à base de cellulose de bois

Fabrication de compléments d'alimentation animale à partir de sciure de pin et d'eucalyptus. Un tourteau de sciure saccharifiée de pin et d'eucalyptus utilisé comme complément d'alimentation animale est obtenu par hydrolyse, processus qui transforme la cellulose de bois.

Pour le traitement de préhydrolyse, on mélange de la sciure (de Pinus caribaea var. caribaea et Eucalyptus saligna) à de l'eau, dans la proportion de un à trois, puis on ajoute le catalyseur - en l'occurrence du superphosphate de chaux à l'état solide - en quantité suffisante pour atteindre une concentration de 4 pour cent. Le mélange est placé dans un autoclave et chauffé dans un bain de glycérine, conformément à des règles préétablies concernant la température et la durée. Le produit obtenu à l'issue de la préhydrolyse est de la cellulose de bois enrichie en sucres (mono- et oligosaccharides). De texture lisse et de couleur brune, il conserve l'apparence du matériau originel et a une odeur agréable. Ses propriétés en font un complément d'alimentation acceptable: il est par exemple conforme aux normes de qualité russes pour les compléments alimentaires carbohydratés d'origine végétale (voir tableau).

On a réalisé des études sur la sélection de champignons de la pourriture blanche pour augmenter la teneur en protéines et la digestibilité de la sciure de pin saccharifiée. Les champignons de la pourriture blanche sont les micro-organismes les plus efficaces pour décomposer le bois et toutes ses composantes, y compris la lignine. La décomposition se produit environ en une semaine, sous l'effet de la sécrétion des enzymes laccase, péroxydase de lignine, cellulase et xylanase. Des essais ont été réalisés sur divers substrats, avec des espèces de Schizophillum, Pleurotus et Panus, pour sélectionner les souches les plus actives du champignon de la pourriture blanche. Les souches de Schizophyllum commune et Panus hirtus sont celles qui se sont le mieux développées dans la sciure saccharifiée de Pinus caribaea var. caribaea.

Obtention d'engrais, à partir de la transformation biologique de sciure de pin, avec des lombrics. De l'engrais a été produit, en utilisant le ver Eisenia foetida pour la biotransformation d'un mélange composé de 75 pour cent de bouse de vache et de 25 pour cent de sciure de Pinus spp. L'humus de lombric est un mélange de composés chimiques produits par la digestion enzymatique du substrat organique (bouse plus sciure) et le métabolisme de micro-organismes. Il est de couleur sombre (presque noir) uniformément granuleux, poreux et léger.

La fertilité et le développement des lombrics, qui dépendent de leur alimentation, étaient similaires, que E. foetida soient nourris uniquement avec de la bouse de vache ou avec un mélange de bouse de vache et de 25 pour cent de sciure de Pinus caribaea.

Les caractéristiques chimiques de l'engrais à base de bouse de vache et de sciure (75:25) sont comparables à celles d'autres engrais organiques produits à Cuba, à savoir: 1,02 pour cent de N; 0,67 pour cent de P; 0,42 pour cent de K; 40,51 pour cent de matière organique; 35 pour cent d'humidité; pH 6,9; C/N 21: 47.

CONCLUSIONS

Les résultats obtenus à Cuba ont des dimensions économiques, environnemen-tales et sociales d'une portée considérable, qui ouvrent de nouvelles perspectives pour l'utilisation durable des ressources forestières.

Sur le plan économique, l'identification d'une méthode permettant d'obtenir, à partir de sources non traditionnelles, des produits pour lesquels il existe une forte demande dans le secteur agricole, comme des aliments pour animaux et des engrais biologiques, représente un progrès considérable.

Sur le plan environnemental, ces conversions offrent une bonne solution pour résoudre le problème de l'accumulation excessive de feuillage sur le tapis forestier et de sciure dans les scieries, lors de la transformation primaire du bois. L'élimination rationnelle du feuillage et de la sciure contribue aussi à réduire les effets polluants des émissions de dyoxyde de carbone dans l'atmosphère et les risques d'incendie et de propagation de maladies.

Sur le plan social, l'emploi de ces méthodes pour obtenir les produits décrits dans cet article montre aux producteurs et à l'ensemble de la population que, si elle est bien entretenue, la nature est capable de fournir à l'homme les produits dont il a besoin pour sa subsistance. Cette prise de conscience peut être utile pour faire comprendre l'importance de l'utilisation rationnelle des ressources naturelles.

Il faut toutefois souligner que, bien que la recherche ait démontré que la technologie est réalisable, il arrive souvent que ce type de découvertes ne soient pas appliquées pour des raisons économiques et opérationnelles (prix, taille du marché, logistique du marché, fiabilité des approvisionnements en matières premières, etc.) Des études de faisabilité sont indispensables pour évaluer ces facteurs, avant de passer à une phase de développement supérieure, et à la création d'usines pilotes ou industrielles. Le maintien de la politique nationale de Cuba, qui consiste à accroître la représentation des produits nationaux dans l'économie serait un pas dans cette direction. Les résultats de ces recherches commencent à être exploités dans le cadre d'un projet conjoint (déjà en cours) des Ministères des industries de base et de l'agriculture, et de l'Université de Pinar del Río, qui vise à mettre au point la technologie décrite dans cet article.

Bibliographie


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