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2. LES PÊCHERIES ARTISANALES ET LES PÊCHEURS ARTISANS


2.1. Le contexte de la pêche et des moyens d'existence dans les pays choisis pour réaliser les études de cas

2.1.1 Les points principaux de cette section

La gestion des pêches dans le contexte de l'approche des moyens d'existence durables se doit de ne pas voir seulement le secteur des pêches et les plans et mesures de gestion doivent être flexibles de manière à s'adapter facilement aux circonstances spécifiques et changeantes.

· Les aspects de vulnérabilité et les stratégies pour les moyens d'existence dans les pêcheries artisanales s'influencent mutuellement, parfois se renforcent, d'autre fois minimisent l'impact de l'autre.

· Les pêcheries artisanales représentent des moyens d'existence de plus en plus importants dans les quatre pays.

· L'augmentation de la pêche artisanale est une stratégie de moyens d'existence qui dans certains cas sape le fondement même de ces moyens d'existence qu'elle s'efforce d'améliorer et augmente la vulnérabilité des pêcheurs en créant des conflits et rivalités au sujet des ressources.

· La pression sur les atouts naturels varie selon la ressource, la région et le type de pêcherie.

· Les pêcheurs artisans ont développé un éventail de stratégies de pêche et de non-pêche comme moyens d'existence afin de faire face aux variations de leur environnement social, économique, politique et naturel.

2.1.2 Les pêcheries artisanales dans les pays choisis pour les études de cas

La localisation des pays choisis pour les études de cas - Mauritanie, Sénégal, Guinée et Ghana - en Afrique de l'Ouest est présentée dans la carte ci-dessous.

CARTE DE L'AFRIQUE DE L'OUEST AVEC LES PAYS CHOISIS POUR LES ÉTUDES DE CAS

Source: http://www.un.org/Depts/Cartographic/map/profile/africa.pdf

Le tableau ci-dessous présente des informations générales sur les pays et leur zone côtière (les données proviennent des Profils nationaux de la FAO). De toute évidence, il y a une grande différence entre ces pays en termes de nombre d'habitants et de superficie du pays. Ils ont cependant en commun le fait que la zone du plateau continental et la longueur de côtes sont considérables.

INFORMATION GÉNÉRALE SUR LES QUATRE PAYS CHOISIS POUR LES ÉTUDES DE CAS ET LEUR ZONE CÔTIÈRE

Information

Mauritanie

Sénégal

Guinée

Ghana

Nombre d'habitants (millions)

('98) 2,5

('96) 8,5

('96) 7,1

('96) 17,8

Superficie du pays (km2)

1 030 700

196 722

264 000

238 539

Zone du plateau continental (km2)

36 000

23 800

56 000

23 700

Longueur de côtes (km)

754

718

300

528

Profiles des pays de la FAO

Dans les quatre pays, la pêche artisanale en particulier représente un secteur économique important en termes d'emplois, de sécurité alimentaire nationale, de développement des entreprises et de devises étrangères (voir les données ci-dessous). Les chiffres doivent être lus en comparaison avec ceux du tableau ci-dessus. En Mauritanie, le nombre de pêcheurs artisans peut sembler bas, mais ce pays a une densité de population très faible; au Ghana, le nombre de pêcheurs est très élevé mais il en est de même pour la population totale du pays. Le nombre de pêcheurs en Guinée est relativement faible comparé à la population. Bien que le secteur de la pêche soit important en termes de moyens d'existence pour une grande partie de la population rurale, et en termes de nutrition pour un plus grand nombre encore, la pêche représente seulement un faible pourcentage du produit domestique brut pour certains pays.

CONTRIBUTION DES PÊCHERIES DANS LES ÉCONOMIES NATIONALES


Mauritanie

Sénégal

Guinée

Ghana

Emplois

10 000 pêcheurs artisans

57 000 pêcheurs artisans

9 300 pêcheurs, personnel chargé de la transformation du poisson, marayeurs, etc.

110 000 pêcheurs

10 330 chargés de la transformation du poisson, mareyeurs, etc.

inconnus

290 000 chargés de la transformation du poisson, mareyeurs, etc.

Consommation per capita par an (kg)

14,2

29,9

8,5

26,1

Production (poids net tonnes/an de produit frais)

82 000

436 000

64 000

477 000

Valeur des importations (millions $EU)

marginal

11

1

19

Valeur des exportations (millions $EU)

185

311

17

56

Profiles des pays de la FAO

2.1.3 Le contexte de vulnérabilité dans les pêcheries artisanales des quatre pays

Les tendances dans l'économie générale et dans les pêcheries artisanales des quatre pays font partie du contexte de vulnérabilité dans lequel travaillent les pêcheurs. Ces tendances peuvent être positives ou négatives pour les moyens d'existence des pêcheurs. De nombreuses tendances ont été positives, certainement à court terme. Les efforts des pêches artisanales et des débarquements en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée et au Ghana ont considérablement augmenté au cours des trois à quatre dernières décennies. Le nombre d'embarcations artisanales et leur taille ainsi que le niveau de motorisation ont augmenté. Des engins de plus en plus performants et variés sont utilisés, et la pêche se déroule de plus en plus loin en mer à l'occasion de campagnes de pêche plus longues qu'auparavant. La création d'emplois a aussi considérablement augmenté.

Un certain nombre de facteurs dans les pêches et dans d'autres secteurs économiques, ont encouragé cet élan pour la pêche artisanale. Seulement quelques- uns seront mentionnés ici[11]. Tout d'abord, les politiques libérales comme celles introduites en Guinée en 1984, ont ouvert l'accès aux marchés à l'exportation pour les poissons à forte valeur commerciale. Les destinations internationales pour le poisson se sont concentrées sur la Communauté européenne et sa demande croissante en poisson, et sur les Etats-Unis d'Amérique. Plus récemment, toutefois, l'attention s'est portée sur d'autres espèces de poissons et les techniques de transformation se sont adaptées aux préférences des consommateurs asiatiques. Mais la demande locale de poisson augmente également, liée à la croissance démographique et au prix relativement bon marché du poisson comparé à d'autres protéines animales. Du côté de l'offre, de nouvelles techniques de pêche sont utilisées. Le secteur s'est également développé dans les régions à l'intérieur des terres qui connaissent le chômage et la sécheresse, encourageant un grand nombre de personnes à migrer vers les zones côtières, et à entrer dans le secteur de la pêche.

Le secteur est également touché par des contraintes qui augmentent la vulnérabilité des pêcheurs et ont un impact négatif sur leurs moyens d'existence. Certaines de ces contraintes sont une conséquence de la croissance incontrôlée décrite ci-dessus. Un exemple est la surexploitation et la diminution des captures pour certaines espèces, bien que ces dernières ne soient pas encore - ou seulement - touchées dans certaines régions (voir encadré ci-dessous).

EXEMPLE DE VARIATIONS RÉGIONALES EN MATIÈRE D'EXPLOITATION DES ESPÈCES DE POISSONS

Le Ministère des pêches au Sénégal a trouvé différents niveaux d'exploitation selon les différentes espèces. Les grands pélagiques et certains démersaux sont surexploités. Les petits pélagiques sont surexploités dans certaines régions.

Sur le plan régional, on note des différences dans les niveaux d'exploitation. La région très exploitée de la Petite côte ainsi que la zone située près de la frontière mauritanienne - exploitée pour ses petits pélagiques par les navires de la Communauté européenne (CE) et par l'ex-Union soviétique - sont plus touchées que la région de la Grande côte située à proximité de la Gambie.

La surpêche a un impact direct sur les moyens d'existence des pêcheurs à travers une diminution des revenus et des bénéfices, une compétition croissante, et des conflits au sujet des fonds de pêche, des ressources marines et des marchés.

En réaction aux signes de surpêche et à une attention internationale pour une pratique durable de la pêche (comme il est précisé dans le CCPR), les politiques nationales en matière de pêche qui autrefois avaient pour objet de stimuler la croissance du secteur[12] ont été adaptées à la situation durant ces 10 dernières années. En plus de ces politiques sectorielles, les effets des programmes d'ajustement structuraux, introduits dans la région depuis les années 1980, ont un impact sur les pêcheries artisanales. La dévaluation des monnaies nationales, la diminution des subventions et autres mesures macro-économiques ont entraîné l'augmentation du prix des produits importés (y compris les intrants pêche), et la chute des prix pour les produits locaux (y compris le poisson). Les politiques de libéralisation ont également entraîné une compétition entre les produits nationaux et les produits internationaux. Les tendances économiques générales telles qu'une hausse de l'inflation ont frappé les moyens d'existence des pêcheurs. Par exemple, les provisions d'avitaillement pour la pêche sont irrégulières et dépendent souvent des projets. Cela est particulièrement le cas du fuel dont le prix augmente, l'offre est irrégulière, et qui se fait occasionnellement inexistant pendant la saison de pêche, augmentant ainsi son prix, et rendant plus aléatoires les sorties en mer des pêcheurs. Par contre, les prix du poisson, surtout pour le marché d'exportation ont augmenté tout comme la demande en poisson.

2.1.4 Les stratégies des moyens d'existence des pêcheurs et les résultats

Les pêcheurs ont développé des stratégies pour protéger leurs moyens d'existence en général, et pour faire face à l'influence des aspects de vulnérabilité tels que la surpêche, l'augmentation des prix et la compétition. Les stratégies générales des moyens d'existence adoptées par les pêcheurs visent à:

Les stratégies pour des moyens d'existence liés à la pêche consistent souvent à:

L'encadré ci-dessous donne des exemples de stratégies utilisées par certains propriétaires de bateaux et par les équipages face à l'augmentation du prix de l'avitaillement, une compétition croissante et une diminution de la rentabilité des activités de pêche.

EXEMPLES DE STRATÉGIES POUR PROTÉGER LES MOYENS D'EXISTENCE DES PÊCHEURS

En réaction à l'augmentation du prix des intrants, une compétition croissante et une diminution de la rentabilité des activités de pêche, certains armateurs ont réduit le nombre de bateaux qui opèrent. Certains passent de bateaux industriels aux pirogues artisanales qui reviennent moins cher en termes d'exploitation. D'autres encore achètent des pirogues d'occasion plutôt que des neuves, réparent de vieux moteurs, achètent les moins chers et économisent sur le fuel. Certains équipages ont recours à des pratiques de pêche destructrices, comme par exemple la dynamite, afin de maximiser leurs prises à un moindre effort.

Les trois premiers points portant sur les stratégies des moyens d'existence liées à la pêche ont écarté les risques, et pourraient devenir des stratégies à long terme. Cependant, les exemples présentés dans l'encadré montrent que les pêcheurs peuvent développer - ou se voient forcés de développer - des stratégies qui ne sont pas dans leurs intérêts à long terme. Bien que des économies de fuel, ou sur des moteurs, ou la pêche à la dynamite, semblent régler les problèmes de rentabilité à court terme, ces attitudes peuvent engendrer des problèmes de sécurité en mer[13]. Les résultats des moyens d'existence pour les personnes impliquées engendrent des équipages qui sont plus vulnérables aux accidents en mer, et des armateurs qui risquent de perdre leurs bateaux, leurs investissements et leur source de revenu. La vulnérabilité de ces groupes a, par conséquent, augmenté à long terme.

Il est important de souligner que les études de pays montrent clairement que les stratégies de moyens d'existence, et les résultats des pêcheurs, ne sont pas uniquement orientés vers la pêche et sont apparentés à d'autres secteurs de l'économie[14]. Elles sont également influencées par des facteurs tels que la localisation, la taille et le type de communauté dans laquelle ils vivent. Par exemple, tandis que les villageois sont souvent isolés et ont peu accès à l'école ou à l'hôpital, les pêcheurs des centres urbains ont accès à ces aménagements, mais sont menacés par les plans de développement urbain.

D'autres questions importantes concernant les communautés sont: s'agit-il d'une communauté rurale ou urbaine? Est-elle bien reliée aux villes et aux marchés de manière à faciliter les activités commerciales et les migrations? Dispose-t-elle d'autres ressources que le poisson lui permettant de diversifier ses stratégies de moyens d'existence? Dispose-t-elle d'infrastructures physiques lui permettant d'apporter un soutien au développement des activités économiques et sociales? Certains de ces problèmes seront brièvement mentionnés dans la section présentant les études de cas sur des communautés (section 4 de cette étude).

2.1.5 Implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

La description du contexte mentionné ci-dessus montre très clairement que les politiques économiques générales et les tendances dans les quatre pays ont eu de fortes répercussions sur les pêches et ont contribué à l'essor du secteur. Elle montre également que les moyens d'existence de milliers de personnes dépendent des pêches, toutefois les pêches ne représentent que quelques points en pourcentage du produit intérieur brut. En plus, beaucoup de pêcheurs ont divers autres moyens pour subvenir à leurs besoins et la pêche est seulement une des nombreuses stratégies. Ces trois points indiquent que la gestion de la pêche responsable et les politiques en matière de pêche dans le contexte d'une approche de moyens d'existence durables se doivent de regarder au-delà du seul secteur des pêches. Cela renforce aussi le fait que l'idée de soutenir les moyens d'existence de la population pauvre par le biais de la diminution de la pauvreté et la sécurité alimentaire, pour être efficace devra faire l'objet d'une approche multi-sectorielle.

Dans le contexte des pêches, les conflits et rivalités au sujet des ressources, sans cesse plus nombreux, de même que la baisse des profits pour certains armateurs, soutien l'hypothèse de cette étude qui affirme qu'il y a une surexploitation des ressources halieutiques et que cela affecte les moyens d'existence des pêcheurs de manière négative. Cependant, cela s'avère vrai pour certains types de pêche, dans certaines régions d'un pays et pour certaines ressources seulement. La gestion des pêches par conséquent doit établir une claire distinction entre ces types de pêche, régions et ressources et prendre les mesures appropriées dans chaque cas de manière à éviter l'épuisement des stocks (ou permettre le rétablissement des ressources épuisées) tout en optimisant, dans un même temps, l'exploitation des ressources sous-exploitées. Malgré cela, il est clair d'après ce qui vient d'être dit, que la tâche est souvent ardue car les pêcheurs ont une diversité d'espèces cibles, d'engins et de stratégies de pêche, lesquels changent chaque fois que de nouvelles opportunités se présentent.

Bien que les lois et règlements en vigueur dans le secteur des pêches puissent déterminer des principes généraux, les politiques, les plans de gestion et les mesures portant sur les pêches doivent être souples et continuellement mis à jour pour pouvoir s'adapter aux:

Cela implique que les gouvernements et autres institutions intéressées doivent créer ou faciliter des processus de consultation continue de la gestion des pêches, avec tous les partenaires impliqués. Les processus exigeront certainement des ajustements et des mécanismes de gestion différents selon les régions d'un pays.

2.2. Qui sont les pêcheurs artisans?

2.2.1 Les points principaux de cette section

Le terme «pêcheurs artisans» est trop générique lorsqu'il s'agit d'analyser la participation dans la gestion des pêches et son impact sur les moyens d'existence.

2.2.2 Distinguer les groupes de pêcheurs artisans

D'après les rapports des études de cas par pays sur le SCS en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée et au Ghana, il est apparu plus clair que les «pêcheurs artisans» ne représentent pas un groupe homogène. En termes de pêcheries et de moyens d'existence, il y a d'importantes différences entre les «pêcheurs artisans». En termes de pêche, certains utilisent des équipements particuliers, d'autres utilisent une variété d'engins. Les espèces ciblées, les stratégies de pêche, les fonds de pêche, le temps passé en mer, la distance de la côte, etc. varient selon les groupes. Certains pêchent dans leur village natal, d'autres migrent selon les saisons, d'autres encore migrent de manière permanente. Les pêcheries industrielles et artisanales sont souvent perçues comme étant en compétition, mais il n'est pas rare de trouver des pêcheurs artisans, des équipages et des armateurs qui travaillaient ou qui travaillent saisonnièrement à bord des bateaux industriels. Pour certains, la pêche est leur principale activité, tandis que d'autres ont des activités économiques plus importantes et ne se considèrent pas comme des pêcheurs. En d'autres termes, l'expression «pêcheurs artisans» couvre une très vaste variété de groupes sociaux.

Les stratégies de moyens d'existence et les résultats de chacun de ces groupes, tout comme leur prédisposition et leurs réactions aux vulnérabilités, seront nécessairement différentes. Par conséquent, leurs intérêts et perception des pêches et de la gestion des pêches varieront. Les rapports des pays indiquent, par exemple, que les migrants et les pêcheurs situés dans les villes ont tendance à percevoir l'océan comme ayant un accès libre, tandis que les habitants (tout particulièrement ceux originaires de milieux agricoles[15]) ont tendance à percevoir la mer située près de la communauté, comme une partie du territoire appartenant à celle-ci, et dont l'accès est contrôlé par les anciens de la même manière que les terres agricoles. Un autre exemple est celui des pêcheurs qui ont recours à des engins actifs et ceux qui ont recours à des engins passifs. Ceux qui pêchent avec des engins passifs, et qui restent dans l'eau quelques temps (les filets maillants par exemple), ont tendance a avoir des problèmes spécifiques car l'engin peut être volé ou abîmé lorsqu'il est laissé dans l'eau (par exemple la nuit). Ceux qui utilisent des engins actifs (les lignes ou les sennes tournantes) n'ont pas ce type de problème mais peuvent être gênés par les engins passifs rencontrés en mer au moment de leurs activités de pêche.

Ces types de problèmes peuvent être une source de tensions et de conflits entre les groupes de pêcheurs, surtout lorsque différents groupes pêchent dans les mêmes zones ou visent les mêmes marchés. Les dimensions migrants-résidents ou ethniques peuvent devenir une des causes du conflit. Les migrants saisonniers ou permanents sont souvent perçus par les résidents comme des étrangers, et souvent considérés comme tels bien qu'ils fassent partie de la communauté depuis plusieurs générations. Ces groupes de pêcheurs ont néanmoins des liens sociaux et économiques. Il y a, par exemple, des mariages entre les groupes bien que ceux-ci vivent généralement dans des quartiers différents. Non seulement ils utilisent des engins de pêche différents, mais ils parlent des langues différentes.

Les aspects politiques et les relations régionales entre les pays ajoutent une autre dimension aux moyens d'existence des pêcheurs, à leur vulnérabilité, et à leurs options de moyens d'existence. Tandis que le Sénégal et le Ghana ont tendance à avoir des pêcheurs nationaux, les pêcheurs sénégalais et ghanéens migrent très loin vers d'autres pays. Régulièrement, les désaccords entre des gouvernements nationaux entraînent l'expulsion du pays des pêcheurs artisans migrants. Le fait que certains pêcheurs migrants ne paient pas les droits officiels sur la pêche dans le pays où ils pêchent entraîne aussi des tensions. Bien que de nombreux migrants aient trouvé une manière de co-habiter en paix avec les résidents, ils sont particulièrement vulnérables de par leur position sociale.

2.2.3 Les groupes professionnels dans les pêcheries artisanales

Au sein même de chaque type de pêche, il est possible de distinguer différents groupes professionnels. Ceux qui sont directement impliqués dans les activités de pêche sont les équipages, les armateurs et les financiers (des engins, pirogues et casiers). Dans la phase de post-production, on trouve les préposés au traitement du poisson et les petits et grands commerçants.

Il y a une division du travail de base, selon le genre, entre ces groupes professionnels. Les équipages sont composés d'hommes, tandis que les personnes chargées de la transformation du poisson et celles qui s'occupent de le vendre sont des femmes. (Il y a des exceptions: certaines femmes pêchent, en fonction des saisons, et il y a des grands mareyeurs au Sénégal). Les femmes qui effectuent les opérations de transformation du poisson et les marchandes sont celles qui prêtent généralement l'argent. Ces femmes ont un intérêt à financer les campagnes de pêche et fournir divers crédits, car cela leur garantit la première vente ou le droit d'achat exclusif des captures. La relation de crédit est entretenue dans ce but par les marchands de manière à leur assurer un approvisionnement régulier. Les chargés du traitement du poisson ou les marchands les plus performants peuvent également devenir armateurs. Le fait que les femmes peuvent travailler et réussir de la sorte dépend de leur milieu socio-culturel et de l'acceptabilité du groupe ethnique auquel elles appartiennent. Cela varie selon les communautés et les pays[16].

Bien qu'il y ait différents groupes professionnels avec des intérêts pouvant ou pouvant ne pas coïncider, il est important de réaliser qu'ils sont souvent étroitement liés, soit directement, soit par le lien du mariage. Par exemple, les armateurs et les équipages vendent fréquemment leurs prises à un parent proche, ou à leur femme. Pour la vente du poisson, les préposés à la transformation du poisson et les marchands eux-mêmes sont souvent organisés de telle manière que des femmes ayant un pouvoir économique important ont des membres de la famille plus jeunes, ou d'autres femmes qui travaillent pour elles. Ensemble elles forment un réseau de contacts loin à l'intérieur des terres vers les villes où leur poisson peut être vendu[17].

Les mesures de gestion des pêches auront un impact sur les moyens d'existence de tous ces groupes professionnels. Si, par exemple, une mesure de gestion des pêches entraîne la réduction du nombre de pirogues, d'emplois pour les équipages, des captures et ce qui s'en suit, toute une famille et son réseau de contacts peut alors se retrouver sans base pour ses moyens d'existence. Pourtant, chaque groupe professionnel peut percevoir la gestion des pêches différemment, et peut être affecté, de manière différente par une mesure quelle qu'elle soit. La diminution des prises pour certaines espèces peut entraîner une augmentation du prix, ce qui signifie des revenus plus importants pour l'équipage et l'armateur, mais des bénéfices plus faibles pour les personnes chargées de la transformation du poisson et les marchands.

Cependant, en gestion des pêches, ces différences ne sont pas toujours prises en considération. Par exemple, les études de cas par pays montrent que les «pêcheurs» sont souvent pris pour des hommes de pêche et plus particulièrement des armateurs et non des équipiers. Les intérêts et les moyens d'existence des autres (pêcheurs) acteurs sont inconsciemment laissés de côté, souvent sans intention ou sans qu'on se rende compte de ce qui se passe[18].

2.2.4 Implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

L'existence de différents groupes de «pêcheurs artisans» avec des moyens d'existence et des intérêts différents peut sembler évident. Les pêcheurs eux-mêmes et les agents des pêches du gouvernement travaillant dans les communautés côtières des pays partenaires du PMEDP sont certainement conscients de ce fait. Néanmoins, les documents officiels et les actions pour une gestion des pêches ne reflètent pas cette réalité. Ils se concentrent uniquement sur les ressources marines et sur des données concernant les flottes.

La gestion des pêches dans les pays partenaires du PMEDP a besoin de se concentrer sur les différents groupes de pêcheurs, et d'en faire des partenaires afin d'être efficace et de prendre en considération les moyens d'existence des pêcheurs. Le fait de travailler avec les différents groupes permet d'élaborer des activités de gestion spécifiques à chaque type de pêche et aux interactions entre les différents types de pêche.

L'implication signifie que s'engager dans une gestion responsable de la pêche ou dans une approche des moyens d'existence durables nécessite de la part des gouvernements et autres institutions de:

de manière à:

Ce qui vient d'être mentionné soulève l'importance de la participation des pêcheurs artisans dans l'élaboration et la mise en œuvre d'une gestion des pêches; ces derniers connaissent les différents groupes qui composent les pêcheurs artisans et peuvent évaluer l'impact d'une mesure sur leurs activités de pêche et sur leurs moyens d'existence.

2.3. Comment sont organisés et représentés les pêcheurs?

2.3.1 Les points principaux de cette section

Des groupes de pêcheurs artisans locaux et nationaux et leurs leaders, avec lesquels le gouvernement travaille, peuvent collaborer pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence mais il est important de connaître exactement les personnes qu'ils représentent.

2.3.2 Les associations de pêcheurs au niveau communautaire

L'existence d'associations de pêcheurs et d'une autorité locale constitue les atouts humains forts des communautés de pêcheurs, bien qu'il existe des variations dans chaque communauté.

Au niveau des lieux de débarquement ou des communautés de pêche, il existe des associations de pêche qui réunissent les armateurs ou les équipages engagés dans un certain type de pêche. Par exemple, une des études sur les communautés qui sera analysée ultérieurement (voir section 4.1), Kayar au Sénégal, possède un Comité de pêche qui a pour membres les propriétaires de pirogues pratiquant la pêche à ligne. Cette même communauté dispose également d'une Commission des sennes tournantes qui regroupe entre 15 et 20 armateurs de pirogues pratiquant la pêche à la senne tournante. Ces associations semblent bénéficier d'avantages économiques tout en régulant les activités de pêche. Un exemple est la limitation des captures par le groupe afin de créer la «rareté» d'une certaine espèce sur le marché local, et d'augmenter ainsi le prix que les membres du groupe reçoivent pour cette espèce. En plus de ces avantages économiques, ces pêcheries ou associations à but économique semblent avoir des avantages sociaux tels que la recherche et le sauvetage en mer, et une sorte de sécurité sociale[19] pour la famille en cas d'accident ou de décès d'un des membres de l'équipage. Ainsi, l'appartenance à ce type d'association est une stratégie importante de moyens d'existence. Il faut souligner cependant que les leaders et les membres de ces associations sont souvent des armateurs de navires et des personnes influentes dans la communauté qui ne sont pas accessibles aux groupes de pêcheurs les plus vulnérables. Les migrants, par exemple, ne font généralement pas partie de ces groupes, ou ont leurs propres groupes. Les rapports des pays semblent indiquer que les associations économiques centrées sur la pêche donnent l'impression de bien fonctionner comparées à d'autres types d'associations.

Les femmes traitant le poisson et les marchandes possèdent des associations semblables basées sur des activités économiques surtout pour des crédits et des épargnes. Les associations se présentent sous différentes formes. Elles concernent généralement des personnes qui mettent une somme d'argent dans le groupe à intervalle régulier, et une personne qui collecte la somme totale à tour de rôle. Le système est basé sur la connaissance de la personnalité de chacun des membres du groupe, la confiance mutuelle et la pression du groupe pour une participation honnête. Cela explique qu'elles soient essentiellement composées de femmes d'un certain âge ayant une certaine expérience et un certain rang social, plutôt que de jeunes femmes débutant juste dans le commerce du poisson. Ces associations d'épargne et de crédit semblent elles aussi bien fonctionner.

Troisièmement, les rapports des pays indiquent une grande variété de réseaux et d'associations basées, entre autres, sur des groupes du même âge ou sur d'autres groupes sociaux ou culturels ou encore sur des questions précises. Bien que pas toujours directement liées à la pêche, leurs activités offrent des avantages aux moyens d'existence des pêcheurs. Les groupes du même âge aident par exemple, à financer et à organiser les évènements sociaux coûteux comme les naissances, les funérailles et les mariages. A nouveau, ces associations sociales ou culturelles aident à réduire l'impact des chocs sur les familles et les individus. Faire partie d'un tel groupe est une stratégie importante de moyens d'existence.

Alors que les associations décrites ci-dessus ont tendance à être une initiative communautaire, un quatrième type d'associations a souvent été promu par les projets, les organisations non-gouvernementales (ONG) et les administrations de pêche (qui ne travaillent pas avec les particuliers). Il s'agit des coopératives, ou des groupes socio-professionnels similaires. Les associations facilitent la distribution des intrants pêche par les projets, et de crédits[20] aux pêcheurs artisans, transformatrices et commerçantes. Une fois encore, elles ont tendance à être des associations séparées d'hommes et de femmes. Excepté pour la distribution des intrants pêche, les avantages offerts par les associations socio-professionnelles comprennent un apprentissage mutuel, une augmentation de la crédibilité professionnelle parmi les collègues, et de nouveau des activités de recherche et de sauvetage. Dans les associations de femmes, des formations sont proposées sur des sujets tels que la création de petites entreprises artisanales, l'alphabétisation et une initiation au calcul, etc. Certaines associations font partie d'un réseau national plus grand afin d'assurer une représentation nationale des intérêts.

Ce type d'association reste cependant fragile, surtout chez les hommes, à cause du manque de suivi des contributions financières, d'une faible présence aux réunions, une comptabilité médiocre, etc. Seulement quelques individus semblent en profiter, et les autres adhérents se désintéressent. Parmi les ONG et autres travaillant dans les communautés de pêcheurs, les coopératives de pêche sont connues pour leur absence de cohésion de groupe, et sont réputées pour leurs faibles remboursements de crédits. Les associations de femmes, c'est-à-dire celles spécialisées dans la transformation et le commerce du poisson, sont de loin bien plus performantes. Deux raisons expliquent cette différence de performance entre les groupes de femmes et d'hommes. Tout d'abord, cela est en partie dû aux caractéristiques de la transformation et du commerce du poisson, si on les compare à la pêche. Les sommes investies dans le premier sont moins importantes, les périodes de remboursement sont plus courtes et tombent généralement pendant la saison de pêche, la pression du groupe étant forte et entraînant des taux de remboursement élevés. Les armateurs, eux, ont besoin de sommes d'argent importantes pour investir dans les pirogues et les équipements, qu'ils ne rembourseront qu'après une longue période de temps et ils ne subissent aucune pression sociale. La seconde raison est que les associations de femmes soutenues par les projets ressemblent aux groupes de crédit et d'épargne auxquels les femmes sont déjà habituées. Les associations d'hommes ne sont généralement pas basées sur des associations préexistantes.

Il y a bien sûr des collaborations, des rivalités et des difficultés au sein des associations et entre les associations mentionnées ci-dessus, étant donné que chacune représente les intérêts d'un groupe social, économique ou professionnel (ou leader). Par exemple, plusieurs entretiens ont soulevé le fait que la jeune génération essaie d'éviter d'être sous l'influence des anciens en émigrant ou en formant des associations et des groupes d'intérêts séparés.

Il reste la question des groupes et des intérêts qui sont représentés par l'intermédiaire de ces associations locales, telles que celles présentées ci-dessus. Les groupes les plus pauvres, les femmes et les jeunes hommes, semblent être sous-représentés, ou pas représentés du tout. Là où ils sont représentés, il se peut que le fait d'exprimer leurs opinions, ou leurs désaccords, à l'occasion de rencontres, ou en présence d'un ancien ou de personnes influentes ne soient pas acceptable d'un point de vue culturel. Par exemple, un responsable des pêches a remarqué qu'à l'occasion des réunions du comité de la gestion communautaire au Ghana, les femmes du groupe ethnique Ewe (de la région de la Volta) ne parlent pas, alors que les femmes des communautés Fante le font. Une autre question intéressante, mais sans réponse, au sujet des associations socio-professionnelles est, les aides visant à fournir les intrants afin d'augmenter la production ne sont-elles pas, dans une certaine mesure, contraires à la gestion des pêches et aux objectifs de moyens d'existence durables qui visent à éviter une surpêche?

2.3.3 Le chef des pêcheurs au niveau communautaire

Le terrain et les quatre rapports par pays indiquent combien toutes ces associations dépendent d'un dirigeant fort. La réputation, la personnalité et l'enthousiasme du président de l'association (ou une autre personne clé) sont essentiels au bon fonctionnement de l'association.

Excepté pour les chefs au niveau des associations au sein de la communauté (comme ci-dessus) il y a, de manière générale, des leaders spécifiques ou des chefs au niveau de la communauté. Ils s'occupent des problèmes sociaux ou techniques liés à la pêche. Ils sont soutenus par le Conseil des anciens ou les représentants des différents groupes d'intérêts. Ils règlent les disputes internes, s'assurent que les activités de débarquement se déroulent bien, dirigent des cérémonies religieuses ou autres, et prennent parfois en main des activités de développement de la communauté. Les migrants doivent demander une autorisation aux chefs pour utiliser le lieu de débarquement de la communauté et donner une partie de leurs captures en guise de tribut ou de taxe. L'encadré ci-dessous donne un exemple du Ghana.

LE CHEF DES PÊCHEURS ET LE CONSEIL DES ANCIENS AU GHANA

Au Ghana, chaque village de pêcheurs ou lieu de débarquement a un chef des pêcheurs. Il est responsable des affaires concernant la pêche au niveau communautaire, ou du lieu de débarquement (dans le cas des communautés ayant plus d'un lieu de débarquement) et représente les pêcheurs locaux de l'association des pêcheurs au niveau national. Il travaille avec le Conseil des anciens qui représente les groupes de descendance et/ou les représentants du groupe des équipements. Il se peut qu'il doive rendre compte aux leaders des autres communautés mais dans certains cas il n'a pas à le faire. Les chefs des pêcheurs sont élus, mais généralement sont issus d'un certain clan ou d'une famille. Les femmes transformatrices de poisson et commerçantes ont un chef et une organisation analogue.

Bien que les trois autres pays n'aient pas de système de «chef des pêcheurs», il semble y avoir des positions semblables. Mais il y a aussi des leaders locaux qui ne sont pas dans la pêche. Pour reprendre l'exemple du Ghana, le chef des pêcheurs est l'un parmi d'autres chefs: un chef de village, le chef suprême, et ainsi de suite. Ils ont chacun leur rôle et leur fonction. La personne qui est en haut de la hiérarchie décisionnaire de la communauté varie selon les régions et les pays, parfois une personne a plusieurs rôles. Les luttes pour le pouvoir entre les chefs peuvent avoir une influence considérable sur la gestion des pêches. Là où les mesures de gestion sont perçues comme un moyen d'améliorer la position du chef des pêcheurs (ou homologue), les mesures de gestion peuvent compter sur le soutien du chef des pêcheurs, mais peut-être aussi sur les protestations d'un rival. D'autres chefs des pêcheurs (ou homologues) craindront que les mesures de gestion ternissent leur pouvoir et ne veulent pas s'en mêler. Certains chefs des pêcheurs ont des difficultés avec les conseils de district, une structure relativement récente avec laquelle ils ne devaient pas traiter (ou qui n'intervenait pas dans leurs décisions) auparavant.

Les autorités locales et administrations des pêches collaborent avec les associations communautaires et les leaders pour ce qui concerne les problèmes liés à la gestion des pêches. Les études de cas de Tema, Mumford et Egyan (Ghana) et, jusqu'à un certain degré, Kayar (Sénégal) qui seront analysées ultérieurement, le montrent bien (voir section 4.2). Il y a des occasions où les chefs des pêcheurs sont par la même occasion les représentants (locaux) du gouvernement. Pour reprendre l'exemple du Ghana, un chef des pêcheurs peut être un membre de l'Assemblée du district. Ces leaders sont dans la position de pouvoir représenter les intérêts des pêcheurs auprès du gouvernement et les intérêts du gouvernement auprès des pêcheurs. Il arrive que les intérêts politiques soient en conflit avec les intérêts de la pêche. En plus, il se peut qu'un chef soit conscient de la situation ou ait intérêt à assurer les bénéfices d'un groupe au détriment d'un autre.

2.3.4 Organisation et représentation au niveau national

Des informations ont été collectées sur les associations nationales de pêcheurs et les ONG actives dans la pêche au Sénégal et au Ghana. Les objectifs des associations de pêcheurs et des ONG sont similaires, dans le sens où ils soutiennent la représentation des pêcheurs et une amélioration des moyens d'existence dans la pêche. Les activités consistent principalement à soutenir les coopératives des communautés de pêche et à fournir des intrants, tels que des crédits, des équipements de pêche et de l'expertise pour ces groupes.

L'adhésion à une association de pêcheurs artisans varie. Les membres de la principale association au Ghana, le Ghanaian National Canoe Fisherman's Council (GNCFC), sont des chefs de pêcheurs. L'adhésion est automatique. Le chef des pêcheurs représente les pêcheurs de sa communauté, ou leurs lieux de débarquement. Au Sénégal, le CNPS[21] a des adhérents individuels, tandis que les membres du FENAGIE's[22] sont des groupes d'intérêt économique (par exemple les coopératives de pêche et les associations) au niveau local. Généralement, il n'est pas clair de savoir si et comment, les intérêts des différentes catégories de pêcheurs artisans sont représentés par les associations de pêcheurs: il ne semble pas y avoir de distinction entre ceux qui utilisent différents types d'engins, les armateurs et les équipages, les migrants et les résidents, etc. Cependant, il y a souvent des activités différentes pour les hommes et les femmes, et les jeunes et anciens pêcheurs. Les ONG se composent d'un nombre de personnes limité qui ont ou n'ont pas une expérience de pêche, mais ayant déjà travaillé pour l'administration des pêches.

Les individus commencent généralement une ONG spécialisée dans les activités de pêche avec des expériences professionnelles très diverses, comme celles des agents de développement ou du personnel de l'administration gouvernementale. Chacune des trois associations de pêche interviewées au court d'une visite sur le terrain avait une origine différente:

Les origines à la fois des associations nationales de pêcheurs et des ONG au Sénégal et au Ghana datent des années 1990, au moment où la situation politique et la pression des donateurs dans les pays respectifs ont fourni des conditions favorables. Au départ (vers la fin des années 1980 et au début des années 1990), les administrations des pêches étaient plutôt méfiantes à l'égard des ONG et des associations de pêcheurs, et de leurs implications politiques possibles dans le contexte d'un système politique à parti unique. Mais les relations se sont améliorées à mesure que les pays ont introduit les systèmes politiques à partis multiples. A présent, les administrations des pêches au Ghana et au Sénégal prennent des mesures pour augmenter les rôles des associations et des ONG dans la gestion des pêches.

Néanmoins, certains problèmes du passé persistent. Par exemple, il y a un certain degré de rivalité entre deux associations de pêcheurs au Sénégal, dû à d'anciennes querelles politiques entre l'ONG et l'administration des pêches. Les ONG, les associations de pêcheurs et les mêmes groupes d'ONG internationales et agences de coopération financent généralement l'administration des pêches. Les financements provenant des donateurs, qui autrefois circulaient via l'administration, sont désormais alloués en partie directement aux ONG et aux associations de pêcheurs lorsqu'elles peuvent bénéficier d'une collaboration.

Les ONG et les associations de pêcheurs jouent tous les deux un rôle très important pour la défense des moyens d'existence des pêcheurs, et la représentation de leurs intérêts. Mais reste à savoir quelles sont les personnes et les intérêts qu'ils défendent ou représentent. Par exemple, l'origine des ONG et des associations de pêcheurs indique que (certaines) ces organisations semblent être en fait plus proches à l'origine de l'administration des pêches que des pêcheurs. Cela a des implications positives et négatives. D'un côté, on se demande comment et jusqu'à quel point ils représentent les intérêts des (différents) groupes de pêcheurs. D'un autre côté, le fait d'avoir des relations avec le département des pêches peut mettre les personnes concernées dans une bonne position pour négocier et collaborer avec l'administration.

L'influence des donateurs pose également la question des intérêts qu'ils représentent. Les activités entreprises à la fois par les ONG et les associations de pêcheurs sont nécessairement influencées par la source de financement et les priorités de ceux qui les financent. Par exemple, au Sénégal, les priorités des donateurs et la réussite des activités de très haut niveau avec les femmes transformatrices et commerçantes ont encouragé les deux associations de pêcheurs artisans CNPS et FENAGIE à diriger l'attribution de crédits rotatifs vers ce groupe en particulier. Les donateurs peuvent influencer les activités de ceux qu'ils considèrent importants.

En termes de gestion des pêches, les associations de pêcheurs et les ONG remplissent un rôle quelque peu ambigu. Ils promeuvent la réduction de l'emploi ou de la pauvreté en augmentant la production, les crédits et les investissements dans le secteur des pêches. Par ailleurs, ils reconnaissent que le secteur a besoin d'être mieux géré et que les efforts de pêche doivent être diminués à cause de la sur-capitalisation. Tout comme les programmes d'aide aux intrants et aux crédits de la part des administrations des pêches, il ne semble pas y avoir de stratégie précise sur la manière de procéder pour gérer de tels objectifs apparemment conflictuels.

Au Ghana, il y a des contacts réguliers entre l'administration, les ONG et les associations de pêcheurs au sujet de la gestion des pêches. Il y a un projet de gestion communautaire de la pêche qui soutien le rôle du Chef des pêcheurs et son Conseil des anciens pour toutes les questions relatives à ce domaine. Mais l'association des pêcheurs ne semble pas avoir autant d'influence politique qu'au Sénégal. Le CNPS et le FENAGIE ont tous deux des contacts réguliers avec l'administration des pêches à propos de la gestion des pêches artisanales et des questions de développement, et ils participent aux discussions et réunions. Leur poids politique semble être dû à la taille et à l'importance du secteur des pêches, bien plus important qu'au Ghana.

2.3.5 Les implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

Ce qui vient d'être dit montre qu'un certain nombre d'atouts sociaux qui peuvent contribuer à la gestion des pêches existent déjà. Cela implique que le gouvernement et d'autres institutions peuvent s'appuyer sur ces atouts actuels dans les communautés de pêcheurs et au niveau national. Ils peuvent travailler en partenariat avec les associations de pêcheurs et les leaders.

Néanmoins, à cette occasion, il est important que ces institutions soient conscientes des intérêts que ces associations et ces chefs représentent et ne représentent pas. Les gouvernements devraient s'assurer que ceux qui ont des intérêts directs en termes de moyens d'existence, mais qui ne sont pas représentés au sein des associations «classiques», soient inclus dans les décisions concernant la gestion des pêches.

Il est également clair dans ce qui précède que les associations de pêcheurs et les chefs sont d'autant plus efficaces qu'ils ont des intérêts directs dans une activité, car cela a un impact sur leurs moyens d'existence. Ainsi, il n'est peut-être pas nécessaire de convier tous les pêcheurs d'une même région dans les discussions concernant certaines réglementations ou certains mécanismes de gestion des pêches, mais seulement ceux qui sont directement touchés. Il faudrait prendre soin de rechercher avec attention les groupes qui sont directement affectés.


[11] Chauveau, J-P., E. Jul-Larsen et C. Chaboud (éds.), 2001, présentent une analyse détaillée et une discussion sur les facteurs qui influencent le développement de la pêche piroguière en Afrique de l'Ouest.
[12] Les exemples sont les subventions sur le fuel et l'avitaillement, les investissements dans les infrastructures, et l'introduction de technologies nouvelles.
[13] Voir en annexe les principales causes d'accidents en mer à bord des pirogues pêchant en Afrique de l'Ouest comme décrit dans les quatre études de pays. Pour une révision globale ajournée du statut de la sécurité des pêcheurs et une évaluation des opportunités, contraintes et priorités pour action voir Petursdottir, Hannibalson et Turner, 2001.
[14] Voir aussi Allison et Ellis, 2001
[15] Gaspart et Platteau, 2000.
[16] Overaa, 1998.
[17] Overaa, 1998.
[18] Pour une description des aspects relatifs aux cultures des communautés de pêche, et pour les méthodologies de récolte des données, voir McGoodwin, 2001.
[19] Il peut s'agir d'une aide pour payer la facture du médecin ou de l'enterrement. Une partie des captures peut être destinée à la veuve et aux enfants d'un membre de l'équipage décédé. La part diminue au fil des années et s'arrête au bout de 5 ans par exemple.
[20] Cela soulève la question de savoir dans quelle mesure la fourniture d'intrants pour augmenter la production n'est pas contraire aux objectifs de la gestion des pêches pour des moyens d'existence durables, qui est d'éviter la surexploitation des zones de pêche. Voir aussi Allison et Ellis, 2001.
[21] Conseil national de pêcheurs du Sénégal.
[22] Fédération nationale de groupements d'intérêt économique.

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