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3. L'ADMINISTRATION ET LA GESTION DES PÊCHES


3.1. Comment l'administration des pêches est-elle organisée?

3.1.1 Les points principaux de cette section

La gestion des pêches et les approches participatives nécessitent des structures, des responsabilités et des actions claires, mais le rôle de l'administration devient de plus en plus flou.

3.1.2 La structure des départements des pêches nationaux

Au plus haut de la hiérarchie de l'organisation de l'administration des pêches, se trouve un ministère responsable de la gestion des pêches qui détermine les politiques, et émet les réglementations en matière de pêche. Il y a peu de temps encore, les ministères responsables de la pêche au Sénégal, en Mauritanie, en Guinée et au Ghana avaient aussi des responsabilités autres que celles liées à la pêche (par exemple au Ghana, la pêche était sous la responsabilité du Ministère de l'alimentation et de l'agriculture). Cependant, au moment du travail sur le terrain, chacun des quatre pays avait des ministères responsables pour les activités de pêche. Immédiatement après le ministère, les directions des pêches planifient et mettent en œuvre les activités de gestion et de développement des pêches. L'encadré sur la page suivante présente la structure organisationnelle du Ministère des pêches et de l'aquaculture en Guinée, selon le modèle présenté figurant dans le rapport sur la Guinée (rédigé début 2001).

Les directions des pêches ont normalement des représentations à des niveaux administratifs inférieurs. Les divisions qui peuvent être des directions indépendantes ou des sous-divisions de la direction existent généralement pour des tâches bien précises, telles que la recherche ou la surveillance.

Les ministères et autres structures administratives pour la pêche ont été soumis à de nombreux changements, soit en termes de fusion ou de séparation avec d'autres structures administratives pour la pêche, ou bien avec la création de nouvelles divisions. Bien que le but soit de faire un partage des tâches plus clair, le résultat est que cela les a souvent compliquées, surtout parce que les réorganisations se succèdent à intervalles proches. L'encadré ci-dessous donne un exemple d'une série de changements administratifs qui se sont déroulés au Ghana ces cinq dernières années.

LA STRUCTURE ORGANISATIONNELLE DU MINISTÈRE DES PÊCHES EN GUINÉE

LES CHANGEMENTS DANS L'ADMINISTRATION DES PÊCHES AU GHANA

Il y a quelques années, au Ghana, la Direction des pêches a fusionné avec le Ministère de l'alimentation et de l'agriculture (MOFA). Au même moment, un processus de décentralisation a commencé a être mis en place (voir section suivante). L'Administration des pêches a donc fait partie d'une mesure agricole plus vaste, et a vu ses tâches passer d'une autorité générale en matière de pêche à un soutien technique aux institutions décentralisées. Ainsi, le personnel doit désormais travailler sur des problématiques agricoles aussi bien que sur des problématiques de pêche. Alors qu'autrefois il travaillait avec les collègues de la Direction, il se retrouve maintenant seul dans les régions rurales sans soutien technique suffisant ni ressources financières pour faire son travail.

Mais ce ne sont pas les seuls changements. Un projet Banque mondiale-Gouvernement du Ghana sur le Renforcement des capacités des sous-secteurs de la pêche a débuté en 1996. Cela a entraîné des transformations dans la structure organisationnelle de la Direction des pêches. Une division de suivi, de contrôle et de surveillance (Division SCS) a été créée dans le processus. D'autres changements administratifs ont donné naissance à la Commission des pêches, en parallèle avec celles pour la forêt et d'autres ressources naturelles. Des comités d'arbitrage ont également été créés au niveau régional et national. La Division SCS, les comités d'arbitrage, et la Commission des pêches sont tous responsables pour gérer les conflits liés à la pêche, mais le partage des tâches entre eux n'est pas complètement défini.

Depuis la nomination du Ministre des pêches en février 2001, il semblerait que la pêche va à nouveau bénéficier d'une attention particulière, détachée des problèmes liés à l'agriculture. Cependant, il faut préciser que le ministre n'a pas de ministère.

Il n'est donc pas surprenant qu'au moment de la visite sur le terrain, l'organigramme de l'administration était flou, et en cours de révision.

Dans l'exemple ci-dessus, tant que l'organigramme et la structure de l'administration des pêches ne sont pas définis, les procédures de communication, les responsabilités et tout ce qui s'en suit resteront flous. Bien que des réorganisations soient nécessaires, le nombre et la fréquence des changements ont compliqué le travail de la gestion des pêches. L'exemple du Ghana est représentatif de la situation dans les quatre pays étudiés.

3.1.3 La décentralisation[23] et l'administration des pêches au niveau local

Etant donné que la décentralisation peut apporter un soutien au développement local ou aux mécanismes régionaux de gestion des pêches, il est important de décrire le processus en détail. Il faut garder à l'esprit que les processus de décentralisation en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée et au Ghana ne sont pas encore achevés.

Comme cela a été mentionné dans l'exemple du Ghana, les processus de décentralisation, ces dernières années, ont entraîné un changement dans les fonctions de l'Administration des pêches, qui sont passées d'une autorité générale en matière de pêche à une assistance technique aux institutions décentralisées. La relation entre les niveaux central, régional et local du gouvernement a donc changé. Souvent, cela signifie que le personnel des pêches ne peut plus agir indépendamment du personnel travaillant dans d'autres domaines. Il doit se référer à plusieurs chefs: au lieu d'être dirigé par la Direction des pêches au niveau national, les activités au jour le jour dépendent des décisions prises à des niveaux administratifs inférieurs, et sur les conseils de la Direction des pêches. Parfois, le personnel reçoit des instructions qui ne sont pas compatibles de la part des deux groupes.

Les processus de décentralisation ont été initiés pour donner plus de flexibilité aux employés travaillant aux niveaux inférieurs, et leur permettre de planifier et de mener à bien les activités avec les communautés de pêcheurs. Cependant, des fonds suffisants et du personnel ne vont pas encore de pair avec la décentralisation des responsabilités. De plus, les communications et les informations ne sont pas toujours transmises aux niveaux inférieurs, parce que les employés de l'Administration nationale des pêches ont peur de perdre leur influence et leur pouvoir de décision. A l'autre bout de la chaîne, les employés au niveau local ne savent pas à qui se référer pour demander du soutien technique, des fonds, ou la permission d'entreprendre une activité. Ces problèmes gênent les activités entreprises par les employés des pêches au niveau local.

Les problèmes cités ci-dessus sont d'autant plus compliqués là où le personnel local, décentralisé, se trouve sous la responsabilité d'organismes plus grands comme par exemple le Ministère de l'alimentation et de l'agriculture au Ghana. Là-bas, les administrations locales et leur personnel doivent être polyvalents, et s'occuper de tâches qui concernent la pêche, l'élevage, la production des récoltes et les forêts. Selon le personnel interviewé, cela fait qu'il y a souvent une ou plusieurs de ces tâches qui reçoivent moins d'attention qu'elles ne le devraient en fonction des capacités, du domaine d'expertise et des préférences du chef de l'administration locale. La pêche est le domaine par excellence qui reçoit le moins d'attention du fait que peu d'administrateurs locaux ont une expérience de la pêche, et que les problèmes liés à la pêche ne leurs sont pas familiers.

Ainsi, la décentralisation qui, en déléguant la planification et les activités au niveau local pourrait soutenir les activités de gestion locale et régionale des pêches a, dans certains cas un effet contraire. Aucune des administrations des pêches ne semble avoir d'antennes spécifiques qui puissent sensibiliser les pêcheurs aux problèmes de gestion des pêches ou leur montrer des alternatives en la matière. Le personnel local n'est pas dans une position qui lui permet de donner ou de faciliter ce qu'il souhaite aux associations des communautés et aux initiatives de gestion des pêches. Les structures locales sans expérience dans la pêche deviennent soudainement responsables pour cela dans leur région. Il est clair que cela devra changer si l'on veut arriver à la gestion d'une pêche responsable.

3.1.4 Autres institutions impliquées dans la gestion des pêches

Les descriptions ci-dessus se sont concentrées sur les instituts des pêches et leurs employés. Cependant, il arrive souvent que des instituts qui ne sont pas spécialisés dans la pêche soient impliqués dans des activités liées à la gestion de la pêche artisanale. Par exemple, la marine nationale, les forces de l'air, les autorités maritimes et portuaires et parfois les autorités du parc marin (voir étude de cas en Mauritanie, section 4.2.4) peuvent avoir des mandats pour protéger les eaux nationales, assurer la sécurité en mer, parer à l'utilisation d'engins pouvant détruire l'environnement, donner des licences, etc.

Lorsque des conflits concernant des questions liées à la pêche surgissent, un nombre encore plus grand d'institutions est généralement impliqué. Les autorités de gouvernement local, la police, les comités d'arbitrage et les tribunaux jouent un rôle dans la résolution des conflits et l'application de la loi. Pour compliquer les choses, les différentes institutions ont parfois des différends à propos de leurs mandats et de leur rôle dans les affaires concernant la pêche.

Comme cela paraîtra plus clair à la lumière des études de cas qui seront présentées plus tard dans ce rapport, la multitude des associations ayant des mandats qui se recoupent ou des différends entre eux, peut entraîner des procédures longues ou des périodes d'inactivité face à un incident. Parfois cela donne lieu à la corruption: les pêcheurs impliqués dans une dispute préfèrent avoir recours à des pots de vin plutôt que d'être pris dans des procédures légales floues et très longues, aux résultats incertains.

Comme les études de cas le montreront ultérieurement, ces institutions pourraient jouer un rôle important pour diminuer la vulnérabilité des pêcheurs en contrôlant les activités de pêche. Mais, dans la pratique, le résultat est que la vulnérabilité des pêcheurs augmente par manque de transparence et d'application régulière des réglementations de pêche.

3.1.5 Les implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

La description dans cette section montre qu'il y a un nombre de structures en place et de processus en cours qui pourraient favoriser la décentralisation de la gestion des pêches. Cependant, il existe un réel besoin de sensibilisation sur l'importance de la gestion des pêches et du renforcement des capacités sur les manières de procéder au niveau de la décentralisation. La Direction des pêches ainsi que les projets et programmes relatifs à ce secteur peuvent jouer un rôle important dans ce processus. Entreprendre des actions de sensibilisation et de renforcement des capacités, devrait permettre de cibler les décideurs et le personnel technique, surtout au niveau local et régional, et d'impliquer les employés au niveau local et national, ayant déjà une expérience en matière de pêche. Le fait de rassembler le personnel du niveau local et du niveau national ajouterait un avantage, car chaque groupe serait mieux à même de comprendre la position, le rôle et les conditions de l'autre groupe, et permettrait une même compréhension des objectifs et des mécanismes de gestion des pêches.

Une autre idée forte qui ressort de cette section est que la gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence, ne devrait pas se focaliser uniquement sur les pêcheurs qui devraient gérer leurs activités de pêche, mais aussi sur les institutions et les processus qui sont supposés les aider dans cette tâche. Dans ce domaine, les institutions des pêches pourraient identifier les possibilités permettant d'élaborer une communication, et une information, pour une gestion des pêches efficace. Cela devrait particulièrement être réalisé sur des problématiques qui incombent à plusieurs institutions différentes telles que l'application des lois et partout là où la collaboration est essentielle. Par exemple, les Directions des pêches pourraient analyser, en partenariat avec les institutions appropriées, l'origine des problèmes de coordination sur des questions telles que les licences, le contrôle d'accès, la gestion des conflits et la sécurité en mer, et envisager la meilleure façon d'améliorer les collaborations pour maximiser les chances de réussite.

Cependant, il paraît évident que dans certains cas, un changement d'attitude s'impose au sein des institutions[24], depuis l'autorité centrale dans certains domaines à tous ceux qui offrent des services (identiques) pour les pêcheurs et d'autres acteurs. Il arrive que les employés des pêches au niveau national aient le sentiment que la décentralisation signifie qu'ils perdent du pouvoir et de l'importance. Mais dans un système décentralisé, la coordination et le soutien sur le plan national aux niveaux décentralisés sont des tâches essentielles au bon fonctionnement du système. De plus, certaines tâches administratives, qui auparavant étaient lourdes pour les employés au niveau national, sont effectuées aux niveaux décentralisés, ce qui facilite le travail d'autrefois. Le personnel décentralisé reçoit le surplus de travail administratif, mais devrait aussi recevoir plus de liberté afin de planifier et d'agir localement. Les deux groupes peuvent donc tirer profit de la décentralisation. Les institutions des pêches pourraient organiser des voyages d'études, encourager la collecte des meilleures méthodes, et organiser des ateliers de travail sur des points spécifiques pour le personnel des pêches, ce qui leur permettrait d'échanger des expériences et de trouver des solutions permettant d'améliorer leur travail.

3.2. Quels sont les mécanismes actuels pour une collaboration?

3.2.1 Les points principaux de cette section

Les pêcheurs ont souvent un rôle consultatif dans la gestion des pêches officielle, bien que leur contribution réelle soit plus large et pas toujours reconnue, surtout lors de la phase de mise en œuvre de la gestion des pêches.

3.2.2 Les mécanismes de consultation pour l'élaboration et la prise de décisions

Au cours de la phase de formulation des plans ou de la prise de décisions concernant la gestion des pêches, les associations de pêcheurs ont un rôle consultatif. Les rapports sur la Mauritanie, le Sénégal et le Ghana (la situation en Guinée n'est pas décrite) soulignent que cela se produit généralement par l'intermédiaire des conseils consultatifs. L'exemple de la Mauritanie est expliqué ci-dessous:

LES ENTITÉS CONSULTATIVES POUR LA FORMULATION DES POLITIQUES ET DES RÉGLEMENTATIONS EN MAURITANIE

En Mauritanie, les représentants des pêcheurs sont consultés avant les prises de décision sur les questions concernant la pêche, par l'intermédiaire du Conseil consultatif pour les pêches maritimes (CCPM) et la Fédération nationale des pêches (FNP). Ce dernier existe depuis 1989 et regroupe des représentants de l'administration, des associations professionnelles, l'Institut de recherche et le Parc national du Banc d'Arguin (PNBA) (une des études de cas). Le FNP a été créé en 1995, suite à la crise de la pêcherie de calamars, la plus importante pêcherie en termes de revenus et d'emplois. La fédération a pour tâche supplémentaire de faire connaître les nouvelles mesures et réglementations à ses membres.

Cet exemple montre que les conseils comprennent aussi des acteurs autres que les pêcheurs. En termes de nombre de pêcheurs dans les conseils, il est possible de donner deux exemples du Ghana. Le Conseil consultatif des pêches (CCP), fondé en 1991, se compose de 20 membres dont cinq représentent les intérêts des pêcheurs. La Commission des pêches, créée en 1993, regroupe 17 membres dont trois représentent les intérêts des pêcheurs. Les deux études de cas incluent les représentants des pêcheries artisanales et industrielles.

Finalement, au Sénégal, la loi sur la pêche de 1998[25] crée le Conseil consultatif national pour les pêches maritimes. Il pourvoit à la création des conseils consultatifs au niveau local. La création des conseils locaux est en cours (juillet 2001). Il est prévu que les membres du conseil local pour la pêche incluent des pêcheurs artisans individuels, des associations de pêcheurs artisans, des mareyeurs, des employés à la transformation du poisson et des représentants de l'administration locale. Ils devront conseiller le ministre responsable des pêches sur tous les problèmes concernant la pêche artisanale dans leur région et s'assurer que les pêcheurs artisans soient informés sur les mesures de conservation et de gestion.

Les rapports de pays pour la Mauritanie, le Sénégal et le Ghana ne spécifient pas les problèmes qui sont gérés par ces conseils: s'agirait-il d'identifier et de s'accorder sur les objectifs de la gestion des pêches, de formuler des plans de gestion, de déterminer des mécanismes appropriés, d'évaluer les impacts possibles d'une mesure ou sur un moyen de suivi, de contrôle et de surveillance ou de mise en œuvre, ou d'autres questions? La création des conseils locaux pour la pêche comme au Sénégal fait partie des processus de décentralisation décrits plus haut dans ce document. Cependant, il semblerait d'après la description qu'ils garderaient un rôle consultatif et de conseil, et qu'ils ne soient pas concernés par sa mise en œuvre.

Dans de nombreux cas, beaucoup de temps s'écoule entre le moment où une loi sur la pêche est élaborée, et le moment où elle est officiellement ratifiée et adoptée. Cela peut prendre des années. Par exemple, une nouvelle proposition de loi sur la pêche au Ghana, préparée quatre ans plus tôt, n'avait toujours pas été soumise au Parlement pour révision et ratification en juin 2001. Même lorsqu'elles sont votées, les lois sur la pêche ne sont pas souvent mises en œuvre ou pas de manière régulière, comme cela est clairement présenté dans les sections 3.2.3, 3.2.4 et 4.2.

3.2.3 La mise en œuvre

Les informations provenant des rapports de pays et des visites sur le terrain semblent indiquer que l'accent est mis sur les lois et les réglementations concernant la pêche, plutôt que sur les projets de pêche, les politiques en matière de pêche, et les stratégies de mise en œuvre.

La diversité des pêcheries artisanales et des groupes de pêcheurs artisans ne semble pas être prise en considération dans les projets, les politiques et les stratégies de mise en œuvre qui sont présentés dans les rapports actuels. La seule distinction qui est faite a tendance à différencier la pêche artisanale de la pêche industrielle. Les rapports de pays indiquent également que les documents ont tendance à être formulés dans le sens de la protection des stocks de poisson, de la mise en œuvre des mesures de suivi, de contrôle et de surveillance ou du développement des infrastructures (voir la section suivante et les études de cas, section 4) plutôt que sur la restriction à l'accès aux ressources ou sur d'autres mécanismes de gestion. Les intérêts concernant les moyens d'existence et les sources de revenus alternatives pour ceux étant victimes des mesures de gestion ne semblent pas apparaître dans ces documents. Si cela venait à se confirmer, ce serait une omission importante du point de vue d'une gestion des pêches basée sur le CCPR ou sur l'AMED.

Le projet Banque mondiale-Gouvernement du Ghana de renforcement des capacités des sous-secteurs de la pêche (1996-2001) - qui a créé une gestion communautaire de la pêche - est une exception à ce qui vient d'être dit. C'est l'une des rares initiatives officielles à impliquer les pêcheurs dans l'élaboration et dans la réelle mise en œuvre des mesures de gestion (plutôt que de décider à leur place), et il mérite pour cette raison une discussion plus approfondie dans cette section.

Le système de gestion communautaire des pêches, basé sur le concept du Chef des pêcheurs et du Conseil des anciens, élargit ce concept en essayant d'inclure d'autres groupes d'acteurs comme les personnes en charge de la transformation du poisson, les marchands, les groupes de migrants et les membres les plus pauvres de la communauté de pêche. Les fonctions des Comités de gestion communautaire de la pêche (CGCP) qui en résultent sont de préparer et de mettre en vigueur les mesures de conservation et de gestion pour les activités de pêche. Elles sont destinées à contrôler les engins de pêche et l'accès à la pêche dans les zones côtières attenantes aux communautés. De telles mesures sont rédigées en tant qu'arrêtés, et soumises à l'assemblée du district local pour révision et adoption. Dans la région centrale surtout, un certain nombre de ces arrêtés ont déjà été adoptés par les assemblées de district et sont donc officiellement reconnus. Cela contribue à renforcer les systèmes et les mesures locales de gestion des pêches.

A ce jour, le succès du programme varie. Les efforts se sont concentrés sur la région centre, et c'est là que la plupart des CGCP ont été formés. L'étude de cas de la communauté de Mumford a joué un rôle important dans la promotion et le soutien du projet au moyen de sensibilisation dans la région, et d'activités de connaissance de groupe. Les employés de la Direction des pêches estiment que 50 pour cent des CGCP de la région centre fonctionnent bien. Les autres ont des problèmes liés aux jeux de pouvoir à propos des CGCP, ou des chefs des pêcheurs qui ont le sentiment que le projet pourrait nuire à leur influence. Dans le reste du pays, la sensibilisation des objectifs du projet est moins importante. Moins d'efforts ont été investis dans la création de CGCP, et les assemblées de district sont plus réticentes à voter des arrêtés dont le but leur paraît flou et de peur que ces arrêtés les obligent à donner ce qu'ils n'ont pas. Le projet est en cours de révision pour une prolongation (cinq années de plus), mais le fait qu'il dépende d'une seule source de financement rend son existence incertaine et donc fragilise l'ensemble du système.

Il y a également un nombre de questions légales. Tout d'abord, il ne semble pas que les CGCP soient établis officiellement: par exemple, la loi sur la pêche (qui n'est pas encore votée) ne mentionne pas l'existence de ces entités. Il en résulte que les fonctions et la constitution de ces comités ne sont pas encore définies officiellement, ce qui entraîne des problèmes de mise en vigueur comme le montreront les études de cas. Deuxièmement, l'importance de la juridiction territoriale des arrêtés de la pêche locale est incertaine. Bien qu'ils puissent contrôler les problèmes de pêche dans les ports, au sein des associations de pêcheurs, dans les criées, sur les lieux de débarquement etc., en principe, la juridiction du district (et de la communauté) ne s'étend pas à la zone maritime. La question est alors: ont-ils l'autorité nécessaire pour contrôler les affaires en mer? Troisièmement, la nature légale des décisions prises par les CGCP doit être clarifiée. En pratique, il semble que certaines décisions prises par les CGCP soient de simples recommandations (par exemple, des propositions d'arrêtés sur la pêche), tandis que d'autres sont des obligations (par exemple, la «condamnation» à l'occasion de la résolution d'une querelle). Quatrièmement, chaque arrêté voté par l'assemblée de district doit être soumise pour approbation ou rejet au ministre responsable du gouvernement local. En pratique, cette procédure n'est pas toujours respectée. Il n'est donc pas certain que les arrêtés sur la pêche du CGCP soient compatibles avec les lois et réglementations sur la pêche (et autres). Ces problèmes devront être résolus si les CGCP fonctionnent à long terme.

Néanmoins, l'utilisation des structures locales actuelles pour une gestion officielle des pêches semble être exceptionnelle dans la gestion des pêches maritimes au sein des quatre pays[26]. En dépit des questions qu'il reste à résoudre, il y a plusieurs leçons à tirer de cette expérience. Les conseils locaux au Sénégal, par exemple, peuvent tirer profit de certaines expériences des CGCP.

3.2.4 Le suivi, le contrôle et la surveillance

L'accent répété sur les lois sur la pêche et les réglementations a pour conséquence une gestion des pêches dans les quatre pays axée sur le contrôle et l'application des lois sur la pêche plutôt que sur la mise en œuvre des politiques.

Le travail qui consiste à s'assurer que les réglementations et les lois sur la pêche soient respectées est connu sous le terme générique de suivi, contrôle et surveillance (SCS). Les Unités de recherche marine ont souvent une tâche de suivi et doivent conseiller le ministre sur les politiques. Des divisions[27] spéciales de suivi, contrôle et surveillance (SCS) ont été établies durant les 10 dernières années, et sont responsables des opérations de surveillance en mer et parfois de contrôle à terre. Leur objectif est d'assurer que les lois et réglementations sur la pêche soient respectées par les navires de pêche sillonnant les eaux situées sous la souveraineté et la juridiction du pays concerné.

Au début, ces unités SCS étaient destinées exclusivement à la pêche industrielle mais elles concernent de plus en plus la pêche artisanale. Dans ces cas, la surveillance a pour objectif de maintenir les navires pratiquant la pêche industrielle hors de la zone côtière (définie par la loi) où le chalutage et d'autres pêches industrielles sont interdits. Le but de cette législation est de protéger les ressources marines mais les pêcheurs artisans et les administrateurs des pêches ont tendance à dire qu'il faut éloigner les navires pratiquant la pêche industrielle de la «zone de pêche artisanale». Bien que le SCS soit seulement une partie du processus de gestion des pêches, il semblerait, d'après les rapports de pays et les entretiens, qu'il soit souvent synonyme de gestion des pêches.

Bien que cela ne soit pas officiellement promu, ou reconnu par la loi, en pratique les communautés de pêcheurs artisans sont impliquées dans les activités de SCS. Dans les études de cas, les communautés comme Kayar (Sénégal) et Mumford (Ghana) assistent l'Administration des pêches dans la collecte de données de capture sur les lieux de débarquement pour le suivi. A Mumford et Egyan (une autre étude villageoise au Ghana), on contrôle si la taille des mailles des filets est conforme aux réglementations locales et nationales. Des unités de SCS officielles ont tendance à donner avec retenue aux pêcheurs artisans un autre rôle que celui d'informateur. Néanmoins, dans la pratique, les pêcheurs artisans assistent les administrations des pêches locales en effectuant des opérations de surveillance dans la zone côtière, en prêtant leurs bateaux et en signalant les activités illégales.

3.2.5 Application de la loi et gestion des conflits[28]

En cas de non respect des lois sur la pêche, la justice et d'autres institutions peuvent être impliquées dans les poursuites et l'application des sanctions. Cet aspect reste cependant faible et négligé dans la gestion des pêches en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée et au Ghana. Un domaine important en matière d'application (formelle ou informelle) des réglementations sur la pêche est la gestion des conflits. Les pêcheurs artisans sont activement impliqués dans ce type d'application au niveau local.

Les conflits surgissent entre les pirogues artisanales autant qu'entre les pirogues et les navires pratiquant la pêche industrielle. Ils sont généralement liés à des accidents en mer, des avaries de matériel, des problèmes de sécurité en mer, l'utilisation de certains engins (illégaux) et à l'incursion des navires pratiquant la pêche industrielle dans la «zone de pêche artisanale». Ces problèmes sont aussi abordés dans les lois et réglementations officielles. Cependant, les pêcheurs essaient d'abord de régler les conflits au niveau local par l'intermédiaire de systèmes traditionnels comme le Chef des pêcheurs et le Conseil des anciens.

Si la dispute ne peut pas être réglée au niveau local, ou si le conflit concerne des blessures ou la mort, les autorités en sont informées. A ce moment là, le règlement de conflit devient un procès long et peu satisfaisant pour les pêcheurs artisans. Le procès se passe ainsi: une fois que l'accident a été enregistré et qu'un rapport a été fait au niveau local, celui-ci est soumis au niveau national, où l'on ne connaît pas toujours la personne susceptible de pouvoir le régler, ou d'appliquer les règlements: le problème n'est donc généralement pas résolu. Cela est évident dans l'exemple guinéen présenté dans l'encadré ci-dessous:

LES PRATIQUES DE RÈGLEMENT DES CONFLITS EN GUINÉE

En Guinée, les pratiques de règlement des conflits sont plutôt confuses du fait qu'il y a trois organisations gouvernementales qui revendiquent cette responsabilité: la Direction nationale des pêches (DNPM); le Centre national pour la surveillance et la protection de la pêche (CNSP); et l'Agence de la navigation maritime nationale (ANAM).

La DNPM pense qu'elle a l'autorité de régler les conflits parce qu'elle est responsable de la gestion des pêches artisanales et industrielles. Le CNSP est d'avis que les conflits surgissent par manque de respect des règles de pêche et le respect de ces dernières est leur responsabilité. L'ANAM, responsable pour la sécurité dans les eaux maritimes et les eaux douces soutient que les conflits sont souvent causés par des accidents et qu'il s'agit donc de problèmes de sécurité. Pour compliquer le tout, ces institutions n'entretiennent pas de bonnes relations entre elles. Il est donc improbable qu'une institution en contacte une autre pour lui demander de collaborer sur un cas. Le résultat est que la plupart des cas restent sans suite. Il n'y a pas de règlement et la victime n'obtient aucune indemnité. Même là où il y a des règlements, ils ne sont pas agencés de manière légale, donc l'exécution des sanctions n'est pas assurée.

Ce problème en matière de règlement des conflits, et le manque de clarté à propos des mandats et des responsabilités, est un thème récurrent dans les études de cas et lors des visites sur le terrain. Cela traduit le fait que les lois et réglementations de la pêche ne sont pas appliquées de manière efficace, ce qui n'encourage guère les acteurs à les respecter.

En réponse à cela, les pêcheurs artisans et les administrations des pêches tentent de mettre en place des mécanismes de résolution des conflits alternatifs. L'encadré ci-dessous est à nouveau un exemple en Guinée.

MÉCANISMES DE RÉSOLUTION DES CONFLITS ALTERNATIFS EN GUINÉE

Parallèlement aux trois options de règlements mentionnées ci-dessus, une association de pêcheurs du nom d'ANOPECHE a des représentants à la fois de la pêche artisanale et de la pêche industrielle. Elle est donc dans une position favorable pour tenter de résoudre des conflits entre les membres de cette association. Les pêcheurs interviewés préfèrent cette option car le processus de règlement est plus rapide et plus efficace que de porter l'affaire devant les organisations officielles ou la justice. Malheureusement, ANOPECHE peut seulement régler les différends qui se produisent parmi ses membres et quelques armateurs de navires pratiquant la pêche industrielle ainsi que les capitaines qui adhèrent à l'association.

Au Sénégal, la Loi sur la pêche de 1998[29] qui crée les conseils locaux stipule que, en plus de la consultation et de l'élaboration, les conseils locaux aideront les pêcheurs à s'organiser entre eux afin de minimiser les conflits entre les communautés de pêcheurs et les utilisateurs des différents types d'engins, et qu'ils participeront aux opérations de suivi et de contrôle (telles que décrites dans la section 3.2.2).

L'encadré sur l'Administration des pêches au Ghana, dans la section 3.1 fait déjà allusion aux Comités d'arbitrage qui impliquent un chef des pêcheurs, des membres de l'Institut de la recherche sur la pêche et d'autres acteurs. Autrement, ceux qui ont le sentiment d'être victimes d'un conflit peuvent s'adresser à la Commission des pêches ou au Directeur des pêches pour que leur cas soit entendu. Mais le problème de ne pas avoir de soutien légal qui assure l'application des sanctions reste la principale faiblesse avec toutes ces alternatives.

Ce manque d'application devra être abordé par les gouvernements nationaux si l'on souhaite que les mesures de gestion des pêches soient prises au sérieux par les acteurs. La création d'entités locales de gestion des pêches attirera peut-être l'attention sur ce problème, et entraînera la reconnaissance légale de la participation des pêcheurs artisans dans les activités de SCS, ce qui renforcera alors leur rôle dans la gestion des pêcheries côtières.

3.2.6 Les implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

La description dans cette section indique que les pêcheurs sont déjà impliqués dans la gestion officielle des pêches, et que cette participation augmente. Les institutions des pêches pourraient améliorer cela davantage en prenant garde que les différents groupes de pêcheurs soient représentés dans ces processus officiels. La reconnaissance officielle du rôle déjà joué par les pêcheurs dans la gestion des pêches est importante de manière à ce que la participation croissante puisse se construire sur ce qui existe déjà.

De plus, les pêcheurs et les employés du gouvernement à différents niveaux pourraient être informés des différents types de participation qui existent (par exemple, la cœrcition, la persuasion, l'information, la consultation, le partage des prises de décisions ou la catalyse des décisions du groupe[30]). De cette manière, ils pourraient se mettre d'accord sur le niveau de participation requis pour un certain processus et un certain moment. Des recherches sur des formes de participation différentes et plus accessibles (ou plus appropriées sur le plan culturel) devraient être menées (par exemple via les conseils, les votes, les sous-groupes, en prenant part à des missions de surveillance, etc.). Les groupes de pêcheurs participeront correctement et d'une manière appropriée dans un contexte donné à condition qu'ils soient directement intéressés. Ce n'est qu'alors qu'ils seront en mesure de proposer des mécanismes de gestion des pêches pratiques pour leurs moyens d'existence[31].

Pour qu'une participation qui ait du sens se produise, il est également important que tous les groupes qui participent aient un accès illimité aux informations de qualité et d'actualité. Encore une fois, les institutions pertinentes pourraient travailler avec des pays partenaires pour améliorer l'information qui est fournie par le gouvernement (et les institutions) aux pêcheurs et inversement. Les programmes de radio, la transmission de l'information par l'intermédiaire de personnes clés, et les organisations comme les associations de pêcheurs, le chef des pêcheurs, les administrateurs locaux et des visites régulières de l'administrateur des pêches sur le terrain pour parler avec les pêcheurs, sont des suggestions sur la manière dont cela peut être réalisé.

Dans le processus de gestion des pêches, les institutions des pêches pourraient mettre davantage l'accent sur la formulation des objectifs, les politiques, la mise en vigueur et l'application d'une manière participative, en insistant sur les aspects des moyens d'existence. Cela rendra certainement la gestion des pêches plus pertinente pour les moyens d'existence des pêcheurs, et la rendra plus efficace.

3.3. Quelles sont les règles qui contrôlent la pêche artisanale?

3.3.1 Les points principaux de cette section

Les contraintes en gestion des pêches consistent en l'équilibre des objectifs de durabilité biologique et des moyens d'existence dans les systèmes formels et informels ainsi que la mise en œuvre et l'application des réglementations officielles en matière de gestion des pêches.

3.3.2 Les règles d'une communauté locale: la loi informelle

Au niveau local, chaque communauté de pêche ou lieu de débarquement a ses propres règles et réglementations générales pour la pêche et les activités connexes. Bien que celles-ci varient d'une communauté à l'autre, il y a des tendances générales propres à une région ou à un pays. Les règles communes aux lieux de débarquement ghanéens se définissent ainsi:

En plus, le «Konkohene» - l'association des femmes mareyeuses de la communauté - a des règles à propos du barème des prix et du comportement à adopter sur la plage. Leur chef règle les disputes liées au commerce du poisson, représente les femmes dans les tractations qui adviennent chaque jour pour fixer les prix du poisson, surveille le nettoyage occasionnel des lieux de débarquement, et assure généralement une certaine discipline.

En cas de non respect ou de conflits à terre ou en mer, le Chef des pêcheurs et le Conseil des anciens, ou les associations de femmes, règleront la dispute. Les sanctions comprennent des amendes et, dans les pires cas, la confiscation du matériel, la mise à sec des pirogues ou l'interdiction d'utiliser le lieu de débarquement local (pour les marchands et les pêcheurs). Lorsque les conflits concernent des personnes originaires de communautés différentes, le règlement se fait dans la communauté où s'est produit le conflit, en présence du chef des pêcheurs de cette communauté et du chef des pêcheurs de la communauté d'où est originaire le pêcheur accusé.

Au Sénégal, les règles de base ont plutôt tendance à se produire à l'intérieur des groupes de pêche actifs sur le lieu de débarquement. Les exemples sont ceux du Comité de pêche et de la Commission de surveillance à Kayar qui seront discutés dans les études de cas. De telles règles consistent en:

La différence entre les deux types de mesures (au niveau communautaire général et au sein d'un groupe) est claire: les règles du groupe sont beaucoup plus spécifiques (parce que destinées à un type de pêche) que celles qui sont générales pour la communauté. Les règles du groupe, comme on le verra ultérieurement, sont pour la plupart motivées par l'économie, tandis que les règles générales communautaires couvrent principalement les problèmes liés à l'ordre social. Tout au plus, les règles générales communautaires renforcent les règles nationales sur les équipements interdits.

Les règles locales du groupe limitant l'accès aux ressources, comme ci-dessus, ou aux fonds de pêche sont rares (l'étude de cas d'Egyan est une exception). Cela est peut-être dû à la perception de la mer comme appartenant «à tous», parce qu'elles n'ont pas de sens excepté si les communautés voisines appliquent les même règles, ou simplement parce que les règles d'accès sont difficiles à appliquer au niveau local.

Au niveau national, un seul exemple d'association de pêche mettant en vigueur une règle de gestion des pêches a été rencontré. Le Conseil national ghanéen des pêcheurs à la pirogue est arrivé à réduire de beaucoup l'utilisation de la dynamite et du poison dans la pêche, en faisant prêter serment aux pêcheurs d'arrêter ces pratiques. Elle avait le pouvoir d'appliquer une telle règle parce qu'elle est le seul distributeur de fuel subventionné par le gouvernement pour les pêcheurs, et quiconque enfreint la règle ne sera plus approvisionné en fuel.

3.3.3 Les réglementations nationales et la loi officielle

Au moment de la recherche pour les rapports des pays, il n'y avait, en pratique, aucun plan de gestion des pêches en vigueur au Ghana et au Sénégal qui gérait les stocks de poisson, ou contrôlait les efforts de pêche. La situation n'est pas spécifiée dans les rapports sur la Mauritanie et la Guinée. Néanmoins, des documents légaux, au Ghana et au Sénégal spécifient que des plans de gestion des pêches doivent être faits, et précisent la procédure à suivre. Au Sénégal, la Loi sur la pêche de 1998 spécifie que des plans de gestion des pêches doivent être établis et révisés périodiquement, afin de permettre d'apporter les ajustements nécessaires. Au Ghana, un plan de gestion a été préparé dans le cadre du projet sur le renforcement des capacités, dans les sous-sections de la pêche, financé par la Banque mondiale. Au moment de la rédaction de ce rapport (juin 2001), le plan existe sous la forme d'un avant-projet[32].

Bien que le Sénégal n'ait pas de plan spécifique pour gérer ses stocks de poisson et les efforts de pêche, il dispose d'un Plan national pour les pêches maritimes (NPMF, 1998). La création au Sénégal de mécanismes de consultation mentionnés plus haut (le Conseil consultatif national pour les pêches maritimes et les conseils locaux pour les pêches maritimes) s'inscrit dans cet effort. Une autre activité est d'améliorer le système de surveillance et d'application. Par rapport au secteur des pêches artisanales, des mesures spécifiques destinées à développer les infrastructures des lieux de débarquement, notamment à Fass Boye et Kayar, ont été planifiées. Cela fait parti de la première phase du NPFM. La deuxième phase prévoit le déploiement de nouveaux atouts pour la surveillance, la mise en vigueur d'un système de suivi des bateaux par satellite et la réduction de l'effort de pêche exercé par les bateaux de pêche artisanale[33]. Le NPMF était en cours d'exécution en juin 2001.

Excepté pour le FSCBP et le NPMF, le Ghana et le Sénégal ont un nombre de règles et de réglementations de gestion qui s'appliquent à la pêche. Elles définissent:

La première réglementation classe les navires de pêche dans des catégories différentes, permettant à ceux qui font les politiques d'assujettir chaque catégorie à des régimes légaux distincts, en particulier en rapport à l'accès aux pêches. Au Sénégal, la définition d'un bateau de pêche artisanal est assez spécifique (voir l'exemple ci-dessous). Au Ghana, elle ne l'est pas autant, et il y aura vraisemblablement, à l'avenir, plus de confusion concernant les lois qui peuvent s'appliquer sur tel ou tel bateau.

DÉFINITION DE BATEAUX DE PÊCHE ARTISANALE, L'EXEMPLE DU SÉNÉGAL

Au Sénégal, le Décret No. 98-498 du 10 juin 1998 donne une définition précise du «bateau de pêche artisanale» basé sur trois critères distincts: la structure du bateau, le type d'engins de pêche utilisés à bord et les moyens de conservation des prises. En conséquence, tous les bateaux sans pont, équipés d'engins de pêches manuels, et utilisant de la glace ou du sel comme seul moyen de conservation des prises, sont qualifiés de «bateaux de pêche artisanale».

Inversement, tous les autres bateaux de pêche qui ne remplissent pas ces critères, sont considérés comme des bateaux pratiquant la pêche industrielle. En cas de doute, le ministre responsable pour la pêche maritime peut décider, lorsque cela est nécessaire, si un bateau est un bateau de pêche artisanale ou industrielle.

Le second groupe de réglementations, définissant le régime d'accès aux pêches, comprend les systèmes de licences, le marquage du bateau et les normes de sécurité en mer. Aujourd'hui, les pirogues artisanales ne font l'obligation d'aucune licence et ne sont pas obligées de respecter des normes de sécurité. Au Ghana, cela est une exigence de la loi (de 1991), mais qui n'a pas été exécutée. Si la nouvelle loi sur la pêche est votée, les assemblées nationales auront pour tâche d'enregistrer les pirogues qui opèrent dans cette région. Cela peut devenir un travail assez compliqué du fait que les pêcheurs migrent tout le long de la côte nationale, et même plus loin, ce qui signifie qu'un bateau devrait être enregistré plusieurs fois. Cela nécessitera du temps et le renforcement des capacités au niveau du district pour mener à bien cette tâche. Au Sénégal, pendant ce temps-là, le fait de soumettre la pêche artisanale à un système d'autorisation, donne lieu à un débat très controversé. Les pêcheurs ont peur que ce système serve à leur faire payer des taxes. Ils s'opposent donc aux licences et à toutes mesures semblables. Ils craignent aussi que leur nombre soit réduit à des fins de gestion des pêches. Et il y a certes des dispositions de réduction du nombre de bateaux de pêche artisanale dans les plans de gestion des pêches. Déjà, un bateau qui ne remplit pas certains critères de sécurité en mer, et de marquage, peut être interdit de pêche dans les eaux sénégalaises.

Le troisième groupe de mesures mentionné concerne les mesures de conservation et de gestion. Celles-ci contrôlent l'utilisation et les caractéristiques des engins de pêche, le marquage des équipements pour la visibilité, et la définition des zones de pêche. En ce qui concerne les équipements, les types et les tailles de mailles des filets sont généralement précisés. Les explosifs et les poisons destinés à la pêche sont interdits et la capture des juvéniles ou des poissons trop petits n'est pas autorisée. Pour des raisons de sécurité, les engins immergés à demeure, et les engins flottants à la dérive, doivent être clairement indiqués et disposer de marqueurs allumés la nuit. Enfin, la législation des pêches nationales définit une ou plusieurs des zones de pêche à l'intérieur desquelles certains engins, ou bateaux, ne sont pas autorisés à pêcher ou bien seulement à certains moments de l'année. Le plus important pour cette étude est ce qui est appelé la «zone de pêche artisanale», où le chalutage est interdit. Bien qu'elle ait été créée pour protéger les poissons juvéniles et pour empêcher les effets destructeurs des chalutiers sur l'environnement, les pêcheurs artisans la considèrent comme étant «leur zone». Au Sénégal, la zone s'étend à six (sept à certains endroits) milles nautiques au large à partir de la côte. Au Ghana, elle s'étend à 30 mètres de profondeur, et donc varie en distance à partir de la côte selon la région du pays.

Enfin, il existe des réglementations qui concernent les règlements de conflits. Bien qu'il y ait des mécanismes officiels qui semblent assez satisfaisants en théorie, ils n'ont pas été mis en vigueur dans la pratique. Au Sénégal, les nouveaux conseils locaux de pêche artisanale devraient renforcer les associations de pêcheurs, de manière à diminuer et à résoudre les conflits entre les communautés de pêcheurs et les pêcheurs utilisant différents engins. Une commission consultative pour la violation des pêches a été créée pour conseiller le ministre responsable des pêches maritimes sur ces questions qui ne cessent de s'aggraver. Mais le problème de la résolution de conflits pour régler les disputes entre les pêcheurs artisans et les pêcheurs industriels n'a pas été abordé directement. Au Ghana, il a déjà été dit que la Commission des pêches a l'autorité d'écouter et de régler les réclamations des personnes fâchées suite à des problèmes qui se sont produits, ou qui sont liés à des activités de pêche ou à l'industrie des pêches en général. Dans ce cas, la Commission des pêches nomme un Comité de décision des pêches. La Loi sur la pêche, qui n'a pas encore été votée, stipule que toute personne à bord d'un bateau de pêche motorisé, qui détruit ou endommage un engin de pêche convenablement marqué et utilisé pour la pêche artisanale dans les limites de la Zone économique, commet un délit. Cette personne est passible, sur preuve, d'une amende, tandis que le patron du navire ayant commit le délit est responsable de fournir (a) une compensation totale pour l'engin endommagé, en nature ou en espèce; et (b) une compensation adéquate pour le temps de pêche perdu des pêcheurs concernés. Cependant, la nature des décisions prises par le Comité n'est pas spécifiée. Il n'est donc pas clair si ces décisions sont prises en fonction des parties en cause. Les problèmes de manque d'application mentionnés plus haut dans le suivi, le contrôle, la surveillance et l'application vont donc vraisemblablement persister.

3.3.4 L'application des règles et des réglementations officielles

Les problèmes de conservation et de gestion sont souvent socialement et politiquement sensibles. Les objectifs de conservation des ressources et de gestion des réserves des plans de gestion des pêches deviennent un point de négociation lorsqu'ils sont appliqués aux réalités sociales, économiques et politiques des pêcheurs artisans. L'encadré ci-dessous donne un exemple des problèmes liés à l'application des tailles de mailles des filets autorisées.

LES CONSÉQUENCES SOCIALES DE LA MISE EN VIGUEUR DES LOIS CONCERNANT LA TAILLE DES MAILLES DES FILETS

Au Ghana, l'utilisation des mailles de taille inférieure à 25 mm dans l'étirement diagonal de la longueur est strictement interdite. Les pêcheurs artisans ont rejeté cette mesure sous prétexte qu'ils ne peuvent pas attraper les anchois adultes, qui est une activité légale. La plupart des sennes de plage ont des tailles de mailles plus petites et des milliers de pêcheurs et leurs familles dépendent de la senne de plage pour leurs revenus[34]. Au même moment, les pêcheurs d'eau douce se plaignent que la taille officielle du maillage rendrait la pêche impossible dans le lac Volta, parce que les espèces de poisson de lac sont plus petites que celles sur la côte. La mesure pourrait toucher un grand nombre de personnes pêchant dans le lac. Ainsi, l'application de la taille du maillage est socialement et politiquement, inacceptable. Il n'est donc pas surprenant qu'elle n'ait pas été appliquée avec plus de rigueur depuis le vote de la loi de 1991.

Des processus semblables se produisent pour le marquage des engins de pêche. Les pêcheurs artisans disent que les matériaux adéquats de marquage sont soit indisponibles, soit beaucoup trop chers. Ils ont tendance à marquer les engins passifs avec des bandes de tissu. Les capitaines des bateaux pratiquant la pêche industrielle se plaignent que ceux-ci ne sont pas visibles de loin, et encore moins la nuit, ce qui entraîne les préjudices des engins de pêche artisanale. Cela, à son tour, entraîne des conflits entre les deux groupes.

La situation est similaire pour la «zone de pêche artisanale». Cette zone n'est pas marquée, et les disputes ont tendance à être liées au fait de savoir si un bateau pratiquant la pêche industrielle est entré ou non dans la zone. Beaucoup d'incursions ont lieu la nuit, lorsqu'il est difficile d'identifier les bateaux. Les pêcheurs artisans prétendent que les chalutiers ont tellement surexploité ou détruit «la zone de pêche artisanale», qu'il ne reste plus de poisson pour eux. Leur solution est d'étendre la zone plus au large. Mais il est également vrai que les pêcheurs artisans ont surexploité eux-mêmes les réserves près de la côte, et qu'ils pêchent plus loin en mer. Là, les armateurs de navires industriels disent que les pêcheurs artisans provoquent des accidents parce qu'ils ne respectent pas les réglementations en matière de navigation, les normes de sécurité en mer et le marquage des bateaux et des engins. En fait, toute la discussion ne concerne pas tant les règles et réglementations en tant que telles (leur application actuelle est généralement faible, ou non-existante de toute façon), mais plutôt les droits d'accès aux ressources et aux fonds de pêche entre les différentes pêcheries.

3.3.5 Les implications pour une gestion des pêches centrée sur les moyens d'existence

Cette section montre que les règles et réglementations de gestion des pêches ont des objectifs soit sociaux et économiques (moyens d'existence) soit biologiques. Les organisations communautaires informelles ont généralement des objectifs sociaux et économiques alors que les institutions gouvernementales des pêches ont tendance à se concentrer sur les objectifs biologiques[35]. Il ne semble pas y avoir de processus d'identification de la diversité des objectifs dans la gestion des pêches, ni un processus de définition d'ordre de priorité, ou d'équilibre de ces objectifs. Les institutions des pêches pourraient travailler sur la construction d'un processus par l'intermédiaire duquel cela pourrait être fait.

Il semblerait qu'il n'y ait pas de système pour évaluer ou ajuster les effets souhaités, ou accomplis d'un certain ensemble d'objectifs. Pour citer un cas en particulier, dans l'exemple du Ghana, il semble y avoir eu peu, ou pas, de considération pour les effets de l'application de la loi sur les tailles minimum du maillage des filets et sur les moyens d'existence des pêcheurs. Les institutions des pêches devraient identifier, en accord avec les pêcheurs, quels sont les différents objectifs de la gestion des pêches, et de quelle manière ils pourraient être associés afin de remplir à la fois les objectifs de durabilité et de moyens d'existence. Dans les cas où cela n'est pas possible, des options pour des moyens d'existence alternatifs devraient être envisagées.

Il est également évident, dans cette section que les réglementations officielles des pêches ont peu d'effet si elles ne peuvent pas être appliquées. Cela montre que, lorsqu'on identifie des mécanismes de gestion des pêches, il est important d'évaluer comment l'application se déroulera, et le coût et l'efficacité que la mise en vigueur peut représenter. Ici, la collaboration avec les associations de pêcheurs existantes peut s'avérer être importante. Cela signifie que, pour encourager les associations de pêcheurs à collaborer à l'application des lois, le contrôle doit être directement en prise avec leurs intérêts et atteindre les objectifs de moyens d'existence, au même titre que les règles communautaires le sont.


[23] Voir aussi trois rapports du PMEDP (pour le Ghana, le Sénégal et un atelier de travail sous-régional, en 2001) sur les implications de la décentralisation des communautés de pêche, ainsi que d'autres questions relatives aux politiques, instituts et processus.
[24] Voir aussi Allison et Ellis, 2001.
[25] Loi No. 98-32 du 14 avril 1998 portant code de la pêche maritime.
[26] Il existe d'autres initiatives de gestion commune dans d'autres pays africains, voir par exemple Onyango, 2001 pour la Tanzanie et Hauck et Sowman, 2001 pour l'Afrique du Sud.
[27] Au Sénégal, il y a une direction séparée, appelée Direction pour la protection et la surveillance des pêches (DOPM). En Guinée-Conakry, une structure semblable est appelée le Centre national pour la surveillance et la protection (CNSP). Au Ghana, la loi sur la pêche de 1991 crée une division de suivi, de contrôle et de surveillance et d'application.
[28] Pour en savoir plus sur la gestion des conflits dans les pêches artisanales au Ghana et dans d'autres pays, voir Bennet et al., 2000 et Bennett et al., 2001.
[29] Loi No. 98-32 du 14 avril 1998 portant code de la pêche maritime.
[30] Ingles, Musch and Qwist-Hoffmann, 1999. The participatory process for supporting collaborative management of natural resources: an overview. FAO, Rome, 1999. 84p.
[31] Pour une discussion sur le rôle de la communauté et d'agents externes tels que les institutions gouvernementales et les projets pour la gestion des ressources dans la pêche artisanale, voir Degnbol dans Tvedten et Hersoug (éds.), 1992.
[32] L'avant-projet du plan de gestion n'a pas été rendu public lors de la mission. Il était donc impossible de déterminer s'il comprenait ou non des mesures spécifiques destinées aux activités de pêche artisanale.
[33] Au Sénégal, on estime que la pêche artisanale contribue à plus de 70 pour cent de la production annuelle totale.
[34] Le PMEDP a effectué des études sur la pêche aux sennes de plage au Ghana et ailleurs, voir PMEDP, 2001.
[35] Voir aussi Degnbol dans Tvedten et Hersoug (éds.), 1992.

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