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Chapitre deux - L’alimentation du monde


Le système alimentaire mondial: amélioration durable des disponibilités alimentaires

Entre le début des années 60 et la fin des années 90, le potentiel productif de l’agriculture mondiale a pu, en même temps que la population de la terre doublait, répondre à la croissance de la demande réelle. La figure 1 montre une correspondance entre le chiffre total des investissements en irrigation et drainage et le prix des aliments. Même avec le déclin constaté du prix des aliments, l’état nutritionnel de la population mondiale continue à s’améliorer. Il apparaît donc clairement que certains des premiers investissements réalisés dans l’agriculture ont été rentables et que la productivité a augmenté. L’apport de l’irrigation dans la nécessaire croissance de la production agricole est considérable. A l’heure actuelle, le problème de la production alimentaire est moins aigu, et l’on se préoccupe davantage de l’avenir de l’irrigation à grande échelle au regard de ses performances globales, et de la viabilité politique et institutionnelle du transfert de la gestion des périmètres irrigués publics aux usagers. Le fait qu’en général l’agriculture mondiale devient mieux à même de répondre à la demande va placer l’irrigation non structurelle et la réforme de la gestion de l’eau au premier plan. Ces questions seront traitées ultérieurement au cours de ce rapport.

Figure 1 Prix des aliments et investissements en irrigation et drainage

Cette figure montre une correspondance entre le chiffre total des investissements en irrigation et drainage et le prix des aliments. Les crédits pris en compte excluent ceux qui sont accordés à des agriculteurs privés par des banques commerciales. Il ne s’agit que des crédits accordés par la Banque mondiale.

Source: Thompson, 2001.

La consommation alimentaire par habitant exprimée en kcal/personne/jour sert d’indicateur de la ration alimentaire. L’évolution de la consommation alimentaire par habitant entre 1965 et 2030 est illustrée au tableau 2, élaboré à partir des données historiques et des prévisions de la FAO pour les années 2015 et 2030.

Tableau 2 Consommation alimentaire par habitant de 1965 à 2030 (kcal/personne/jour)


1965

1975

1985

1998

2015

2030

Monde

2 358

2 435

2 655

2 803

2 940

3 050

Pays en développement

2 054

2 152

2 450

2 681

2 850

2 980

Afrique sub-saharienne

2 058

2 079

2 057

2 195

2 360

2 540

Proche-Orient/Afrique du Nord

2 290

2 591

2 953

3 006

3 090

3 170

Amérique latine/Caraïbes

2 393

2 546

2 689

2 826

2 980

3 140

Asie du Sud

2 017

1 986

2 205

2 403

2 700

2 900

Asie de l’Est

1 957

2 105

2 559

2 921

3 060

3 190

Pays industrialisés

2 947

3 065

3 206

3 380

3 440

3 500

Pays en transition

3 222

3 385

3 379

2 906

3 060

3 180

Source: FAO, 2002.

La situation mondiale de la sécurité alimentaire est en constante amélioration puisque le niveau de la consommation alimentaire par habitant augmente régulièrement à l’échelle mondiale.

Figure 2 Consommation alimentaire par habitant de 1965 à 2030

Cette figure montre que la situation mondiale de la sécurité alimentaire est en constante amélioration à l’échelle mondiale et au niveau des pays en développement. On a fixé le seuil de 2 700 kcal comme indicateur du niveau de satisfaction des besoins en sécurité alimentaire.

Source: FAO, 2002.

Selon le tableau 2 et la figure 2, la situation mondiale de la sécurité alimentaire est en constante amélioration puisque la consommation alimentaire par habitant augmente régulièrement à l’échelle mondiale et aussi au niveau des pays en développement. La demande alimentaire a tendance à saturer au niveau de 3 500 kcal/personne/jour. Il est aussi décevant de constater clairement sur le tableau et la figure que la consommation alimentaire par habitant est restée faible en Afrique subsaharienne au cours des 45 dernières années bien que les tendances récentes à l’amélioration soient censées persister. Il faut noter que l’augmentation de la consommation alimentaire globale ne se traduit pas nécessairement par une diminution proportionnelle du nombre absolu de personnes sous-alimentées, surtout là où la croissance démographique est élevée.

Les principales sources d’approvisionnement alimentaire

L’agriculture représente la principale source de nourriture pour la population mondiale. Le terme agriculture, utilisé ici au sens large, inclut l’élevage, la pêche, l’aquaculture et la foresterie. La composition des repas change progressivement avec le développement de la demande alimentaire et la modification des modes de vie. De nombreux produits cultivés hors saison ou exotiques sont maintenant proposés sur les marchés locaux à ceux qui peuvent se le permettre. La production agricole répond surtout à la demande des consommateurs, et tout changement dans les préférences des consommateurs se répercute sur l’eau qu’exige la production alimentaire.

Selon les estimations, les systèmes naturels non gérés pourraient nourrir 600 millions de personnes, soit à l’heure actuelle un dixième de la population mondiale (Mazoyer et Roudart, 1998). Cela revient à dire que 90 pour cent de la population mondiale actuelle ne pourrait s’alimenter sans l’agriculture. Très peu de personnes ne vivent que de la pêche, de la cueillette et de la chasse, mais ces systèmes alimentaires naturels non ou peu exploités constituent un apport stratégiquement important à la nutrition des populations autochtones, ainsi qu’à la subsistance et à la survie de nombreuses personnes déplacées, pauvres et marginales. A l’exception de la pêche en mer, qui est contrôlée, la réalité diffuse des ressources alimentaires provenant directement des écosystèmes naturels échappe le plus souvent à la collecte des données et n’est donc pas prise en compte dans les statistiques agricoles et économiques.

Ainsi l’essentiel de la production alimentaire mondiale (céréales, oléagineux, bétail et poisson) dépend d’un vaste éventail de systèmes agricoles pour lesquels l’eau est un facteur de production crucial (FAO/Banque mondiale, 2001).

Principales cultures

Le rôle de premier plan des céréales et des cultures oléagineuses

La part de la consommation alimentaire totale, mesurée en calories, qu’assurent les céréales est de loin la plus importante. Dans les pays en développement, la consommation de céréales s’élevait il y a trente ans à 141 kg/personne/an, ce qui représentait 61 pour cent de la quantité totale de calories. Elle atteint maintenant 173 kg/personne/an et fournit 56 pour cent des calories. Cela reflète une augmentation de l’utilisation des céréales, qui reste toutefois moindre par rapport à celle d’autres éléments de la consommation alimentaire. Le fait que la croissance des besoins mondiaux en céréales diminue traduit la diversification des régimes alimentaires qui se produit au fur et à mesure que les pays parviennent à garantir de meilleurs niveaux de nutrition. Les céréales devraient toutefois continuer à fournir plus de 50 pour cent de la nourriture consommée dans le futur proche.

Pour satisfaire les besoins en céréales d’une population en expansion consommant davantage de céréales par habitant, la production mondiale annuelle de céréales a augmenté de presque un milliard de tonnes en passant de 0,94 milliard de tonnes au milieu des années 60 à 1,89 milliard de tonnes en 1998. A la fin des années 90, la croissance de la consommation mondiale de céréales a enregistré un ralentissement, qui n’était pas provoqué par les contraintes de la production mais par une diminution de la demande. Selon les prévisions de la FAO, la production mondiale annuelle de céréales devrait augmenter d’un autre milliard de tonnes par rapport à son niveau de 1998, pour atteindre 2,8 milliards de tonnes. La part relative du riz dans l’ensemble des céréales devrait légèrement diminuer, alors que la consommation de blé par personne continuera à croître.

Une grande partie des céréales n’est pas produite directement pour la consommation humaine. C’est ainsi que juste un peu moins de la moitié de l’accroissement de la production de céréales prévu par la FAO sera destiné à l’alimentation humaine, alors que 44 pour cent iront à l’alimentation des animaux. Le reste se divise entre d’autres utilisations comme les semences et les produits industriels non alimentaires et les pertes inévitables.

Parmi les calories qui se sont ajoutées à la consommation alimentaire des pays en développement au cours des deux dernières décennies, une sur cinq provenait du groupe des cultures oléagineuses, dont celles de l’huile de palme, du soja, du tournesol, de l’arachide, du sésame et de la noix de coco. Les prévisions vers l’avenir indiquent que 44 pour cent des calories supplémentaires pourraient provenir de ces produits, ce qui corrobore la perspective, dans la majorité des pays en développement, d’une croissance modeste de la consommation directe d’aliments de base comme les céréales, les racines et les tubercules auxquels seraient préférés des produits moins basiques comme les huiles végétales. La croissance de la demande alimentaire dans les pays en développement constitue le principal moteur de l’économie mondiale des cultures oléagineuses, mais les utilisations industrielles non alimentaires des oléagineux et aussi les aliments pour le secteur de l’élevage ont également contribué à l’accroissement de la demande. On prévoit que la croissance future des besoins mondiaux agrégés en cultures oléagineuses, tout comme celle de leur production, va rester beaucoup plus importante que la progression de l’agriculture en général. En termes commerciaux, les pays en développement ont jusqu’à présent été des exportateurs nets de produits oléagineux, mais cet état de fait devrait changer avec l’augmentation des consommations locales.

Possibilités de croissance des cultures agricoles

Il y a trois possibilités pour accroître les cultures agricoles:

Depuis le début des années 60, les terres utilisées pour l’agriculture (terres arables et terres en culture permanente) dans le monde ont augmenté de 12 pour cent pour atteindre environ 1,5 milliard d’hectares, ce qui représente 11 pour cent des terres émergées de la planète. Au cours de la même période, la population mondiale a presque doublé puisqu’elle est passée de 3,1 milliards à plus de 5,9 milliards en 1998. Il s’ensuit naturellement que la superficie de terre arable par personne a diminué de 40 pour cent, de 0,43 hectares en 1962 à 0,26 hectares en 1998. Parce que le système alimentaire mondial a pu fournir suffisamment de nourriture pour cette population en expansion, le prix réel des aliments a connu un déclin de longue durée et la situation mondiale de la nutrition s’est améliorée, à la fois en termes relatifs et en chiffres absolus. Cette situation de faible prix de la nourriture et la baisse relative de la valeur des terres agricoles qui en découle font que des terres agricoles à rendement élevé sont converties en terrains urbains et industriels à plus fort rapport économique. Par ailleurs, les terres irriguées non drainées ou équipées d’ouvrages de drainage inadéquats sont progressivement détériorées par la salinisation qui affaiblit les rendements. L’augmentation des rendements et l’intensification ont plus que compensé la réduction des terres disponibles par habitant.

Un exemple de l’accroissement du rendement des cultures est celui des rendements moyens des céréales qui ont doublé à l’échelle mondiale en passant de 1,4 tonne/hectares/récolte en 1962 à 2,8 tonnes/hectares/récolte en 1996. L’intensité culturale ayant approximativement augmenté de 5 pour cent, la superficie de terres arables nécessaires pour produire une quantité donnée de grain a diminué d’environ 56 pour cent. En principe, 80 pour cent de l’augmentation future de la production agricole devrait, dans les pays en développement, provenir de l’intensification que permettront l’augmentation des rendements et de l’intensité culturale et la diminution des périodes de jachère. Quant aux derniers 20 pour cent, ils résulteraient de l’expansion de la superficie des terres agricoles dans les pays et régions en développement qui peuvent encore les étendre et où les systèmes d’exploitation utilisés et les conditions démographiques et socio-économiques générales le permettent.

Il est prévu qu’entre 1998 et 2030, les terres arables augmenteront de 13 pour cent (120 millions d’hectares) dans les pays en développement, l’essentiel d’une telle expansion devant se produire en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine, ainsi que plus modestement en Asie de l’Est. Le ralentissement de l’expansion des terres arables découle surtout du ralentissement prévu de la croissance de la production agricole.

Elevage: un rôle de plus en plus important

La production alimentaire du secteur de l’élevage comprend la viande (bœuf, porc, volaille, etc.), les produits laitiers et les œufs. Au cours des dernières décennies, la consommation de viande dans les pays en développement a augmenté à un rythme de 5 à 6 pour cent par an et celle du lait et des produits laitiers de 3 à 4 pour cent par an. Cette croissance a essentiellement été enregistrée dans un petit nombre de pays très peuplés tels le Brésil et la Chine. De nombreuses nations en développement, ainsi que des régions entières comme l’Afrique sub-saharienne et certaines parties du Proche-Orient/Afrique du Nord, qui ont le plus besoin d’augmenter leur consommation de protéïnes, n’ont pas pris part à cet essor mondial du secteur de la viande. A l’échelle mondiale, c’est le secteur de la volaille qui s’est développé le plus rapidement, puisque sa part de la production totale de viande est passée de 13 pour cent au milieu des années 60 à 28 pour cent à l’heure actuelle. La croissance de la part de la volaille dans la production de viande devrait se poursuivre à l’avenir. Les mécanismes qui ont auparavant entraîné cette rapide croissance du secteur de la viande devraient fléchir à l’avenir en raison de la baisse de la croissance démographique et du ralentissement de la croissance qui se produit lorsqu’un niveau de consommation relativement élevé est atteint. Les systèmes intensifs d’élevage ont considérablement renforcé la demande de céréales pour l’alimentation des animaux et la production n’a cessé d’augmenter pour répondre à cette demande.

Les pêches et l’importance croissante de l’aquaculture

En 1999, la consommation mondiale de poisson par habitant s’élevait en moyenne à environ 16,3 kg par an avec des variations considérables entre les pays où la consommation est quasiment nulle et ceux où elle dépasse 100 kg par an. La consommation totale de poisson pourrait s’élever à 150-160 millions de tonnes d’ici 2030, soit 19 à 20 kg par personne. Environ 74 pour cent (97 millions de tonnes) de la production totale des pêches et de l’aquaculture réalisée dans le monde en 2000 (130 millions de tonnes) a directement été utilisée pour l’alimentation humaine sous forme de poisson de consommation. Le reste a été transformé en farine et en huile de poisson pour l’alimentation animale (bétail et aquaculture) ou des utilisations industrielles. La pêche en mer, à l’exclusion de la production de l’aquaculture, a atteint 80 à 85 millions de tonnes par an dans les années 90. On estime que le rendement annuel durable des captures en mer ne dépassera pas, à long terme, les 100 millions de tonnes par an; la surpêche de quelques espèces dans certaines parties du monde menace les ressources. Pour maintenir durablement de tels niveaux, il sera indispensable d’assurer une meilleure utilisation des stocks, des écosystèmes plus sains et une meilleure protection des habitats essentiels. Pour ce qui est de la pêche continentale (à l’exception de l’aquaculture), des chiffres de 7 à 8 millions de tonnes par an ont été comptabilisés, mais une récente étude approfondie des pêches continentales a révélé que les captures réelles pourraient être deux fois plus importantes. Il faut noter que les ressources halieutiques de nombreuses formations aquatiques intérieures comme les lacs et les rivières sont exposées à des menaces écologiques croissantes occasionnées par des phénomènes persistants tels que l’augmentation de la pollution de l’eau, de la dégradation des habitats, des prélèvements d’eau et d’autres pressions anthropiques.

L’aquaculture, qui devra assurer l’essentiel de l’accroissement futur de la production de poisson, a connu une croissance régulière de 10 pour cent par an au cours des années 90 et a augmenté sa part de la production mondiale de poisson d’environ 27 pour cent. La plupart des aménagements d’aquaculture ont été développés en Asie (environ 70 pour cent de la production aquacole mondiale est chinoise). A l’heure actuelle, la production aquacole atteint 35 millions de tonnes, dont 21 millions en eau douce et 14 millions en mer. En 1995, plus de 90 pour cent de la production totale de poissons de consommation issus de l’aquaculture provenait des pays en développement, par comparaison avec les 51 pour cent de la production de viande animale d’origine terrestre. Les exportations de poisson des pays en développement ont connu une croissance rapide et dégagent maintenant des gains qui dépassent largement ceux de denrées telles que le café, le cacao, les bananes ou le caoutchouc. Cette forte croissance va pouvoir se poursuivre encore quelque temps, mais les restrictions que représentent le manque de matières alimentaires et de sites adéquats, les maladies et les pressions subies par l’environnement sont de plus en plus contraignantes. Les principaux facteurs susceptibles d’influer sur la durabilité de la pêche de capture et l’expansion de l’aquaculture seront l’amélioration de la gestion de ce secteur et une meilleure compréhension des écosystèmes aquatiques, ainsi que la prévention et une meilleure gestion des impacts environnementaux qui portent atteinte aux ressources halieutiques et à la biodiversité aquatique.

Le commerce des denrées alimentaires

Les pays en développement augmentent leurs importations

A l’échelle mondiale, production alimentaire et consommation sont équivalentes. Quant il s’agit de pays individuels et de groupes de pays, la production et la consommation diffèrent en fonction du commerce des denrées agricoles. Dans les pays en développement, les taux de croissance de la production alimentaire sont restés inférieurs aux taux de croissance de la demande, et les importations alimentaires ont augmenté plus rapidement que les exportations agricoles. Dans ces pays, par exemple, les importations nettes de céréales ont augmenté de 39 millions de tonnes au milieu des années 70 à 103 millions de tonnes en 1998. Malgré la croissance ralentie prévue à l’avenir pour la demande de céréales, la dépendance des pays en développement vis-à-vis des importations de céréales devrait continuer à s’accroître puisque ces pays ont des possibilités limitées d’augmentation de leur production. L’une des contraintes de la production est la rareté des ressources en eau nécessaires à l’irrigation, mais d’autres facteurs comme les difficultés d’accès au crédit et aux marchés, les politiques agricoles inadaptées et la mauvaise gestion de l’agriculture ont également gêné l’augmentation de la production. Dans les pays en développement, la tendance vers un déficit commercial net de plus en plus marqué se confirme dans les prévisions: les importations alimentaires nettes devraient atteindre 198 millions de tonnes en 2015 et 265 millions de tonnes en 2030. Il faut comparer ces chiffres aux prévisions sur la production de céréales dans les pays en développement, qui serait de l’ordre de 1 650 millions de tonnes en 2030.

Rares sont les pays qui poursuivent une politique d’autosuffisance alimentaire à 100 pour cent, tout comme ceux qui dépendent des importations pour plus de 20 pour cent de leurs besoins alimentaires. Un certain nombre de pays souffrant d’un déficit chronique de leur balance commerciale et d’une croissance démographique élevée ont du mal à réunir les devises nécessaires pour satisfaire leur demande croissante d’importations alimentaires. Alors que par le passé un tel manque de devises aurait entraîné une augmentation des taxes à l’importation et des mesures de soutien à la production alimentaire locale pour qu’elle puisse fournir le marché local, les programmes d’ajustement structurel et les politiques de libéralisation des marchés mis en œuvre dans les années 80 et 90 ont interdit l’adoption de politiques nationales orientées vers davantage d’autosuffisance alimentaire (Stiglitz, 2002). Pourtant les agriculteurs de nombreux pays en développement aux infrastructures insuffisantes, sans possibilités de financements ni d’accès aux technologies, ne peuvent faire face à la compétition du marché international, en particulier lorsque leur production est en concurrence avec l’agriculture fortement subventionnée des pays industrialisés, où la productivité de la main d’œuvre peut être mille fois plus élevée que la leur (Mazoyer et Roudart, 1997).

Le concept de l’eau virtuelle

L’expression «eau virtuelle» est apparue dans les années 90 pour étayer un principe concernant le commerce et l’eau: il n’est pas nécessaire, pour assurer la sécurité alimentaire des pays arides, d’utiliser l’eau disponible pour la production alimentaire locale, parce qu’il existe une solution plus facile et plus avantageuse sur le plan économique qui consiste à importer les aliments, en particulier les denrées céréalières peu coûteuses qui constituent la base de l’alimentation nationale. C’est ainsi que dans une perspective hydrologique le commerce alimentaire peut se transformer en commerce d’eau virtuelle, soit l’eau consommée pour produire une denrée agricole. Par exemple, il faut 1 000 à 1 500 litres d’eau pour produire un kilogramme de blé. Dans le cas de la volaille dont le facteur de conversion aliments/viande est de 4:1, la teneur en eau virtuelle serait de 6 000 litres par kg de viande de volaille. Dans celui du bœuf, avec un facteur de conversion de 10:1, la teneur en eau virtuelle d’un kilogramme de viande serait de 15 000 litres. Dans le chapitre qui suit, le tableau 3 propose des exemples des besoins en eau propres à la production d’une unité de diverses denrées agricoles. La quantité d’eau virtuelle importée par un pays donne la mesure de son degré de dépendance par rapport au marché international pour assurer son approvisionnement.

La manipulation du concept de l’eau virtuelle suscite quelques oppositions, dont celle qui défend l’idée que l’eau réellement utilisée par une culture peut partiellement ou totalement provenir de la pluie, qui est gratuite, alors que l’eau d’irrigation a un coût certain. Pour ce qui est de la viande, il ne faut pas oublier que les animaux élevés en plein air sont de très efficaces récupérateurs d’eau virtuelle: dans les zones arides, la pâture qu’ils consomment pousse grâce à des eaux de pluie qui en général n’auraient pas d’autre utilité.


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