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Rendre la gestion plus rationnelle grâce au commerce: les produits du karité en Afrique

E.T. Masters, J.A. Yidana et P.N. Lovett

Eliot T. Masters travaille pour le Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF), Bamako, (Mali).
Joshua A. Yidana travaille au Département de l’horticulture de la University for Development Studies, Tamale (Ghana).
Peter N. Lovett travaille pour le West Africa Trade Hub, Accra (Ghana).

La valorisation des produits non ligneux de l’arbre de karité offre de bonnes perspectives pour le commerce tant au niveau local qu’à l’exportation.

L’intégrité de l’environnement naturel dont héritera la prochaine génération d’agriculteurs africains dépend dans une très large mesure de la position, plus ou moins favorable, dans laquelle se trouvent leurs parents aujourd’hui pour assurer leur subsistance. Elle dépend de petites décisions que prennent chaque jour les utilisateurs des ressources, en soupesant leurs coûts et leurs avantages, mais la plupart du temps en se laissant guider avant tout par des considérations à court terme. Ainsi, ceux qui ont intérêt à ce que les forêts et les terres boisées africaines soient gérées de manière durable doivent trouver des moyens d’ajouter de la valeur aux produits non ligneux renouvelables des forêts et des terres boisées, en vue d’encourager, par des incitations concrètes basées sur le marché, l’utilisation durable et la conservation des ressources.

À cet égard, les plus grandes possibilités reposent sur le développement commercial de produits d’espèces indigènes ayant une valeur marchande immédiate (quoique souvent non exploitée). L’une de ces espèces, que l’on ne trouve qu’en Afrique subsaharienne, est l’arbre de karité, Vitellaria paradoxa (syn. Butyrospermum parkii, Butyrospermum paradoxum), dont l’aire de répartition naturelle d’étend sur une bande de végétation de plus de 5 000 km, qui va du Sénégal à l’Éthiopie et à l’Ouganda.

Le présent article décrit les produits non ligneux tirés de l’arbre de karité, leurs marchés au niveau local et à l’exportation, et les récents efforts déployés pour trouver de nouveaux débouchés et accroître les recettes des producteurs primaires en ajoutant de la valeur aux produits, en particulier grâce à des améliorations de la qualité et à des initiatives comme la certification et l’apposition de labels de commerce équitable.

Les arbres de karité (Vitellaria paradoxa) sont préservés lorsque l’on défriche les terres pour les mettre en culture et ils deviennent partie intégrante des systèmes agricoles indigènes (parcs agroforestiers avec des arbres à karité en Ouganda)
THE SHEA PROJECT

LE BEURRE DE KARITÉ ET SES MARCHÉS

Le fruit du karité mûrit durant la saison de soudure annuelle où les disponibilités alimentaires sont au plus bas et les besoins en main-d’œuvre agricole au plus haut. Il est riche en vitamines et en minéraux et contient aussi des protéines. À l’intérieur du fruit, le noyau contient un composé de matières grasses comestibles connu sous le nom de beurre de karité – un produit crucial pour la nutrition de millions de ménages ruraux.

Le voyageur marocain Ibn Battuta avait déjà observé que le beurre de karité faisait l’objet d’un commerce régional en Afrique de l’Ouest, au XIVe siècle. Quelques siècles plus tard, l’explorateur écossais Mungo Park notait la grande importance du beurre de karité dans la vie de tous les jours au Mali et au Sénégal (Park, 1799); c’est à cet auteur que l’on doit les premiers dessins botaniques connus de l’arbre et la première tentative de classification de l’espèce.

Longtemps associé à des habitats humains, l’arbre de karité peut être qualifié de «semi-domestiqué», au sens où son matériel génétique reflète une sélection délibérée au fil des millénaires, l’espèce ayant été améliorée en protégeant certains arbres productifs sur les terres agricoles, sur la base de critères localement appréciés comme la saveur sucrée du fruit, le rendement total récoltable, la santé de l’arbre, la réduction de la concurrence avec les cultures annuelles, etc. (Lovett et Haq, 2000a; Maranz et Wiesman, 2003).

Le karité est un arbre qui se développe très lentement et donne sa première récolte de fruits au bout de 15 à 20 ans. Les arbres adultes sont préservés lorsque les terres sont défrichées pour être mises en culture, de sorte qu’ils font partie intégrante du système agricole indigène. Les arbres sont améliorés par les pratiques agronomiques adoptées pour les cultures annuelles, notamment par les opérations de désherbage et de fertilisation du sol. Les germinations spontanées sont menées à maturité et la population arborée est contrôlée pour éviter qu’elle ne fasse trop d’ombre aux cultures annuelles. La plupart des noix de karité récoltées chaque année sont traitées pour en extraire du beurre de karité destiné à la consommation familiale et à la vente sur le marché local. Toutefois, depuis la première moitié du XXe siècle, il y a aussi un marché d’exportation pour les noix de karité, vendues comme source de matière première à bas prix pour la production de matières grasses végétales. Plus de 90 pour cent des exportations de noix de karité sont destinées à l’industrie alimentaire. Le beurre de karité est extrait à l’aide de procédés industriels, principalement en Europe, puis séparé en deux fractions: une fraction de graisse végétale (stéarine) – vendue pour la formulation d’équivalents ou d’améliorants du beurre de cacao (CBE/CBI) et de margarines – et une fraction d’huile, utilisée comme base bon marché dans la production de margarines, ainsi que comme composante d’aliments fourragers.

L’utilisation des CBE/CBI est devenue une question politique en Europe à la fin des années 90, après une directive de la Commission européenne qui autorisait à substituer jusqu’à 5 pour cent du beurre de cacao par des CBE/CBI (Journal officiel des Communautés européennes, 2000). Pour certains acteurs de la filière du karité, cette directive représentait une grande victoire. Toutefois, comme le sous-secteur des CBE/CBI est concentré entre les mains d’un très petit nombre d’entreprises, on peut se demander comment sont déterminés les prix et si les producteurs et les exportateurs locaux sont en mesure de négocier des prix qui seront intéressants pour les producteurs (Fold, 2000).

Au sommet de la pyramide du marché, les applications cosmétiques et pharmaceutiques constituent un créneau de marché relativement étroit mais à croissance rapide et à grande valeur potentielle, pour les noix et le beurre de karité (voir encadré). En quelques décennies, le beurre de karité est devenu un ingrédient prisé des cosmétiques naturels les plus raffinés (Fintrac Coporation, 1999), et même si la formulation en contient très peu, il est mentionné bien en évidence sur l’étiquette. Les industries cosmétiques et pharmaceutiques consomment chaque année entre 2 000 et 8 000 tonnes de beurre de karité, et ce chiffre est appelé à augmenter, compte tenu de la croissance de la demande sur de nouveaux marchés.

Le beurre de karité est bon pour la santé, et pas seulement pour la peau

Le beurre de karité est utilisé depuis des siècles (sinon des millénaires) pour les soins de la peau en Afrique, en particulier pour les bébés. Bien que les données cliniques souvent citées par les laboratoires cosmétologiques qui commercialisent le beurre de karité soient difficilement vérifiables, de récentes études scientifiques confirment la valeur thérapeutique de ce produit dans le traitement de certaines maladies de la peau. Les substances biologiquement actives du beurre de karité se trouvent dans la fraction insaponifiable (constituants solubles dans l’huile qui, au contact d’un alcalin, ne réagiraient pas en se transformant en savon) qui est un sous-produit du processus de production des CBE/CBI. Elles contiennent des antioxydants comme les tocophéroles (vitamine E) et des catéchines (que l’on trouve aussi dans le thé vert). Alander et Andersson (2002) et Alander (2004) ont identifié d’autres composés spécifiques comme les alcools de triterpène, connus pour réduire les inflammations; les esters de l’acide cinnamique, qui offrent une protection contre les ultraviolets (UV); et le lupéol qui prévient les effets du vieillissement de la peau en inhibant les enzymes qui dégradent les protéines de la peau. Le beurre de karité protège aussi la peau en stimulant la production de protéines structurelles par des cellules de la peau spécialisées.

BSP Pharma, une coentreprise entre le fabricant danois de matière grasses Aarhus Oliefabrik et la compagnie biopharmaceutique Astion, utilise actuellement des insaponifiables de karité pour produire un traitement anti-inflammatoire contre l’arthrite et une crème pour le traitement local de l’eczéma et d’autres lésions cutanées, (notamment dues à l’herpès). BSP Pharma produit aussi un produit «nutraceutique» à base de karité qui a la capacité, cliniquement démontrée, de réduire le cholestérol chez l’homme.

Ces utilisations thérapeutiques des constituants composés du beurre de karité pourraient renforcer considérablement l’intérêt, déjà marqué, pour le karité – car peu de produits, naturels ou synthétiques, ont réellement le pouvoir de ralentir ou d’inverser le processus de vieillissement. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure cet intérêt aura des retombées bénéfiques sur les producteurs. Des sociétés comme Karlshamn, une compagnie suédoise qui joue également un rôle important dans l’industrie internationale du karité, ont fait protéger leur investissement de recherche et de développement sur les nouvelles utilisations de la fraction insaponifiable du beurre de karité, en faisant breveter les procédés par lesquels ces substances utiles sont isolées et enrichies. En termes de droits de propriété intellectuelle, la propriété des ressources génétiques de karité devrait être respectée et légalement protégée au bénéfice des populations des pays producteurs de karité (Posey et Dutfield, 1996).


Le fruit du karité est riche en vitamines et en minéraux et son noyau contient un mélange de matières grasses comestibles connu sous le nom de beurre de karité
FAO/CFU000427/R. FAIDUTTI

La majorité des noix de karité récoltées chaque année sont traitées pour produire du beurre de karité destiné à la consommation familiale et à la vente sur le marché local
FAO/CFU000299/R. FAIDUTTI

COMMENT AJOUTER DE LA VALEUR?

Si l’on veut gérer l’espèce de manière plus rationnelle pour la préserver, il est important de maximiser les recettes des producteurs primaires, car ce sont ces agriculteurs qui prennent les décisions de gestion dont dépendent le futur de l’arbre et l’intégrité écologique du paysage.

L’un des moyens les plus directs d’ajouter de la valeur à un produit, quel qu’il soit, est de transformer la matière première en produits finis de plus grande valeur – dans le cas présent, il s’agira d’extraire le beurre des noix de karité. Le beurre de karité a une plus grande valeur que les noix dont il est issu, mais cette valeur dépend dans une très large mesure du marché sur lequel le beurre est vendu, et dans le cas des marchés locaux, de la période de l’année (voir figure). La méthode d’extraction traditionnelle, par malaxage, permet d’obtenir 30 à 35 pour cent de beurre par poids sec, alors qu’avec les méthodes d’extraction chimique avec solvants, le rendement peut aller jusqu’à 45 pour cent.

Fait intéressant, le prix des noix et du beurre de karité est à peu près deux fois plus élevé dans les pays les plus éloignés du marché d’exportation (Ouganda, Soudan, République centrafricaine, Sénégal) que dans les pays plus proches (Ghana, Mali, Burkina Faso).

À l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest, ces contradictions entravent la stratification cohérente des prix des produits, en fonction de leur qualité. Au Mali, par exemple, l’industrie paie les noix de karité sensiblement moins cher qu’au Ghana (voir tableau) ou même au Burkina Faso, étant donné que ces deux pays sont plus proches de ports accessibles.

Si 1 kg de beurre de karité franco à bord (f.o.b.) à Tema (Ghana) s’échange à 1 dollar EU au maximum alors que 1 kg de noix de karité vaut 0,30 dollar EU (P.N. Lovett, rapports non publiés), la marge n’est pas suffisante pour rendre la transformation intéressante, sauf si l’on trouve d’autres moyens d’ajouter de la valeur, notamment en développant un créneau de marché (une gamme de marchés spécialisés) axé sur des produits de qualité exceptionnelle, ou en mettant au point d’autres produits ou procédés de transformation. On peut aussi ajouter de la valeur à la production en réduisant les coûts de transformation, grâce à une augmentation du rendement de conversion, et par conséquent de la rentabilité de la production.

Fluctuation saisonnière des prix des noix et de l’huile de karité sur les marchés locaux du nord de l’Ouganda, 1996-2001 (Shillings ougandais)

Coûts estimés des noix de karité exportées du Ghana et du Mali

Coûts détaillés

Ghana

Mali

Prix payé au producteur par tonne de noix de karité

150 $EU

74 $EU

Stéarine disponible par tonne de noix de karité

229,0 kg

193,0 kg

Coût de transport jusqu’au port le plus proche par tonne de noix de karité

19,50 $EU

52,00 $EU

Coûts à la frontière, par tonne

0

16,67 $EU

Coût équivalent par tonne de noix de karité (à l’entrée au port)

169,50 $EU

142,74 $EU

Tonnes de noix de karité nécessaires pour une tonne de stéarine

4,4

5,2

Coût équivalent par tonne de stéarine (à l’entrée au port)

738,56 $EU

738,82 $EU

     

Hypothèses

   

Teneur totale d’une noix en huile/graisse

51%

46%

Teneur approximative en stéarine des graisses/huiles totales

45%

42%

Prix local standard par kg de noix séchées

1 350 Cedis

40 CFA

Taux de change monnaie locale/$EU

9 000

540

Coût km/camion en Afrique de l’Ouest

1,20 $EU

1,20 $EU

Poids autorisé par camion

40 tonnes

30 tonnes

Distance jusqu’au port le plus proche

650 km

1 300 km

Coût par frontière

500 $EU

500 $EU

Nombre de frontières à traverser jusqu’au port le plus proche

0

1

Note: Ce modèle ne comprend pas: le transport ou les droits de douane de l’Afrique à l’UE; les marges des négociants; les coûts de l’entreposage ou de la transformation. Ces coûts supplémentaires rendraient la stéarine du Mali encore moins intéressante, pour ces coûts et ces teneurs en graisses.


Les applications cosmétologiques et pharmacologiques constituent un créneau de marché relativement étroit, mais à croissance rapide et à valeur potentielle élevée pour les noix et le beurre de karité
FAO/CFU000300/R. FAIDUTTI


AMÉLIORER LA QUALITÉ DU PRODUIT

Alors qu’un beurre de qualité supérieure peut prétendre à un prix plus élevé, il est aussi préféré pour la consommation familiale et se conserve plus longtemps qu’un produit de qualité médiocre. La qualité des noix et du beurre de karité dépend avant tout de la transformation après récolte, notamment de l’étuvage des noix de karité au début de la saison pour empêcher la germination des graines et accélérer le séchage. Les noix séchées au soleil sont de meilleure qualité que si elles sont fumées au-dessus d’un feu qui les contamine en hydrocarbures.

La teneur en acides gras libres (FFA) est un indice de qualité facile à calculer qui représente en réalité la proportion perdue par dégradation; le raffinage de beurre de karité contenant 1 pour cent de FFA donne lieu à une perte de 1 pour cent du volume originel de beurre brut. De simples perfectionnements des procédés de transformation ont permis de produire de façon constante un beurre de karité de qualité commerciale (teneur en acides gras libres inférieure à 0,5 pour cent).

Des études ont aussi établi que l’odeur typique désagréable du beurre de karité ouest-africain (que n’a pas en revanche celui de la sous-espèce nilotica d’Afrique orientale) s’acquiert au cours d’une ou de plusieurs étapes de la transformation après récolte, et qu’il est possible de l’atténuer ou d’empêcher son apparition en modifiant ces étapes (Lovett, 2004).

Il existe aussi probablement des possibilités d’améliorer la qualité en identifiant des populations d’arbres de karité dotées de propriétés chimiques spécifiques qui renforcent sa valeur, étant donné le degré de variation chimique et génétique entre les populations (Lovett et Haq, 2000b; Fontaine et al., 2004) et l’extrême spécialisation des produits de haute valeur et des applications commerciales dérivées de ces composés particuliers constituant l’espèce (Alander, 2004). Dans ce but, le Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF) a créé, en collaboration avec un certain nombre d’institutions et avec le soutien de la Commission européenne, une base de données Vitellaria (accessible à l’adresse www.prokarite.org/vitellaria-dbase-EN) qui indique les profils chimiques, avec notamment une analyse du fruit, des noix et du beurre de karité, pour plus de 750 arbres de karité dans 10 pays d’Afrique.


INCITATIONS VISANT À AMÉLIORER LA QUALITÉ

D’après de récentes études, les producteurs sont disposés à accorder plus d’attention à l’amélioration de la qualité du produit, à condition d’être motivés par une augmentation de leur recettes ou par quelque autre avantage concret. Par exemple, des femmes rurales interrogées au Mali par Action for Enterprise, une organisation non gouvernementale basée aux États-Unis, ont indiqué qu’elles investissaient couramment dans l’étuvage et le séchage au soleil des noix pour répondre à la demande locale de beurre de karité de qualité supérieure, en particulier en début de saison, où le produit est le plus rare sur le marché local et le prix le plus élevé (E. Derks, communication personnelle).

S’il existe une demande de produits de qualité supérieure, l’augmentation des recettes versées aux producteurs peut être investie dans des intrants additionnels (y compris en temps et en travail, mais aussi en équipement approprié, tels que séchoirs solaires). Les consommateurs africains qui se fournissent sur les marchés locaux, en particulier en République centrafricaine, au Sénégal, au Soudan et en Ouganda, ont démontré qu’ils étaient disposés à payer plus cher pour avoir un produit de meilleure qualité. Toutefois, il n’est pas certain que les marchés internationaux partagent ce point de vue. Dans les conditions de marché actuelles, les acheteurs de CBI peuvent rechercher des noix de qualité supérieure pour réduire les coûts du raffinage, et les marchés spécialisés dans l’industrie des soins de beauté peuvent être suffisamment rémunérateurs pour qu’ils soient disposés à payer plus cher un beurre d’excellente qualité. Mais faute de savoir si les acheteurs de noix de karité sont effectivement disposés à payer plus (et combien?) pour obtenir des produits de meilleure qualité, il est difficile de prévoir ce que retireront les producteurs du temps, des efforts et de l’argent qu’ils ont investis pour améliorer la transformation, pendant une année donnée.

Les contrats d’achat de beurre de karité en Afrique de l’Ouest ont généralement été inspirés d’un contrat type de la Federation of Oils, Seeds and Fats Associations (FOSFA) qui contient des dispositions sur les suppléments de prix et les sanctions applicables aux qualités supérieures ou inférieures à un seuil de référence déterminé. Cependant, l’industrie, qui souhaite obtenir des noix de karité de qualité supérieure à bas prix, a tendu ces dernières années à appliquer un tarif fixe unique pour les noix de qualité moyenne. Certains représentants de l’industrie estimaient que les suppléments de prix prévus par contrat en fonction de la qualité n’avaient aucun effet d’incitation sur les producteurs, car ils étaient empochés au passage par des intermédiaires commerciaux. Cependant, à défaut d’incitations par les prix, la qualité du produit pourrait tendre vers le dénominateur commun le plus bas.

Le beurre de karité est traditionnellement transformé par des femmes qui se regroupent spontanément pour travailler (Burkina Faso)
FAO/CFU000185/R. FAIDUTTI

Une perspective sociale: des responsabilités différentes pour les hommes et les femmes

Les hommes et les femmes vivant en milieu rural remplissent souvent des fonctions complémentaires, voire conflictuelles, dans le domaine de la gestion des terres boisées. Alors que les femmes sont souvent responsables de la cueillette et du traitement des produits forestiers non ligneux utilisés par la famille, les hommes se réservent plus volontiers les activités génératrices de revenu. Traditionnellement, les opérations de traitement qui permettent d’obtenir le beurre de karité sont effectuées par des femmes qui se regroupent spontanément pour travailler ensemble. Ainsi, dans tous les pays producteurs, les groupes de femmes rurales et les associations de commercialisation jouent un rôle majeur dans la vulgarisation des nouveaux procédés de transformation. Les hommes utilisent surtout les ressources de l’arbre de karité pour produire du charbon de bois, car il est de meilleure qualité que celui obtenu avec d’autres bois. Pour garantir la gestion durable et la conservation de l’espèce et de l’écosystème dans lequel elle prospère, les recettes provenant de la transformation et de la commercialisation des produits du karité doivent être suffisantes pour rémunérer le travail des hommes et des femmes.


LA CERTIFICATION DES PRODUITS EST-ELLE UNE SOLUTION?

Ces dernières années, la certification des produits conformément à des critères de qualité, a été considérée comme un moyen d’augmenter la valeur des produits du karité au profit des producteurs primaires (Walter et al., 2003; Lovett, 2004). La valeur des produits est également renforcée par la traçabilité tout au long de la chaîne de production et par l’attention portée à l’environnement (comme dans la production biologique ou artisanale, basée sur des procédés naturels), et aux concepts de production et de commerce équitables.

Ce concept est en phase d’élaboration dans une initiative régionale de soutien aux producteurs primaires de noix et de beurre de karité, à savoir le Projet d’Appui Technique à la Filière Karité (ProKarité) (voir www.prokarite.org), soutenu par le Fonds commun pour les produits de base (CFC) et le Gouvernement néerlandais, avec un appui technique de la FAO. Mis en œuvre par le CIRAF, le projet ProKarité vise à élaborer un programme de certification des produits basé sur un ensemble harmonisé de paramètres et de normes de qualité à établir aux niveaux régional et international (Ndir et al., 2004). En octobre 2004, le projet a organisé un atelier à l’intention de représentants du gouvernement, du secteur privé et de l’industrie venus de 16 pays producteurs de karité de l’Afrique subsaharienne, en vue de forger un consensus régional sur des aspects techniques liés à la qualité du produit, pour établir un système de certification cohérent au niveau régional et crédible au niveau international. La certification des noix et du beurre de karité dépendra non seulement de la manière dont le produit est traité durant la récolte et la transformation après récolte, mais aussi de l’origine et de la provenance et d’autres aspects de la production susceptibles d’ajouter de la valeur (production biologique, équité au niveau de la production et du commerce).

Durant les années 90, l’apposition d’un label de commerce équitable sur les produits du karité a capoté durant le débat de l’Union européenne sur les normes de commerce équitable applicables au chocolat, car les dérivés du beurre de karité (CBE/CBI) étaient alors considérés comme des concurrents du beurre de cacao (Chalfin, 2004; EFTA/NEWS, 1997). Plus récemment, Fairtrade Labelling Organizations International (FLO) s’est remis à étudier des normes d’étiquetage de commerce équitable pour les produits du karité. Une fois que ces normes seront établies, l’étiquetage devrait encourager les consommateurs à acheter les produits à base de beurre de karité fabriqués par des femmes travaillant dans des conditions de commerce équitable.

Il serait sans doute irréaliste de s’attendre à ce que les noix et le beurre de karité de qualité supérieure se vendent automatiquement à un bon prix pour le producteur. Sur le continent africain, l’expérience a démontré que les recettes totales à la production étaient plus élevées lorsque les produits et les marchés étaient diversifiés, avec une gamme de prix. L’élévation des normes de qualité des produits et la documentation de tous les autres aspects de la production qui ajoutent de la valeur – peuvent aider à établir des marchés pour des produits du karité de haut de gamme, sur la base de prix différenciés, comme c’est le cas pour le café. En outre, si les acheteurs internationaux comprennent que l’industrie africaine du beurre de karité est capable de produire de façon continue un produit de qualité supérieure en quantité commercialement acceptable, le beurre de karité devrait devenir plus compétitif par rapport à d’autres sources de produits similaires ou de substituts possibles.


IMPACT DE L’AMÉLIORATION DES POSSIBILITÉS DE MARCHÉ SUR L’ENVIRONNEMENT

De récentes études de cas réalisées à travers le continent africain montrent que lorsque les producteurs de karité voient se renforcer leurs possibilités d’accès aux marchés, ils sont plus enclins à gérer de manière durable les arbres de karité et les terres boisées ou les parcs agroforestiers dans lesquels ils se trouvent. Durant la sixième année du projet Karité en faveur de la conservation et du développement local dans le nord de l’Ouganda (voir encadré), un inventaire des essences ligneuses, ventilées par taille, dans des parcelles choisies au hasard, a révélé une forte propension à assurer la conservation des jeunes arbres de karité dans les champs et les terres en jachère dans toute la zone du projet, ce qui n’était pas du tout le cas dans les zones non couvertes par le projet (Nkuutu et al., 2000; Lovett, Yidana et Masters, 2005).

Projet Karité en faveur de la conservation et du développement local

Le Projet Karité en faveur de la conservation et du développement local (www.thesheaproject.org) a démarré en 1995 avec un financement accordé à titre pilote par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).Au titre de ce projet, plus de 2 000 membres d’associations communautaires de femmes rurales ont constitué la Northern Uganda Shea Processors Association (NUSPA), qui vend actuellement plusieurs tonnes de beurre de karité de qualité pharmaceutique à des entreprises privées et à des spécialistes de la formulation de cosmétiques, aux États-Unis, en Europe et au Japon. Avec un équipement de transformation simple et une formation initiale fournis par le projet Karité et l’association NUSPA, des femmes rurales du sud du Soudan voisin, ont établi leurs propres centres de transformation, qui fournissent actuellement à la ville de Nairobi (Kenya) un produit cosmétique de qualité supérieure – un nouveau débouché commercial de grande valeur pour écouler l’excédent de production non nécessaire pour satisfaire les besoins nutritionnels de leurs communautés.


CONCLUSIONS

Il est indispensable d’accroître la transparence et de donner plus d’assurances sur la qualité tout au long de la chaîne de production si l’on veut exploiter tout le potentiel de l’arbre de karité, comme ressource économique, nutritionnelle et environnementale pour les ménages ruraux de l’Afrique et pour les générations futures. Afin que les faits nouveaux enregistrés au niveau du commerce des produits à base de karité se traduisent par des améliorations concrètes au niveau de la gestion durable de la ressource karité et des terres boisées concernées, dans toute l’Afrique, les récents partenariats entre des producteurs ruraux, des décideurs nationaux, le secteur privé et l’industrie internationale doivent continuer à se développer, et une partie des avantages doit être utilisée pour améliorer la gestion des forêts et des terres boisées.

Bibliographie

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