La démarche suggérée conduit à engager ou à confirmer et renforcer des structures de dialogue plus horizontales, associant élus, administratifs et techniciens des diverses tutelles (Etat, région ou département, municipalité) dès lors qu'ils ont à connaître des champs sectoriels où leur action, conjointe et coordonnée, dans la ville de référence, peut contribuer à améliorer la distribution des produits alimentaires.
Ce n'est pas une démarche facile, indépendamment même des conditions à remplir, pour que le dialogue s'instaure et se poursuive avec les commerçants et leurs associations, eux-mêmes souvent soumis à une vision strictement corporatiste des choses. On peut certes imaginer et souhaiter que prérogatives sectorielles (eau, santé, voirie, Police, etc.) et hiérarchies administratives ne président pas a priori le débat et il faudra, dans chaque cas, trouver la personne capable de conduire la réflexion, en lui conférant le pouvoir d'impulser des actions. Tutelles techniques et financières risquent fort de s'affronter dès qu'il faudra identifier des priorités et programmer leur mise en oeuvre: aménagement et/ou mise en réserve d'espaces destinés à faire office de marché, traitement de trottoirs ou d'allées appelés à accueillir les vendeuses, éclairage public, latrines et points d'eau, reprise et aménagement des lieux de rupture de charge, où affluent les taxis-brousse chargés de produits (INRETS, 1986), desserte des espaces affectés au commerce par les transports en commun existant ou à créer, etc.
Aucun de ces aménagements ne peut être a priori réalisé au seul bénéfice des marchandes, ni même de l'ensemble du commerce non sédentaire: quand bien même on le souhaiterait, ce serait irréaliste et les détournements d'usage seraient instantanés. Leur finalité ne peut être envisagée que dans l'optique de services d'usage offerts à la population urbaine dans son ensemble, sauf à introduire zone et barbelés, qui seraient vite caducs. D'autres priorités peuvent dès lors être rappelées: de même que les logiques propres aux services de la voirie, aux services sanitaires, aux transports publics etc., on voit mal comment on pourrait aménager les lieux de convergence et de rupture de charge des minibus et taxis sans en référer aux associations (reconnues ou de fait) des chauffeurs de taxi (formels ou informels) qui ont souvent déjà réglementé eux-mêmes l'usage de ces espaces, pris ou non sur des espaces publics.
On peut certes concevoir, et cela existe dans certaines villes, des collectes des déchets et ordures des marchés et de leurs abords, mais en coordination avec les services ou concessionnaires opérant sur ce front particulièrement sensible. Et ainsi, du reste, indépendamment de la difficulté à disjoindre (est-ce même opportun ou réaliste), le commerce des produits alimentaires du commerce informel en général, car leur clientèle est la même.
Il faudrait en réalité constituer, avec l'accord et l'appui des différentes parties prenantes, une équipe de responsables, opérant sur objectifs, au sein ou au nom de la municipalité ou avec son aval formel. Cela pose d'entrée de jeu la question des pouvoirs (JAGLIN, 1993) ou du moins celle des modalités de leur délégation ou de leur adaptation (MCCARNEY, 1996; KOFFY, 1996). L'expérience montre que la voie est ouverte (STREN, 1993). Dans le même temps et en coordination avec une telle équipe (ou conseil, ou comité), le Service des marchés municipaux entreprendrait, si cela s'avérait nécessaire, la remise à plat de son système de gestion pour en corriger les éventuelles dérives et tenter de le rendre acceptable, dans l'optique d'un accroissement du nombre de commerçants assujettis au «droit de place», en échange de meilleures conditions offertes à l'exercice de leur profession. Suggérer cette voie est sans doute faire preuve d'un optimisme que certains ne manqueront pas de qualifier d'utopique, tant sont fortes les pesanteurs des habitudes acquises, des méfiances et des contraintes.
Ce pari ne peut être tenu qu'avec des moyens spécifiques (en compétences, en financements). Cela suppose d'abord une réflexion sur la réaffectation et la redéfinition de lignes budgétaires existantes (aux plans local, régional et national), condition à remplir pour que l'appel à des bailleurs de fonds extérieurs soit crédible. Cela suppose aussi, et préalablement, qu'un programme soit défini, où les responsabilités de chaque partenaire soient clairement établies et coordonnées, inscrit dans un calendrier et évalué en continu. Il y faut donc une volonté politique mais aussi communautaire et associative: c'est la condition pour instaurer le climat de confiance, la mobilisation des énergies et des fonds requis par un tel projet, qui ne saurait se concevoir en cabinet ou bureau d'experts.
Au reste, rien n'interdit d'opérer d'abord, ou conjointement, de façon expérimentale ou ponctuelle. Des expériences réussies de cette nature pourraient être évoquées, qui ont su éviter l'enlisement, l'inefficacité ou le détournement de projets souvent coûteux et insuffisamment préparés, tout en suscitant enthousiasme, participation et mobilisation citoyenne. Dans tel ou tel quartier de grande ville, les exemples ne manquent pas de «marchés» de fait fonctionnant dans les pires conditions d'hygiène et de salubrité; certains pourraient appeler, au moindre coût social et financier, des mesures d'assainissement et d'aménagement convenues avec les marchandes, avec la participation des techniciens de la municipalité, de la population locale et d'étudiants. C'est, par exemple, ce qu'ont fort bien compris enseignants et élèves de l'EAMAU de Lomé (Ecole africaine des métiers de l'architecture et de l'urbanisme), engagés cette année dans un projet de réhabilitation d'un marché populaire de quartier fonctionnant dans un environnement particulièrement ingrat.
La FAO pourrait, sous des formes à définir, encourager de telles initiatives à la base. Au sommet, on sait que les grandes organisations internationales (UNEP, OMS, etc.) se sentent désormais fortement concernées par le devenir des villes et des populations urbaines du sud. La conférence Habitat d'Istanbul (1996) a confirmé l'ampleur des problèmes et l'urgence à dégager des fronts communs d'intervention (LE BRIS, 1996). Le séminaire sous-régional FAO-ISRA «Approvisionnement et distribution alimentaires des villes de l'Afrique francophone», organisé à Dakar du 14 au 17 avril 1997, s'inscrit bien dans ce mouvement mobilisateur.