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Les interventions dans la communication sociale en nutrition


Interventions in social communication on nutrition
Las intervenciones en la comunicación social sobre nutrición

M. Andrien

Michel Andrien est coordonnateur du Centre d'enseignement et de recherche en éducation pour la santé de l'Université de Liège (CERES). Il a réalisé des missions de consultant en éducation nutritionnelle dans les pays en développement et a animé, de 1986 à 1991, le Réseau pour l'éducation nutritionnelle en Afrique.

La réflexion sur l'éducation nutritionnelle, ses stratégies et ses méthodes a connu un essor considérable durant ces 20 dernières années. Une conviction a gagné progressivement l'ensemble des intervenants en nutrition: les troubles nutritionnels sont souvent le résultat d'une mauvaise utilisation des ressources disponibles.

La Conférence internationale sur la nutrition a confirmé cette orientation des politiques nutritionnelles vers une meilleure prise en compte des comportements et des façons de les modifier (FAO/OMS, 1992). Il s'agit là d'un projet ambitieux.

Telle qu'elle se pratiquait et se pratique encore sous la forme de causeries dans les centres de santé, l'éducation nutritionnelle a fait faillite (Hornik, 1985; Andrien et Beghin, 1993). Elle se fondait sur une approche pédagogique de la modification des comportements liés à la nutrition. Le raisonnement à la base de cette démarche pouvait se résumer comme suit: si les adultes commettent des erreurs dans leur façon de s'alimenter, c'est qu'ils sont mal informés. Éduquons-les, donnons-leur le savoir qui leur fait défaut. Leurs attitudes à l'égard de 'alimentation changeront, d'où leurs comportements se modifieront dans un sens favorable à la nutrition.

Dans la démarche, tout semblait hérité de l'approche pédagogique la plus traditionnelle, à savoir:

· transmission d'un savoir nutritionnel de celui qui sait (souvent un agent de santé) à ceux qui sont supposés ignorants (souvent des mères de famille);

· disposition des lieux opposant un maître (utilisant éventuellement un tableau comme support de communication) et un public assis en rangs;

· attitude dogmatique et autoritaire de la part de celui qui détient l'autorité du livre (celui des sciences de la nutrition).

Les améliorations que l'on a pu apporter à cette approche n'ont pas permis de lui conférer une efficacité réelle (Andrien, 1986), et ce constat d'échec a découragé de nombreux responsables de la santé publique et agents de terrain d'entreprendre quoi que ce soit en ce domaine.

Heureusement, d'autres pratiques de communication en nutrition se sont développées sur le terrain, tout en bénéficiant de l'éclairage d'équipes de recherche multidisciplinaires.

APPORT DU MARKETING SOCIAL À LA COMMUNICATION EN NUTRITION

L'école du marketing social a apporté une contribution majeure au renouveau de la communication en nutrition. Cette école domine le débat au début des années 90 (Koniz-Booher, 1993). Elle a rénové 'education nutritionnelle en y introduisant les règles du marketing: étude approfondie du consommateur, ciblage de la communication, segmentation du public, créativité, stratégie multimédia.

Cette approche a produit des résultats indéniables. Dans un ouvrage de synthèse sur l'expérience de la Banque mondiale, Berg (1987) cite en exemple le programme indonésien d'amélioration de la nutrition, conduit autour des années 80 par l'équipe de R.K. Manoff et M, Griffiths. Cette expérience a prouvé qu'il était possible d'améliorer l'état nutritionnel d'une population par les seules vertus de la communication. Ce programme respectait déjà les règles de l'art du marketing social: des messages simples, fondés sur une étude approfondie des caractéristiques du public, transmis par des canaux de communication interpersonnels (ici les kaders agents de nutrition semi-bénévoles) relayés par des médias (ici la radio) (Manoff, 1984; Mantra, Manoff et Griffiths, 1985; Manoff Group, 1991).

L'efficacité du marketing social a été éprouvée en nutrition comme dans d'autres domaines de la santé (Rasmuson et al., 1988; Seidel, 1993). Le marketing social a ainsi été le principe organisateur de campagnes visant à promouvoir des produits tels que les vaccins, la solution de réhydratation orale ou encore le préservatif.

Quoique nos propres propositions tiennent compte des leçons tirées par 'école du marketing social, il nous paraît important de nous en démarquer sur trois points au moins.

Tout d'abord, nous considérons la nutrition comme un problème global, impliquant de nombreux secteurs de l'activité humaine. Il nous semble dangereux de chercher la solution des problèmes nutritionnels dans la modification de comportements isolés de leur contexte d'émergence, sans considération pour les éventuels effets pervers de tels changements. Nous concevons la communication en nutrition dans ses interactions avec les autres facteurs de développement d'une société.

Ensuite, beaucoup de programmes fondés sur le marketing social ne visent que l'adoption à court terme des nouveaux comportements: le plus souvent, des comportements d'achat ou d'utilisation de services. Dans ce domaine, le marketing social a prouvé son efficacité. Mais qu'en est-il des modifications en profondeur de conduites liées a la nutrition lorsque ces conduites font partie du patrimoine culturel de toute une communauté?

Notre troisième critique, fondamentale, tient à la dépendance que de telles approches de la communication entretiennent chez les bénéficiaires de programmes de développement. Notre volonté est d'aider les populations qui souffrent de problèmes nutritionnels a les prendre en charge elles-mêmes en toute connaissance de cause. Nous pensons que leur autonomie dans la décision est seule garante d'un développement durable de ces communautés. Le rôle de l'expert, très important dans un programme fondé sur le marketing social, doit diminuer au profit de la participation de la communauté et de ses représentants légitimes.

L'objection selon laquelle la nutrition serait affaire d'expertise ne tient plus: on voit aujourd'hui les experts nutritionnistes remettre en cause les certitudes d'hier, celles-là mêmes sur lesquelles ont été fondés des programmes éducatifs dogmatiques. Comme le soulignait dans ces colonnes Cerqueira (1991, 1992), il est temps de fonder les programmes de communication en nutrition sur la participation communautaire plutôt qu'en référence aux nutriments.

MODIFIER LA COMMUNICATION SOCIALE EN NUTRITION: À QUELLES CONDITIONS?

La communication sociale peut être définie comme l'ensemble des règles, implicites ou explicites, qui rendent prévisibles les interactions entre les participants à une même culture (Winkin, 1993). Si nous appliquons cette définition a la communication sociale en nutrition. nous dirons qu'elle est constituée des conventions admises, consciemment ou non, entre les membres d'une même communauté au sujet de la façon de traiter les actes de la vie quotidienne qui ont une incidence sur la nutrition, en particulier la façon de se nourrir. Constatons d'emblée que, dans toute société humaine, la communication sociale en nutrition est riche et complexe et ce, avant toute intervention d'un soi-disant éducateur nutritionnel.

Dans un livre récent consacré à 'anthropologie nutritionnelle, Fischler (1990) montre, après d'autres (Farb et Armelagos, 1985), à quel point nos manières de consommer la nourriture sont culturellement déterminées. Cette détermination porte d'abord sur la définition de ce qui est comestible et de ce qui ne l'est pas (les mollusques pour les uns, les sauterelles pour les autres). Elle porte ensuite sur le partage de la nourriture (les meilleurs morceaux de viande pour le père chez les uns, pour les enfants chez les autres), Elle porte encore sur les formes que doit prendre la consommation des aliments (le plat collectif chez les uns, les plats individuels chez les autres).

Si les pratiques liées à la nutrition évoluent et, par là même, la communication sociale en nutrition, force est de constater que c'est rarement sous 'influence de l'éducation nutritionnelle. C'est bien plus souvent sous 'effet de facteurs socioéconomiques très éloignés des préoccupations des responsables de la santé publique.

L'éducation nutritionnelle devrait, selon nous, se concevoir comme une intervention visant à modifier la communication sociale en nutrition dans le but d'améliorer l'état nutritionnel de certains groupes de population. Les groupes prioritaires sont aujourd'hui bien connus: les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes et allaitantes.

Ce type d'intervention requiert une grande prudence. Elle ne peut être mise en œuvre que dans le respect de principes d'action que nous avons développé ailleurs (Andrien et Beghin, 1993), mais dont nous rappelons le fondement:

· L'équité: de telles interventions ne peuvent avoir pour but d'adapter des populations démunies à leur situation de pauvreté; elles doivent, au contraire, favoriser une plus grande justice sociale.

· La participation: les communautés concernées doivent être associées aux processus de décision concernant les messages à diffuser dans le corps social.

· La globalité: la communication doit être considérée comme une activité d'appui à des processus de développement plus larges, orientés vers une amélioration de la nutrition.

· La rationalité: toute intervention dans la communication sociale en nutrition devrait être fondée sur une analyse approfondie du problème nutritionnel et suivre une démarche logique de planification des activités.

Sur les problèmes nutritionnels, il est temps de rendre toute son importance à la communication entre les gens, de les aider à trouver eux-mêmes les pratiques à promouvoir au sein de leur communauté d'appartenance, de les aider à intégrer ces pratiques dans un projet plus global d'amélioration de la nutrition. En d'autres termes encore, s'il est nécessaire de modifier la communication sociale pour que s'améliore la nutrition, que cela se fasse avec la participation active des groupes concernés. L'expertise conserve son importance: on ne peut, par exemple, demander à des populations analphabètes de redécouvrir le rôle de la vitamine A dans la prévention de certains troubles visuels. L'expert doit se mettre au service d'une communauté à la recherche de solutions à ses problèmes nutritionnels et non imposer ses propres recettes. Les processus de communication qui seront mis en oeuvre valoriseront alors le savoir et le savoir-faire populaires, tout en établissant un pont entre ceux-ci et le savoir scientifique: par exemple, dans certaines sociétés traditionnelles, le guérisseur donne du foie cuit aux personnes atteintes de xérophtalmie, pratique que le nutritionniste applaudira, sur la base de sa connaissance du rôle de la vitamine A contenue dans le foie.

La question est à présent de savoir comment peut être bâtie une intervention dans la communication sociale qui, tout en respectant nos principes d'action, favorise l'adoption par la population de pratiques plus favorables à la nutrition.

CONCEPTION DES INTERVENTIONS DANS LA COMMUNICATION SOCIALE EN NUTRITION

Identification et analyse du problème nutritionnel

La finalité de la communication en matière de nutrition réside dans la responsabilisation des communautés vis-à-vis de leurs problèmes nutritionnels. L'exemple d'Iringa, en Tanzanie, montre que, bien encadrées, et si on leur laisse le temps nécessaire, des communautés rurales peuvent prendre conscience des problèmes nutritionnels qui les touchent, les analyser et rechercher ensemble des solutions à ces problèmes (Gouvernement tanzanien, 1988; Moneti et Yee, 1989). Les processus de communication et d'animation jouent un rôle primordial dans la progression des communautés vers la résolution de leurs problèmes nutritionnels.

La première étape du processus consiste à identifier, puis à analyser le (ou les) problème (s) nutritionnel (s) prioritaire (s). Une méthode d'analyse causale a été développée par 'équipe de nutrition de l'Institut de médecine tropicale d'Anvers dans un ouvrage déjà bien connu des nutritionnistes de santé publique (Beghin, Cap et Dujardin, 1988).

Cette méthode consiste à analyser, dans le cadre d'un groupe intersectoriel incluant des agents de terrain, des représentants de la population et un «expert» en nutrition, les facteurs qui influencent l'état nutritionnel d'un groupe de population. Ce groupe intersectoriel peut être constitué au niveau central, lorsqu'il s'agit de mettre en place des stratégies nationales ou régionales, comme au niveau local, lorsque la communauté de base prend en charge, avec ses moyens, la résolution d'un problème nutritionnel. L'articulation des interventions nutritionnelles menées au niveau local avec la politique nationale d'alimentation et de nutrition est de toute façon indispensable.

L'analyse causale se fait en arbre, de haut en bas, en partant des facteurs immédiats pour atteindre des facteurs de plus en plus distants de la variable que 'on étudie. L'exemple donné en encadré (p. 15) illustre 'analyse des facteurs qui influencent 'état nutritionnel du jeune enfant, telle qu'elle a été réalisée récemment à Toffo, au Bénin, par un groupe intersectoriel d'une dizaine de personnes (Andrien et al., 1994).

L'analyse aboutit à la construction d'un modèle hypothétique causal qui s'enrichira tout au long de la mise en œuvre de l'intervention et qui servira de cadre conceptuel commun aux différents partenaires. Il permettra de choisir les objectifs - éducatifs ou non - de l'intervention et, plus tard, d'en mesurer les effets en tenant compte de tous les facteurs qui influencent l'état nutritionnel.

On objectera que ce mode d'analyse n'implique qu'une toute petite minorité de représentants de la population concernée. Nous répondrons que, d'une part, ces représentants sont invités à procéder de leur côté à un large échange de vues sur la nutrition avec ceux qu'ils prétendent représenter1 et que, d'autre part, l'analyse s'enrichira à la faveur des enquêtes qui seront menées dans la population, tout au long de la phase de conception de l'intervention.

1 Cela peut, notamment, être réalisé par les agents de santé à l'occasion des séances de surveillance de la croissance des enfants.

Une fois connus les facteurs du problème nutritionnel, il est important de se pencher sur les déterminants des conduites humaines qui ont été mises en cause.

Étude des conduites intervenant dans le problème nutritionnel

L'analyse de la conduite humaine repose aujourd'hui sur des modèles psychosociaux bien connus2. On sait que les conduites, notamment celles qui influencent la nutrition, obéissent à d'autres déterminants que les seules connaissances. Les facteurs internes de la conduite humaine sont aussi d'ordre affectif (attitudes, valeurs, image de soi et de sa capacité à agir) et conatif (motivation à agir et décision d'agir dans un sens ou un autre). Les facteurs externes à la personne sont d'ordre social (normes) ou économique (disponibilité des ressources).

2 Nous nous référons en particulier aux modèles de Fishbein, Bandura, Rosenstock et Triandis, admirablement présentés par G. Godin (1988).

On doit donc situer les conduites dans leur contexte avant de pouvoir espérer les modifier dans un sens favorable à la nutrition.

Les méthodes d'étude des représentations et des conduites liées à la nutrition ont été bien étudiées durant ces dernières années. Nous en avons proposé une synthèse dans le manuel que la FAO a consacré aux méthodes d'intervention dans la communication sociale en nutrition (FAO, 1993).

L'idéal serait sans doute de s'appuyer, dans tout programme de ce genre, sur une étude anthropologique approfondie, dont les résultats seraient discutés par des membres de la communauté concernée. Malheureusement, les ressources sont souvent insuffisantes pour mener de tels travaux, coûteux en temps et en argent. On se contente alors d'études plus rapides, qui font appel au témoignage de la population, par le biais de réunions de groupes focalisés (Simard, 1989; Steward et Shamdasani, 1989; Andrien et al., 1993), d'entretiens individuels approfondis ou d'enquêtes sur les connaissances, attitudes et pratiques d'un échantillon représentatif de la population concernée. Si l'on fait appel à l'observation dans les ménages, on se concentre sur les pratiques directement liées à la nutrition.

Dès la phase de conception d'une intervention, divers médias peuvent être utilisés. Ainsi, la radio rurale peut fort bien, dès ce moment, ouvrir un large débat entre auditeurs sur le thème nutritionnel étudié. On sait que la finalité de la radio rurale est de rendre la parole aux «sans-voix» (FAO, 1991). Des hommes et des femmes issus des communautés rurales ont ainsi l'occasion de s'exprimer et de se faire entendre par des groupes de population qui vivent les mêmes difficultés. L'analyse des problèmes nutritionnels ne se passe plus entre experts, mais entre des personnes qui les vivent au jour le jour sans avoir eu l'occasion d'en parler entre elles, parce que trop éloignées les unes des autres. La radio rurale leur offre cette possibilité, là où elle est présente.

Definition des objectifs généraux d'une intervention nutritionnelle

Au terme de la phase de conception d'une intervention, le problème nutritionnel doit être clairement identifié, ses déterminants doivent être connus et les facteurs qui influencent les conduites en cause doivent avoir été analysés. Il est alors possible de formuler les objectifs d'une intervention nutritionnelle.

L'objectif peut, par exemple, résider dans la promotion d'un aliment susceptible de répondre au problème nutritionnel soulevé. C'est notamment le cas dans le cadre du programme de promotion des jardins potagers dans le nord-est de la Thaïlande. Les responsables du programme ont d'abord mis en évidence la carence en vitamine A dans l'alimentation des jeunes enfants ainsi que des femmes enceintes ou allaitantes. Après une étude approfondie des besoins et des ressources des producteurs et des consommateurs (parfois les mêmes personnes) et sur la base d'une large participation de la communauté, les responsables du programme ont été amenés à promouvoir la production et la consommation d'une courge locale riche en vitamine A. Tel était l'objectif général de l'intervention (Attig et al., 1993).

FORMULATION D'UN PLAN DE COMMUNICATION

Définition des objectifs

Il appartient au groupe intersectoriel chargé d'animer la communication sociale en nutrition de définir les objectifs de communication de l'intervention nutritionnelle.

Dans le cadre d'un programme nutritionnel qui vise à promouvoir la production et la consommation d'un nouvel aliment, par exemple une courge, des objectifs de la communication pourraient être, entre autres, de:

· favoriser l'acquisition d'une représentation positive de ce produit et de ses qualités nutritives;

· rendre les cultivateurs capables de cultiver ce légume dans de bonnes conditions;

· rendre les personnes chargées de la cuisine capables d'introduire ce produit dans les plats habituellement consommés à la maison et de les convaincre qu'elles en sont réellement capables.

Formulation des messages

De ces objectifs découlent les messages. Ceux-ci doivent être prétestés tant dans leur contenu que dans leur forme.

Les recettes préconisées sont-elles applicables dans les familles concernées? Seuls des essais en situation réelle permettent de donner une réponse définitive à cette question.

Les messages sont-ils compris comme nous le souhaitons? Des essais auprès d'échantillons du public cible constituent un moyen de le vérifier.

Les messages seront ensuite traduits sur des supports variés correspondant aux canaux de communication retenus.

Choix des canaux de communication

Une étude des réseaux de communication actifs dans les communautés concernées aura été entreprise dès la phase de conception. De ses résultats, on aura dressé un tableau des canaux privilégiés pour parler de nutrition. On sait aujourd'hui que les meilleurs résultats sont obtenus quand on associe, en synergie, l'utilisation des médias de masse (radio, télévision, presse écrite, affichage, etc.) et des canaux de communication interpersonnels (agents de santé, vulgarisateurs agricoles, enseignants face à leurs publics respectifs). La stratégie sera donc multimédia.

Compte tenu de nos principes de départ, nous pensons qu'il faut donner la priorité aux médias interactifs. Cela signifie qu'un réel dialogue s'instaurera dans la communication interpersonnelle (trop souvent vécue comme une communication à sens unique). Les médias de masse se verront également encouragés à pratiquer l'interactivité (comme la radio rurale). Si des supports modernes sont utilisés, ils favoriseront, eux aussi, la participation au débat des personnes principalement concernées3.

3 La Division de l'information de la FAO a ainsi mis au point une méthode d'animation s'appuyant sur l'utilisation de la diapositive (FAO, 1989).

Élaboration d'un plan multimédia

L'élaboration d'un plan de communication est l'occasion de fixer, pour un temps déterminé, les modalités d'intervention des uns et des autres en faveur des mêmes objectifs.

N'oublions pas, cependant, que c'est sur le long terme que se modifient les conduites liées à la nutrition. Il faut donc inscrire le discours sur la nutrition dans les activités routinières des services concernés: programmes scolaires, activités de surveillance de la croissance, vulgarisation agricole, grille des programme de radio, etc. Plus encore, les messages en faveur de la nutrition doivent progressivement se propager dans le corps social à la faveur des interactions entre ses membres non spécialistes.

MODÈLE HYPOTHÉTIQUE CAUSAL DE L'ÉTAT NUTRITIONNEL DU JEUNE ENFANT À TOFFO (BÉNIN)

Ce modèle en trois figures a été réalisé en Janvier 1994 à Toffo, dans le département de l'Atlantique La sous-préfecture de Toffo est une région riche du point de vue de la production agricole, elle est pourtant confrontée à un taux élevé de malnutrition infanto-juvénile.

Il s'agit de la première version d'un modèle appelé à s'enrichir au cours des prochains mois et des prochaines années Il a été réalisé par un groupe intersectoriel d'une dizaine de personnes, en vue d'une intervention dans la communication sociale en nutrition. Il doit être considéré comme une esquisse de l'étude des facteurs de l'état nutritionnel à Toffo Il ne peut en aucun cas être utilisé pour décrire les causes de la malnutrition dans une autre partie du monde, ni, à fortiori, servir de modèle universel!

Le développement initial du modèle est présenté à la figure 1 Deux branches de l'arbre des causes sont étudiées le nombre de repas par jour (figure 2) et la quantité d'aliments par repas (figure 3) D'autres branches pourront être développées par la suite

Parmi tous les facteurs relevés lors de cette première analyse, le groupe a marqué d'un astérisque (*) ceux qui lui paraissent vulnérables à une approche utilisant la communication Sur ces facteurs, des enquêtes plus approfondies seront menées durant la phase de conception de l'intervention dans la communication sociale en nutrition.

Par exemple, un grand pas en faveur de l'allaitement maternel est fait quand les mères entre elles (et non plus seulement les personnels de santé) se transmettent des conseils concrets à ce sujet (allaiter à la demande, pratiquer l'allaitement maternel exclusif jusqu'à trois mois au moins, positionner l'enfant correctement, etc.). On peut alors parler d'une modification positive de la communication sociale - qui n'est parfois qu'un retour à des pratiques ancestrales, étayées par la recherche scientifique contemporaine.

MISE EN ŒUVRE ET ÉVALUATION DE LA COMMUNICATION SOCIALE EN NUTRITION

Production des supports

La production des supports inclut leur conception, la réalisation des prototypes, le prétest de ces prototypes, la mise au point des supports définitifs et leur reproduction en un grand nombre d'exemplaires en fonction du plan adopté dans la phase de formulation (Andrien et Beghin, 1993).

La communication s'appuie toujours sur des supports, ne serait-ce que la voix humaine. Il est important de vérifier la pertinence de la transcription du message sur chaque support, que c'est bien l'effet attendu qui est produit.

Formation des intervenants

Une intervention dans la communication sociale en faveur de la nutrition suppose une bonne formation de ceux qui auront à communiquer avec la population. Les messages à faire passer doivent être clairs. Les méthodes de communication doivent être interactives.

Les communicateurs en nutrition doivent connaître les problèmes nutritionnels qui se posent à la population et les solutions possibles. Mais ils doivent aussi être capables de moduler le message en fonction de la situation des groupes auxquels ils ont affaire, et d'utiliser les supports qui auront été produits pour eux.

Dans ces colonnes, Touré (1993) a rapporté l'action de la FAO en matière de communication en nutrition dans les pays sahéliens. Des équipes multidisciplinaires originaires de cinq pays sahéliens ont été conviées a trois séminaires de formation sur l'utilisation de la radio rurale, de la vidéo et des supports audiovisuels de la communication en face-à-face. Cela illustre la nécessité de former les agents chargés d'intervenir dans la communication en nutrition, au niveau national d'abord, à des niveaux plus périphériques ensuite. Cette formation s'adresse à la fois aux nutritionnistes et aux agronomes, qui doivent apprendre à communiquer avec la population, et aux communicateurs professionnels, qui doivent saisir toute la complexité des problèmes nutritionnels. Ils doivent en outre apprendre à travailler ensemble, ce qui n'est pas toujours aisé, compte tenu de leurs références et de leurs intérêts respectifs.

Permanence de l'action et de l'évaluation

Pour assurer la permanence des activités de communication favorable à la nutrition (au-delà de la période dévolue à une intervention ponctuelle), les groupes d'animation de la communication sociale pourraient être constitués sur une base permanente, tant au niveau national qu'au niveau local.

Chaque intervention peut évidemment faire l'objet d'une évaluation particulière: des processus et de l'impact.

L'évaluation des processus s'intéresse à la façon dont les activités se déroulent. Respectent-elles les principes définis plus haut? Satisfont-elles les groupes concernés (bénéficiaires, commanditaires, agents de terrain, «experts»)?

L'évaluation de l'impact d'une intervention vise d'abord à mesurer les résultats obtenus à la suite des activités qui ont été menées: intervenants formés, supports produits, messages diffusés, publics concernés, etc. Elle vise ensuite à évaluer l'effet produit sur les représentations, les attitudes, les valeurs et, en définitive, les pratiques liées à la nutrition.

Cependant, au-delà de l'évaluation d'une intervention ponctuelle dans la communication sociale en nutrition, il nous semblerait intéressant que chaque pays mette en place des observatoires de revolution des représentations et des pratiques liées à la nutrition. La communication sociale en nutrition ferait alors l'objet d'un suivi régulier, qui permettrait d'intervenir au moment opportun, dans le cadre des programmes incluant une composante nutritionnelle. A l'heure où de nombreux pays se voient contraints de réorienter les habitudes alimentaires vers la consommation accrue de produits locaux, une telle proposition ne devrait pas rester lettre morte.

RÉFÉRENCES

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Interventions in social communication on nutrition

For the past 20 years, there has been intense debate on the strategies, objectives and methods of nutrition education. The traditional conception of this form of intervention - a pedagogical one - has gradually given way to an approach based on communication sciences.

Nutrition communication based on social marketing has had positive results in terms of behavioural change. The following are some of the recognized conditions needed for effective intervention.

· The definition of messages and the choice of communication channels should be based on careful studies of the needs, expectations and resources of the target community.

· The messages should be simple and tailored to clearly identified population groups.

· The communication strategies to be employed should be multimedia based and should include at the minimum an interpersonal communication channel and a mass-media channel.

However, social marketing has its limits. The main criticism is that it does not sufficiently reinforce the community's autonomy in dealing with its nutritional problems. New practices are called for so that communities can be more closely involved in seeking solutions to their nutritional problems.

Social communication on nutrition exists in all human societies. It represents the body of implicit or explicit rules that make interaction regarding nutrition predictable. When the authorities in charge of public health, rural development or community education embark on large-scale nutritional education programmes, they set out to modify social communication on nutrition which is sometimes the result of an age-long process of adjustment. To undertake such a venture without the support and involvement of the communities concerned is both illusory and dangerous. Actions in this area should be guided by principles of equity, participation, comprehensiveness and rationality. The following model can be laid out for all interventions in social communication on nutrition.

The first stage is to analyse the nutritional problem that has been identified, with the involvement of the target community. This analytical or conceptual stage includes an in-depth examination of the motives behind the human behaviour pattern that is to be influenced. It leads to the formulation of a nutritional objective that is realistic and acceptable to the community.

The second stage is the formulation of the strategy to be used to modify the behaviour pattern in question: definition of the communication objectives, choice of communication channels and formulation of a multimedia plan.

The third stage is the implementation: production of communication aids, training of the parties involved and implementation of the communication activities with the population.

The fourth stage is the evaluation stage. Although evaluation is built into the implementation process, a modicum of resources should always be earmarked for the evaluation of the programme's impact.

Apart from activities of limited duration which often take the form of communication campaigns, countries and regions could envisage setting up permanent monitors of nutritional practices. These would keep programme authorities abreast of changes in nutritional behaviour and would guide their interventions in social communication on nutrition.

Las intervenciones en la comunicación social sobre nutrición

Desde hace unos veinte años, la educación nutricional ha suscitado una intensa reflexión sobre sus estrategias, sus objetivos y sus métodos. La concepción tradicional de este tipo de intervención - una concepción pedagógica - ha ido dejando lugar progresivamente a planteamientos basados en las ciencias de la comunicación.

Las experiencias de comunicación sobre nutrición basadas en la mercadotecnia social han tenido resultados positivos por lo que respecta a la modificación de las conductas. De este modo, en la actualidad se conocen bien algunas de las condiciones necesarias para que las actividades de comunicación en pro de la nutrición sean eficaces, entre ellas, las siguientes:

· La definición de los mensajes y la elección de los canales de comunicación deben basarse en estudios en profundidad de las necesidades, los resultados esperados y los recursos de las comunidades correspondientes.

· Los mensajes deben ser sencillos y adecuados a sectores bien identificados de la población a la que van destinados.

· Las estrategias de comunicación deben basarse en múltiples medios de comunicación; es decir, deben comprender por lo menos la utilización de un canal de comunicación interpersonal y de un medio de difusión social.

Sin embargo, la mercadotecnia social tiene sus limites. El principal defecto que le encontramos es que no fortalece suficientemente la autonomía de las comunidades para resolver sus problemas nutricionales. Por lo tanto, creemos que sería conveniente encontrar nuevos métodos que permitan una mayor participación de la población en la búsqueda de soluciones a sus problemas nutricionales.

La comunicación social sobre nutrición es un fenómeno que ocurre en todas las sociedades humanas. Representa el conjunto de normas, implícitas o explícitas, que permiten prever las interacciones relativas a la nutrición. Cuando emprenden la tarea de la educación nutricional en gran escala, los responsables de los programas de salud pública, desarrollo rural o educación popular se fijan como objetivo modificar esta comunicación social sobre nutrición, que en ocasiones es el resultado de un proceso de adaptación secular; emprender una tarea de estas características sin contar con la adhesión de las comunidades interesadas puede resultar ilusorio y peligroso.

Nuestras actividades en este ámbito deben guiarse por los principios de equidad, participación, globalidad de la intervención y racionalidad; sólo entonces podrá trazarse el plan de cualquier intervención en la comunicación social sobre nutrición, plan que podría articularse en cuatro etapas.

La primera etapa consistirá en analizar, con la participación de la comunidad interesada, el problema nutricional que se haya detectado. Esta fase de análisis, o de concepción, incluye el estudio en profundidad de los móviles de las conductas humanas que son objeto de examen, y finaliza con la formulación de un objetivo nutricional racional y aceptable para la comunidad.

La segunda etapa consistirá en la formulación de la estrategia de modificación de las conductas que tienen una incidencia sobre la nutrición; será necesario definir los objetivos de la comunicación, elegir los canales de comunicación, y formular un plan basado en múltiples medios de comunicación.

En la tercera etapa, se pondrá en práctica la intervención: se prepararán los soportes materiales de la comunicación, se formará el personal que llevará a cabo la intervención y se realizarán las actividades de comunicación con la población.

La cuarta etapa es de evaluación. La evaluación es un proceso permanente que acompaña a las actividades, si bien, al concluir un programa de comunicación, se deberían asignar siempre unos medios mínimos a la evaluación de los efectos de dicho programa.

Más allá de la actividades limitadas en el tiempo, a menudo presentadas bajo la denominación de «campañas de comunicación», los países y las regiones podrían plantearse la posibilidad de establecer observatorios de los hábitos relativos a la nutrición. Estos observatorios proporcionarían información a los responsables de los programas sobre la evolución de dichos hábitos, y serían de ayuda para orientar sus intervenciones en la comunicación social sobre nutrición.


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