Le développement des techniques d'irrigation modernes doit avoir pour objectif d'utiliser au mieux l'eau, en même temps que les terres, les ressources humaines et les autres intrants essentiels (énergie, machines, engrais et lutte phytosanitaire) de façon à renforcer durablement la production agricole. La sélection d'une technologie d'irrigation appropriée à une combinaison de conditions physiques et socioéconomiques, quelle qu'elle soit, dépend de facteurs complexes et parfois opposés. Là où le manque d'eau est aigu, l'impératif dominant est à l'évidence d'augmenter l'efficacité de l'utilisation de l'eau. Là où les capitaux sont insuffisants, la principale exigence pourrait être de trouver une méthode d'irrigation nécessitant un minimum d'apports en capital ou d'équipements coûteux. Dans d'autres cas, le facteur déterminant peut être la consommation d'énergie, la disponibilité de main-d'uvre ou les coûts d'entretien.
Etant donné que les considérations économiques, ainsi que les conditions physiques et les modes de culture, sont spécifiques à chaque zone, un système d'irrigation qui paraît très approprié dans un pays ou dans une région, peut ne pas l'être ailleurs. C'est notamment une erreur de partir du principe qu'un système moderne, qui a fait ses preuves dans une économie commerciale industrialisée, sera forcément efficace dans une économie qui commence seulement à se développer.
Encadré 2Cinq moyens d'arroser les cultures1. Irrigation superficielle |
Les sections ci-après décrivent les diverses options et comparent leurs
possibilités d'application dans les pays en développement, en particulier en Afrique.
Les facteurs physiques qui entrent généralement en jeu dans la sélection des systèmes
sont les sols, les cultures, le climat, la topographie, la qualité et les disponibilités
d'eau, le drainage, les dimensions du champ et le rendement général du système. Les
facteurs humains sont la main-d'uvre et la gestion, la formation et les compétences. Les
facteurs économiques sont les coûts de la main d'uvre, du capital et de l'énergie par
rapport à la rentabilité escomptée. Comme il est impossible de définir ou de pondérer
quantitativement tous les facteurs pertinents dans chaque cas, le choix du système se
fonde souvent sur des préférences subjectives plutôt que sur une analyse explicite.
Dans l'ensemble, il n'y a pas de «système idéal» pour les différents types de
cultures, de sols et de tailles d'exploitation. L'objectif ne doit pas être de trouver le
système idéal, mais un éventail d'options pouvant être appropriées aux circonstances
locales. La recherche de méthodes appropriées est nécessairement guidée et limitée
par les connaissances disponibles ainsi que par des expériences empiriques sur le
terrain.
Pour choisir une ou plusieurs méthodes d'irrigation modernes et les
adapter aux besoins et aux situations spécifiques des pays en développement d'Afrique,
le premier critère est de réduire les apports en capital associés à l'installation de
tels systèmes. Dans les pays industrialisés, les systèmes vendus dans le commerce sont
conçus pour réduire au minimum les besoins de main-d'uvre: ils se caractérisent par
leur consommation élevée en énergie, leur fonctionnement automatisé et leur grande
taille, qui permettent de réaliser des économies d'échelle. Dans de nombreuses nations
en développement, l'équation économique est inversée: la main-d'uvre est plus
facilement accessible que le capital et le combustible est plus rare. Les travaux
agricoles sont normalement exécutés par des paysans individuels ou par des familles qui
n'ont généralement pas les moyens d'investir des sommes importantes dans l'achat de
machines, surtout si ces machines doivent être importées de pays lointains. Les
systèmes d'irrigation pouvant convenir à ces agriculteurs devraient, dans la mesure du
possible, garantir leur autonomie - c'est-à-dire être basés sur l'utilisation de
matériaux et de main-d'uvre locaux. Le processus d'adaptation passe aussi par la
reproduction du système à une plus petite échelle, mieux adaptée à la taille d'une
exploitation familiale, généralement comprise entre moins d'un hectare et quelques
hectares.
De nombreux types de systèmes peuvent être utilisés pour introduire des méthodes
d'irrigation compatibles avec les principes décrits. La gamme de possibilités comprend,
à un extrême, des systèmes de transport, de distribution et de déversement de l'eau
qui peuvent être fabriqués entièrement sur place et adoptés et entretenus même par
les petits agriculteurs pratiquant l'agriculture de subsistance. Au niveau intermédiaire,
il existe des systèmes reposant en partie sur des éléments manufacturés, pouvant de
préférence être fabriqués dans des ateliers ou des usines situés dans le pays ou dans
la région. Les systèmes reposant entièrement sur du matériel importé ne sont
justifiés que s'ils permettent de produire des cultures commerciales de haute valeur dans
une économie de marché bien développée.
On ne saurait accepter aveuglément une technologie ou une méthodologie entièrement
conçues et introduites par des pays étrangers. Des essais par tâtonnements (guidés,
par sécurité, par des principes de base rationnels) doivent être effectués sur place
car ce n'est qu'après avoir testé les systèmes en conditions réelles que l'on pourra
les adapter aux conditions locales et aux préférences des utilisateurs visés. Les
expériences se perfectionneront progressivement et il faudra du temps pour qu'elles
donnent naissance à des compétences locales. Les agriculteurs de la région seront
impliqués dès le départ et encouragés à participer et à innover. Les entrepreneurs
locaux pourront ensuite apprendre à fabriquer les composantes essentielles et à assurer
l'entretien des systèmes d'irrigation.
Le processus d'adoption et d'adaptation ne saurait être abrégé, il ne doit ni être
bâclé ni être imposé par le haut. Au contraire, il doit être renforcé par des
incitations positives. Les services de vulgarisation peuvent donner aux paysans des
informations et des conseils, avec démonstrations à l'appui, là où il le faut, et des
institutions financières peuvent leur offrir du crédit à des conditions favorables pour
investir dans une technologie d'irrigation appropriée. Cette technologie ne sera
acceptée que si elle est suffisamment rentable, c'est-à-dire si ses avantages justifient
clairement les coûts. Etant donné que les avantages dépendent des débouchés
commerciaux et d'autres facteurs locaux, ils ne peuvent pas être prédits à l'avance par
des entités extérieures.
Encadré 3Définition de l'irrigation HELPFULH Haute fréquence |
Les méthodes d'irrigation HELPFUL (High-frequency, Efficient, Low-volume, Partial-area, Farm-Unit, Low-cost [Méthodes d'irrigation efficaces et peu coûteuses, basées sur le déversement fréquent d'un faible volume d'eau sur une partie du champ]), décrites dans cette section peuvent être classées en deux catégories: la première est celle des méthodes d'irrigation souterraine et la deuxièmement est celle des méthodes d'irrigation superficielle.
Les méthodes rentrant dans cette catégorie consistent à déverser l'eau directement dans la rhizosphère par l'intermédiaire de réceptacles poreux ou perforés qui sont enfouis dans le sol à une certaine profondeur (de 15 à 50 cm), et dont les ouvertures affleurent à la surface. Ces réceptacles, que l'on remplit périodiquement d'eau ou qui restent pleins en permanence, rejettent de l'eau à travers leurs parois perméables dans le sol environnant. L'humidité qui s'en dégage nourrit les racines de la plante. Lorsqu'ils sont disposés en grille, ces applicateurs enterrés permettent d'optimiser la distribution de l'eau par rapport à l'espacement et aux habitudes d'enracinement de la plante.
La vitesse d'infiltration et la distribution de l'humidité à
l'intérieur de la rhizosphère dépendent aussi des propriétés du sol. Par exemple,
dans un profil de sol uniforme à texture grossière (sableux), l'eau tend normalement à
s'écouler vers le bas, si bien que la zone mouillée a la forme d'une carotte. Au
contraire, dans un profil à texture fine (argileux) ou étagé, une quantité d'eau plus
abondante s'étend latéralement dans le sol, si bien que la zone mouillée a la forme
d'un oignon. Si des containers poreux cylindriques sont mis bout à bout pour former un
tuyau continu enfoui à l'horizontale dans le sol, ils peuvent constituer une source
linéaire qui mouillera le sol dans le sens de la longueur. En injectant des nutriments
solubles (engrais) dans les conduites d'eau, on renforcera à la fois l'efficacité de
l'utilisation des engrais et de l'eau par une culture en ligne.
En théorie, ce type d'irrigation permet une distribution régulière de l'eau, à
condition que les réceptacles contiennent de l'eau. La fréquence à laquelle ils doivent
être remplis dépend de leur capacité (le volume d'eau qu'ils peuvent retenir) et de la
vitesse à laquelle l'eau s'écoule dans le sol. Cette dernière est fonction de la
perméabilité des parois des réceptacles et de la vitesse à laquelle le système
racinaire environnant absorbe l'humidité du sol. Si l'eau déversée contient des
matières en particules (sédiments en suspension, de nature minérale ou organique) ou
des produits chimiques précipitables (tels que des sels de calcium), ils peuvent finir
par boucher les pores des réceptacles. Ceux-ci peuvent aussi être obstrués par des
algues ou des bactéries. Pour remédier à ce problème, les réceptacles doivent être
régulièrement nettoyés avec une solution acide ou fongicide et remplacés au bout d'un
certain temps (quelques années).
Dans les zones arides, où la couche superficielle du sol n'est pas suffisamment lessivée
par les pluies, l'irrigation souterraine peut provoquer une accumulation de sels à la
surface, surtout si l'eau d'irrigation a une teneur élevée en sels. Lorsque cela se
produit, il convient d'inonder le sol chaque saison avant la période des semis, pour
lessiver la couche superficielle.
L'une des plus anciennes méthodes d'irrigation basée sur le déversement fréquent (ou continu) d'eau sur une partie du volume du sol consiste à enfouir des vases poreux dans le sol. On ne dispose pas d'informations certaines sur l'origine et l'ancienneté de cette méthode, mais de nombreux rapports attestent qu'elle était utilisée dans toute l'Afrique du Nord et le Proche-Orient (figures 10 et 11).
FIGURE 10
Forme du mouillage du sol autour d'un vase d'argile poreux enfoui entre deux rangées de
cultures
FIGURE 11
Forme du mouillage du sol irrigué par une série de vases d'argile poreux enfouis entre
deux rangées de cultures
La méthode consiste à placer des vases (ou des pots) d'argile poreux
dans des fosses peu profondes creusées à cet effet. Le sol est ensuite damé autour des
cols des vases de façon à ce que leurs bords dépassent de quelques centimètres la
surface du sol. L'eau est versée dans les vases à la main ou au moyen d'un tuyau souple
relié à une source d'eau. Les vases sont généralement fabriqués avec de l'argile
trouvée sur place, si bien que leur forme, leur taille, l'épaisseur de leurs parois ou
leur porosité sont variables.
Pour obtenir les meilleurs résultats, les vases doivent être cuits à feu relativement
modéré et sans glaçure pour rester perméables. Après plusieurs essais par
tâtonnements, on devrait parvenir à fabriquer des vases dont la solidité
(résistance à l'écrasement), la perméabilité (exsudation de l'eau dans le sol
à un rythme relativement régulier) et la taille (capacité suffisante pour
irriguer pendant une journée) seront optimales.
L'irrigation au moyen de vases d'argile est particulièrement appropriée pour les arbres
fruitiers, mais elle peut aussi être employée pour arroser les cultures en ligne. Dans
les plantations de jeunes arbres, un seul vase placé à côté de chaque plant devrait
suffire au début. Par exemple, si une jarre de cinq litres mouille un volume de sol ayant
une section transversale effective de 1 m2, et si le taux d'exsudation est tel
que le vase se vide en un jour, la dose à fournir sera équivalente à 5 litres par
mètre carré et par jour.
Le mode de diffusion latérale et verticale de l'eau exsudée par chaque jarre dépend de
la texture du sol et de la stratification du profil pédologique. Il peut aussi dépendre
de la forme des jarres (qui peuvent être longues et étroites, ou larges et peu
profondes).
Au fur et à mesure que chaque arbre pousse, son feuillage couvre une plus grande surface
et ses racines tendent à s'étendre latéralement et verticalement pour exploiter un
volume de sol plus important. Un arbre fruitier arrivé à maturité dont le feuillage
couvre une surface au sol d'environ 10 m2 a besoin d'à peu près de 30 à 50
litres par jour en été (saison sèche). Pour fournir cette quantité, l'irrigateur peut
disposer plusieurs jarres en cercle autour du tronc de chaque arbre. Cette méthode
d'irrigation est suffisamment souple pour que l'on puisse ajouter peu à peu des jarres,
à mesure que les arbres poussent et ont besoin d'une quantité journalière d'eau et d'un
volume de sol mouillé plus grands.
L'exemple qui précède est bien entendu hypothétique. La quantité et le rythme
effectifs des applications d'eau doivent être déterminés cas par cas sur la base de
l'expérience locale. Des observations et des essais minutieux sont nécessaires pour
optimiser les variables du système sur lesquelles il est possible de jouer.
Les ouvertures des vases exposées à l'air libre peuvent attirer des animaux terrestres
et des oiseaux assoiffés, qui risquent d'endommager les cultures. Pour éviter cela, mais
aussi pour empêcher que des mottes de terre ne tombent dans les jarres et ne réduisent
leur volume effectif, les irrigateurs devraient couvrir les ouvertures entre deux
remplissages. Il suffit pour cela de placer une pierre sur chacune d'elles.
Les vases peuvent être remplis à la main, avec des godets munis d'un bec verseur, ce qui
est le moyen le plus simple mais aussi le plus laborieux. Il est plus efficace de se
servir d'un tuyau souple relié à une source d'eau. On peut aussi opter pour un autre
procédé nécessitant moins de main-d'uvre et consistant à laisser en place, pendant
toute la saison d'irrigation, un tuyau étroit perforé au-dessus de chaque jarre. A des
intervalles de temps appropriés (chaque jour ou chaque semaine, selon le cas), le tuyau
peut être raccordé à une source d'eau de façon à remplir simultanément toutes les
jarres qui se trouvent sur la rangée.
La durée de vie des jarres dépend de plusieurs facteurs, notamment de leur vitesse
d'encrassement par de l'eau trouble (contenant de l'argile ou de la matière organique en
suspension) ou par de l'eau saline. L'acidité de l'eau et du sol peut affecter la
durabilité des jarres, surtout si elles sont fabriquées avec un matériau contenant des
fragments de calcaire.
Si, par inadvertance, les jarres sont piétinées par des hommes ou par des animaux, elles
peuvent aussi être écrasées ou se remplir de terre meuble. Le système d'irrigation par
des vases poreux est très simple, mais il doit être surveillé en permanence si l'on
veut qu'il continue à fonctionner de façon satisfaisante.
Cette variante de la méthode d'irrigation par jarres poreuses a pour but de répandre de l'eau dans le sol le long d'une bande horizontale continue, plutôt qu'en des emplacements éloignés les uns des autres. De ce fait, la méthode des tuyaux poreux est plus adaptée pour les cultures en ligne peu espacées, disposées en planches, comme les cultures maraîchères. Pour permettre le remplissage, le tuyau est recourbé à une extrémité et l'orifice dépasse du sol.
Cette méthode a été démontrée par le British Institute of Hydrology
dans le sud-est du Zimbabwe, en coopération avec le Ministère zimbabwéen de
l'agriculture et de la mise en valeur des ressources en eau. Ces organismes utilisent des
tuyaux d'argile fabriqués sur place, d'environ 24 cm de long et 7,5 cm de diamètre
interne, dont les parois ont une épaisseur de 2 cm (ces dimensions sont bien entendu
arbitraires). Les tuyaux sont placés au fond d'une tranchée peu profonde (environ 25 cm
de profondeur), creusée au centre d'une planche d'un mètre de large, et disposés de
façon à former un tuyau horizontal continu de 3 m de long. La tranchée est ensuite à
nouveau comblée de terre.
Pour permettre le remplissage, une prise d'eau est fabriquée à une extrémité du tuyau,
en recourbant la première section (dont l'extrémité inférieure avait été inclinée
lors de la fabrication de façon à ce qu'elle s'enclenche dans la deuxième section
horizontale). Comme les sections sont simplement mises bout à bout sans être soudées,
l'eau s'infiltre dans le sol au niveau des jointures ainsi qu'à travers les parois
poreuses de chaque section (figures 12 à 14).
FIGURE 12
Forme du mouillage d'un sol irrigué par des tuyaux souterrains d'argile poreux: les
sections de tuyaux sont assemblées pour former des sources linéaires horizontales
parallèles destinées à irriguer des cultures en lignes
FIGURE 13
Forme du mouillage d'un sol irrigué par un tuyau poreux enfoui à l'horizontale entre
deux rangs parallèles de cultures
FIGURE 14
Culture en lignes plantée juste au-dessus de tuyaux poreux horizontaux
L'expérience montre qu'un seule conduite, aménagée de cette façon, permet d'irriguer les deux rangées d'une culture maraîchère plantées de part et d'autre du tuyau. La quantité déversée est de 6 à 8 mm d'eau par jour pendant la saison de végétation pour une culture de colza. Des cultures de gombo et de tomate se sont aussi bien développées avec cette méthode d'irrigation (Murata et al., 1995).
Il existe une variante intéressante de la méthode d'irrigation par exsudation souterraine, qui consiste à utiliser une fine gaine de plastique pour former un boyau en forme de manchon. Le principal avantage de cette méthode est son faible coût, mais elle a aussi plusieurs inconvénients qui limitent son champ d'application (figure 15).
FIGURE 15
Forme de la zone mouillée par un manchon de plastique rempli de sable, perforé sur un
côté et placé à la verticale dans la rhizosphère
Etant donné que le manchon est en matière plastique souple, il ne peut
pas conserver sa forme et doit être rempli de sable avant d'être placé dans le sol, ce
qui réduit sa capacité (le volume d'eau qu'il peut retenir) de quelque 50 à 60 pour
cent. En outre, le sable lui-même tend à retenir un pourcentage important de l'humidité
qui y pénètre et à empêcher l'eau de sortir, ce qui réduit encore la capacité
effective.
Enfin, comme le boyau de plastique est imperméable (à la différence de l'argile poreuse
décrite précédemment), il doit être perforé. La nécessité d'optimiser le diamètre
et l'espacement entre les perforations introduit une autre variable dans le système, et
la solution la meilleure doit être déterminée par des essais par tâtonnements. Si les
perforations sont trop nombreuses, la gaine de plastique sera moins solide et s'usera plus
rapidement (de toute façon, elle dure moins longtemps qu'une jarre ou un tuyau d'argile).
Il arrive aussi que les racines de la culture ou des mauvaises herbes pénètrent dans les
perforations. Pour toutes ces raisons, le manchon de plastique rempli de sable a une
capacité limitée de diffusion de l'eau dans le sol environnant, tant du point de vue du
volume que de la vitesse.
Malgré ces imperfections potentielles, cette méthode a été appliquée, apparemment
avec succès, au manioc et à d'autres cultures dans les sols sableux du Sénégal.
Cependant, pour mieux définir ses avantages comparatifs, elle devrait être essayée, de
pair avec d'autres méthodes d'irrigation. Jusqu'ici, cela n'a pas été fait de façon
systématique.
Il existe une méthode d'irrigation souterraine beaucoup plus sophistiquée et donc plus coûteuse, basée sur l'utilisation de tubes de plastique étroits (environ 2 cm de diamètre). Ceux-ci sont enterrés dans le sol à une profondeur comprise entre 20 et 50 cm, et ce afin de ne pas gêner les façons culturales normales ou la circulation des engins. Les tubes sont entièrement poreux ou munis de goutteurs ou de perforations régulièrement espacés. S'ils sont poreux, ils exsudent de l'eau sur toute leur longueur. S'ils sont pourvus de goutteurs, ils ne libèrent de l'eau qu'à des points déterminés, à partir desquels elle se répand ou se diffuse ensuite dans le sol. La distribution du volume humecté dépend des propriétés du sol environnant, ainsi que de la longueur de l'intervalle entre deux goutteurs et de leurs débits (figure 16).
FIGURE 16
Source linéaire d'irrigation au goutte-à-goutte munie de perforations peu espacées
Des problèmes peuvent survenir si les orifices étroits des goutteurs
sont obstrués par des racines, des particules, des algues ou des sels en précipitation.
Or ce problème ne peut pas être détecté aussi rapidement qu'avec un système
d'irrigation superficielle au goutte-à-goutte, où les tubes sont placés sur le sol.
L'injection d'une solution acide ou herbicide dans les tuyaux peut, dans certains cas,
aider à déboucher les trous, mais le problème risque de se reproduire périodiquement.
Les goutteurs peuvent aussi être recouverts avec de fines sections de tubes de plastique
de façon à empêcher leur obstruction par des racines, sans réduire de façon
significative leur débit de sortie.
Dans le goutte-à-goutte souterrain, la distribution d'eau dans les canalisations
d'amenée peut être continue ou intermittente. Pour garantir un écoulement uniforme, les
tuyaux doivent être munis d'un dispositif quelconque pour contrôler la pression. Lorsque
les lignes sont longues ou la terre en pente, la pression hydraulique peut varier
considérablement, ce qui altère le débit de sortie, sauf si l'on utilise des goutteurs
munis d'un dispositif de régularisation de la pression. Cependant ces goutteurs sont
généralement coûteux.
L'expérience en Israël, en Californie et dans d'autres endroits, a montré que cette
méthode d'irrigation souterraine peut être utilisée pour arroser des vergers d'arbres
fruitiers et d'autres cultures pérennes en ligne. Elle peut aussi être efficace pour des
cultures annuelles disposées en planches régulières.
Les méthodes décrites dans cette section sont basées sur l'arrosage continu ou régulier d'une fraction de la surface du sol. Pour ce faire, on distribue habituellement l'eau dans des conduites fermées (par exemple des tubes de plastique) en des points spécifiques, dont l'emplacement et l'espacement dépendent de la configuration de la plante cultivée. Au niveau de ces points, on laisse l'eau sortir à la surface, en veillant à ce que le débit ne soit pas supérieur à la capacité d'infiltration du sol, pour que toute l'eau pénètre dans la rhizosphère sans stagner ou s'écouler à la surface.
Les systèmes d'irrigation dans lesquels l'eau est distribuée par des conduites fermées (tuyaux) permettent généralement d'économiser de l'eau car ils accroissent l'uniformité des applications et évitent les pertes en quantité (dues à la percolation et à l'évaporation) et en qualité (dues à la contamination de l'eau dans les canalisations à ciel ouvert). Mais comme ils nécessitent un dispositif de pressurisation et des installations coûteuses, cette économie génère souvent une augmentation de la consommation d'énergie et des investissements en capital. C'est pourquoi des méthodes minimisant ces dépenses de capital et d'énergie sont nécessaires.
On appelle irrigation au goutte-à-goutte l'application lente et localisée d'eau, littéralement au goutte-à-goutte, au niveau d'un point ou d'une grille de points sur la surface du sol. Si l'eau s'écoule à une vitesse inférieure à la capacité d'absorption ou d'infiltration du sol, celui-ci n'est pas saturé et il ne reste pas d'eau qui stagne ou ruisselle à la surface.
L'eau est amenée jusqu'aux orifices de gouttage par un assemblage de
tuyaux en plastique, généralement en polyéthylène opaque ou en PVC résistant aux
intempéries. Des canalisations latérales, alimentées par une conduite maîtresse, sont
posées sur le sol. Ces canalisations, généralement d'un diamètre de 10 à 25 mm, sont
perforées ou munies de goutteurs spéciaux. Chaque goutteur doit déverser l'eau goutte
à goutte sur le sol, à un débit prédéterminé, allant de 1 à 10 litres par heure.
La pression de l'eau dans les tuyaux est ordinairement comprise entre 0,5 et 2,5
atmosphères. Cette pression s'atténue par frottement lorsque l'eau s'écoule à travers
les étroits passages ou orifices du goutteur, si bien que l'eau sort à une pression
atmosphérique sous forme de gouttes et non en jet ou aspersion.
Les goutteurs commercialisés sont soit internes (fixés à l'intérieur des tuyaux
d'amenée latéraux) soit externes (enfichés sur les tuyaux à travers des trous
perforés dans la paroi de la conduite d'amenée). Ils sont conçus pour évacuer l'eau à
un débit constant de 2, 4 ou 8 litres par heure. Le débit de sortie est toujours
altéré par des variations de la pression, mais dans une moindre mesure si les émetteurs
sont munis d'un régulateur de pression. La fréquence et la durée de chaque irrigation
sont contrôlées par une vanne actionnée manuellement ou par une série de valves
automatiques programmables. Des valves doseuses interrompent automatiquement l'écoulement
une fois qu'un volume prédéterminé a été appliqué (figure 17).
FIGURE 17
Schéma d'un système classique d'irrigation au goutte-à-goutte
L'eau tend à se répandre latéralement et verticalement dans le sol à
partir du point où elle s'égoutte. La fraction du volume total de sol qui est
effectivement mouillée dépend de l'espacement des points de gouttage (la grille), mais
aussi du rythme auquel l'eau s'écoule des goutteurs et des propriétés de diffusion
d'eau du sol. La zone humectée, et donc le volume d'enracinement actif, est ordinairement
inférieure de 50 pour cent à ce qu'elle serait si tout le sol était mouillé
uniformément.
Si les applications au goutte-à-goutte sont fréquentes, la portion mouillée du sol
reste en permanence humide, mais le sol n'est pas saturé et reste donc bien aéré. Cela
crée des conditions d'humidification exceptionnellement favorables. L'irrigation au
goutte-à-goutte présente donc un avantage certain par rapport à l'irrigation par
surverse et même par rapport à l'irrigation par aspersion moins fréquente, en
particulier pour les sols sableux ayant une faible capacité de rétention d'eau et dans
les climats arides où les pertes par évaporation sont élevées. En outre, contrairement
à l'irrigation par aspersion, l'irrigation au goutte-à-goutte n'est pratiquement pas
affectée par le vent. La texture du sol, la topographie ou la rugosité de la surface ont
aussi une influence moins grande qu'avec l'irrigation de surface.
Si la quantité d'eau déversée est supérieure aux besoins de la plante, la zone
mouillée se trouvant en dessous de chaque goutteur s'allonge vers le bas et peut finir
par former une «cheminée» qui draine l'eau excédentaire hors d'atteinte des racines
(figure 18).
FIGURE 18
Forme du mouillage du sol sous un goutteur placé entre deux rangs peu espacés
Le système du goutte-à-goutte permet d'employer de l'eau légèrement
saumâtre (ayant par exemple une teneur en sel d'environ 1 000 à 2 000
mg/litre) pour irriguer des cultures comme le coton, la betterave à sucre, les tomates ou
les dattes qui ne sont pas trop sensibles à la salinité. L'eau saumâtre n'entre pas en
contact direct avec le feuillage, qui risque donc moins d'être brûlé par le sel qu'avec
l'irrigation par aspersion. Comme, dans la zone mouillée, le sol reste en permanence
humide, les sels ne se concentrent pas et la salinité de la solution du sol dans la
rhizosphère n'est que lé-gèrement supérieure à celle de l'eau
d'irrigation.
Cependant, si l'eau d'irrigation est saumâtre, une fraction des sels transportés par
l'eau tend à se concentrer à la périphérie des cercles mouillés, et à former des
anneaux de sel visibles autour de chaque point de gouttage. Dans les zones où les pluies
saisonnières sont suffisantes, ces anneaux sont habituellement lessivés chaque année.
Les réseaux complets de goutte-à-goutte permettent de réduire considérablement les
frais de main-d'uvre, mais leur bon fonctionnement ne peut être assuré que s'ils sont
supervisés en permanence par des techniciens qualifiés et si les pièces de rechange
peuvent être fournies rapidement. Ce n'est assurément pas un système qui, une fois
installé, peut continuer à fonctionner tout seul sans problèmes. Les goutteurs doivent
être inspectés régulièrement et nettoyés ou remplacés dès qu'ils cessent de
fonctionner, soit parce qu'ils sont obstrués, soit à cause d'une défaillance
mécanique.
Bien que les tuyaux de plastique utilisés pour l'irrigation au goutte-à-goutte soient
résistants aux intempéries et souples, ils risquent de former des noeuds ou de se
fissurer à force d'être pliés et piétinés, et perforés par des outils aratoires, des
rongeurs et des oiseaux. On peut les ensevelir dans le sol pour qu'ils durent plus
longtemps, mais, dans ce cas, il est plus difficile de les inspecter et de les réparer
lorsqu'ils s'abîment.
L'aspect le plus important de l'entretien d'un système d'irrigation au goutte-à-goutte
est la prévention de l'obstruction des goutteurs par des particules en suspension
(limon), des organismes biologiques ou leurs produits, et par la précipitation chimique
des sels. On peut empêcher la formation d'algues et autres dépôts biologiques en
injectant du chlore dans l'eau. Des précautions particulières doivent être prises
lorsque l'eau d'irrigation provient de réservoirs ouverts dont l'eau est troublée par du
limon ou verdie par des plantes aquatiques. Il est possible de prévenir la précipitation
de sels, comme le carbonate de calcium, en acidifiant périodiquement l'eau.
Diverses sortes de particules en suspension peuvent être enlevées de l'eau d'irrigation
au moyen de filtres à grille, de filtres à gravier, à sable ou à tripoli, et de
séparateurs centrifuges. Quelle que soit leur forme, les filtres sont indispensables et
doivent être installés dans tous les systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte. Les
filtres à grille sont assez délicats et nécessitent des inspections et des nettoyages
fréquents. Les filtres à gravier et à sable sont moins coûteux, mais tendent à
s'encrasser et à entraîner une baisse considérable de la pression. A mesure que les
pores du gravier ou du sable sont obstrués par les matières solides ou les pellicules
qui s'y déposent, la pression diminue et le débit se ralentit, ce qui nécessite un
nettoyage fréquent des filtres et leur remplacement périodique.
L'espacement entre les canalisations latérales est déterminé par l'espacement entre les
rangs cultivés, étant donné qu'elles sont généralement placées le long de chaque
rang. Dans les cultures plantées en rangs serrés, il est souvent possible d'utiliser
moins de tuyaux en sautant un certain nombre de rangs ou en plaçant une seule
canalisation latérale entre deux rangées serrées cultivées en planches. Ce procédé
est évidemment exclu pour arroser des cultures arbustives ou arborées très espacées.
En principe, le système du goutte-à-goutte est particulièrement approprié pour arroser
des vergers ou des cultures maraîchères disposées en lignes et en planches; en
revanche, il se prête moins bien aux cultures de plein champ plantées serré
nécessitant un mouillage uniforme de tout le volume du sol (figure 19).
FIGURE 19
Forme du mouillage du sol sous des goutteurs placés de part et d'autre d'un arbre
Les systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte requièrent des investissements relativement élevés, car il faut une grande quantité de tuyaux, de tubes, de goutteurs et de dispositifs auxiliaires pour parvenir à délivrer le volume d'eau voulu en des points spécifiques du champ. En outre, comme les orifices standard des goutteurs sont étroits, des dispositifs de filtrage onéreux doivent être installés pour prévenir leur obstruction. De ce fait, les systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte tendent à être plus chers, au moins au départ, que les systèmes d'irrigation superficielle. Ils peuvent se révéler rentables à long terme s'ils parviennent effectivement à prévenir le gaspillage d'eau et la dégradation des terres, si fréquents avec les méthodes traditionnelles. Cependant, pour qu'ils soient plus facilement applicables en Afrique, il faut trouver des moyens de les simplifier et de réduire leurs coûts d'installation et de fonctionnement.
L'équipement extrêmement sophistiqué, mis au point pour les systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte dans les pays industrialisés, leur a fait perdre la simplicité qui était à la base de leur conception. La principale justification de ces systèmes qui nécessitent des capitaux importants et consomment généralement beaucoup d'énergie est l'économie de main-d'uvre. Etant donné que l'importance relative des coûts des facteurs entrant en jeu dans les pays en développement d'Afrique est souvent inversée par rapport aux pays industrialisés, il est indispensable de simplifier ces systèmes. La conception des systèmes d'irrigation au goutte-à-goutte doit être revue de façon à faciliter leur installation et leur entretien, tout en conservant les principes de base, à savoir l'application fréquente d'un faible volume d'eau, et la maximisation de l'efficacité de l'irrigation (figures 20 à 24).
FIGURE 20
Emetteur externe à un seul goutteur, constituant une source localisée
FIGURE 21
Emetteur externe, muni de goutteurs multiples
FIGURE 22
Coupe d'un émetteur interne avec trajectoire de l'écoulement capillaire en spirale, et
d'un goutteur externe (enfiché) à orifice étroit
FIGURE 23
Schémas de la diffusion de l'humidité dans des sols argileux, limoneux et sableux
irrigués au goutte-à-goutte
FIGURE 24
Méthode visant à faciliter la pénétration de l'eau dans un sol en pente raide irrigué
au goutte-à-goutte, au moyen d'un anneau rempli de gravier enfoncé dans le sol à une
profondeur de plusieurs centimètres
Les goutteurs ne doivent pas nécessairement être des dispositifs de précision. Ils peuvent être improvisés en perçant des trous à la main dans les canalisations latérales. Pour que ces perforations soient aussi uniformes que possible, il est conseillé d'utiliser des poinçons arrondis comme ceux employés pour faire des trous dans les ceintures de cuir. Pour empêcher un écoulement trop important ou l'obstruction des orifices, les utilisateurs peuvent recouvrir les trous avec des «colliers» bien ajustés, faits en découpant de petites sections du tuyau utilisé pour les canalisations latérales et en les faisant glisser sur les trous. En procédant par tâtonnements, un utilisateur peut fabriquer des goutteurs adéquats pour une fraction infime du prix auquel ils sont vendus dans le commerce. En outre, ces goutteurs sont faciles à entretenir, c'est-à-dire à nettoyer ou à déboucher quand il le faut. Pour fabriquer les goutteurs, on peut aussi couper des petits bouts de tuyau (microtubes) et les insérer dans des trous pratiqués dans les parois des canalisations latérales; on ajustera ensuite la longueur des microtubes pour obtenir le débit souhaité (figures 25 et 26).
FIGURE 25
Fabrication d'un système simple d'arrosage au goutte-à-goutte en perforant un tuyau de
plastique et en recouvrant les orifices avec un manchon découpé dans le même tuyau
FIGURE 26
Fabrication d'un système simple d'arrosage au goutte-à-goutte, en insérant un
microtube, de longueur réglable, dans un tuyau latéral
La pression hydraulique dans les conduites d'amenée ne doit pas nécessairement être créée par des pompes mécaniques. Il suffit d'installer le réservoir quelques mètres plus haut que la terre à arroser pour créer une pression de gravité suffisante pour irriguer au goutte-à-goutte une petite surface. En élargissant le diamètre des tubes et les orifices des goutteurs, et en augmentant la durée des arrosages, on peut compenser la faiblesse de la pression. On évitera ainsi de devoir placer des régulateurs de pression de précision, surtout si le terrain est relativement plat et si les canalisations latérales ne sont pas trop longues ou trop étroites.
Le filtrage peut être assuré en interposant un simple récipient rempli de sable entre la source d'eau et les conduites d'irrigation. L'eau (trouble) qui arrive entrera au fond du récipient et se répandra vers le haut à travers les couches de sable, dont elle sortira filtrée, pour se déverser dans les conduites d'irrigation. Un filtre de ce type peut être fabriqué sur place, avec un récipient de métal ou de plastique de la taille que l'on jugera appropriée, compte tenu de la vitesse d'écoulement et de la turbidité de l'eau. Le sable utilisé à cette fin sera lavé au préalable pour retirer les particules plus fines et devra être nettoyé ou remplacé régulièrement à mesure qu'il s'encrassera.
La mesure du débit est fondamentale pour garantir une utilisation efficace de l'eau. Si un système n'est pas équipé de débitmètres ou de valves doseuses, le débit doit être contrôlé en enregistrant la durée de chaque irrigation. Le volume de l'écoulement par unité de temps devrait être contrôlé et recontrôlé périodiquement, de même que l'uniformité (ou la variabilité) du débit des goutteurs dans chaque canalisation latérale et dans les conduites qui se trouvent dans le champ. Pour ce faire, on peut enregistrer le temps qu'il faut pour que l'eau qui s'écoule remplisse une cuve d'un volume donné. Le volume d'eau déversé au cours de chaque période d'irrigation doit correspondre aux besoins estimés de la culture, compte tenu de son stade de croissance et des conditions météorologiques (pluviométrie et évapotranspiration depuis l'irrigation précédente).
L'irrigation au moyen de micropulvérisateurs, également appelés mini-asperseurs ou gicleurs, se fonde sur le même principe que l'irrigation au goutte-à-goutte, en ce sens que seule une fraction de la surface du sol est arrosée. Cependant, l'eau ne sort pas goutte à goutte par les orifices étroits des goutteurs, mais est éjectée en jets fins par une série de gicleurs d'où elle tombe en pluie. Chaque gicleur peut arroser plusieurs mètres carrés, soit une surface bien plus grande que celle que mouille un goutteur. Le système de la microaspersion permet donc d'augmenter le volume de sol mouillé dans lequel les racines des plantes absorbent l'eau et les éléments nutritifs (sans avoir à installer de multiples goutteurs), ce qui est particulièrement intéressant pour les gros arbres (figure 27).
FIGURE 27
Forme du mouillage du sol, sous microaspersion.
La microaspersion a un autre gros avantage par rapport au
goutte-à-goutte. En effet, comme les orifices des gicleurs sont plus larges et le taux
d'écoulement supérieur, le risque d'obstruction est réduit et le filtrage n'est pas une
nécessité aussi impérative qu'avec l'irrigation au goutte-à-goutte. Cela permet de
réduire quelque peu les coûts d'installation. La pression requise reste cependant de
l'ordre de 1 à 2 atmosphères - niveau plus faible qu'avec des asperseurs ordinaires,
mais qui oblige à installer un système de pompage ou à surélever le réservoir
d'alimentation d'au moins 10 m.
A d'autres égards, l'irrigation par microaspersion présente les mêmes avantages
potentiels que l'irrigation au goutte-à-goutte, car elle permet l'application fréquente
d'un faible volume d'eau et l'injection de fertilisants dans l'eau. En outre, il est
facile d'adapter les systèmes de microaspersion aux conditions des pays en
développement, en réduisant leur taille, pour la rendre plus conforme aux parcelles à
irriguer, généralement de petites dimensions.
La microaspersion a aussi des inconvénients par rapport au goutte-à-goutte. La
composante évaporation du bilan hydrique est accrue, à la fois parce que la surface
mouillée est plus grande, que l'eau est pulvérisée dans l'air sec et que les feuilles
les plus basses sont mouillées. Comme le feuillage est mouillé, l'utilisation d'eau
saumâtre et l'incidence des maladies fongiques posent plus de problèmes qu'avec
l'irrigation au goutte-à-goutte.
Dans les systèmes de microaspersion, les canalisations d'amenée sont les mêmes qu'avec
les systèmes de goutte-à-goutte. On trouve à présent dans le commerce divers types
d'arroseurs, généralement en plastique résistant. Il est cependant difficile de
fabriquer des gicleurs improvisés, si bien que l'irrigateur est davantage tributaire
d'éléments manufacturés qu'il ne le serait en optant pour le système du
goutte-à-goutte simplifié, décrit plus haut.
L'irrigation par barboteur est une méthode d'application fréquente d'un faible volume d'eau sur une surface partielle, dans laquelle l'eau est distribuée dans des conduites fermées. Elle est conçue spécifiquement pour réduire les besoins en investissement et la consommation d'énergie, grâce à l'utilisation de tuyaux à parois fines et peu coûteux, en plastique cannelé et d'un diamètre assez large pour que la pression limitée fournie par un réservoir de surface de basse chute soit suffisante. L'irrigation par barboteur est une variante de l'irrigation au goutte-à-goutte visant à réduire la dépendance du système à l'égard d'éléments manufacturés (figure 28).
FIGURE 28
Forme du mouillage du sol irrigué par un barboteur, avec coude souterrain
Dans l'irrigation par barboteur, les goutteurs manufacturés ne sont pas
utilisés et l'eau sort librement «en gargouillant» de tuyaux verticaux ouverts. Cela
permet d'éviter le filtrage qui est un gros problème dans l'irrigation au
goutte-à-goutte. Les tubes verticaux (appelés hampe ou tube allonge vertical), ont un
diamètre d'environ 1 à 3 cm, et sont raccordés à des tuyaux d'irrigation latéraux,
ayant un diamètre minimal de 10 cm, enfouis dans le sol. Les barboteurs sont fixés
à des perches ou à des bornes et leur hauteur est ajustée vers le haut et vers le bas,
après un calcul ou des essais par tâtonnements, de façon à distribuer l'eau au débit
voulu.
Ces systèmes sont particulièrement adaptés pour arroser des cultures très espacées,
comme les plantations d'arbres fruitiers ou d'arbustes, dans lesquelles un asperseur
monté sur une hampe peut être installé le long de chaque arbre ou groupe d'arbustes.
Pour assurer une distribution uniforme de l'eau qui s'écoule des barboteurs, on remplit
des petits bassins, entourés de petits billons, d'une quantité égale d'eau. Ces bassins
peuvent être construits manuellement et avoir une forme circulaire ou rectangulaire.
Grâce à ces moyens simples, les principes d'une irrigation efficace peuvent être mis en
pratique.
Ce système, dont la conception est simple et ne nécessite aucun élément manufacturé
normalisé (tels que gicleurs, raccords, régulateurs de pression et filtres), n'a pas
été promu dans le commerce par les vendeurs d'équipement. C'est sans doute pour cela
que tant d'utilisateurs potentiels ne sont pas conscients de ses avantages, qui sont,
entre autres, son faible coût et sa facilité d'installation et de fonctionnement.
Il y a 20 ans, une procédure pour l'installation et l'étalonnage de ces systèmes
d'irrigation a été décrite par Rawlins (1977). Depuis lors, les expériences de
l'auteur du présent document et d'autres personnes ont démontré que ces systèmes
étaient valables. Ces derniers, ou leurs variantes, peuvent être intéressants pour les
cultures arborées, en particulier sur des terrains relativement plats où l'on pratiquait
antérieurement l'agriculture pluviale ou des méthodes d'irrigation de surface
traditionnelles.
Encadré 4Récapitulatif des méthodes d'irrigation à petite échelleMéthodes nécessitant uniquement de la main-d'uvre et des matériaux locaux
Méthodes basées sur des éléments importés*
* Ces options ne sont justifiées que pour l'arrosage des cultures commerciales dans une économie de marché stable. |
De nombreux sols d'Afrique sont, par définition, peu fertiles. Dans les zones tropicales humides, ils tendent à être fortement lessivés et, dans certains endroits, ils sont acidifiés ou contiennent de l'aluminium ou des sulfates toxiques. Les sols des zones subtropicales arides se caractérisent par leur texture grossière et leur faible teneur en matière organique. L'amélioration de la productivité de ces sols, indispensable pour assurer la sécurité alimentaire, nécessite souvent des apports de produits chimiques, de fumier ou d'engrais.
Les méthodes de fertilisation classiques - épandage uniforme sur la
surface ou semis en sillons d'une bande continue d'engrais tout au long de la rangée
cultivée - ne sont pas compatibles avec l'irrigation d'une surface ou d'un volume
partiel. L'efficacité de l'application est maximisée si la distribution spatiale de
l'engrais dans le sol correspond à celle de l'eau.
Lorsque seule une fraction du volume du sol reçoit de l'eau, les racines des plantes se
concentrent dans la portion humide du sol. Il est donc important d'apporter à cette zone
racinaire restreinte les nutriments essentiels à la croissance de la plante. Si l'on
épand des engrais secs à la surface du sol, on ne peut pas être sûr qu'ils
pénétreront au bon endroit, d'autant plus si des méthodes d'irrigation souterraine sont
pratiquées. L'expérience a montré que l'efficacité de l'engrais et de l'eau est
renforcée si les éléments nutritifs sont ajoutés à l'eau d'irrigation.
Le déversement simultané d'eau et d'engrais est aujourd'hui connu sous le nom de fertirrigation.
Cette méthode est une variante particulière de la notion plus générale d'irrigation
fertilisante, qui consiste à introduire différents produits agrochimiques en
solution dans la rhizosphère, par le canal du système d'irrigation. D'autres types de
produits chimiques sont appliqués selon ce procédé, notamment des herbicides sélectifs
pour supprimer les mauvaises herbes, des fongicides pour lutter contre les maladies
fongiques, et des nématocides pour protéger les racines des plantes cultivées contre
les nématodes phytopathogènes.
FIGURE 29
Réservoir de mélange de l'engrais pour l'injection de nutriments solubles
(fertirrigation) dans un système d'irrigation à conduites fermées
Dans les systèmes d'irrigation par canalisations fermées, le meilleur
procédé consiste à raccorder à la conduite principale un réservoir où l'on injecte
l'engrais (figure 29). Le montage d'un système de fertirrigation est relativement
simple. Aucun équipement spécialisé n'est nécessaire; il suffit d'une cuve d'une
capacité appropriée (20 à 100 litres), de préférence en matériau non corrosif, à
travers laquelle on laisse l'eau s'écouler. La cuve devrait avoir une large ouverture
munie d'un joint étanche pour pouvoir verser l'engrais et le mélanger. Dans les
systèmes nécessitant un dispositif de filtrage, comme le goutte-à-goutte ou la
microaspersion, le réservoir d'engrais doit être placé avant le filtre pour que les
particules insolubles provenant de ce réservoir n'obstruent pas les goutteurs.
De tous les nutriments essentiels des végétaux, celui que l'on trouve le plus souvent en
concentration insuffisante dans le sol est l'azote, dont les formes minérales (sulfate
d'ammonium, nitrate d'ammonium, nitrate de potassium et urée) sont généralement
facilement solubles. Les applications d'azote entraînent souvent une croissance et un
reverdissement spectaculaires des feuilles, surtout lorsque les plantes poussent sur des
sols lessivés à faible teneur en matière organique. Cependant, si l'on n'apporte que de
l'azote, les plantes risquent de présenter rapidement des carences en d'autres nutriments
principaux (phosphore et potassium), ainsi qu'en plusieurs autres éléments nutritifs
secon-daires.
En cas de besoin, la potasse est aussi disponible en formules concentrées solubles,
contenant du chlorure, du sulfate ou du nitrate de potassium. Il est parfois nécessaire
d'acidifier les engrais contenant du phosphore pour qu'ils se dissolvent plus facilement.
Dans les sols tropicaux très peu fertiles, les carences en éléments nutritifs
secondaires peuvent nécessiter des pulvérisations foliaires.
L'irrigation souterraine consiste à amener de l'eau jusqu'à la zone racinaire des plantes en régularisant, par des moyens artificiels, la hauteur de la nappe souterraine. Cette méthode peut être appliquée dans les endroits où la nappe est naturellement haute, ce qui est souvent le cas le long des vallées fluviales ou dans les plaines recouvrant des strates imperméables (figure 30).
FIGURE 30
Elévation ou abaissement de la nappe phréatique pour l'irrigation souterraine, en
contrôlant le niveau de l'eau dans des fossés parallèles
On creuse habituellement des tranchées ouvertes jusqu'à une profondeur
inférieure à la nappe, et le niveau de l'eau est contrôlé par des barrages
régulateurs ou des vannes. De cette manière, les tranchées peuvent servir soit à
drainer l'excédent d'eau et, partant, à abaisser la nappe phréatique pendant les
saisons humides, soit à élever la nappe en période sèche et, de ce fait, à humidifier
la rhizosphère par en dessous. Les tranchées ouvertes ont pour inconvénient de
«couper» le champ et de gêner les travaux de labour, de plantation et de récolte.
Elles diminuent aussi sensiblement la surface cultivable. On peut les éviter en plaçant
en dessous de la nappe des tuyaux poreux ou perforés (généralement en plastique
ondulé), munis de prises d'eau de distribution réglables. Ouvertes, les prises d'eau
font office de drains; fermées, elles permettent à la nappe d'eau de s'élever. Les
conduites souterraines sont cependant plus coûteuses à installer et plus difficiles à
entretenir, car elles tendent à être bouchées par de la terre ou de l'oxyde de fer
précipité.
L'irrigation souterraine peut être utilisée pour arroser les cultures de plein champ,
les pâturages et les vergers. Elle convient particulièrement bien aux plantes
hydrophiles, telles que la canne à sucre et les dattes. L'uniformité de l'irrigation
dépend de la régularité de la surface et de l'uniformité du sol.
Le contrôle précis du niveau d'une nappe d'eau souterraine peu profonde est une tâche
délicate et difficile comportant de grands risques. La profondeur idéale de la nappe
d'eau devrait être de 30 à 60 cm en dessous de la rhizosphère. Si elle est plus
élevée, elle tend à engorger le sol , à limiter l'aération et à provoquer une
ascension capillaire et une évaporation à la surface, où les sels risquent de
s'accumuler. Par ailleurs, si elle est maintenue à un niveau trop bas, la plante risque
d'être privée de l'humidité dont elle a besoin. En poussant, la plante absorbe plus
d'humidité et son système racinaire s'étend vers le bas, si bien que la nappe tend à
baisser, sauf si on la maintient à dessein à un niveau élevé.
Etant donné que la source d'eau se trouve en dessous de la zone racinaire, celle-ci est
approvisionnée en eau par capillarité. Le fonctionnement du système dépend donc des
caractéristiques de sorption du sol. Un sol à texture fine (argileux) tend à s'engorger
d'eau et à limiter l'aération. Dans un sol argileux, l'eau d'irrigation souterraine ou
de drainage s'écoule aussi plus lentement. Dans ce type de sol, les tranchées ou les
conduites souterraines doivent être moins espacées. En revanche, un sol à texture
grossière (sableux) a une capacité de rétention hydrique trop faible et tend à
s'assécher trop vite. Comme avec les autres méthodes d'irrigation, rien ne saurait
remplacer l'expérience locale en matière de maîtrise de l'eau, basée sur la
connaissance des caractéristiques spécifiques du sol et des besoins des plantes.