En général, le terme efficacité est utilisé pour quantifier la production (extrant) relative pouvant être obtenue d'un facteur (intrant) donné. S'agissant de l'utilisation de l'eau d'irrigation, l'efficacité peut être définie de différentes manières, suivant la nature des intrants et des extrants pris en considération. On peut, par exemple, prendre comme critère économique de l'efficacité la rentabilité financière de l'irrigation par rapport à l'investissement réalisé pour apporter l'eau. Dans ce cas, le problème est que les coûts et les prix fluctuent d'une année sur l'autre et varient considérablement selon les endroits. En outre, certains coûts et certains avantages de l'irrigation sont difficilement quantifiables en termes économiques ou financiers, surtout dans les endroits où l'économie de marché n'est pas encore pleinement développée. Souvent, seuls les coûts et les avantages immédiats sont visibles alors que les avantages et les inconvénients à long terme ne sont pas pleinement compris dès le départ. Comment donner une valeur économique au fait de protéger la population d'une région des effets potentiels d'une sécheresse si l'on ne connaît pas les probabilités de sécheresse ni leur gravité? Un certain degré d'incertitude est donc inévitable.
D'un point de vue plus strictement technique, ce que les spécialistes de
l'irrigation appellent efficacité du transport de l'eau est le rapport entre le
volume net d'eau distribué sur une exploitation et le volume prélevé dans une source
donnée. La différence entre les deux volumes représente les pertes par infiltration et
par évaporation subies en cours de route, de la source au champ. Généralement le risque
de détérioration de la qualité de l'eau par la pollution d'origine animale ou humaine,
par exemple si l'eau des canaux est utilisée pour la lessive ou l'évacuation des
déchets, n'est pas pris en compte dans le calcul de l'efficacité du transport.
Le terme efficacité de l'application sur l'exploitation ou efficacité de
l'irrigation au champ se réfère généralement à la fraction du volume d'eau
déversé dans une parcelle ou dans un champ, qui est «consommée» par la culture, par
rapport au volume distribué. La quantité consommée est le volume d'eau effectivement
absorbé par la plante, dont la plus grande partie est généralement «transpirée» dans
l'atmosphère (seule une petite fraction, souvent moins de 1 pour cent, étant retenue
dans la biomasse végétale). De nombreux éléments démontrent que, sous un climat
donné, la croissance de nombreuses plantes cultivées est directement liée à la
quantité d'eau qu'elles rejettent par transpiration. Ceci s'explique par le fait que le
CO2 servant à la photosynthèse et à la transpiration passe simultanément
par les mêmes stomates des feuilles, si bien que les deux processus devraient être à
peu près proportionnels.
Cependant, dans la pratique, lorsque l'on parle du volume d'eau consommé au champ, on se
réfère à l'évapotranspiration plutôt qu'à la transpiration à elle seule.
L'évapotranspiration comprend, outre la quantité d'eau transpirée par les plantes, la
quantité qui s'est évaporée directement de la surface du sol sans avoir été absorbée
par les végétaux. Elle comprend aussi souvent la quantité d'eau interceptée par le
feuillage (par exemple, pour les cultures sous irrigation par aspersion) qui s'est
évaporée sans pénétrer dans le sol ou dans la plante. Si l'on assimile
l'évapotranspiration à la «consommation utile» c'est parce que, dans la pratique, il
est difficile de mesurer l'évaporation directe séparément de la transpiration, si bien
que l'on confond les deux termes pour simplifier.
Il est cependant clair qu'une bonne partie de l'eau qui s'évapore sans pénétrer dans la
plante est consommée inutilement. C'est pourquoi, toute méthode d'irrigation qui
minimise l'évaporation (mais pas la transpiration) est susceptible d'augmenter
l'efficacité de l'utilisation de l'eau par la plante. C'est précisément ce que
réussissent à faire quelques-unes des méthodes décrites dans cette publication: elles
introduisent l'eau directement dans la zone des racines (rhizosphère) sans asperger le
feuillage ou mouiller toute la surface du sol. Ces méthodes d'irrigation d'une surface
partielle ont aussi pour avantage de maintenir sèche la plus grande partie de la surface
du sol (entre les rangs cultivés). Cela empêche la croissance des adventices qui, sans
cela, feraient concurrence aux plantes cultivées pour les nutriments et l'humidité dans
la rhizo-sphère et pour la lumière au-dessus du sol, et gêneraient les travaux des
champs et la lutte contre les ravageurs.
Même si l'évapotranspiration totale désigne la consommation utile, dans la plupart des
périmètres d'irrigation traditionnels l'efficacité de l'application au champ reste
très faible: généralement moins de 50 pour cent et souvent à peine 30 pour cent. La
surirrigation entraîne généralement des pertes car une partie de l'eau déversée
ruisselle à la surface du champ ou s'infiltre en profondeur en dessous de la
rhizosphère, dans le champ. Il est difficile de contrôler les pertes par ruissellement
et par percolation en profondeur avec les systèmes d'irrigation par surverse ou par
sillons où l'on applique un volume d'eau important en une seule fois. Il est toutefois
possible de les réduire au minimum en déversant directement dans la rhizosphère un
volume limité d'eau, à un débit lent, pendant une période de temps prolongée.
Cependant, même avec les meilleures pratiques d'irrigation, les valeurs de l'efficacité
de l'application au champ n'atteignent jamais 100 pour cent. Cela ne devrait du reste pas
être l'objectif visé car une certaine fraction de l'eau appliquée doit pouvoir
s'infiltrer vers le fond et lessiver les sels qui, sans cela, s'accumuleraient dans la
rhizosphère1. Mais avec une gestion soigneuse, les valeurs de l'efficacité de
l'application de l'eau au champ peuvent approcher 90 pour cent et certaines des méthodes
décrites dans cette étude permettent d'atteindre des valeurs de 80 pour cent.
Il convient ici de faire une réserve. Aucune méthode ou technologie d'irrigation ne
garantit en elle-même une efficacité élevée. La gestion du système est primordiale.
S'il est mal géré, même un système ultra perfectionné peut entraîner un gaspillage
d'eau et être inefficace. Seule une gestion bien informée, expérimentée et attentive
peut garantir que les systèmes appropriés produisent tous leurs avantages potentiels
(figure 8).
FIGURE 8
Schéma de la distribution des racines des plantes
L'indice physiologique, connu sous le nom d'efficacité de l'eau
utilisée par les cultures est très différent des critères d'efficacité
strictement techniques. En effet, il mesure la réponse de la culture à l'irrigation, non
pas en pourcentage, mais d'après la biomasse totale produite (matière sèche recouvrant
le sol) par masse unitaire d'eau absorbée par la culture. Etant donné que, comme on l'a
mentionné plus haut, les plantes transpirent normalement bien plus de 90 pour cent de
l'eau qu'elles absorbent dans le champ, l'efficacité de l'eau utilisée par les cultures
est la réciproque de ce que l'on a longtemps appelé le ratio de transpiration, ou
rapport entre la quantité d'eau transpirée et la quantité de matière sèche produite
(tonne/tonne). Il peut être de l'ordre de 1 000 ou plus dans un climat sec où le
besoin d'évaporation est élevé.
L'efficacité de l'eau utilisée par les cultures peut aussi être mesurée par la
production commercialisable obtenue par volume unitaire d'eau. Cette expression est égale
à la biomasse se trouvant au-dessus du sol pour les cultures cultivées et récoltées à
des fins fourragères, mais tout à fait différente lorsque seuls le fruit, la graine ou
la fibre peuvent être commercialisés. En général, à quelques exceptions près , le
rendement de ces produits est proportionnel à la croissance totale et donc aussi à la
transpiration.
Encadré 1Récapitulatif des mesures permettant d'améliorer l'efficacité de l'eau utiliséeConservation de l'eau
Renforcement de la croissance des cultures
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Pour maximiser l'efficacité de l'eau utilisée par les cultures, mesurée par l'un des deux critères ci-dessus, il faut à la fois conserver l'eau et encourager une croissance maximale. La première de ces tâches impose de minimiser les pertes dues au ruissellement, à l'infiltration, à l'évaporation et à la transpiration des adventices. La deuxième commande de planter des cultures à haut rendement bien adaptées au sol et au climat locaux, mais aussi d'optimiser les conditions de végétation en effectuant, comme il convient et en temps opportun, les semis, la récolte, les travaux du sol, les opérations de fertilisation et de lutte contre les ravageurs. Bref, pour élever le rendement de l'eau consommée, il faut adapter des pratiques de culture rationnelles du début à la fin.
FIGURE 9
Bilan hydrologique d'un champ
Enfin, tous les indices de l'efficacité qui précèdent peuvent être réunis en un seul concept, dit du rendement agronomique global de l'eau utilisée, Fag:
où P est la production végétale (matière sèche totale ou produit
commercialisable, selon le cas), et U est le volume d'eau déversé.
Etant donné que seule une fraction de l'eau déversée dans le champ est effectivement
absorbée et utilisée par la culture, il faut prendre en considération les diverses
composantes du dénominateur U:
U = R + D + Ep + Es + Tw + Tc (2)
où R est le volume d'eau perdu par ruissellement, D le volume drainé
en dessous de la rhizosphère (percolation profonde), Ep le volume perdu par
évaporation pendant le transport et l'application au champ2, Es le
volume évaporé de la surface du sol (principalement entre les rangs des plantes
cultivées), Tw le volume transpiré par les adventices et Tc
le volume transpiré par les plantes cultivées. Tous ces volumes concernent la même
surface unitaire.
En conséquence,
Avec l'irrigation par surverse, telle qu'elle est communément pratiquée
dans les systèmes de captage des cours d'eau, l'épandage excessif d'eau entraîne
souvent un ruissellement très important, une évaporation des surfaces d'eau exposées à
l'air et une transpiration par les adventices. L'auteur a constaté que ces pertes
atteignent couramment 20 pour cent, voire 30 pour cent du volume déversé. En outre, les
pertes d'eau dues à la percolation en dessous de la rhizosphère peuvent être de l'ordre
de 30 pour cent ou même de 40 pour cent. En conséquence, la fraction effectivement
absorbée par la plante est souvent inférieure à 50 pour cent et atteint parfois à
peine 30 pour cent.
En prévenant le ruissellement et l'évaporation directe de l'eau libre, en minimisant
l'évaporation de la surface du sol (par exemple avec le système d'irrigation d'une
surface partielle évitant de mouiller la terre entre les rangs) et en luttant
efficacement contre les adventices et, enfin, en dosant les applications en fonction des
besoins des cultures de façon à éviter une percolation excessive, les pertes totales
peuvent être réduites à moins de 20 pour cent du volume déversé. L'efficacité de
l'irrigation peut alors atteindre ou dépasser 80 pour cent.
Enfin, et ce n'est pas le moins important, il est possible d'augmenter considérablement
le numérateur de l'équation (P, la production potentielle) en sélectionnant
judicieusement les cultures et les variétés, en optimisant les apports d'engrais et les
façons culturales, et en effectuant les semis et la récolte en temps voulu. On le voit,
avec les nouvelles techniques d'irrigation, le rendement agronomique de l'eau utilisée
peut être considérablement plus élevé qu'avec les méthodes traditionnelles, où il
est faible.
1 Même si elle est de bonne qualité, l'eau d'irrigation
contient toujours des sels, dont la plupart se déposent au fur et à mesure que les
racines absorbent l'eau contenue dans le sol.
2 L'eau peut s'évaporer des masses d'eau exposées à l'air dans le cas
d'une irrigation de surface, ou parce qu'elle est dispersée par le vent et interceptée,
si l'on pratique l'irrigation par aspersion.