L'irrigation n'est pas simplement une opération mécanique visant à distribuer de l'eau aux cultures. C'est aussi une activité humaine et une entreprise sociale. On ne peut s'intéresser au développement de l'irrigation sans noter que, en fin de compte, le succès de tout projet est fonction de la qualité de l'effort humain qui a été investi. En outre, un projet d'irrigation n'est pas seulement un système destiné à accroître la production agricole, c'est aussi, et peut-être même avant tout, un lieu où une communauté d'individus et de familles peuvent vivre en bonne santé, tout en travaillant ensemble et en contribuant à la sécurité alimentaire de leur nation (figure 34).
FIGURE 34
Les conséquences de l'irrigation
Comme dans toute autre activité humaine, la première condition de
succès est que les travailleurs participant à l'installation du système soient
fortement motivés et prennent leur tâche à cur. La seconde est qu'ils soient informés
comme il convient; il ne suffit pas qu'ils aient reçu une formation pour exécuter les
opérations de routine, il faut aussi qu'ils puissent comprendre les principes
fondamentaux de la gestion rationnelle de l'irrigation. A cet égard, les investissements
dans la recherche et dans la formation du personnel sont encore plus cruciaux que les
investissements dans les tuyaux et les pompes. La troisième exigence est, bien entendu,
que les agents d'irrigation puissent accéder (de préférence, en les achetant) aux
intrants matériels dont ils ont besoin pour obtenir un rendement maximal de leur travail.
L'une des plus graves erreurs que puissent commettre les ingénieurs ou les gestionnaires
en irrigation est d'adopter une attitude autoritaire, et de partir du principe que les
travailleurs doivent obéir aux instructions qui leur sont données «d'en haut», sans
discuter. Priver des êtres humains intelligents de tout intérêt personnel pour leur
propre travail, et des motivations qui les inciteraient à mettre en pratique leur
capacité créative, c'est gaspiller une ressource plus précieuse encore que le sol et
l'eau. Les travailleurs à qui l'on donne le sentiment de participer, et qui reçoivent
des récompenses proportionnelles à leur initiative et à leur contribution, sont
beaucoup plus intéressés par leur travail et se consacrent beaucoup plus à sa
réussite. On peut leur offrir des incitations d'ordre social, administratif, économique
ou - mieux encore - une combinaison des trois.
La meilleure incitation consiste à autoriser, et même à encourager, les individus et
les familles à travailler pour eux-mêmes, en bonne intelligence avec leurs voisins, sur
leurs propres parcelles, tout en leur garantissant l'accès à l'eau et aux autres
facteurs de production essentiels. Pour atteindre cet objectif, les décideurs et les
organismes administratifs doivent résoudre un ensemble de problèmes complexes: ils
doivent notamment introduire une réforme agraire, garantir la sécurité de jouissance
des terres et les droits à l'eau des agriculteurs, et coordonner l'allocation et
l'utilisation des ressources entre les différents secteurs en concurrence; mais toutes
ces questions dépassent largement le cadre limité de cette étude.
Un programme d'irrigation permet non seulement de donner des incitations aux travailleurs,
mais aussi de contribuer au bien-être humain dans un sens plus large. Dans les pays en
développement, beaucoup de systèmes d'irrigation, sinon la plupart, servent aussi
d'autres objectifs que la production agricole: besoins en eau des ménages, évacuation
des eaux usées, production d'énergie électrique, transports, pêche et loisirs.
Quelques-uns de ces besoins peuvent entrer en concurrence ou en conflit avec les objectifs
de base pour lesquels le projet d'irrigation a été conçu, particulièrement s'ils n'ont
pas été identifiés dès le départ et inclus dès les premiers stades de la
planification.
Les projets d'irrigation peuvent comporter un risque grave pour la santé si l'eau
transportée dans des canalisations à ciel ouvert est utilisée pour boire, se baigner,
faire la lessive et si des déchets d'origine humaine et animale y sont évacués.
Quelqu'un a dit «Là où va l'eau, la maladie suit». Malheureusement, les structures
d'entreposage et de transport de l'eau sont des terrains favorables à la reproduction des
vecteurs de maladies (tels que les moustiques et les escargots) et des pathogènes
responsables de certaines des maladies les plus débilitantes qui se propagent dans le
monde en développement. Parmi celles-ci, on peut citer la schistosomiase (bilharziose),
l'onchocercose (cécité des rivières), la malaria, le choléra, la dysenterie et
d'autres maladies intestinales. C'est pourquoi des spécialistes de la santé publique
devraient intervenir dans la planification et le fonctionnement de tous les réseaux
d'irrigation, ainsi que dans la remise en état ou la modernisation des systèmes
existants.
Certaines précautions peuvent contribuer au contrôle de la propagation des maladies
d'origine hydrique. Il faudrait, notamment:
Toutes ces précautions sont particulièrement efficaces dans les
systèmes où l'eau est transportée dans des canalisations fermées et où l'accès aux
réservoirs d'irrigation est limité. Ces systèmes d'adduction peuvent aussi faciliter
l'adoption des méthodes d'irrigation HELPFUL (méthodes d'irrigation peu
coûteuses et efficaces, basées sur des applications fréquentes d'un faible volume d'eau
sur un partie du champ), décrites dans ce document.
Comme on peut le voir, le développement et la gestion rationnels de l'irrigation
représentent une entreprise complexe qui recouvre de nombreux aspects, allant bien
au-delà de l'hydraulique et de l'agronomie. Chaque projet d'irrigation est bien entendu
conçu et géré d'une façon spécifique, qui n'est pas seulement dictée par les
conditions physiques et agronomiques qui prévalent sur le site. Une combinaison
spécifique de facteurs humains et économiques entre en jeu dans chaque cas et toute
initiative visant à promouvoir ou à améliorer la pratique de l'irrigation doit en tenir
compte.