Il fut un temps où les experts des pays industrialisés étaient convaincus d'avoir des solutions toutes prêtes pour remédier aux problèmes du sous-développement dans le tiers monde. Il suffisait, pensaient-ils, de transférer le savoir-faire et l'équipement disponibles pour que le développement et la modernisation suivent automatiquement. Malheureusement, ce fut une erreur coûteuse qui, trop souvent, a débouché sur l'introduction hâtive, voire l'imposition, de systèmes qui étaient en contradiction ou en conflit avec le contexte environnemental, culturel ou socioéconomique local. De faux départs et des initiatives malencontreuses ont nui aux tentatives de transfert de technologie. Bien souvent, les ressources considérables, qui ont été investies, n'ont engendré que déception et désillusion.
La plupart des capitaux qui ont été investis dans l'irrigation dans les
pays en développement ont concerné des projets de grande envergure, dans l'espoir
d'obtenir des augmentations de production massives et rapides. En général, une
institution nationale ou internationale bien intentionnée concevait et finançait un
projet de prestige, fondé sur des technologies élaborées. Des experts étaient
recrutés à l'étranger pour concevoir le système, puis on faisait appel à des
entreprises de sous-traitance ou d'amont pour exécuter le plan. Ensuite, la merveille de
la technologie moderne était assemblée et démontrée, à grands coups de publicité. Le
fossé des siècles avait été comblé, semblait-il, d'un simple coup de maître.
Ensuite, une fois qu'elles avaient fait leur travail et récolté les fruits, les
sociétés étrangères s'éclipsaient. Peu après, le système sophistiqué tombait en
panne par suite de la défaillance d'un rouage ou de l'inexpérience et de l'incurie du
personnel chargé de le faire fonctionner . L'absence de ressources locales et la
difficulté de faire venir des pièces de rechange et des experts de l'étranger,
exacerbées par la présence d'une main-d'uvre sous-payée et indifférente car privée
d'incitations, se conjuguaient pour retarder les réparations requises, si bien que la
panne n'était jamais réparée. Tout le système coûteux qui avait été installé
restait alors inutilisé, tel un monument muet au transfert de technologie inappropriée.
Les grands systèmes d'irrigation par aspersion à têtes d'arroseurs rotatives,
préfabriqués à l'étranger et assemblés dans divers pays d'Afrique où la taille
traditionnelle des exploitations, le coût de l'énergie et les équipements et services
techniques disponibles ne sont pas du tout les mêmes que dans les pays industrialisés,
en sont un exemple. Dans de nombreux endroits, ces machines imposantes sont devenues des
objets inutiles.
Comme la plupart des organisations chargées de la conception des projets d'irrigation
sont spécialisées dans le génie civil, elles ont tendu à privilégier la conception et
la construction des grands systèmes d'adduction d'eau et à se désintéresser des
aspects de la gestion des petits systèmes d'irrigation sur les exploitations. Dans
certains pays, il existe encore une dichotomie entre l'organisme chargé de la mise en
valeur des ressources en eau et de l'allocation et de la distribution de l'eau par les
canaux, et l'organisme chargé de superviser l'utilisation de l'eau dans les champs par
les paysans locaux. Souvent l'organisme de mise en valeur des ressources en eau a plus de
pouvoirs, de moyens financiers et de prestige que celui chargé de la gestion sur les
exploitations, aussi le premier est-il peu enclin à accepter les conseils du second sur
les options d'allocation de l'eau.
Les principaux décideurs ont tendu à favoriser les projets d'investissement de grande
envergure comportant des travaux gigantesques et à se désintéresser des besoins plus
modestes des unités agricoles indigènes, et des questions concernant la formation et
l'entretien qui intéressent le personnel subalterne privé de pouvoir décisionnel. Les
décideurs de haut niveau pensaient que le développement de l'irrigation demanderait
moins de temps et étaient contrariés par les contraintes d'ordre technique ou humaines.
Certains n'ont pas été suffisamment conscients du fait que la technologie qu'ils
tentaient de transférer des pays industrialisés s'était développée dans une économie
de marché à fort coefficient de capital, basée sur la fourniture immédiate de services
techniques et une infrastructure économique complexe. En outre, les institutions de
financement et les sociétés de sous-traitance ont naturellement eu tendance à
préférer les grands projets qui leur permettaient de vendre des équipements et des
services coûteux, alors, qu'en réalité, ce sont souvent les petits projets pilotes, où
les compétences humaines et la main-d'uvre locale revêtent une plus grande importance,
qui offrent le plus de possibilités d'obtenir des progrès durables.