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Cities and nature

Future societies seem destined to undergo galloping urbanization and, in most cases, a gradual decline of nature areas, with urban development usually occurring at the expense of the natural environment. However, if cities are to prosper and expand without harming nature, they must be organized in such a way that nature remains an important feature of their centres and peripheries, at least in the form of non-urbanized semi-nature areas.

From this standpoint, this article examines two series of juridical instruments that could help attenuate the detrimental consequences of urban development for the natural environment: on the one hand, mechanisms aimed at restricting urban growth and thus preventing the uncontrolled, disproportionate spread of urbanization; on the other, mechanisms to ensure some control over urban densities and thus a degree of environmental conservation in the city areas.


La ciudad y el medio natural

Las sociedades del futuro parecen abocadas a una urbanización acelerada. En la mayoría de los casos esto se traducirá en una disminución progresiva de los espacios naturales, puesto que el desarrollo urbano suele avanzar a expensas del medio natural. Ahora bien, si es cierto que la ciudad debe evitar crecer y extenderse en detrimento de la naturaleza, también lo es que debe organizarse de tal manera que en su interior y en sus alrededores siga habiendo un lugar importante para ella, o por lo menos para los espacios seminaturales no urbanizados.

A partir de este planteamiento, el autor analiza dos series de instrumentos jurídicos que pueden contribuir a atenuar los efectos perjudiciales del desarrollo de las ciudades en el medio natural: por una parte, la introducción de mecanismos encaminados a limitar la expansión urbana, a fin de evitar que las ciudades aumenten de manera desmesurada y anárquica; por otra parte, los mecanismos que permitan asegurar un cierto control de la densificación urbana, con objeto de organizar el medio ambiente en la ciudad.


La ville et la nature

Mohamed Ali Mekouar

Juriste principal, Bureau juridique de la FAO

Les sociétés de demain semblent vouées à une urbanisation rampante. Le plus souvent, celle-ci se traduira par un amenuisement progressif des espaces naturels. En effet, le développement urbain se fait d’ordinaire aux dépens du milieu naturel. Or, si la cité doit éviter de prospérer et de s’étendre au détriment de la nature, elle doit aussi s’agencer de telle manière que, en son sein et à ses portes, il reste une place importante pour la nature ou, à tout le moins, pour des espaces «semi-naturels» non urbanisés.

Partant de ce point de vue, l’auteur analyse deux séries d’instruments juridiques qui peuvent être mis à contribution pour atténuer les effets préjudiciables du développement de la cité sur le milieu naturel: d’un côté, la mise en place de dispositifs visant à limiter l’expansion urbaine afin d’éviter que les villes ne s’étalent de façon démesurée et anarchique; de l’autre, ceux conçus pour assurer une certaine maîtrise de la densification urbaine dans le souci de ménager l’environnement dans la cité.

REMARQUES LIMINAIRES

Le monde s’urbanise de plus en plus rapidement, en particulier, semble-t-il, dans les pays en développement (Martinotti, 1992). En l’espace de quelques décades seulement, l’urbanité s’est imposée massivement: «Au début du XIXe siècle, à peine 3 pour cent de la population mondiale étaient urbanisés; dans cinq ans, plus de la moitié de l’humanité le sera» (Ramonet, 1996)1. Certes, les statistiques démographiques sont discutables2, mais les villes, affirme-t-on, représentent assurément «notre avenir commun» (Töpfer, 1996). Désormais, il y aurait une sorte de fatalité urbaine à laquelle les sociétés contemporaines ne sauraient se soustraire: la ville serait le destin de l’homme3.

De fait, alors que près de la moitié de la population mondiale se serre déjà dans les cités, ces dernières sont, en général, appelées à croître et à se multiplier davantage lors des prochaines décennies4. Les sociétés de demain semblent, par conséquent, vouées à une urbanisation rampante. Or, le plus souvent, celle-ci se traduira par un amenuisement progressif des espaces naturels. En effet, le développement urbain se fait d’ordinaire aux dépens du milieu naturel. Consommatrices de nature, la plupart des villes s’installent ou s’étendent dans les zones rurales, agricoles, forestières ou humides, qu’elles «mitent» largement ou qu’elles absorbent complètement. A mesure que les cités se déploient et que le béton avance, la nature recule ou s’efface, intra muros autant que dans les périphéries.

Mais s’il est vrai que les villes grossissent au détriment de la nature, en termes d’extension spatiale, elles n’occupent en réalité que 1 à 2 pour cent de la surface terrestre de la planète. Bien qu’elles ne cessent de s’étaler, les villes ne sont donc pas ces énormes dévoreuses d’espace que l’on imagine communément. En revanche, elles consomment environ 75 pour cent des ressources du globe et elles génèrent, proportionnellement, des quantités similaires de déchets (Girardet, 1996).

C’est donc là, au fond, que réside le vrai problème de la ville. Il est essentiellement dans la portée considérable de son «empreinte écologique», c’est-à-dire dans la profondeur de ses effets sur l’environnement, qui peuvent se manifester, directement ou indirectement, à des centaines ou à des milliers de kilomètres de distance du périmètre urbain, en particulier dans les pays riches5. Londres, la «mère des mégalopoles» (Girardet, 1996), illustre bien ce constat: on estime que son empreinte écologique est – compte tenu de ses besoins en aliments, produits forestiers et assimilation de carbone – 120 fois plus grande que la superficie qu’elle occupe physiquement (Rees, 1996)6. C’est dire que les limites écologiques d’une ville sont loin de coïncider avec ses limites géographiques sur la carte (Harrison, 1992).

Pour autant, essor de la ville et sauvegarde de la nature ne sont pas fatalement antagoniques. Interdépendants sur le plan économique, ces deux objectifs sont aussi écologiquement conciliables, pour autant que le développement urbain soit conçu et mené dans le respect du milieu naturel (Baker, 1995). Dernièrement, cette imbrication nécessaire de l’urbain et du rural a été rappelée par la Déclaration d’Istanbul sur les établissements humains, qui a été adoptée en juin 1996 à l’issue d’Habitat II, après avoir été soulignée lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro en 1992 dans Action 21, spécialement dans le chapitre plaidant pour un «modèle viable d’établissements humains».

Comment cette problématique est-elle appréhendée par le droit comparé? Quelles solutions se dégagent, à cet égard, des législations nationales, notamment des textes relatifs à l’environnement, à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire? A travers le thème «ville et nature»», on essaiera d’apporter des éléments de réponse en examinant les outils juridiques visant à assurer le maintien, la réhabilitation ou la création d’espaces naturels en milieu urbain et périurbain, dans des contextes généralement caractérisés par l’extension des villes et la pénurie foncière.

A cette fin, il y a lieu de s’intéresser aux dispositifs juridiques ayant trait, notamment: au contrôle de l’extension des villes au détriment des zones écologiquement vulnérables et des terres agricoles; au maintien des espaces de culture dans les centres urbains; à la politique des espaces verts en ville; aux documents d’urbanisme et à la sauvegarde des espaces naturels en milieu urbain; et à la protection et à l’utilisation des cours et plans d’eau urbains. Quelques-unes de ces questions seront abordées ci-après en considérant la régulation du rapport ville/nature d’un double point de vue: d’une part, dans l’optique de l’insertion de la ville dans la nature et, d’autre part, dans l’optique du maintien de la nature dans la ville.

LA VILLE DANS LA NATURE

Sous cet angle d’approche, deux séries d’instruments juridiques peuvent être mis à contribution pour atténuer les effets préjudiciables du développement de la cité sur le milieu naturel. D’un côté, il y a les dispositifs visant à limiter l’expansion urbaine afin d’éviter que les villes ne s’étalent de façon démesurée et anarchique. De l’autre, il y a ceux qui sont conçus pour assurer une certaine maîtrise de la densité urbaine dans le souci de ménager l’environnement dans la cité.

Confinement de l’expansion urbaine

A ce titre, on peut envisager deux types de dispositifs susceptibles de contenir les villes et d’en contrôler l’expansion: d’une part, les instruments de planification et d’organisation de l’espace et, d’autre part, les techniques de zonage. Quant aux premiers, ce sont des documents relatifs à l’urbanisme et à l’aménagement tels que les schémas ou plans directeurs – ou leurs équivalents – qui, habituellement, fixent les orientations fondamentales du développement urbain et de l’aménagement du territoire. Ce faisant, ils visent en général à atteindre un équilibre entre ville et campagne, entre extension urbaine et préservation de la nature (Prieur, 1996)7.

Ce genre de documents existe presque partout et fait l’objet de réglementations plus ou moins détaillées d’un pays à l’autre. Toutefois, la mise en œuvre de ces documents est souvent entravée par des contraintes d’ordres divers, particulièrement dans les pays en développement.

Parmi les obstacles couramment rencontrés, certains sont de nature proprement juridique, tel le manque de base légale ou de valeur contraignante des documents en question (comme en droit malgache, par exemple). D’autres entraves tiennent plutôt aux difficultés matérielles: insuffisance des moyens humains et financiers permettant de les exécuter et de les actualiser de façon régulière. Si bien que, en pratique, l’apport réel de ces instruments est fort limité eu égard à la majorité des villes du sud, dont le développement reste assez peu respectueux de ces documents de planification de l’évolution urbaine.

S’agissant des instruments de zonage, ils permettent aussi, lorsque les conditions de leur mise en œuvre sont réunies, de soustraire certains espaces à la progression des cités. Ainsi trouve-t-on fréquemment des textes instituant des zones à vocation agricole – non sujettes à urbanisation – dont le but est généralement de freiner l’envahissement des espaces de culture par les établissements humains, notamment à la périphérie des villes. Dans cette optique, on peut citer les textes suivants:

Maîtrise de la densité urbaine

Il ne s’agit plus ici des dispositifs de contrôle de l’expansion extra muros des agglomérations urbaines, mais de ceux tendant à maîtriser la densité du tissu urbain à l’intérieur de la ville ou au voisinage de son périmètre, afin d’éviter qu’elle ne soit trop forte («bétonnage» du paysage), ou au contraire trop faible («mitage» du paysage). Les instruments juridiques pouvant servir cet objectif sont principalement de trois sortes: les documents locaux de planification urbaine; les dispositions concernant la construction et le lotissement; et les réglementations empêchant la dispersion de l’habitat.

En matière de planification urbaine locale, on trouve fréquemment des plans d’occupation ou d’affectation des sols et autres documents similaires d’aménagement ou de développement local, dans lesquels des portions de l’espace urbain et périurbain sont délimitées et sauvegardées en raison de leur valeur écologique ou de leur intérêt agricole. Dans cet ordre d’idées, le droit malgache interdit les constructions immobilières dans les rizières. Celui de la République démocratique du Congo préscrit pour sa part, à travers les plans d’aménagement locaux ou particuliers, le maintien de réserves boisées en ville, mesure qui n’a cependant pas empêché la conversion de celles-ci en parcelles d’habitation. En France, le plan d’occupation des sols doit notamment délimiter les secteurs à protéger pour des motifs écologiques et localiser les terrains cultivés non constructibles (article L 123-1 de la Loi d’orientation pour la ville de 1991).

En ce qui concerne les dispositifs relatifs à la construction et au lotissement, il est fréquent que ceux-ci assujettissent la délivrance des permis et des autorisations nécessaires à la réalisation des travaux pour le maintien ou la création d’espaces verts dans les sites considérés. Ainsi, le Programme d’aménagement et d’urbanisme de Niamey (1984) impose-t-il aux lotisseurs des prescriptions concernant les espaces verts; dans les faits, néanmoins, celles-ci sont rarement respectées, ces espaces étant souvent morcelés et revendus. En Belgique (région wallonne et Bruxelles), le permis de lotir suppose l’établissement d’un projet de lotissement spécifiant les espaces naturels existants et futurs. En droit québécois, le règlement de zonage peut exiger la plantation d’arbres ou restreindre leur abattage, tandis que le règlement de lotissement peut subordonner l’autorisation de projets de développement urbain à la création d’espaces naturels ou de parcs de loisirs. Au Sénégal, les lotissements et les constructions sont soumis à l’obligation de réserver des emplacements à l’aménagement de jardins publics ou d’espaces verts, alors que les bâtiments industriels doivent être dotés d’écrans de verdure.

Il y a enfin, au nombre de ces dispositifs de maîtrise de la densité urbaine, les mesures visant à lutter contre l’éparpillement des établissements humains et le mitage de la nature qui en résulte. Elles préconisent généralement une progression ininterrompue des agglomérations et de l’habitat afin de limiter l’amenuisement de la nature consécutif à l’urbanisation dispersée. Divers exemples peuvent en être puisés dans le droit français: i) la Loi sur la montagne de 1985 prescrit une urbanisation «en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants» dans le but de préserver les terres agricoles, pastorales et forestières;
ii) dans la même optique, la Loi littoral de 1986 dispose que l’extension urbaine «doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement»; de plus, elle interdit la création de nouvelles routes sur le rivage, les plages, dunes et cordons lagunaires; et iii) la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de 1995 permet, dans les zones densément urbanisées, la fixation d’objectifs pour la localisation d’infrastructures et d’équipements, ainsi que pour la préservation des espaces naturels.

LA NATURE DANS LA VILLE

Si la cité ne doit pas prospérer et s’étendre au détriment de la nature, elle doit aussi s’agencer de telle manière que, en son sein et à ses portes, il reste une place importante pour la nature ou, à tout le moins, pour des espaces «semi-naturels» non urbanisés. Ce souci d’assurer une certaine présence de la nature dans la ville est manifeste, par exemple dans le plan d’environnement pour un développement durable adopté par le Gouvernement wallon en 1995, dont l’un des objectifs est la protection et la restauration des éléments naturels constitutifs des paysages urbains. Plus largement, on trouve des échos de cette préoccupation en droit comparé sur un double plan: par le biais de la politique des espaces verts urbains et à travers le maintien de certaines activités rurales en ville.

Aménagement d’îlots «naturels»

En milieu urbain et périurbain, des îlots plus ou moins verts ou «naturels» peuvent être préservés, créés ou reconstitués par le jeu, notamment, des dispositions régissant les servitudes de l’urbanisme et de celles relatives aux espaces verts. Ainsi, en France, au titre des servitudes d’urbanisme, il est possible de conserver rigoureusement des «espaces boisés classés», qui sont protégés à des fins récréatives ou de pureté de l’air dans la ville, en les mettant à l’abri des coupes, défrichements et lotissements. De la même façon, des «zones naturelles de protection renforcée» peuvent être, en raison de leur valeur esthétique ou écologique, strictement préservées et affranchies de toutes constructions (Prieur, 1996).

Par ailleurs, il est rare aujourd’hui qu’une ville, au Nord comme au Sud, ne dispose d’une politique d’espaces verts, même s’il est tout aussi rare de voir une telle politique effectivement ou entièrement mise en œuvre dans les cités du tiers monde. Désormais, en effet, la double fonction des espaces verts urbains, écologique – équilibre naturel du milieu – autant que sociale – équilibre psychique des êtres humains – est largement reconnue en droit comparé. C’est par exemple le cas du plan régional de développement de Bruxelles, qui prescrit un «verdoiement systématique» de l’espace, un «maillage vert» constitué de parcs publics, promenades vertes, parcours paysagers, pistes cyclables, etc.

A Madagascar, les travaux nécessaires à la conservation des espaces verts urbains peuvent être déclarés d’utilité publique. Au Sénégal, le Code de l’urbanisme définit des normes d’espaces verts (superficie optimale requise pour satisfaire les besoins récréatifs des citadins), et le Code du domaine de l’Etat donne à la puissance publique un droit de préemption sur les terrains non bâtis, mis en vente aux fins de leur utilisation comme espaces verts (mais en pratique ces terrains sont plutôt destinés à l’habitat social). Enfin, à Brazzaville, des jardins publics d’agrément sont prévus par le Plan directeur de la ville (1980), mais ils sont soit laissés à l’abandon et donc dégradés, soit progressivement absorbés par les lotissements.

Outre le maintien ou la création d’espaces verts à l’intérieur de la ville, ainsi que la préservation et l’aménagement de coupures vertes entre les habitations, les grandes agglomérations sont de plus en plus souvent entourées de couronnes forestières ou de ceintures vertes. Dans l’ensemble, ces îlots de «nature» urbains et périurbains sont non seulement dotés d’un statut fortement protecteur, mais ils peuvent aussi, dans certains pays, bénéficier de mesures incitatives telles que:
i) subventions pour l’acquisition de terrains aménageables en espaces verts par les communes et aides pour l’aménagement de «coins verts» sur la voie publique, en Belgique; et ii) redevances d’espaces verts, plans verts départementaux et contrats verts d’agglomération entre l’Etat et les villes, programmes régionaux d’espaces verts, en France.

Maintien d’enclaves «rurales»

La cité méprise la campagne et s’efforce de l’exclure de son horizon. Dans les années 20, Max Weber exprimait implicitement ce dédain en définissant la ville comme «un établissement humain dont les habitants sont engagés principalement dans des activités productrices non agricoles» (dans La ville, cité par Coquery-Vidrovitch, 1995). Diverses raisons historiques, culturelles, hygiéniques, foncières, économiques et environnementales, sont à l’origine de ce rejet, dans l’espace et les esprits, du rural par l’urbain. Aussi est-il devenu traditionnel d’opposer ces derniers. Le droit lui-même consacre habituellement cette dichotomie en éloignant l’agriculture et l’élevage de la ville ou, au mieux, en les tolérant de façon marginale, ne permettant ainsi le maintien que de quelques enclaves de «ruralité» en milieu urbain: les jardins familiaux et autres enclos de culture intra muros.

Pourtant, sous l’effet de l’augmentation des populations urbaines et de l’affaiblissement des cultures rurales, les citadins sont de plus en plus nombreux, dans les villes du tiers monde, à devenir «agriculteurs» et/ou «éleveurs» informels et, si ce n’était pour la pénurie des terres agricoles en ville et en banlieue, ces nouveaux agriculteurs urbains feraient sans doute davantage d’émules8. En effet, les petits champs qu’ils cultivent et les animaux domestiques qu’ils élèvent, voire les arbres forestiers qu’ils plantent occasionnellement ou même la pêche qu’ils pratiquent parfois (Naud, 1995), servent autant à nourrir leurs propres familles (autoconsommation) qu’à leur procurer des compléments de revenu appréciables (vente des surplus). Cela fait que l’agriculture urbaine, naguère ignorée, décriée ou sous-estimée, suscite partout un intérêt grandissant, à mesure que l’on prend conscience de son importance économique et sociale (Aipira, 1995; Byerley, 1996; Egziabher, 1994; Lee-Smith et Lamba, 1991; Mibiba, 1995; Schilter, 1991; Stix, 1996; Zimi, 1993). Et, à un moindre degré, la foresterie urbaine a enregistré elle aussi quelques succès ces dernières années (Braatz et Kandiah, 1996; Cartier, 1995; Murray, 1996).

Par conséquent, l’agriculture urbaine est regardée d’un œil moins sévère par les décideurs politiques et les responsables municipaux. Mêmes les critiques fondées sur ses impacts écologiques négatifs semblent s’être atténuées. Ainsi, Smit (1996), auteur d’un récent livre qui fait autorité sur la question, estime que l’agriculture urbaine est vitale, à la fois pour la sécurité alimentaire et pour le développement durable. En effet, nombreuses sont les villes qui produisent une partie non négligeable de leur nourriture et de leurs combustibles, à des coûts économiques et écologiques généralement plus faibles, réduisant ainsi leur dépendance alimentaire9.

On constate par contre que les instruments juridiques susceptibles d’accompagner cette évolution font largement défaut: ils sont très rares, voire inexistants. Ainsi trouve-t-on difficilement des exemples de législations intéressantes en la matière. Au Congo, il existe des jardins maraîchers, gérés par des individus ou des groupements mais, en l’absence d’un statut juridique propre, ils sont en régression constante, victimes d’un encerclement progressif par les lotissements. En France, le Code rural contient des dispositions favorisant le jardinage familial, conçu comme une activité à mi-chemin entre le loisir dominical et la production pour l’auto-alimentation10.

Pour conclure, on peut affirmer que, dans l’ensemble, il manque encore une réelle politique incitative des potagers familiaux et, plus généralement, de l’agriculture urbaine, alors même que celle-ci participe de préoccupations complémentaires qui convergent vers la lutte contre la pauvreté, l’agriculture soutenable et la durabilité de la ville (Monédiaire, 1996). Pour l’instant, le droit pèche à cet égard par défaut ou par inertie dans la mesure où, n’encourageant presque pas – ou si peu – l’agriculture urbaine, il recèle en revanche des obstacles à son développement11. Il y a donc là un champ fécond pour une réflexion visant à réformer les législations urbaines, foncières et environnementales, notamment, dans le sens de la promotion d’une agriculture urbaine reconnue, contrôlée et viable (Tribillon, 1995). Donner à l’agriculture droit de cité en libérant de l’espace pour les plus pauvres, c’est aussi s’orienter vers une ville plus durable (Dansereau, 1991).

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1 Cette tendance forte se dégage de la plupart des études démographiques récentes, tel le rapport World Resources 1996-97 établi l’an dernier par le World Resources Institute. Il en ressort que la population urbaine mondiale croît actuellement au rythme de 170 000 personnes par jour, dont près de 90 pour cent dans les pays en développement – l’Afrique ayant le taux de croissance urbaine le plus élevé du monde.

2 Certains spécialistes mettent sérieusement en doute les chiffres que l’on avance à propos du phénomène urbain. Il est vrai que les indications les plus récentes – comme celles fournies par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) en juin 1997 – corrigent à la baisse les prédictions antérieures concernant l’accroissement des citadins. Mais d’aucuns contestent la sincérité même de ces chiffres, au motif qu’ils seraient prétendument gonflés pour accréditer l’idée que l’urbanisation constitue un danger pour l’humanité. C’est notamment le cas de F. Moriconi-Ebrard (1996), pour qui la «menace urbaine» relève plutôt du mythe. Basée sur «des prévisions et des projections que la réalité ne cesse de démentir», elle «risque de se construire à l’échelon planétaire comme un gigantesque prêt-à-penser des représentations des divisions de la planète».

3 Exemples: Kinshasa, qui s’étale sur pas moins de 10 000 km2, a vu sa population multipliée par 10 depuis 1960, tandis que la superficie de Niamey a été sextuplée entre 1961 et 1988.

4 D’après le rapport cité dans la note 1, les citadins seront globalement plus nombreux que les ruraux à l’orée du prochain millénaire; vers l’an 2025, les zones urbaines abriteront les deux tiers de l’humanité (au Sénégal, par exemple, cette proportion sera de soixante pour cent 10 ans plus tôt); aux alentours de 2015, plus de 500 villes auront dépassé le million d’habitants.

5 Rees (1996), l’un des pionniers de la théorie de l’empreinte écologique, en donne cette définition: «L"empreinte écologique" d’une population spécifique [est] la superficie totale de terre et d’eau productives nécessaire de manière continue pour produire toutes les ressources consommées, et pour assimiler tous les déchets produits par cette population, où que se trouve cette terre». Partant de cette définition, il évalue à 3 à 5 ha les besoins (indirects) de terre productive par habitant dans les pays à haut revenu.

6 Autres exemples: i) en 1991, alors qu’elle couvrait 11 400 ha, Vancouver avait 472 000 habitants, dont le taux de consommation de terre par habitant était de 4,3 ha, soit l’équivalent de 2 millions d’hectares, pour une emprise urbaine 180 fois plus petite (Rees, 1996); ii) une étude réalisée en 1996 sur l’empreinte écologique de 29 villes situées dans la région de la mer Baltique a montré que celles-ci «s’accaparent» des espaces 200 fois plus étendus que les aires qu’elles occupent effectivement (Kessler, 1996).

7 Exemple: l’article L. 121-10 de la Loi française du 13 juillet 1991 dispose: «Les documents d’urbanisme déterminent les conditions permettant, d’une part, de limiter l’utilisation de l’espace, de préserver les activités agricoles, de protéger les espaces forestiers, les sites et paysages naturels ou urbains [...] et, d’autre part, de prévoir suffisamment d’espaces constructibles pour les activités économiques et d’intérêt général, ainsi que pour la satisfaction des besoins présents et futurs en matière d’habitat.»

8 On évalue à 200 millions le nombre global d’agriculteurs urbains et à 700 millions – soit 12 pour cent de la population mondiale – celui des personnes qu’ils alimentent (FAO, 1996). Par endroits, la contribution de l’agriculture urbaine peut être déterminante. On estime ainsi qu’à Dar-es-Salam, 67 pour cent des ménages se livrent à l’agriculture; c’est aussi le cas des deux tiers des Moscovites, tandis que 80 000 jardiniers opèrent dans les terrains municipaux de Berlin; quant à Bamako, elle est autosuffisante en légumes et produit la moitié des volailles qu’elle consomme, tandis que Singapour s’autosuffit en viande et produit le quart de ses besoins en légumes; et, enfin, tout le riz nigérien est entièrement cultivé dans le département de Niamey.

9 Outre l’approvisionnement alimentaire local (économie d’énergie et de moyens par suppression du transport), l’agriculture urbaine tire avantage des terrains vagues abandonnés, transforme le paysage urbain qu’elle «verdit», réutilise les déchets sous forme de compost et d’engrais, etc., rendant ainsi la ville un peu plus équilibrée écologiquement et économiquement.

10 Prieur (1996) note que le jardin familial, à la fois espace vert, lieu de loisirs et potager familial, répond à des besoins d’ordre économique, écologique et social. Il représente une source d’alimentation, tout en contribuant au maintien d’espaces agricoles ou maraîchers aménagés en coupures écologiquement indispensables à l’équilibre du tissu urbain. Sa protection contre l’emprise urbaine est assurée par le Plan d’occupation des sols (POS) qui peut localiser, dans les zones urbaines, les terrains cultivés inconstructibles et à protéger.

11 Exemples d’empêchements ou de freins rencontrés dans divers pays: faible sécurité de la tenure des champs urbains; coût élevé de l’eau utilisée en agriculture urbaine; protection indiscriminée des berges des cours d’eau; interdiction de cultiver les bas-fonds; fiscalité immobilière inadaptée aux terres agricoles; nette séparation fonctionnelle, dans les instruments de planification urbaine et d’aménagement du territoire, entre la ville et la campagne; tendance à la «privatisation» de l’environnement urbain au profit des plus nantis débouchant sur une confiscation des beaux quartiers de la ville – soit une forme d’apartheid résidentiel (FAO, 1996; Lopez, 1996; PNUD, 1996).

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