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Management of African urban areas to develop their food supply and distribution systems

New boundaries for managing the urban front

Our contribution to this collective debate centres on methods and processes of African urban management that will facilitate the establishment and development of food supply and distribution systems. We have chosen to focus on the management of new urban areas rather than on the redevelopment of those already existing. Our rationale is that traditional methods of urban management are difficult to apply today and new methods are still in their infancy; however, until we gain further insight, we can at least ask a number of pertinent questions, lay down a few markers and trace the parameters of strategic urban management.


Ordenación de las aldeas africanas para mejorar sus sistemas de aprovisionamiento y distribución de alimentos

Nuevas fronteras en la ordenación del medio urbano

La participación del autor en esta reflexión colectiva se ocupa de los métodos y procedimientos de ordenación del medio urbano africano que puedan favorecer la instalación y mejoramiento de sistemas de aprovisionamiento y distribución de alimentos. Se ha escogido la cuestión de la ordenación de las zonas de extensión urbana, tomando como base la argumentación siguiente: los métodos antiguos de ordenación son difícilmente aplicables en la actualidad, y los nuevos están en sus comienzos, por lo que, ante la incertidumbre existente, se pueden por lo menos plantear algunas cuestiones interesantes, y trazar el perfil de una gestión urbana estratégica.


Aménager les villes africaines pour développer leurs systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires

Nouvelles frontières d’aménagement du front urbain

Jean-François Tribillon

Consultant

Notre participation à cette réflexion collective porte sur les méthodes et procédés d’aménagement urbain africain capables de favoriser l’installation et le développement de systèmes d’approvisionnement et de distribution alimentaires (SADA). Nous avons choisi de centrer notre participation sur la question de l’aménagement des extensions urbaines et donc de délaisser celle du réaménagement de la ville existante. Cette participation s’organise autour de l’argumentation suivante: les anciennes méthodes d’aménagement sont difficilement praticables aujourd’hui; les nouvelles sont balbutiantes; faute de certitudes, nous pouvons au moins poser quelques bonnes questions, tracer quelques pistes et dessiner les contours d’une gestion urbaine stratégique.

NATURE DU PROBLÈME

Le fléchissement du taux de natalité et de l’exode rural n’a pas pour effet de modifier substantiellement la croissance démographique et la croissance spatiale des agglomérations urbaines. Nous pouvons tabler, en nous gardant de tout catastrophisme, sur un doublement des surfaces urbanisées dans les 10 à 20 ans à venir.

L’aménagement des extensions urbaines ne doit pas être présenté comme une sorte d’épreuve insurmontable, ou comme un défi pour l’humanité impossible à relever. Les aménageurs aiment se présenter comme des sauveteurs de l’humanité en péril. Il suffit pourtant de jeter un regard rétrospectif sur les 10 à 15 dernières années pour s’apercevoir que le précédent doublement spatial des villes s’est déroulé, dans la plupart des cas, dans des conditions presque acceptables, alors que l’on annonçait le pire. Fort heureusement, le pire n’est pas venu.

Il est vrai que la prochaine période, que le prochain doublement s’annonce mal, car les conditions ont empiré. En effet, la crise économique s’installe, les quantités à traiter deviennent énormes, les risques écologiques sont grands, les anciennes méthodes et procédures sont de plus en plus ébranlées et l’autorité (en fait, l’autoritarisme) des services centraux de l’urbanisme est de plus en plus contestée.

La sécurité alimentaire des villes africaines exige que l’espace urbain soit organisé (en particulier le front d’urbanisation), de sorte que les fonctions d’échange de la ville avec le monde extérieur pourvoyeur et producteur de denrées alimentaires soient assurées. Ces fonctions ne peuvent être assurées sans quelques installations de stockage, d’entrepôts de marchés (de gros ou de demi-gros), de parcage des animaux, d’abattage, de stationnement et de réparation des camions et d’hébergement.

Pour simplifier, on peut distinguer:

PRODUCTION FONCIÈRE ET PLANIFICATION ÉTATIQUES

Il faudrait modéliser cet ensemble de flux et d’ouvrages dans le site réel de chaque ville; il faudrait ensuite cartographier cette dernière sous l’autorité d’un urbaniste.

Cette ingénierie de l’espace fonctionnait assez bien autrefois sous la forme d’une ingénierie foncière. Elle continue de fonctionner, notamment dans les petites villes africaines (jusqu’à 250 000 habitants, environ) chaque fois que les administrateurs militaires et les grands commerçants se sont associés pour maintenir un certain ordre urbain.

Cette ingénierie foncière d’origine coloniale «fait» la ville en se procurant le sol. L’Etat se déclare maître du sol et en dépossède les occupants traditionnels. La ville naît des lotissements publics opérés par le maître du sol qui désigne chaque bénéficiaire et passe avec lui toutes sortes de contrats ou de quasi-contrats. Cet urbanisme pionnier se heurte aujourd’hui à toutes sortes d’obstacles: vente «préventive» du sol par les anciens occupants; clientélisme dans la distribution du sol; lourdeur du processus d’appropriation du sol et de l’organisation de l’espace; et impossibilité de précéder l’urbanisation.

La planification urbaine tentée à partir de 1960 a marqué un changement intéressant. De nouvelles méthodes sont apparues tenant compte des dynamiques urbaines qu’il s’agissait d’organiser. Mais l’intelligence des planificateurs s’est heurtée à de graves difficultés politiques. Le débat autour de la question «quelle ville?» est resté cantonné dans la sphère étatique et technocratique; les procédures de mise en œuvre n’ont pas été suffisamment modernisées ou, au contraire, ont donné lieu à de trop coûteuses et trop rares opérations d’aménagement conduites par des opérateurs avant-gardistes.

A présent, cette «production» par l’Etat du sol de la ville ou sa planification technocratique ne fonctionne plus. La ville est livrée à elle-même. Pour aménager le front d’urbanisme et faciliter l’approvisionnement des villes, il faut que l’Etat cesse de prétendre «produire» la ville ou d’en planifier le développement. En fait, il faut agir à partir d’une analyse des forces en présence: habitants, propriétaires fonciers et gestionnaires municipaux.

Dynamique du front d’urbanisation

L’extension spatiale de la plupart des grandes villes africaines ne résulte pas du regroupement massif à leur périphérie de nouveaux migrants venus, en quelque sorte, camper aux portes de la ville avant d’y pénétrer et de se fondre avec la masse des urbains, mais cela peut arriver exceptionnellement lorsque les autorités ferment la ville et obligent effectivement les non-citadins à vivre hors les murs. C’est ainsi que le quartier de Balbala s’est formé à Djibouti à la fin des années 60. Dans la majorité des cas, la ville s’étend sous sa propre pression, dans une dynamique centrifuge fondée sur la recherche par les urbains de nouveaux lieux à habiter.

Ces urbains, en ville depuis un certain temps, ont accompli un premier cycle résidentiel: du quartier d’accueil central taudifié qu’ils ont habité en célibataires en quête d’un premier emploi et ensuite d’un habitat familial plus salubre dans un quartier moins central. Ils ont travaillé assez régulièrement et ont plus ou moins réussi leur intégration urbaine. Plus âgés et disposant d’un peu d’argent, ils sont prêts à s’installer à la périphérie, là où le terrain n’est pas encore trop cher et où «on respire». L’installation dans ce périurbain est le deuxième cycle résidentiel. C’est aussi une opération d’investissement patrimonial. On est loin de l’image d’Epinal des hordes de sans-foyer et d’envahisseurs.

En examinant les chose de plus près, on s’aperçoit que le sol n’est jamais envahi ni conquis. Il est acquis aux propriétaires de l’endroit, même si cette acquisition est tenue pour illégale. Il s’agit là d’une forme «rustique» de marché foncier. Ce n’est pas véritablement un marché au sens de la théorie libérale, mais un ensemble de mutations immobilières accomplies par des acteurs sociaux qui suivent des logiques spécifiques d’ordre ethnique, culturel, clientéliste, familial, économique et spéculatif, et qui se déplacent, si l’on peut dire, le long de filières particulières.

Gestion et gestionnaire urbain

L’échec des procédés classiques de la production foncière et de la planification urbaine est aussi, pour une large part, l’échec de l’Etat. Il est rassurant de voir de nouvelles collectivités publiques, locales cette fois, se développer à sa place, dans ses fonctions urbaines.

Le principal mérite de ces collectivités locales est de se présenter comme des institutions plus ou moins démocratiques, plus faciles à contrôler par les citoyens, au vu des résultats obtenus, et surtout modestes quant à leurs compétences et à leurs ressources facilement et rapidement évaluables.

Ces caractéristiques de la collectivité locale ne sont pas toujours des qualités, voire des avantages. En fait, elles mettent la collectivité dans des conditions telles qu’elle ne peut se présenter comme une sorte d’Etat-bis, méprisant juristes et technocrates. Elle doit concevoir de nouvelles méthodes d’intervention et de nouveaux comportements.

Elle accepte de se présenter en tant que gestionnaire de la ville, chargé de son organisation et de son fonctionnement, au niveau des services, équipements et transports existants ou «en train de se faire». L’expérience semble indiquer que la ville se fait de plus en plus par elle-même et que la collectivité se propose en général de «suivre» l’urbanisation, au mieux de l’infléchir.

Les conditions politiques offertes aux collectivités locales «gestionnaires urbains» les contraignent à abandonner tout projet de créer elles-mêmes «leur ville» et à limiter leur rôle à aider et discipliner les véritables producteurs de la ville au quotidien que sont: les ménages, les logeurs, les commerçants, et les transporteurs.

Pour régulatrices, au sens le plus commun et le plus large du terme, et «gestionnaires» marquant une nette préférence conservatrice qu’elles soient, ces collectivités locales ne peuvent se passer d’une référence à ce que l’on doit dénommer un projet de cité, la cité en question étant à la fois une forme urbaine et une forme sociopolitique.

La plupart des Etats et des coopérations étrangères et fonds internationaux refusent aux collectivités locales le droit d’afficher un tel projet de cité. C’est pourtant une revendication générale qu’il faut admettre afin d’éclairer et de démocratiser le débat autour des questions légitimes que se pose toute collectivité: quelle ville promouvoir et sur quelle alliance sociale fonder son développement. Il faut par ailleurs admettre que la collectivité puisse refuser tel ou tel investissement émanant de tel ou tel service étatique ou de telle ou telle coopération pour cause de contradiction avec son projet de cité.

DIMENSIONS STRATÉGIQUES

Cette gestion peut être qualifiée de stratégique en ce qu’elle se réserve la possibilité d’emprunter plusieurs itinéraires pour arriver aux fins qu’elle s’assigne. Le choix entre ces itinéraires est soumis à des contraintes et à des circonstances qu’elle ne peut maîtriser: l’accueil de tel investisseur, la dérobade de tel bailleur de fonds et le refus de coopérer de telle autorité coutumière et foncière. Le gestionnaire maintient le cap mais change l’implantation des installations de traitement de ces flux et apporte d’autres réponses en modifiant l’aménagement projeté. Ce qui revient à dire qu’il existe presque toujours plusieurs réponses spatiales et d’aménagement à un projet de développement.

Une telle méthode ne peut toutefois pas sombrer dans l’improvisation permanente. Aucun gestionnaire urbain, tout stratège génial qu’il soit, ne peut se passer de
se référer à quelques principes d’aménagement essentiels (qui font partie d’un projet de cité), visibles (dont on peut dire qu’ils forment le plan à rendre public et opposable) et viables (que l’on peut soutenir techniquement et économiquement, sauf bien sûr démission du politique). A présent, pour ce qui est de l’aménagement du front d’urbanisation visant à satisfaire aux exigences d’approvisionnement de la ville, on est prudemment contraint de limiter son ambition à la préservation de quelques couloirs de communication entre la ville et son hinterland, dans lesquels on pourra loger quelques voies maîtresses et quelques installations attenantes à ces voies maîtresses.

Peut-on être plus ambitieux? Peut-on par exemple prétendre préserver l’emplacement du futur abattoir et de ses activités annexes? Peut-être! Peut-on prétendre interdire à l’urbanisation les sites à vocation maraîchère? Sans doute pas! Le gestionnaire urbain peut s’y essayer, mais il devra préparer soigneusement sa négociation avec les propriétaires coutumiers de l’endroit, c’est-à-dire quelle partie de territoire leur laisser vendre en échange de leur renoncement; quel terroir familial d’habitation leur garantir; quelle promotion économique et intégration urbaine leur proposer s’ils doivent plus ou moins «disparaître» foncièrement parlant? Le gestionnaire doit aussi savoir renoncer sans déchoir et accepter la «défaite» sans tout lâcher.

Cette gestion stratégique est un mélange complexe de décisions d’autorité (on n’hésitera pas à exproprier sans ménagement les couloirs dont il est question plus haut) et de procédures de concertation notamment en matière foncière. Le gestionnaire doit sans doute compter autant sur les forces du marché que sur les siennes pour obtenir certains résultats. Ainsi, pour les zones maraîchères, la meilleure protection consiste à valoriser la production pour que les producteurs puissent, au moins un certain temps, résister du point de vue foncier.

En tout cas, il n’est pas possible d’envisager le front d’urbanisation comme un espace à aménager une bonne fois pour toutes. Ce front ne cesse de se déplacer. Il est précédé et suivi de vagues de valorisation foncière qui, en changeant la valeur des sols, ne cessent, elles aussi, de désorganiser, voire «réorganiser» l’occupation de ces sols.

DÉBAT

La critique de ces propositions, qui sont à même d’introduire le débat, est aisée à formuler.

Premièrement, la promotion du gestionnaire en stratège du développement représente une mutation du métier de gestionnaire qui déjà s’épuise à entretenir et faire fonctionner sa ville. En fait, on demande au gestionnaire urbain ce que l’on n’ose plus exiger de l’Etat, de ses services fonciers et de ses services de l’urbanisme.

Deuxièmement, du point de vue technique, le dispositif de gestion stratégique appuyant le projet de cité n’est pas un instrument institutionnel classique. Trop souple, il est un passeport pour faire n’importe quoi et, trop rigide, il n’est qu’un mauvais plan de développement urbain ou, pire encore, d’urbanisme. Il est très difficile de se tenir également éloigné de ces deux extrêmes.

A la première critique, il est facile de répondre que cette mutation est pratiquement déjà une réalité. A la deuxième critique, on ne peut répondre qu’en proposant d’expérimenter cette nouvelle forme de planification stratégique.

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1 Il est intéressant de noter que cette zone a «produit» aussi une part importante de l’eau de la ville qui contribue fondamentalement à l’alimentation humaine sans être à proprement parler un «aliment». Mais il s’agit peut-être d’une autre question.

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