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Transformation traditionnelle du maïs au Bénin aspects technologiques et socio-économiques

Mathurin C. NAGO, joseph D. HOUNHOUIGAN,
Université nationale du Bénin, Faculté des sciences agronomiques, Cotonou, Bénin
Claire THUILLIER
Département des systèmes agroalimentaires et ruraux, CIRAD, Montpellier, France

Dans le contexte de la crise alimentaire que traverse l'Afrique subsaharienne, on assiste à l'émergence de réponses techniques endogènes qui permettent, en particulier, d'assurer l'approvisionnement des villes et l'alimentation des populations urbaines. Ainsi, les technologies traditionnelles se sont développées et adaptées, conduisant en milieu urbain à un artisanat alimentaire actif qui offre des produits et des services variés correspondant aux nouveaux styles de vie des populations (BRICAs et al., 1984).

Au Bénin, les fabricants et les vendeurs de produits alimentaires, fort nombreux sur les marchés et dans les rues, témoignent de la vitalité de ce secteur artisanal. Des enquêtes exhaustives ont permis d'apprécier l'importance socio-économique de ce secteur en y dénombrant plusieurs dizaines de milliers d'unités de transformation qui traitent plus d'une vingtaine de produits (maïs, manioc, arachide, haricot, mil, sorgho, riz, igname, banane, huile de palme, noix de coco, blé, poisson...). La plus forte concentration de ces activités artisanales s'observe à Cotonou, capitale économique du pays, où près de 50 % des unités recensées se consacrent à la transformation du maïs (NAGO, 1989).

La filière artisanale du maïs présente donc une importance socio-économique considérable au Bénin. Les formes d'organisation de cette production alimentaire sont souvent souples et basées sur des relations de confiance et de parenté. De ce fait, elles s'adaptent plus rapidement aux changements et aux difficultés qui peuvent se présenter (crise économique, change ment d'horaires des administrations... Il est alors apparu nécessaire et utile d'approfondir les travaux sur cette filière au travers d'un programme de recherche-développement cohérent pour évaluer les systèmes techniques utilisés, comprendre leurs mécanismes de fonctionnement et leur articulation avec d'autres filières ou activités et repérer les contraintes et les innovations endogènes.

Cette meilleure connaissance des systèmes techniques permettra de promouvoir un environnement plus favorable à leur développement technique et socio-économique.

La démarche de recherche et les méthodes utilisées

La démarche suivie s'appuie sur une bonne connaissance du contexte technique et socio-économique de la production et de l'utilisation des aliments étudiés et sur une participation active des opérateurs concernés. Elle exige une approche globale et pluridisciplinaire comportant les volets ci-après:

Pour mener à bien les différents travaux, plusieurs méthodes sont utilisées: analyse de la documentation, enquêtes auprès des transformateurs et des commerçants, enquêtes sur les pratiques de consommation alimentaire, observation directe et évaluation des procédés technologiques.

Cette phase d'évaluation technique et socio-économique conduira à des données essentielles (diagrammes de fabrication, rendements des transformations, outils utilisés, mécanismes de fonctionnement des systèmes, goulets d'étranglement, innovations endogènes, besoins et possibilités des opérateurs...) qui seront prises en compte lors de la phase de développement, afin de proposer des changements et des mesures d'accompagnement qui soient cohérents avec les systèmes étudiés. Mais ces innovations ne pourront être transférées aux utilisateurs potentiels qu'après des essais à différents niveaux pour en assurer la faisabilité technique, la rentabilité économique et la maîtrise sociale.

L'évaluation des systèmes techniques

L'étude du contexte socio-économique de l'utilisation des systèmes

Généralités

Le Bénin est un pays étiré des rives du golfe de Guinée aux confins des zones sahéliennes. D'une supercifie de 112 622 km² il abrite une population d'environ 5 millions d'habitants dont près de 65 % vivent dans la partie méridionale. Son taux d'urbanisation atteint actuellement 35 %. Le pays compte une dizaine de villes de plus de 50 000 habitants. Parmi celles-ci, Cotonou occupe une place de choix: plus de 500 000 habitants. Capitale économique du Bénin et ville cosmopolite, Cotonou rassemble la plupart des groupes ethniques du pays et concentre l'essentiel des activités artisanales de transformation et de distribution alimentaire. Son grand marché international (Dantokpa) est le principal centre d'approvisionnement de la ville, mais en même temps un centre d'éclatement et de redistribution, si le besoin s'en présente, vers toutes les autres régions du territoire national.

Le Bénin s'est particulièrement spécialisé dans la production de cinq produits vivriers: igname, manioc, maïs, sorgho et niébé, qui représentent environ 80 % de l'ensemble des productions agricoles réalisées (NAGO, 1986). Cette spécialisation se fait dans le cadre de deux modèles de consommation de base:

La production du maïs

Le maïs occupe donc une place de choix dans l'alimentation des populations du Bénin; cela explique le niveau élevé de la production du maïs dans le pays.

Après son introduction au Bénin au XVIe siècle par les Portugais, la culture du produit s'est d'abord développée dans la partie méridionale avant de s'étendre depuis une vingtaine d'années à la zone septentrionale. Néanmoins, plus de 80 % de la production sont encore assurés par la zone sud, dont environ 40 % des surfaces emblavées sont consacrés à la culture du maïs (NAGO, 1986).

Malgré le caractère rudimentaire des techniques culturales, la production nationale a enregistré une hausse importante au cours des trente dernières années, passant de 220 000 tonnes en 1961 à environ 460 000 tonnes en 1992. Cet accroissement résulte principalement de la croissance démographique, de la capacité de cette céréale à s'adapter à des zones agro-écologiques diverses, de l'évolution des choix d'emballement et de l'importance du maïs dans les transactions commerciales et l'alimentation des populations dans l'ensemble du pays.

Les variétés cultivées se distinguent par plusieurs caractéristiques: la durée du cycle de culture, le rendement, la couleur, la forme et la dureté du grain. Bien qu'elles aient des rendements peu élevés (750 kg/ha en moyenne contre plus de 1 000 kg/ha pour les variétés sélectionnées), les variétés locales sont les plus cultivées (85 % de la production nationale) et les plus consommées dans le pays car elles sont moins exigeantes pendant la phase culturale, se conservent mieux durant le stockage et leurs caractéristiques physico-chimiques (grains blancs et tendres en général, teneur en amidon élevée...), et répondent mieux aux exigences des préparations alimentaires, domestiques et artisanales.

Les emplois de la production: transformation, consommation et commercialisation

Au Bénin, le niveau moyen de consommation de maïs est estimé à plus de 55 kg/habitant/an, ce qui place le pays au premier rang des pays grands consommateurs de maïs en Afrique de l'Ouest (NAGO et HOUNHOUIGAN, 1990). il existe une très forte disparité entre la zone nord, avec un niveau de consommation de l'ordre de 10 kg/habitan/an, et la zone sud, où ce niveau peut atteindre 136 kg, surtout en milieu rural.

Cette consommation de maïs varie selon les périodes. A Cotonou, où le niveau moyen de consommation du maïs est de 100 kg/habitant/an, on observe une augmentation de 15 % du niveau de consommation en période d'abondance (juillet à septembre) par rapport à la période de soudure (mars à mai). Cette augmentation résulte de l'accroissement enregistré (26 %) dans la consommation des produits à base de farine ordinaire de maïs, alors que l'utilisation des produits fermentés ne change guère d'une période à l'autre.

Figure 1 Principaux produits dérivés du maïs.

Les formes de consommation sont nombreuses et variées. Le maïs est en effet, parmi les produits vivriers du pays, celui qui fait l'objet du plus grand nombre de transformations alimentaires: une quarantaine de produits en dérivent (figure 1). Bon nombre de ces produits sont préparés aussi bien par les ménages que par le secteur artisanal (NAGO, 1989).

Les produits artisanaux dérivés du maïs comprennent principalement des pâtes cuites (bases alimentaires accompagnées de sauces de poissons, de viandes ou de legumes et consommes tous les jours au déjeuner et au dîner), des beignets et gâteaux (pris en snacks à tous les moments de la journée) et diverses boissons (THUILLIER et al., 1991) Ces produits sont vendus dans les rues, les marchés, devant les établissements scolaires, les entreprises et les services publics. Ils sont soit consommés sur place, soit achetés pour l'alimentation à domicile des ménages ou la restauration collective. Les consommateurs se recrutent dans la plupart des groupes ethniques. La clientèle de la restauration extérieure est constituée d'hommes à plus de 80 %. Les catégories socio-professionnel les qui y sont représentées comprennent principalement les artisans, les ouvriers, les commerçants, les conducteurs de taxi, les petits employés d'entreprises
publiques ou privées, les élèves et les étudiants.

L'importance du maïs dans l'alimentation et l'artisanat urbain explique l'ampleur des transactions commerciales dont il fait l'objet sur l'ensemble du territoire national. En plus de son rôle de produit vivrier, il est devenu, au fil des années, une importante culture de rente. Plus de 40 % de la production du pays sont ainsi commercialisés avec comme principaux clients les ménages et l'artisanat alimentaire urbain.

Le maïs se distribue de trois façons principales

Le deuxième niveau de distribution est le plus important. A cet égard, Cotonou est le plus grand centre consommateur de maïs du pays, suivi par les villes de Porto-Novo, Abomey-Bohicon et Parakou (NAGO, 1986). Cotonou est ravitaillé à partir de marchés ruraux et de marchés urbains intermédiaires établis dans les différents départements du pays. Dans chaque département, il existe deux ou trois marchés urbains intermédiaires vers lesquels convergent les flux de maïs avant l'expédition du produit à Cotonou (THUILLIER et al., 1991).

Les circuits commerciaux sont dans une large mesure aux mains de commerçants privés. L'ensemble des structures étatiques 1, bien que disposant d'une capacité de stockage de grains importante (43 000 tonnes) n'interviennent que pour 10 % environ du volume commercialisé (THUILLIER et al., 1991). L'inefficacité commerciale de ces organismes publics est due au manque de moyens financiers et à la lourdeur des mécanismes de fonctionnement et de décision.

De façon générale, le maïs présente un caractère saisonnier très net et ses prix culminent au cours Je l'année, de mars à juin. Les variations de prix enregistrées confirment l'importance économique du produit et l'ampleur de son potentiel comme source de revenu au Bénin.

La description et l'évaluation des systèmes techniques

Les systèmes techniques sont constitués par l'ensemble des relations établies entre les hommes, les mils et la matière que ceux-ci transforment. L'étude de ces systèmes consistera donc à analyser ces differents éléments et les variables qui y sont liées pour expliquer la structure, le fonctionnement et l'évolution des dits systèmes.

Dans le cas présent, les éléments ci-après ont été évalués:

Les produits et les procédés

La plupart des technologies de transformation du maïs utilisées dans le secteur artisanal proviennent du patrimoine culturel local. Il s'agit, en effet, de techniques domestiques, transmises et pérennisées à travers l'éducation familiale, qui furent progressivement intégrées et utilisées à plus grande échelle dans des activités marchandes. Les événements socio-économiques ayant favorisé cette évolution technologique sont nombreux mais interdépendants: exode rural, explosion urbaine, chômage, difficultés économiques, etc.

Les procédés utilisés sont généralement longs et complexes. Les trois quarts des produits élaborés sont de nature fermentée. A l'origine, certains de ces aliments étaient préparés et consommés exclusivement par quelques groupes ethniques. Mais le brassage des populations et le développement de l'artisanat alimentaire ont favorisé la diffusion des produits et des procédés de fabrication, particulièrement dans les centres urbains comme Cotonou.

Parmi les produits commercialisés par le secteur artisanal, deux grandes catégories peuvent être distinguées:

LES PRODUITS SEMI-FINIS: DESCRIPTION ET FABRICATION

• Les produits semi-finis dérivés du maïs sont constitués par les farines et les pâtes fermentées (mawè et ogui) * Les farines ordinaires et torréfiées sont des produits de première transformation obtenus après mouture des grains secs (teneur en eau: 10 à15 %) avec ou sans torréfaction préalable.

6 Le mawè est un produit consistant, de couleur blanche et de saveur acide (PH = 3,54,0), qui est la base de départ pour la préparation de nombreux aliments. Pour son élaboration, le maïs est concassé, tamisé avant d'être finement moulu. Après addition d'eau et pétrissage, le produit est mis à fermenter pendant 2 à 7 jours. C'est un produit riche en eau (45-49 %) et en amidon (65-70 %, base matière sèche), mais pauvre en protéines (8-9 %). Les opérations pénibles identifiées dans cette préparation sont le lavage du gritz, le tamisage et le pétrissage.

• L'ogui est une pâte fermentée moins consistante, moins blanche, mais plus humide que le mawè (teneur en eau: 80-85 %). Il est obtenu selon un procédé différent qui comporte, préalablement à la mouture et à la fermentation, des étapes de précuisson et de trempage des grains. Son pH et ses teneurs en amidon et en protéines sont proches de ceux du mawè. Les opérations jugées pénibles par les transformatrices sont les mêmes que celles relevées dans la technologie du mawè. L'ogui est également utilisé pour la préparation de divers aliments.

LES PRODUITS FINIS: DESCRIPTION ET FABRICATION

• Les pâtes cuites sont obtenues par cuisson à l'eau bouillante des produits crus précédents. Le malaxage, le pétrissage, la cuisson et l'emballage sont généralement les opérations technologiques jugées les plus pénibles pour leur préparation.

Ces pâtes cuites sont de plusieurs types:

• Le couscous de maïs (yèkè-yèkè) est un produit traditionnel, consommé surtout lors des cérémonies coutumières organisées par le groupe ethnique Mina. Il est obtenu par granulation (routage) puis par précuisson à la vapeur du mawè. Sa production artisanale a fortement diminué au cours des trente dernières années en raison de la pénibilité du travail de préparation et de la concurrence du riz et du couscous de blé (produits importés). a Les bouillies sont préparées à partir de pâtes fermentées et présentent donc une saveur légèrement acide. Elles diffèrent l'une de l'autre par leur densité, leur texture et leur couleur plus ou moins blanche. Elles sont consommées après addition de sucre, parfois accompagnées d'arachides grillées. On distingue principalement deux types:

• Les beignets sont élaborés soit à partir des pâtes fermentées crues, soit à partir des farines (ordinaires ou torréfiées). Les pâtons, préparés, assaisonnés de condiments divers (sucre, sel, piment) et façonné sous différentes formes, sont frits dans l'huile (arachide, coco ou palmiste). On obtient ainsi plusieurs types de beignets: kiè-klè (beignet sucré en boulette ou en rondelles), klaklu (beignet en brindilles obtenu à partir de la farine torréfiée), avounmi (produit en boulettes), massa (boulettes préparées à partir du mawè additionné de farine de blé, de sucre, et de levure), etc. Les beignets sont consommés soit seuls soit avec l'arachide grillée ou l'amande de coco.

• Les produits en épi ou en grain. Le maïs frais, sec ou à peine mûr, en épi ou en grain, est grillé ou cuit à l'eau et consommé avec des arachides (grillées ou bouillies) ou de l'amande de coco. Divers types de mélange sont ainsi produits (maïs et arachides grillés, maïs et arachides cuits, maïs cuit et arachide grillée), qui portent tous la dénomination bokoun.

• Les boissons sont de deux types: le chakpalo: une bière locale légèrement sucrée et de couleur brune dont la préparation s'effectue en plusieurs étapes - maltage du maïs (trempage + germination + séchage pendant 6 ou 7 jours), concassage, brassage (humectage + pétrissage + délayage dans l'eau et cuisson de la farine), filtration du mélange et fermentation du filtrat. Cette boisson est très appréciée des consommateurs, particulièrement pendant les périodes chaudes. Elle est vendue après addition de glace;

Les outils de transformation alimentaire

De façon générale, les outils sont simples et identiques, dans leur conception, à ceux de la cuisine domestique. Certains d'entre eux sont utilisés pour plusieurs opérations unitaires différentes (vannage, lavage, tamisage, décantation, fermentation), D'autres sont employés spécifiquement pour certaines opérations ou pour la préparation d'un produit donné. L'incorporation d'énergie mécanique par le biais de la motorisation (électrique ou thermique) au niveau des procédés n'existe que pour quelques opérations pénibles, la mouture mécanique étant le cas le plus général. Malgré l'existence de quelques groupements de productrices disposant de leurs propres machines motorisées (moulins), ces opérations mécanisées sont en général sous-traitées àdes prestataires de services.

L'apport d'énergie thermique dans les opérations de cuisson se fait à partir de bois de feu (cas les plus fréquents), de charbon ou de sous-produits divers. Les foyers utilisés sont généralement des foyers traditionnels, constitués de pierres, de métal ou d'argile et dont le rendement énergétique est très faible (6 à 10%).

Un grand nombre d'outils sont fabriqués localement par divers artisans urbains ou ruraux à partir des matériaux du milieu (argile, bois, pierre, métaux fondus, végétaux divers). Les forgerons produisent des seaux, des écumoires, des foyers, des couteaux, des tamis, des poêles, des râpes manuelles, des marmites en fonte, des presses métalliques. Les potiers fournissent des marmites, des jarres, des canaris, des foyers en argile cuite et les menuisiers fabriquent des mortiers-pilons, des tables, des chaises, des bancs, des tabourets, des caisses, etc. Les fondeurs d'ustensiles de toutes catégories et les fabricants de paniers, de vans et de tamis en fibres végétales participent également à l'équipement des transformateurs alimentaires artisanaux. Ces matériels locaux sont de plus en plus concurrencés par leurs équivalents importés (tableau I). La nature de ces différents équipements montre que l'artisanat alimentaire se situe dans une problématique de l'outil plus que de la machine. Le travail est avant tout manuel et l'instrument vient en complément, en prolongement du mouvement du corps. Ces équipements sont bien adaptés à la forme de production individuelle qui prévaut, mais ils requièrent en général des efforts physiques importants et sont caractérisés par une très faible productivité.

Tableau I. Matériels locaux du secteur alimentaire traditionnel et équivalents importés.

Matériaux locaux Equivalents importés
Jarre, canari Bassine
Seau Seau
Marmite en argile cuite Casserole
Marmite en fonte grand format Bassine en aluminium
Mortier et pilon/meule dormante et pierre Moulin
Râpe manuelle Râpe mécanique
Calebasse Tasse et assiette
Poêle (en argile cuite, en métal) Poêle
Foyer (en argile cuite, en métal) Réchaud
Tamis (en métal, en fibres végétales) Tamis métallique
Ecumoire Ecumoire
Corbeille Passoire plastique

Les entreprises artisanales de transformation

TYPOLOGIE ET CARACTÉRISATION

La filière de transformation du maïs, comme l'ensemble de l'artisanat alimentaire, comporte plusieurs types d'unités dont la taille et la nature des activités varient. Ces activités s'exercent principalement à trois niveaux:

• La transformation-vente assure à la fois la production et la vente des aliments tels que les produits semi-finis (mawè, farine de maïs), les snacks (beignets, gâteaux...), les produits de petit déjeuner (bouillies, bokoun) et les boissons. Ces aliments sont préparés à domicile ou aux points de vente. Les unités pratiquant cette activité sont généralement de petite taille.

• La petite restauration de rue prépare des plats cuisinés àbase de maïs à domicile ou aux points de vente. Sont impliqués dans cette activité de nombreux producteurs et vendeurs ambulants ou fixes (tabliers, gargotes).

• Le micro-commerce sert de relais de distribution à artisanat de transformation. Il commercialise essentiellement des produits semi-finis (farine de maïs, mawè), des beignets et des gâteaux. Les acteurs impliqués ici sont de simples vendeurs qui s'approvisionnent auprès de divers transformateurs.

Ces différentes entreprises artisanales sont, dans leur quasi-totalité, de nature individuelle. Certes, quelques transformateurs ont développé récemment pour certaines productions (mawè) de nouvelles formes d'organisation (organisations familiales, associations de productrices-vendeuses) pour monopoliser et utiliser en commun un équipement de transformation (moulin), faciliter les transports, acheter la matière première à meilleur prix ou écouler les produits finis. Toutefois, ces regroupements sont toujours marqués par un certain individualisme puisque chaque producteur suit dans le lot collectif le cycle de son «produit» jusqu'à la vente.

Les enquêtes réalisées dans le sud du Bénin ont permis d'estimer à plusieurs dizaines de milliers le nombre de ces unités artisanales. En particulier, à Cotonou, on en a dénombré près de 5 000 (NAGO, 1989).

Ces entreprises appartiennent, dans leur quasi-majorité, à des femmes qui réalisent elles-mêmes la plupart des opérations de transformation et de vente. Le rôle des femmes est donc prépondérant, voire exclusif dans cette filière. Plus de 60 % de ces opératrices sont âgées de 20 à45 ans. Leur niveau d'éducation formelle est plutôt bas: près des deux tiers de ces productrices et vendeuses sont en effet illettrées (NAGO, 1992).

ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT

La journée de travail des productrices-vendeu ses de la filière est toujours longue, quelles que soient la nature et l'importance de l'activité entreprise. Elle dure plus de 10 heures et les travaux effectués sont nombreux et variés (approvisionnement en maïs et matières secondaires, achat de matériels, préparation alimentaire, vente de produits, nettoyage des locaux et matériels de travail, etc.). Les phases qui exigent le plus de temps sont la préparation et la commercialisation des aliments (NAGO, 1992).

L'approvisionnement en maïs se fait suivant deux circuits principaux: les unités achètent le produit soit directement dans les zones rurales (chez les paysans ou dans les marchés ruraux), soit plus fréquemment auprès des commerçants grossistes ou des détaillants dans les marchés urbains. L'approvisionnement en matières secondaires (bois de chauffage, charbon, feuilles végétales...) s'effectue pratiquement selon les mêmes canaux. Ces achats se font généralement au comptant. Toutefois, quelques productrices disposent de fournisseurs de maïs permanents qui leur vendent parfois le produit à crédit. Il s'agit d'un crédit à court terme basé sur des rapports de confiance et dont la durée n'excède pas quelques semaines (NAGO, 1989).

De même, l'acquisition des matériels de production et de vente s'effectue principalement au comptant, les fournisseurs étant des artisans et des commerçants. Moins de 10 % des opératrices enquêtes à Cotonou ont accès au crédit équipement.

Ces unités utilisent essentiellement des aides familiales non rémunérées (fille, fils, nièce, neveu, soeur...), notamment pour les travaux de nettoyage et la vente des produits. Seules quelques entreprises de taille relativement importante (gargotes) emploient des assistants salariés (1 à5 agents par unité) dont la rémunération varie de 3 000 à 10 000 FCFA par mois.

Les unités artisanales de transformation du maïs au Bénin bénéficient de l'appui d'autres prestataires de service qui interviennent surtout pour les opérations pénibles. C'est le cas principalement des meuniers qui se chargent de la mouture mécanique du maïs contre rémunération au taux de 5 à 20 FCFA/kg selon les zones et le type de mouture, la mouture sèche (farine entière) étant plus chère que la mouture humide (mawè, ogui). Cette forme de prestation de service est devenue si essentielle dans la filière que, depuis leur introduction aux environs de 1906, le nombre des moulins s'est fortement accru au Bénin. On en trouve dans l'ensemble du pays, tant en ville qu'en campagne. Il s'agit de moulins à meules verticales, métalliques (fonte) ou en corindon, importés d'Europe ou d'Inde. Dans la seule ville de Cotonou, une enquête effectuée en 1989 a permis de recenser 659 moulins (1 moulin pour 630 habitants environ) qui traitent par jour en moyenne 126 à 150 tonnes de produits suivant les périodes de l'année, dont 90 à 93 % de maïs. Au total, 40 000 à 50 000 tonnes de maïs sont moulues annuellement dans ces moulins pour la préparation de divers produits, dont près de 55 % sous la forme de farine entière de maïs et plus de 45 % sous la forme d'aliments fermentés. Les produits fermentés se retrouvent pour plus de 85 % dans la production-vente contre seulement 18 % pour la farine entière de maïs et ses dérivés.

Parmi les usagers des meuneries, on dénombre plus de 3 000 productrices-vendeu ses traitant quotidiennement près de 72 tonnes de maïs, réparties comme suit:

Les opératrices de la filière travaillent au moins six jours sur sept dans la semaine et ne prennent pas de congés annuels. La durée de leur expérience dans les différents métiers pratiqués varie de quelques mois à plusieurs années.

CHARGES ET REVENUS

Il est particulièrement difficile de déterminer les charges et les revenus des vendeuses et productrices-vendeuses intervenant dans l'ensemble du secteur artisanal alimentaire. Ces opératrices communiquent généralement des données peu fiables. Celles-ci sont amplifiées ou volontairement sous-estimées. Ces données sont donc nécessairement une valeur approximative et indicative.

Dans la plupart des cas, le capital requis au départ est relativement faible: son montant moyen ne dépasse guère 10 000 FCFA et est principalement utilisé pour l'achat de matières premières et secondaires et de quelques matériels de production (tableau 11). La plupart des équipements utilisés servent également à la préparation domestique et ne rentrent pas en compte dans l'investissement initial. Seules quelques unités (gargotes) nécessitent, en raison de leur taille relativement importante ou de la spécificité de certains de leurs équipements, un investissement initial pouvant atteindre ou dépasser 25 000 FCFA. L'origine du capital est diverse: prélèvement sur une activité antérieure, prélèvement sur le fonctionnement familial, dot, don du mari ou de la famille ou tontine.

Tableau II. Investissement initial et revenus dans la filière de transformation artisanale du maïs au Bénin.

Produit Montant moyen du capital Recette moyen/jour Revenu moyenne/jour
Mawè 4450 4500 685
Akassa 3200 2 425 520
Ablô 9 100 4275 850
Akpan 4750 2050 535
Massa 7250 3580 475
Bouillies fermentées 2 575 2065 350
Chakpalo 2 825 2 140 425
Owo et produits associés (gargotes) 20600 6630 1 180

Les revenus réalisés dans la filière varient selon la nature et l'importance de l'activité pratiquée, le lieu d'exercice et l'ancienneté de l'opératrice dans le métier. Ils varient de 200 à 1 500 FCFA par jour (environ 5 000 à 40 000 FCFA par mois) pour la plupart des activités étudiées (tableau 11). On a pu ainsi relever qu'un grand nombre de ces métiers permettent d'obtenir des revenus équivalents, voire supérieurs aux salaires minimaux (14 000 à 20 000 FCFA) payés dans les secteurs publics et privés au Bénin (NAGO, 1989).

La filière de transformation artisanale du maïs apporte donc une contribution non négligeable dans la création des revenus et des richesses dans le pays. Ainsi, à Cotonou, elle a dégagé en 1988 un chiffre d'affaires annuel de plus de 5 milliards de FCFA (NAGO, 1989). Ces revenus servent, pour chaque opératrice, à renouveler le stock de matières premières et les équipements, à entretenir la famille et à financer les dépenses sociales et communautaires. Ils sont également épargnés, à travers les systèmes traditionnels de tontine, pour être utilisés plus tard dans des réalisations d'ordre social ou économique.

Las atouts et les limites des systèmes techniques

La prépondérance et le développement de la transformation artisanale du maïs au Bénin s'expliquent par un certain nombre d'atouts; mais cette filière connaît aussi quelques contraintes qui limitent sa promotion.

Les atouts

L'accès aux activités artisanales est facilité par un investissement initial faible et des qualifications techniques limitées. Le savoir-faire requis est parfaitement maîtrisé par les productrices et se transmet soit de mère en fille selon un processus classique de perpétuation des coutumes et des modes de production domestique, soit à travers d'autres relations familiales et amicales. Ces activités, souvent compatibles avec les travaux domestiques, valorisent un domaine exclusivement féminin, bien que certains acteurs masculins (négociants, meuniers, transporteurs...) y soient directement impliqués. Par sa forte utilisation de main-d'oeuvre, sa facilité d'accès, la transformation artisanale de maïs est un secteur créateur d'emplois, de richesses et de revenus.

Le mode de fonctionnement des unités se caractérise par une souplesse, une bonne connaissance du marché et une capacité d'adaptation qui limite les échecs et permet une réorientation si le besoin se présente. La rapidité d'intervention du secteur artisanal face à une nouvelle situation a été vue dans les années 70 quand l'administration béninoise est passée des horaires discontinus aux horaires continus avec une petite pause à midi. La floraison des gargotes et des points de vente de plats prêts à consommer autour des bâtiments administratifs et des usines a témoigné de la vitalité de ce secteur. De même, la forte concurrence de la bière industrielle et la demande pour des besoins de soft-drink, principalement exprimée par les jeunes et les femmes, ont transformé la production traditionnelle de chakpalo (bière de maïs). Les artisanes ont su adapter leur produit et, aujourd'hui, le nouveau chakpalo est une boisson sucrée, légèrement fermentée, qui a conquis de nombreux consommateurs sur le marché béninois. Ce nouveau produit a permis aux productrices-vendeuses de bière traditionnelle de contourner la concurrence de la bière moderne, plus accessible et de meilleure conservation. Il a aussi permis une diminution de la longueur et de la pénibilité du travail de préparation: le nouveau processus nécessite seulement 2 jours, contre 8 à 10 jours pour le procédé traditionnel (DEVAUTOUR et NAGO, 1989). La production marchande de mawè en milieu urbain depuis quelques années illustre également cette capacité d'adaptation des urbains, de réduire leurs tâches de préparation culinaire tout en ayant la possibilité d'adapter les produits finis à leur goût et à leurs habitudes.

Cette souplesse et cette possibilité d'adaptation dans le fonctionnement des unités artisanales ont également permis la création et la diffusion d'une nouvelle forme d'organisation de la production (forme associative) autour des moulins, les objectifs poursuivis par les transformatrices étant de faciliter l'approvisionnement en matière première, l'écoulement des produits finis et l'utilisation d'un outil commun. Les groupements ainsi mis en place pourront devenir des relais importants pour la formation des opératrices.

Par ailleurs, la transformation du maïs, comme les autres filières de l'artisanat alimentaire, dynamise un ensemble de métiers complémentaires (fournisseurs de bois de chauffe et de charbon, fournisseurs de feuilles d'emballage, constructeurs d'équipements, prestataires de service, transporteurs...) pour lesquels il représente un débouché et un facteur de développement fort importants.

Le secteur dynamise également les relations avec le monde rural et valorise ses diverses productions agricoles vivrières au moyen de technologies appropriées. Le réseau de relations qui existent entre les différents acteurs socio-économiques lie la stratégie de l'agriculteur à l'évolution de la consommation urbaine. Bien que ces producteurs ruraux n'aient pas véritablement une position stratégique forte au sein de ce réseau, la diffusion d'informations et une meilleure connaissance des marchés grâce à ces relations leur permettent de mieux valoriser leurs productions. L'artisanat alimentaire, d'une façon générale, constitue donc un intermédiaire, un élément de transition et de relations indispensables et utiles entre la ville et la campagne. Ces relations se traduisent par des flux de produits, des flux monétaires, des flux d'informations, d'hommes et de femmes.

Ce secteur favorise aussi le transfert et la pérennité des modes alimentaires traditionnels en milieu urbain. Les produits qu'il offre sont en accord avec la culture et les besoins alimentaires des consommateurs.

Les limites

La transformation artisanale du maïs comporte parallèlement un certain nombre de limites socio-économiques comme techniques:

Dans le cadre de la transformation du maïs, les principales opérations pénibles sont: le tamisage, le lavage du gritz, le pétrissage, le roulage, la cuisson et l'emballage des produits. Ces opérations sont communes à de nombreux systèmes techniques, d'où l'intérêt de rechercher des outils plus performants adaptés à l'ensemble de ces systèmes.
Malgré la dynamique du secteur artisanal, l'environnement actuel n'est pas favorable à son développement. Cet environnement est en effet caractérisé par

Conclusion et perspectives

L'étude des systèmes techniques de transformation artisanale du maïs révèle la place et les rôles importants de la filière au Bénin ainsi que les dynamiques d'innovation qui lui sont propres. Ces dynamiques s'exercent à la fois pour les outils, les procédés, les produits et l'organisation sociale des productions.

Grâce à une meilleure connaissance et à une évaluation poussée des systèmes techniques et de leur environnement, à travers une démarche globale et pluridisciplinaire, il a été possible de déceler leurs potentialités et leurs limites. Une telle approche permet à terme d'appuyer efficacement les dynamiques existantes et de répondre justement aux attentes des opérateurs plutôt que de proposer des innovations ne correspondant ni aux possibilités réelles des producteurs, ni aux besoins et à la solvabilité des consommateurs. Dans ce sens, un partenariat fonctionnel est développé entre recherche et opérateurs de la filière, afin que les actions entreprises soient établies véritablement sur les initiatives de ceux-ci et sur leur participation active.

Dans ce cadre, quelques actions de valorisation sont actuellement menées. Il s'agit de:

Le développement d'unités expérimentales modèles permettra d'adapter ces innovations pour en assurer l'efficacité, la maîtrise sociale et la promotion dans la filière concernée. Les perspectives à court et moyen termes se situeront dans le même cadre et suivront la même approche. En particulier, elles couvriront les préoccupations suivantes:

Références bibliographiques

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BRICAs N., JAQUINOT M., MUCHNIK J., TREILLON R., 1984. L'artisanat alimentaire, ALTERSIAL-GRETENSIA, 59 p.

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(THUILLIER C., HOUNHOUIGAN D.J., DEVAUTOUR H., NAGO C.M, MUCHNIK J., 1991. Filières courtes et artisanat alimentaire au Bénin. Rapport de recherche. Montpellier, France, MRT-CIRAD-FSA, 100 p.


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