Comme indiqué au chapitre précédent, les productions forestières sont assurées selon les cas par les sociétés légalement reconnues par le droit camerounais (cas du bois d’œuvre, de certaines plantes médicinales, des produits fauniques) ou relèvent de l’informel.
Les statistiques de production actuellement publiées sur les grumes et les sciages sont essentiellement récoltées dans le domaine formel, aucun mécanisme d’estimation national de la production informel n’étant développé. Ce dernier aspect de la filière bois a pris davantage l’ampleur au début des années 90 lorsque la crise économique qui a secoué le pays a obligé certaines entreprises à réduire leurs personnels qui se sont reconvertis dans le secteur informel des produits forestier, notamment des sciages à la tronçonneuse, du bois de chauffage, etc. De l’avis des spécialistes, le secteur informel du bois d’œuvre représenterait environ 10% des productions des sociétés formelles.
Le CIRAD en l’an 2000 suite à une enquête relative à l’audit économique et financier du secteur forestier au Cameroun a estimé la production du secteur informel entre 150000 à 200000 m3/an. Il reconnaît un lien croissant de cette activité avec la filière d’exportation des débités bien que cela reste difficile à contrôler.
Par ailleurs, les informations sur la production du bois sont fournies par les sociétés sur une base déclaratoire dans leurs rapports, les carnets de chantiers (df10), les capacités actuelles des services forestiers ne permettant pas un contrôle efficace. Ceci implique que les données déclarées par les sociétés pourraient être en deçà de la réalité.
En somme pour ce qui est du bois d’œuvre, la production nationale réelle en tenant compte du secteur informel, des mauvaises déclarations des opérateurs représenterait environ 80% de la réalité.
Pour ce qui est des autres produits forestiers, un mécanisme de collecte et de traitement des informations doit être développé et mis en place, car les données y relatives sont éparses et reflètent peu la réalité.
Les données sur la consommation intérieure des produits forestiers relèvent essentiellement des sociétés formelles et ne tiennent pas compte du secteur informel et des consommations résultant de l’exercice du droit d’usage.
Une enquête nationale appropriée pour la maîtrise des données de ce secteur s’avère urgente, car la forêt fournit l’essentiel des produits de construction, alimentaire, énergétique en même temps qu’elle constitue la base de la pharmacopée traditionnelle pour une frange importante de la population du Cameroun et notamment celles de l’arrière pays.
Les données d’exportation sont considérées fiables lorsqu’il s’agit des produits forestiers à grand volume et qui ne peuvent pas être facilement dissimulés. Toutefois, certains produits forestiers non ligneux (Ngnetum Africanum) sont exportés par des voies informelles dans les pays voisins.
Pour ce qui est des grumes notamment, les données de la SGS, elles sont relativement supérieures au volume d’exportation réel. En outre, la SGS cube tous les bois destinés à l’exportation sans que ceux-ci soient nécessairement embarqués sur les bateaux. La douane par contre n’enregistre les bois que lorsque ceux-ci sont en train d’être embarqués dans les bateaux et ses données seraient plus proches de la réalité.
Le commerce intérieur du bois reste inorganisé, dominé par le secteur informel en ce qui concerne les sciages, les perches, les bois de chauffage etc. Les données disponibles ne sont que celles communiqués par les sociétés formelles dans le pays à travers leurs divers rapports d’activités. Il convient ici de souligner que beaucoup de sociétés publient leur rapport avec un grand retard, ce qui retarde la compilation des données disponibles.
3.4. Points forts et faibles d’analyse et de diffusion de données nationales
Points forts et ou opportunités
Le code forestier oblige les sociétés en activité de donner l’information sur leurs activités (Art. 120 du Décret d’application du code forestier)
Pour ce qui est des grumes, un système informatique de gestion de l’information forestière est mis en place et opérationnel au niveau de la Direction des Forêts et traite déjà des informations relatives à la production des grumes par les sociétés installées. Ce système qui couvre déjà les provinces du Sud et de l’Est sera décentralisé dans l’essentiel des provinces forestières.
La Direction des Forêts bénéficie de l’appui d’un expert canadien chargé des statistiques forestières.
Le Ministère de l’Environnement et des Forêts dispose d’une tranche d’antenne radio sur le poste national qui pourra être utilisé comme un canal de diffusion des informations forestières. De même, un site Internet de la MINEF est en cours de création ainsi qu’une revue trimestrielle du ministère.
Points faibles
la collecte des informations forestières est essentiellement axée sur une base déclaratoire à travers les DF10 et les rapports annuels des sociétés, sans véritable contrôle de l’exactitude des données,
le système actuel de collecte des données ne tient pas suffisamment compte du secteur informel qui va grandissant,
le bois semble prendre le devant des statistiques au détriment des autres produits forestiers,
il n’existe pas un organe de validation des informations et des données statistiques du MINEF. Les sources varient en fonction de celui à qui on s’adresse.
Le mécanisme de diffusion des informations existantes reste encore embryonnaire bien que les efforts soient faits par l’expert canadien pour satisfaire toutes les demandes qui lui sont adressées,
il n’existe aucun observatoire pour ce qui est des autres produits forestiers,
Plusieurs agences et institutions interviennent dans le système de collecte sans qu’il y ait nécessairement un mécanisme d’échange d’information entre elles,
Certaines données de la recherche restent éparpillées, mal conservées ou sur des supports difficiles à utiliser,
Il n’existe pas de cadres bien formés en statistiques au niveau de l’administration forestière, de façon à mieux prendre le relais de l’expert canadien dont la fin de mission arrive en 2002, ce qui créeraient un vide effroyable en matière de statistiques de production de bois.
La plupart des délégations provinciales travaillent encore manuellement sur les informations forestières.
La cellule informatique du MINEF n’est pas fonctionnelle.
Les services en charge des statistiques sont sous-équipés et manquent de cadres bien formés.
3.5. Conditions d’utilisation et de diffusion des données auprès des autres institutions
Le secteur forestier est devenu stratégique pour le développement économique du Cameroun. A cet effet, le Ministère de l’Economie et des Finances (MINEFI) a pris un certain nombre de mesure pour limiter la diffusion de certaines informations stratégiques. Ainsi, tout requérant des données relevant de la SGS et de la douane doit au préalable obtenir une autorisation du MINEFI.
La publication des données forestières dans la presse nationale exige le payement de l’espace occupé.
Du fait que le Ministère en charge des forêts ne dispose pas d’un instrument de diffusion des informations forestières, la demande de l’information prend assez de temps pour être satisfaite. Le pays à néanmoins adhéré à la convention de Rio qui prône entre autres l’échange libre de l’information forestière.
En somme, il n’existe aucune disposition légale qui va à l’encontre de la diffusion et de l’échange de l’information forestière avec les autres partenaires.
4. Propositions de mesures pour l’amélioration du processus de mise en œuvre des statistiques nationales
Ces propositions ont pour objectifs d’améliorer la fiabilité des informations fournies par les opérateurs économiques du secteur formel, de maîtriser les données issues des activités forestières informelles, les données de la consommation et du commerce intérieur afin de disposer des informations fiables pour une bonne planification du secteur forestier. En effet, les pouvoirs publics n’ont toujours pas à leurs dispositions des données susceptibles de les convaincre de dégager les moyens nécessaires aux investissements devant être effectués dans le secteur forestier pour assurer son développement durable. Cet état de choses est entretenu d’une part par l’absence des données économiques permettant de déterminer la valeur économique du secteur et son poids actuel dans l’économie nationale et d’autre part, par un secteur informel très développé dont les données mal connues ne permettent pas sa prise en compte suffisante dans le PIB national.
Tout ceci justifie la nécessité de disposer dans une administration telle que la notre d’un bon système de collecte, de contrôle de traitement et de diffusion de l’information forestière.
La proposition d’amélioration du système peut être formulée ainsi :
Mise en place au niveau de l’administration centrale d’une unité chargée de la centralisation des informations et statistiques forestières tant au niveau national qu’international, du traitement, de la validation et de la publication périodique des statistiques forestières du ministère et de la diffusion des informations aux parties prenantes. Cette unité pourrait développer des informations sur le marché national et international des produits forestiers et jouer ainsi le rôle d’un tour de contrôle sur la rentabilité et la compétitivité des entreprises de façon à agir sur les facteurs de la rentabilité en fixant un niveau de taxe optimal. La structure appropriée pour centraliser ces données au regard de l’organisation actuelle du Ministère semble être (1)soit la Division de la Coopération et des Projets qui a l’avantage d’être placée au sein du Secrétariat Général du ministère et de qui relèvent directement toutes les directions techniques, mais qui malheureusement traite beaucoup d’autres affaires que les statistiques, (2) soit le Centre d’Information Environnementale du Secrétariat Permanent à l’Environnement qui a l’avantage de ne traiter que des données environnementales, mais l’inconvénient d’être placé à une position excentrique du ministère. Il convient de relever que quel que soit le lieu où la structure de centralisation et de diffusion sera placée, elle ne pourrait être mieux alimentée que si des informations fiables et bien traitées en provenance des directions techniques l’alimentent constamment.
Renforcement en ce qui concerne principales directions techniques du Ministère [Direction des Forêts (DF), Direction de la Promotion et de la Transformation des Produits Forestiers(DPT), Direction de la Faune et des Aires Protégées(DFAP)] et des services en charge des statistiques qui devront alimenter l’Unité Centrale. Ce renforcement exige :
En ce qui concerne la Direction de Forêts : la nomination et le recyclage en quelques semaines de deux jeunes cadres qui devront travailler avec l’expert canadien dans le cadre du transfert de l’expertise pendant le temps que durera encore sa mission au Cameroun. Ces cadres devront être équipés en matériels informatiques et suffisamment motivés de façon à leur permettre d’envisager une bonne carrière dans le domaine. Ils devront travailler sur les aspects des données forestières qui ne sont pas encore prises en compte au niveau du système informatique de gestion des informations forestières de la Direction des Forêts. L’appui de la FAO à ce niveau pourrait consister à équiper et former le personnel et à élargir le système actuel du SIGIF de façon à lui permettre de collecter et de traiter une gamme variée d’information forestière. A terme donc, le SIGIF devrait être renforcé de façon à être le seul système de traitement de l’information forestière au niveau de la Direction des Forêts.
Au niveau de la DPT et de la DFAP, il sera question de renforcer respectivement les services statistiques existants et la Cellule d’Etude et de Planification (CEP) en responsabilisant au sein de ces structures des cadres qui ne s’occuperaient que des statistiques forestières et en les équipant en matériel adéquat.
Chacune des directions concernées devra valider les données forestières au niveau de sa structure avant de les transférer au niveau de l’unité centrale. Ceci est fondamental parce que, la plupart de ces directions délivrent chacune en ce qui la concerne les titres et certificats d’exploitation ou d’exportation, les relevés pour le payement des diverses taxes forestières et dispose à cet effet des instruments de contrôles des données déclarées.
Création au niveau des dix provinces d’une cellule en charge de la collecte, et du transfert à l’unité centrale des informations et données statistiques relatives au secteur forestier de sa province. Cette structure pourrait être greffée au niveau de la brigade provinciale de contrôle, équipée de matériels informatiques et doté d’un système de communication par courrier électronique qui la lie à la cellule centrale et aux diverses directions techniques. Cette unité pourrait être gérée par un cadre bien formé et motivé. Dans les provinces de l’Est, du Sud où le SIGIF est déjà installé, l’unité devra travailler sur les aspects non actuellement pris en compte par le SIGIF en attendant que celui- ci soit modifié pour que les deux systèmes fusionnent.
Les unités ainsi crées, aussi bien au niveau de l’administration centrale que dans les provinces, devront être selon une méthodologie de collecte, de saisie, de traitement, d’interprétation et de présentation des statistiques forestières uniforme.
Les diverses unités créées et/ou renforcées ne pourront bien fonctionner que si les informations qui y arrivent sont fiables.
Comment donc améliorer la fiabilité de l’information qui arrive dans le système ?
Amélioration des données provenant du secteur informel des produits forestiers
Ce secteur est caractérisé par l’atomicité des producteurs, la forte autoconsommation par les producteurs eux-mêmes et l’inorganisation de la filière inorganisée
Il serait ici très ambitieux de maîtriser l es données relatives à la production, au commerce et à la consommation desdits produits. Les propositions ci-dessous visent à avoir une estimation proche de la réalité sur les informations y relatives.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie de contrôle des activités forestières, Le MINEF a créé des checks points en ce qui concerne grands axes de circulation du bois. Il est question de mettre à profit ces points de contrôle pour évaluer à l’entrée de chaque grande ville les volumes, les destinations, les sources d’approvisionnement du bois énergie et des autres produits forestiers. Ceci nous permettrait d’avoir une idée sur la consommation urbaine des produits forestiers du secteur informel.
Mener une enquête nationale périodique de production et de consommation du bois énergie et des autres produits forestiers.
Mettre en place un panel de consommateurs disposés à fournir des informations de consommations à un observatoire créé à l’effet de suivre les consommations des dits produits dans le pays.
Identifier des grandes zones de collecte et de consommation des produits forestiers et notamment non ligneux et y récolter périodiquement des données. Il convient de noter que les textes actuels qui régissent l’exploitation des produits forestiers au Cameroun ne prennent pas suffisamment en compte les petits exploitants, ce qui les poussent à l’informel. A cet effet il est recommandé d’organiser une étude sur le fonctionnement du secteur informel afin de proposer des mesures adaptées (petits permis) qui encourageraient les opérateurs concernés à sortir de la clandestinité.
Renforcer les capacités des services du MINEF de façon à réduire l’exploitation frauduleuse de la ressource.
Amélioration des données provenant du secteur formel des produits forestiers
Il se dégage de la méthodologie présentée ci-dessus des dispositions prévues dans le chapitre 2 et 3 du Décret N 95/531 du 23 août 1995. Ces dispositions fixent les modalités du régime des forêts, mais veillent aussi à ce que les informations sur les produits forestiers relevant du secteur formel soient fiables dans le cas où ces dispositions seraient respectées par toutes les parties prenantes. De plus, ces dispositions proposent qu'un contrôle systématique soit effectué dans les chantiers, les usines et les sociétés traitant des produits forestiers.
Malheureusement, il a été remarqué que les rapports arrivent tardivement où n’arrivent pas du tout et que les capacités actuelles des services forestiers ne leur permettent pas d’assurer le contrôle nécessaire.
Afin d’améliorer le processus de collecte des informations forestières relevant du secteur formel, les mesures ci-après sont proposées.
Instituer au niveau des dix provinces un système de contrôle efficace chargé de vérifier la validité des informations fournies par les exploitants forestiers. Ce système de contrôle devra être de manière à assurer au moins un passage par semaine dans les chantiers d’exploitation ainsi que dans les usines de transformation.
Le long des grands axes de circulation des produits forestiers, dans les ports et les gares d’embarquement ainsi que les points de rupture des charges, un contrôle régulier et systématique devra être effectué.
Un système de comptabilité qui tient compte des stocks des produits forestiers au début et à la fin de chaque exercice devra être imposé aux exploitants forestiers. Le niveau de ses deux stocks pourrait permettre en fin de chaque exercice de déceler les fraudes éventuelles faites par l’opérateur.
Les carnets de chantiers devraient être donnés mensuellement aux exploitants en tenant compte de leur capacité de production déclarée au départ. Ces carnets devraient être renouvelés ainsi que les autres demandes de services de l’exploitant satisfaites que si ces derniers ont fourni les rapports et les statistiques demandées par l’administration forestière.
En somme, dans l’intérêt d'une amélioration de la collecte d'informations forestières il est nécessaire d'appliquer les contrôles afin d’amener les exploitants à se conformer aux dispositions légales relatives à la production de statistiques pour chacune de leurs activités.
Bien plus, il est nécessaire d’établir un cadre de coopération étroite entre les différentes institutions traitant des statistiques forestières, ceci parce que ces dernières évoluent en vase clos sans mécanisme approprié d’échange avec les autres institutions. Ainsi, afin d’améliorer cet état de choses, il est recommandé d’organiser un atelier national avec l’ensemble des parties prenantes pour définir un mécanisme d’échange d’information inter-institution et le cas échéant de signer des protocoles dans ce sens.
L’effort devra être mis sur la maîtrise du traitement et de la gestion des statistiques disponibles, le saut vers l’inconnu devant être fait de manière progressive. Le succès de tout cela passe inéluctablement par un renforcement des capacités techniques et matérielles des services en charges des données forestières.