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4.  METHODES POUR ESTIMER LES MORTALITES TOTALES, PAR PECHE ET NATURELLE

Introduction

En biologie des pêches, la manière la plus utile pour exprimer la décroissance en nombre des poissons d'un groupe d'âge au cours du temps est d'utiliser des taux exponentiels de décroissance. Ces taux, au nombre de trois, sont définis par les deux expressions suivantes:

Nt  = No · e-Zt(18)
avecNo = nombre initial de poissons au temps to
Nt  = nombre de poissons survivants au temps t
Z = taux exponentiel de mortalité totale

Un avantage des taux exponentiels est qu'ils peuvent être additionnés ou soustraits; on a ainsi:

Z  = M + F (19)
avecM = taux exponentiel de mortalité naturelle
F  = taux exponentiel de mortalité par pêche (voir figure 11)
Bien entendu, si
F = 0, on a Z = M(20)

ce qui signifie que la mortalité naturelle et la mortalité totale ont la même valeur lorsqu'il n'y a pas de pêche (cas d'un stock inexploité).

En ce qui concerne les mortalités, un biologiste des pêches a 2 principales tâches:

(a)   estimer la valeur de Z;

(b)   décomposer, au besoin, la valeur estimée de Z en ses deux composantes M et F.

Estimation de la mortalité totale

Estimation de la mortalité totale à partir de la taille moyenne dans les prises.

(a)   Quand on a obtenu un grand nombre de données de fréquences de tailles pour un stock donné et pour un engin de pêche donné, Z peut être estimé à partir de la longueur moyenne () des prises dans une population donnée grâce à la relation:

relation dans laquelle L et K sont les paramètres de l'équation de croissance de Von Bertalanffy, est la longueur moyenne des poissons capturés, et L'est la première taille à partir de laquelle tous les poissons d'un échantillon ont une probabilité égale à l'unité (1) d'être retenus par l'engin de pêche (Beverton et Holt, 1956). La valeur de L'est facile à obtenir: elle correspond au point P1 d'une courbe de prise (voir figure 13). Le tableau 7 indique des valeurs de Z estimées à partir de l'equation 21.

Figure 11.

Figure 11.  Décroissance en nombre d'une cohorte de poissons, ayant au départ 100 poissons à l'âge 0, en fonction de 3 niveaux de mortalité totale

Figure 12.

Figure 12.  Abaque pour estimer les facteurs de sélectivité pour les poissons à partir des propotions de leur corps. Base sur les données de Sinoda et al., 1979 et Meemeskul (1979). Original. (Note: Tous les facteurs de sélectivité estimés au moyen de cette abaque se réfèrent à la longueur totale; donc: SF·maillage = Lc (longueur totale)

Tableau 7

Estimation des valeurs de Z par 2 méthodes à partir des données sur Selaroides leptolepis du golfe de Thailande présentées par Boonyubol et Hongskul (1978)
AnnéesEffortZ
19662,0813,252,41
19672,0813,012,69
19683,5012,992,72
19693,6013,072,62
19703,8012,373,73
19727,1912,303,88
19739,9412,014,61
19746,0612,603,30
4,8712,703,25
Constantes:L = 20,0;K = 1,16;L' = 10,0

Estimation de Z au moyen de la courbe des prises (structures démographiques)

Une autre méthode pour estimer Z consiste à échantillonner une population comportant plusieurs classes d'âges, puis à tracer le logarithme népérien (loge) du nombre de poissons dans l'échantillon (N) en fonction de leur âge t respectif d'où on a:

logeN = a + bt(22)

dans laquelle la valeur de b donne, après changement de signe, une estimation de Z.

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la valeur de -b soit un bon estimateur de Z. Parmi celles-ci, on peut noter:

(a)   seules les valeurs de logeN qui appartiennent à un groupe d'âge de poissons complètement vulnérable à l'engin de pêche en question, doivent être prises en compte (entre autres, le poisson doit avoir une taille supérieure à L' définie plus haut). Ceci est équivalent à n'utiliser que la “partie décroissante” de la courbe des captures (voir figure 13);

(b)   le recrutement doit être constant durant la période d'étude ou doit n'avoir fluctué que de manière aléatoire.

Lorsqu'on dispose de données convenables de fréquences de tailles ou de poids, on peut construire une courbe de structures d'âges des captures après conversion des tailles en âges grâce aux paramètres de croissance appropriés. Cependant, quand on utilise des fréquences de tailles pour construire une courbe de capture, unbiais est créé qui a été porté à mon attention par Dr J.A. Gulland, FAO (com. pers.).

Le problème est dû au fait que, la croissance en longueur n'étant pas linéaire, il prend plus de temps à un grand et vieux poisson qu'à un jeune pour traverser une classe de taille donnée. Dit d'une autre manière, chez les plus grands poissons, on aura dans un intervalle de classe de taille donné (par exemple dans une classe de 1 cm de longueur) davantage de groupes d'âges que chez les petits poissons. La procédure suggérée par Gulland pour compenser cet effet est la suivante:

Mathématiquement on sait que le nombre de poissons de l'âge 2 est donné par

N2 = N1e-Z(t2 - t1)(23)

et que le nombre NL appartenant à une classe de taille sera donné par

NL = N2 Δt = N1 Δt. e-Z(t2 - t1)(24)

avec Δt (= t2 - t1) est la durée moyenne mise par un poisson pour grandir à travers une classe de taille donnée, t1 étant l'âge relatif correspondant à la limite inférieure de la classe de taille, et t2 étant l'âge relatif correspondant à la limite supérieure de la classe de taille (voir tableau 8).

Ceci étant, l'équation 22 devrait être reprise sous la forme

Même avec cette correction, il est probable que les résultats deviennent progressivement inutilisables lorsqu'on approchera de la taille asymptotique des poissons. Cela rend impératif de tracer un diagramme de dispersion des valeurs Loge N/Δt, afin d'identifier correctement la partie de la courbe de structures d'âges des prises qui peut être utilisée pour estimer Z. Un exemple est donné au tableau 8 et à la figure 13.

On notera également que, puisque Z est égal à la pente (au signe près) de la courbe de structures d'âges des captures, l'âge réel - qui nécessite une estimation de to - peut ici être remplacé par un âge relatif, par exemple en fixant to = 0 (tableau 8, figure 13). L'estimation de l'âge relatif (t'i) correspondant à une taille Li peut être accomplie par l'intermédiaire de l'équation (32).

Un paramètre ressemblant à L' (et souvent confondu avec celui-ci) est Lc, qui est la taille minimale moyenne à la capture; Lc peut être estimé à partir d'experiences de sélectivité, qui sont souvent longues et coûteuses. Pour faciliter l'estimation de Lc, on trouvera ci-joint une abaque qui permet d'obtenir, des estimations de Lc à partir de caractéristiques de poissons qui sont faciles à obtenir, telles que le rapport longueur/hauteur ou telles que le facteur d'embonpoint (girth factor = section maximale/longueur totale) (figure 12).

La figure 12 cependant ne permet pas une estimation directe de Lc. Par contre, dès que l'on dispose du rapport longueur/hauteur ou du facteur d'embonpoint, on peut utiliser la figure 12 pour estimer un facteur de sélectivité (SF) tel que:

Lc = SF · maillage (du cul de chalut)1(26)

1   Lorsque l'engin de pêche est un chalut

Figure 13.

Figure 13.  Une courbe de structures d'âges dans les prises aprés conversion des longueurs en âges, et corrigée du temps nécessaire à un poisson pour grandir dans la classe de taille (voir le texte). Extrait des données di tableau 8. L'équation de la droite de régression est N/Δt = 14,8 - 4,19 t; (r = 0,988) qui donne une estimation de Z = 4,2. Le point P1 étant le premier point utilisé pour l'estimation de Z, il correspond par définition à la taille L' (voir p. 24).

Tableau 8

Données pour la construction d'une courbe des prises pour Upeneus vittatus de la baie de Manille, Philippines1
Limite de classesMilieu de classeNt1bt2bΔtNombre ajusté par classe longueur loge N/ΔtAge moyen relatifb Remarques
InfaSupa
6 0006 9996,530,5100,6120,1023,380,56Non utilisé; partie ascendante de la courbe
7 0007 9997,51430,6120,7200,1097,180,67
8 0008 9998,52710,7210,8370,1167,760,78
9 0009 9999,53180,8370,8610,1257,840,90
10 00010 99910,54160,9611,0960,1348,041,03
11 00011 99911,54881,0961,2420,1468,111,17
12 00012 99912,56141,2421,4020,1608,251,32
13 00013 99913,56131,4021,5790,1778,151,49Portion utilisée pour estimer Z
14 00014 99914,54931,5791,7760,1977,831,67
15 00015 99915,52781,7761,9990,2237,131,88
16 00016 99916,5932,0002,2570,2575,892,12
17 00017 99917,5732,2572,5600,3035,482,40
18 00018 99918,572,5602,9300,3702,942,74
19 00019 99919,522,9303,4040,4731,443,15
20 00020 99920,523,4044,0630,6591,113,70Non utilisé: trop proche de L
21 00021 99921,504,0645,1591,094-4,53
22 00022 99922,515,1609,2084,047-1,406,19
23 00023 99923,51----

a   Longueur totale en cm
b   Calculé par l'équation 32, avec to = 0

1   Extrait de Ziegler (1979) qui donne L = 23,1; K = 0,59 et T = 28°C

Décomposition de Z en ses composants M et F

Décomposition de Z en M et F au moyen d'un graphique de Z en fonction de l'effort.

Lorsqu'on dispose des valeurs de Z sur plusieurs années au cours desquelles l'effort f a varié, la valeur de M peut être calculée par:

Z = M + qf (27)
avec
q = coefficient de capturabilité, qui relie l'effort f et le coefficient de la mortalité par pêche (F) par la relation
F = q · f (28)

Ainsi, une série de valeurs de Z (moyennes annuelles) peut être tracée en fonction des valeurs corresopondantes de f et une droite peut être ajustée à ces points par regression linéaire. Ceci nous donne une droite de regression dont l'équation est

y = a + bx(29)

dans laquelle Z = y et x = f; la pente b donne une estimation de coefficient de capturabilité q et l'ordonnée à l'origine a une estimation de M (voir la figure 14 sur laquelle on a tracé des valeurs des valeurs de Z calculées par les équations 21).

Décomposition de Z en M et F en utilisant une estimation indépendante de M.

Lorsqu'on ne dispose que d'une valeur de Z ou lorsque les valeurs de Z et f varient dans un trop petit intervalle pour qu'on puisse obtenir des valeurs raisonables pour M et q, le coefficient de capturabilité peut être estimé par

avec
= moyenne des valeurs de Z disponibles (ou valeur unique de Z dont on dispose)
et
= moyenne des efforts correspondants f (ou valeur unique de f)
M = étant une estimation indépendante du coefficient de mortalité naturelle (voir tableau 7 et figure 14).

Méthode pour obtenir une estimation indépendante de M

De nombreux auteurs ont démontré que la valeur du paramètre K de la courbe de croissance de Von Bertalanffy est, chez les poissons, étroitement liée à leur longévité. Ceci peut être démontré d'après l'observation que, en général dans la nature, les plus vieux poissons d'un stock grandissent jusqu'à atteindre 95% de leur longueur asymptotique (Taylor, 1962; Beverton, 1963). Ainsi, lorsqu'on a:

Lt = L (1-e-K(t-to))(31)

on a aussi

Si on tient compte alors des 95% de L pour les vieux poissons, on obtient:

Figure 14.

Figure 14.  Tracé de la mortalité totale (Z) en fonction de l'effort (f) pour estimer la mortalité naturelle et le coefficient de capturabilité chez Selaroides leptolepis du golfe de Thaïlande. Extrait des données du tableau 7. Ces équations sont:

Z1 = 1,96 + 0,263f

d'où

avec tmax = longévité du poisson en question.

Que la mortalité naturelle soit chez les poissons, correlée avec la longévité, donc avec K, semble évident. De même, elle est correlée avec la taille puisque les grands poissons ont, en règle générale, moins de prédateurs que les petits. On peut également montrer que la mortalité naturelle chez les poissons est correlée avec la température moyenne de leur environnement (Pauly, 1978b, 1980). Ces différentes relations peuvent être exprimées, pour des données de croissance en longueur, par la régression multiple:

log10M = -0,0066-0,279 log10L + 0,6543 log10K + 0,4634 log10T (35)
et pour des données de croissance en poids par:
log  M = -0,2107-0,0824 log10W + 0,6757 log10K + 0,4687 log10T(36)
avecM = mortalité naturelle d'un stock donné,
L = (longueur totale en cm) et W (poids frais en grammes) étant respectivement les longueurs et les poids asymptotiques des poissons de ce stock,
etK       leur coefficient de croissance.

La valeur de T est la température annuelle moyenne (en °C) de l'eau dans laquelle vit le stock en question, et que l'on peut trouver par exemple dans un atlas océanographique.

Ces régressions sont dérivées de 175 jeux de données L (ou W), K, T, et M extraits de la littérature adéquate (Pauly, 1980), et appliqués sous cette forme à des températures allant de 5 à 30°C; elles donnent pour les poissons des estimations utiles de M, qui doivent bien sûr être confirmées si possible par des analyses sur l'espèce précise en question.

Bien que les équations 35 et 36 donnent généralement des estimations raisonables des M pour pratiquement tous les jeux de données-paramètres de croissance et température, il y a un groupe de poissons tropicaux pour lesquels les estimations peuvent être biaisées, à savoir les poissons pélagiques vivant toujours en bancs - particulièrement les Clupeidae dont la mortalité naturelle est généralement surestimée par ces équations. Dans leur cas, il peut être approprié de réduire l'estimation de M d'une manière quelconque, par exemple en la multipliant par 0,8.

Estimation de l'état d'un stock uniquement à partir de ses taux de mortalité

Lorsqu'on dispose des valeurs de F et M, un taux d'exploitation (E) peut être calculé par:

qui permet à lui seul d'estimer (grossièrement) si un stock est surexploité ou non, à partir de l'hypothèse que la valeur optimale de E (Eopt) est voisine de 0,5; cette hypothèse, E ≈ 0,5 = taux d'exploitation optimal, repose elle-même sur une autre hypothèse, à savoir que la prise équilibrée potentielle est optimisée quand F ≈ M (Gulland, 1971).

Exercice:  (a)  Décrivez la décroissance en nombre d'une cohorte de poissons (No = 100 000) dont l'exploitation commence à 0,5 an, lorsqu'on a M = 0,5 et F = 1,0.

(b)  Calculez les valeurs de Z à partir des données du tableau 10 en utilisant l'équation 21, puis utilisez ces estimations pour obtenir les valeurs de M et q au moyen de l'expression 27.

(c)  Comparez la valeur de M obtenue à la question b avec celle obtenue par l'expression 35 en prenant L = 29, K = 1,2; T = 28°C.

(d)  Utilisez les données du tableau ll pour tracer une courbe de structure d'âges des captures en utilisant l'équation 32, avec to = 0, puis pour convertir les longueurs moyennes des classes de tailles en estimation d'âges relatifs; estimer ensuite Z. Estimer alors M au moyen de l'expression 35 et des paramètres de croissance appropriés. Calculer F et E et estimer si le stock en question est exploité de manière optimale ou non.

Tableau 10

Données pour l'estimation des valeurs de Z, F et q chez Priacanthus tayenus du golfe de Thaïlande1
AnnéesEffortabn
19662,0815,712 370
19672,8015,514 231
19683,5016,110 956
19693,6014,9 9 738
19703,8014,412 631
19739,9412,8 9 091
19746,0612,815 229

a   En million d'heures de chalutage
b   A utiliser avec L = 29; K = 1,2 et L' = 7,6

1  D'après les données de Boonyubol et Hongskul (1978) et SCSP (1978)

Tableau 11

Données de fréquences de longueurs pour la construction d'une courbe des structures d'âge des captures et l'estimation de Z chez Nemipterus japonicus de la baie de Manille1
Longueur moyenne des classes de tailles aNLongueur moyenne des classes de tailles N
 7,5 1117,5
428
 8,5 6918,5
338
 9,518719,5
184
10,513320,5
73
11,511421,5
37
12,526122,5
21
13,538623,5
19
14,544524,5
8
15,553525,5Ne pas utiliser
7
16,540726,5
2

a  A utiliser avec L = 29,2; K = 0,607 et T = 28°C;
longueur = longueur totale en cm

1   D'après Ziegler (1979)


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