En dehors des contraintes technologiques, financières et commerciales qui sont le lot de toute activité économique, les industries basées sur une ressource, comme la pêche, la sylviculture et l'agriculture, se heurtent à des contraintes naturelles qui tiennent à la ressource elle-même. Mais si l'agriculture et la sylviculture sont parvenues à atténuer ce genre de limitations par le progrès technologique, les pêches maritimes quant à elles restent confrontées (et le resteront dans un avenir prévisible) à des limitations concrètes liées à la ressource naturelle. Il y a une limite maximum à la quantité de poisson que l'on peut extraire d'une pêcherie nationale-et même des pêcheries mondialesen production équilibrée. Le noubeau régime des océans, qui s'est instauré à la suite de l'adoption des zones économiques exclusives et de leur extension (ZEE) aux 200 milles, a accru les superficies sur lesquelles un pays a le contrôle exclusif de la pêche et, partant, le maximum de production équilibrée (MSY) auquel il peut prétendre dans les conditions économiques et technologiques actuelles.
Non seulement les pêches nationales ne peuvent pas faire grand chose pour briser cette contrainte liée à la ressource, mais elles doivent encore s'accommoder d'une autre contrainte: la libre accessibilité de la ressource, contrainte qui n'existe pas dans l'agriculture ni dans d'autres secteurs exploitant une ressource (du moins pas au même degré). La terre peut être morcelée et distribuée à différents propriétaires qui la mettront en valeur et l'aménageront de facon à en maximiser la productivité et/ou la rentabilité économique; la mer et ses ressources vivantes, en raison de leur caractère fluide et mouvant, ne peuvent être considérées comme une propriété privée. En régime de libre accès, aucun opérateur n'a de motivations suffisantes (ou l'impact voulu s'il possede les motivations) pour aménager la pêcherie de fcon à en maximiser la production et/ou la rentabilité économique. S'il le faisait, il devrait en supporter à lui seul tous les couts, contre une part négligeable des bénéfices; il cherchera plutot à “surexploiter” la pêcherie pour accroître son propre bénéfice en n'assumant qu'une part négligeable du cout de la surpêche. On imagine aisément le résultat auquel on arrivera si tout le monde en fait autant. Le régime de libre accessibilité de la ressource a pour effet que même la productivité limitée (MSY) ou la rente potentielle nette (MSY) ne peuvent être obtenues sans quelque forme d'aménagement collectif vu la compétition féroce à la libre accessibilité incite les participants. Mais l'aménagement n'est pas exempt de couts. La recherche a son cout; l'administration, la surveillance et l'application des réglementations coutent; et il existe aussi des couts politiques et des couts sociaux. Et c'est pourquoi aussi bien le MSY que le MEY exagèrent les bénéfices de la pêcherie étant donnée que ceux-ci ne peuvent être obtenus sans couts (le MSY exagère les bénéfices en ne tenant compte ni des couts de la pêche ni des couts de l'aménagement).
La liberté d'accès et les limitations imposées par la nature à la ressource ainsi que les 200 milles des ZEE sont des conditions plus ou moins communes à toutes les pêcheries, mais la petite pêche affronte d'autres obstacles, encore plus sérieux. En premier lieu, son niveau de développement technologique la cantonne dans une zone bien plus étroite que les 200 milles des ZEE. En second lieu, son immobilité, en direction de la mer pour des raisons qui tiennent à son faible rayon d'action, et en direction de la terre pour des raisons qui tiennent qu manque d'autres possibilités d'emploi pour les pêcheurs, la rend particulièrement vulnérable à tout enpiètement soit terrestre soit maritime. Troisièmement, les pêcheurs artisanaux sont souvent “pris au piège”; l'entrée sur la pêcherie est relativement aisée et point trop onéreuse1, le départ est difficile et douloureux pour toutes sortes de raisons, qui vont de l'endettement chronique à l'absence d'une meilleure alternative. Nous allons maintenant examiner d'une facon brève les diverses contraintes qui s'exercent sur la conduite de la petite pêche dans les pays en développement: limitations inhérentes à la ressource, libre accessibilité, absence d'emplois de remplacement et conflits avec la grande pêche.
La petite pêche ayant un rayon d'action limité, opère dans une étroite bande de mer n'allant pas au dela de quelques kilomètres du rivage. De la présence et des migrations de poissons dans cette zone dépend la ressource disponible pour ce type de pêche. L'abondance de cette ressource varie en fonction des conditions d'environnement et des activité de la pêche hauturière. Si l'activité hauturière est constante et si les conditions d'environnement sont stables, il existe un maximum de production qui peut être obtenu sur une base équilibrée.
Dans les eaux tropicales peu profondes, qui comprennent les zones côtières et les récifs, il semble que les rendements se situent normalement entre 4 et 8 tonnes au kilomètre carré; dans les estuaires, la productivité est généralement plus élevée et peut dépasser 10 tonnes/km2 (Pauly, 1982). C'est ce que l'on peut voir dans le tableau 1.
| Type d'écosystème | situation géographique | MSY | Source |
|---|---|---|---|
| Récifs coralliens | Jamaique, Caraïbes Mer des Antilles | 4, 0 t/km2 | Gulland (1979) |
| 5, 0 t/km2 | Gulland (1979) | ||
| Plateau continental | Golfe de Thailande (<50 m) | 3, 6a/t/km2 | SCSP (1978) |
| Baie de San Miguel (<15 m) (Philippines) | 8, 0 t/km2 | M. Vaxily (com. pers. à Pauly | |
| Estuaires | Golfe du Mexique Lagune de Sakumo (Ghana) | 12 t/km2 | Saila (1975) |
| 15 t/km2 | Pauly (1976) |
aPoissons démersaux uniquement. Source: tableau établi par Pauly (1982)
1 Pour plus de précisions, voir note infrapaginale 1 page 22, et note 1 page 30
Pour voir combien les limitations inhérentes à la ressource peuvent ètre contraignantes, examinons le cas du golfe de Thailande. D'après le tableau 1, le MSY est de 3,6 tonnes/km2. Les côtes du golfe s'étendent sur 1 850 kilomètres et l'on estime à 12 km la largeur moyenne de la bande accessible à la petite lêche. Cela signife que le MSY démersal disponible aux pêcyeurs artisanaux de thailande est d'environ 80 000 tonnes. A ce chiffre, nous pouvons ajouter 40 000 tonnes représentant la participation de la pêcherie aux ressources pélagiques 1 . Selon une estimation prudente, les artisans pêcheurs seraient au nombre de 35 000 en Thailande. En conséquence, la part de ressource revenant à chaque pêcheur est d'environ 3,4 tonnes par an. Dans une enquête de 19782 portant sur quelque 320 artisans pêcheurs employant 20 différents types d'engins dans le golfe de Thailande, on a constaté que la capture moyenne par unité de pêche allait de 2,8 tonnes par an (partie extérieure sud du golfe) à 3, 4 tonnes par an (partie extérieure nord du golfe). La capture par pêcheur était légèrement supérieure (3, 7 tonnes) sur la côte de la mer Andaman où il n'est pas possible de chaluter, et nettement supérieurs (4, 6 tonnes) sur la côte est de la partie intérieure du golfe où beaucoup de grands navires ont trouvé des fonds de pêche plus lucratifs près du Kampuchéa, laissant la côte à la petite pêche.
Compte tenu d'un coût de pêche moyen de US$ 0,33 par kilo et d'un prix moyen de US$ 0,60 par kilo, cette capture permet au pêcheur de gagner un revenu annuel de US$ 750– 1 250ou, en supposant que la famille est de six personnes, US$ 125–200 par personne, contre un revenu national moyen de US$ 400 par habitant, ce qui pourrait correspondre 3/ à des rentes de ressource négatioves et à une surpêche économique 4 . La majorité des pêcherurs se plaignenet que leurs captures et leurs revenus ont baissé ces dernières années, malgré un accroissement de l'effort de pêche de leur part; ils invoquent des raisons telles que l'augmentation du nombre des pêcheurs, les empiètements des chalutiers, le bas prix du poisson de rebut dont la proporation s'accroit dans les captures, la pollution des cotes. etc. On a enregistré également une diminution de la taille moyenne des crevettes et d'autres espèces de valeur élevée.
Le scénario décrit ci-dessus indique que la limitation inhérente à la ressource est probablement contraignante et qu'aucun développement ultérieur fondé sur la même ressource n'est possible.
Quelles sont les possibilités d'étendre la base de ressoruce? On dispose d'un certain nombre de moyens pour annuler ou du moins atténuer les limitatins inhérentes à la ressource: (a) contrôler la sélectivité des engins et réglementer le maillage pour relever la valeur unitaire de la capture (notamment en ce qui concerne les crevettes) et ramener la pêcherie à un niveau trophique plus élevé (capture composée d'espèces plus intéressantes); (b) accroitre la valeur de la capture en améliorant la commercialisation et l'utilisation des prises; (c) réduire les empiètements des chalutiers et autres types de pêche commerciale dans la zone réservée à la petite pêche; (d) ralentir laêche hauturière pour augmenter l'abondance des mêmes stocks dans les zones littorales; et (e) étendre le rayon d'action de la petite pêche par des améliorations technologiques. Sur ces cinq possibilités d'atténuer les limitations inhérentes à la ressource, nous n'examinerons ici que les deux premières et laisserons les autres de côté pour les aborder dans la section suivante.
Dans une pêcherie plurispécifique, l'emploi d'une maille exagérément fine non seulement empêche la pêcherie d'attenindre son MSY optimal, mais risque aussi de modifier la composition du MSY en faveur d'espèces de moindre valeur, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent. Le choix d'un maillage approprié (ou plutôt d'un engin approprié) peut accroître sensiblement la valeur de la ressource, même si cela ne modifie pas le MSY 1 Et c'est pourquoi les estimations du MSY qui ne mentionnent pas la composition par espèces et les interactions entre espèces peuvent induire en erreur. La réalisation d'un tel MSY n'arrête pas la détérioration de la ressource ni l'appauvrissement ultérieur des pêcheurs. Il semblerait que l'emploi de maille de 20 mm et moins par la plupart des chalutiers du sud est asiatique, joint à des niveaux de pêche intensifs, soient à l'origine de modifications dûment constantées de la composition de la ressource. Pauly (1979) signale que le rendement actuel par recrue de Lutjanus sanguineus dans le golfe de Thailande pourrait être multiplié par six ou sept si on doublait le maillage, mais ce faisant on laisserait échapper complètement une espèce plus petite, Leiognathus splendens. Quant à savoir si ce choix serait préférables, cela dépend de la valeur respective des deux espèces. Si la pêche sélective n'est pas possible, il faut choisir un maillage et étudier ses effets sur le niveau trophique auquel la pêcherie fonctionnerait, c'est-à-dire trouver le maillage qui placera la pêcherie sur la courbe de la rente totale la plus élevée possible (figure 5).
1 Calculé proportionnellement aux estimations du MSY (voir Panayotou et Jetanavich, 1982)
2 Voir Panayotou et al. (ouvrage sous presse)
Même s'il existe un engin sélectif, la figure 5 reste applicable, comme elle l'est dans le cas de la pêcherie monospécifique. Il y a toujours un age (ou taille) optimal de première capture c'est-à-dire une maille qui met la pêcherie sur la courbe de production équilibrée optimale. L'énoncé du problème sélection-maillage, du point de vue de la rente totale, couvre le cas plus général dans lequel il faut choisir à la fois un age optimal et une composition spécifique optimale.
Dans certaines régions, la régulation du maillage et des méthodes de pêche en général peut être un instrument extrêmement important pour atténuer les limitations inhérentes aux ressources sur les petites pêcheries. L'auteur a observé (1979) que les pêcheurs artisanaux d'un village de Trat, la province maritime la plus à l'est de la Thailande, capturaient de grandes quantités de crevettes de 2 cm de longueur, qu'ils vendaient à US$ 0,20 le kilo. Ils admettaient que si on laissait les crevettes atteindre l'age de 8 mois ou d'un an, leur poids serait multiplié par vingt et leur prix unitaire par vingt-cinq. En supposant une mortalité naturelle de 80 pour cent pendant la même période, le fait d'augmenter de facon appropriée la maille aurait permis de centupler la valeur de cette ressource pour les pêcheurs. Les avantages à long terme que l'on peut attendre d'une régulation du maillage seront, en fait, sensiblement moindres, surtout s'il faut adopter des maillages de compromis pour les pêècheries plurispécifiques, mais on ne saurait sous-estimer l'importance qui s'attache à contrôler la sélectivité des engins de pêche pour renforcer la productivité de la ressource. pourtant, les pêcheurs n'étaient guère désireux d'augmenter leur maillage car (a) avec une maille plus grande, ils n'auraient eu, pendant plusieurs mois,ni captures ni revenus, ce qu'ils ne pouvaient se permettre; et (b) ils craignaient que la présence de crevettes plus grosses n'attirent les chalutiers qui, comme par le passé, écumeraient indistinctement les grosses et les petites crevettes ainsi que tout le poisson présent dans les eaux littorales. Des arguments analogues ont été avancés par des pêcheurs utilisant des moyens tout aussi destructeurs, comme le poison ou la dynamite.
Il est donc possible de faire beaucoup pour accroitre les ressources disponibles en améliorant les méthodes de capture à condition que le problème de la libre accessibilité soit résolu (voir section 2 ci-après ). Toutefois, même en l'état actuel de la ressource il est possible d'améliorer la valeur des captures par un systeme de commercialisation plus efficace et une meilleure utilisation. La capture d'une pêcherie plurispécifique (surtout si elle n'est pas réglementée) se compose d'espèces diverses et de poissons de differentes tailles, dont la valeur commerciale varie en fonction de leur utilisation. certaines espèces et certaines tailles ne sont jamais utilisées en tant que denrées alimentaires, sont classées dans la catégories du poisson de rebut et sont soit jetées, soit vendues pour fabriquer de la farine de poisson. A chumporn (Thailande), par exemple, en 1978, plus de 20 pour cent des captures de la petite pêche ont été classés comme poisson de rebut et vendus au prix de US$ 0,05 le kilo, contre une valeur unitaire moyenne de US$ 0,60 le kilo pour l'ensemble des captures.
En outre, les captures de la petite pêche donnent lieu à une détérioration et à un gaspillage importants, cela pour un certain nombre de raisons: (a) nature relativement très périssable des poissons tropicaux; (b) manque de glace et d'installations de congélation, ou approvisionnements insuffisants; (c) dispersion et éloignement des centres de petite pêche par rapport aux centres de consommation. ces caractéristiques impliquent des coûts élevés de collecte, de commercialisation et d'entreposage et, pour les pêcheurs, des prix relativement bas (une fois débarqué, le poisson doit être vendu immediatement). La petitesse et la dispersion des points de debarquement excluent tant les economies d'echelle au niveau du ramassage des captures que toute concurrence entre les négociants, tandis que l'éloignement des collectivités de pêcheurs fait que celles-ci sont mal informées des conditions du marché et que les pêcheurs sont peu armés pour la négociation.
Il est possible de réduire la proportion de la capture classée comme poisson de rébut (détérioration comprise) et d'élever la valeur de la capture: (a) en améliorant l'approvisonnement en glace; (b) en encourageant l'utilisation des poissons de petite taille et des espèces non traditionnelles pour la consommation humaine après transformation (pate de poisson), ou en influant sur les goûts des consommateurs. on pourrait aussi diminuer les marges commerciales et relever les prix payés aux pêcheurs en stimulant la concurrence entre les négociants, en fournissant des informations sur les prix aux pêcheurs et en créant une infrastructure commerciale telle que routes secondaires, centres de débarquement et installations de commercialisation. nous ne prétendons pas qu'il est payant (socialement ou à titre privé) de faire tout cela, ni que ces mesures à elles seules seront suffisantes pour améliorer la condition des pêcheurs. ce que nous voulons dire, c'est qu'une meilleure utilisation de la matière permière et la réduction des marges de commercialisation sont éventuellement des moyens d'atténuer, pour l'ensemble de la pêcherie, les limitations de la ressource, ce qui ressemble fort à une expansion de la base de ressource. ces mesures auront pour effet de relever la valeur de la capture, représentée graphiquement par un mouvement ascendant sur la courbe de la rente totale, analogue au déplacement engendré par une augmentation de la maille (voir figure 5).dans quelle mesure contribueront-elles à atténuer les limitations inhérentes à la ressource que rencontrent les pêcheurs, individuellement, à longue échéance, cela dépendra des conditions institutionnelles et économiques régissant l'accès à la pêcherie et les entrées (voir section 3 ci-après).
Non seulement la petite pêche dispose d'une base de ressource qui est limitée par son propre rayon d'action et par la productivité naturelle, mais encore elle doit la disputer à d'autres secteurs de la peche utilisant une technologie plus avancee. comme nous l'avons vu dans la section précédente, la ressource disponible pour une pêcherie littorale est souvent également exploité dans les eaux du large, que cela comporte ou non des déplacements perpendiculaires à la cote des differents groupes d'âge (reproducteurs, juvéniles, etc.) du stock. la grande pêche qui opère au large diminue donc fatalement la quantité de poisson disponible pour la petite pêche. De même, les opérations des pêcheurs artisanaux amènent parfois une réduction du recrutement des stocks de haute mer. En côted'Ivoire, par exemple, la pêche en lagune de la crevette pénéïde est peut—être à l'origine de l'effondrement économique de la pêche au chalut (Troadec, J.P./comm. pers.). En fait, les pêcheurs artisanaux occupent souvent une position plus stratégique dans le cycle biologique, mais cet avantage est généralement plus que compensé par une dissymétrie fondamentale entre les deux pêcheries: la grande pêche peut opérer à la fois au large et sur le littoral (à quelques exceptions près), tandis que la petite pêche est confinée au littoral.
La loi interdit souvent aux grandes unités de pêche d'opérer dans la zone côtière, qui est reservee aux artisans pêcheurs, mais la présence d'espèces de grande valeur, comme les crevettes, et la plus forte densité de poisson dans les eaux peu profondes-caracté ristique des écosystèmes tropicaux-ainsi que les coûts croissants des carburants, joints aux difficultés d'application se traduisent souvent par des empietements et par une concurrence ouverte entre les deux pêcheries à l'égard de la même ressource. On aboutit à des effets de surpeuplement et à des conflits physiques entre engins tels que chaluts et engins fixes. Dans tout le sud-est asiatique, on a signale des heurts violents entre les deux types de pêche. En Malaisie, par exemple, l'invasion des fonds traditionnels de petite pêche par les chalutiers a provoqué une centaine d'incidents (1970–1973) auxquels ont été mêlés près de 400 chalutiers et 800 bateaux de pêche de la côte; 60 bateaux ont été coulés et 23 pêcheurs ont péri (smith,1979). En indonésie, d'après le Directeur général des pêches, après une série de heurts et de démonstrations et la comparution en justice de mille chalutiers opérant illégalement dans la zone côtière, le Gouvernement a completement interdit les chalutiers en indonesie depuis octobre 1980 (sardjono,1980). dans le Yémen du nord, le Gouvernement a été obligé d'interdire les chalutiers à la suite de démonstrations des pêcheurs du littoral qui protestaient contre l'invasion de leurs fond de pêche traditionnels par les chalutiers-crevettiers des societes industrielles et contre les dommages causes a leurs filets maillants, ainsi que contre les rejets de poisson en mer (Thompson, 1980). des heurts analogues avec incendies de bateaux se sont produits en inde, en Thailande, aux philippines et en cote-d'Ivoire.
Les deux types de pêche s'opposent également sur le plan commercial, dans la mesure où ils utilisent les mêmes intrants ou capturent les mêmes especes de poissons (ou de proches substituts). Les pêcheurs industriels peuvent faire monter les prix des équipements de pêche ou, par des debarquements massifs, deprimer les prix du poisson. cela arrangera peut-être les fabricants de matériel et les consommatuers, mais les petits pêcheurs risquent de devenir de moins en moins competitifs. dans des conditions normales, il s'agit d'un processus logique et acceptable en vertu duquel le producteur marginal (celui qui a des prix de revient plus élevé). Cependant, pour trois raisons au moins, ce resultat peut n'être ni efficace ni êquitable: (a) en cas de distorsions et imperfections du marche, en particulier du marché financier;(b) parce que la distribution du revenu est socialement inacceptable; (c) en raison de l'absence d'autres possibilités d'emploi pour les pêcheurs éliminés et de la nécessité de freiner l'exode vers les villes.
La condition fondamentale d'une concurrence loyale est que les participants doivent avoir accès au même marché financier. dans beaucoup de pays en développement( et dans quelques pays développés), les marchés ne sont pas seulement morcelés ils accusent aussi bien des distorsions dues à ce que l'on appelle les subventions au développement. Tandis que la pêche industrielle a accès au crédit institutionnel à faible taux d'intérêt et bénéficie de prêts subventionnés au développement, les artisans pêcheurs pour leur compte n'ont accès qu'au crédit non officiel, dont les taux d'intérêt sont plusieurs fois supérieurs aux taux institutionnels. Ainsi, à chumporm en Thaîlande, les petits et moyens pêcheurs obtiennent des prêts à des taux d'intérêt oscillant entre 36 et 60 pour cent 1, alors que les taux officiels sont de 8 à 12 pour cent (1978), pour ne pas parler des prêts de développement concédés à des taux de faveur. Comme on pouvait le prévoir, l'accorissement du capital subventionné et la libre accessibilité de la ressource ont abouti à des intensités d'investissement (et pour finir à une surcapitalisation) injustifiées au regard des moyens dont disposent actuellement les pays en développment (main-d'oeuvre abondante et capital rare). Il est malheureux que les exigences du développement -à savoir l'épargne et la formation de capital - aient été si souvent mal comprises ou interprétées comme synomymes de mécanisation.
La petite pêche est en outre génée par son caractère dispersé et son éloignement, qui excluent les économies d'échelle en ce qui concerne la commercialisation des captures et l'achat des intrants, inconvénient qui n'est que partiellement compensé par ses faibles coûts d'opportunité et ses moindres frais en capital et carburant. bien que, sur le plan social, les artisans pêcheurs soient souvent des producteurs à bas prix de revient, sur le plan privé leurs coûts unitaires sont parfois relativement élevés en raison de l'insuffisance des infrastructures et du coût important des emprunts. L'inverse pourrait évidemment se vérifier pour la grande pêche si on enlève les subventions financières (explicites ou implicites), tandis que capital et devises étrangères (outillage importé, carburant) ont un prix fictif compte tenu de leur vrai coût social. A trat (thailande) (1978), par exemple, le carburant importé représentait plus de 47 pour cent du coût total d'exploitation d'un chalutier de moyen tonnage et la main-d'oeuvre (locale) moins de 28 pour cent. Au même endroit et à la même époque, dans le coût total d'un casier à crabes, le carburant ne représentait que 19 pour cent et la main-d'oeuvre bien 55 pour cent. Il n'y a pas de différence significative entre les deux types d'engins en ce qui concerne le rendement du capital. L'importance de ces différences n'appraît que si l'on considère que la thailande a un déficit de près de US$ 3 milliards de sa balance commerciale et de sa balance des paiements; que pratiquement la moitié des recettes en devises du pays est absorbés par les importations de pétrole; enfin, que le chômage touche plus d'un million de personnes, sans parler du sous-emploi.
Dans le cadre du nouveau régime des océans, l'extension des juridictions de la part des Etats côtiers offre une occasion de “redistribuer” des ressources ichtiologiques entre les deux pêcheries. Toutefois, avant de procéder à cette réaffectation, il est nécessaire de réexaminer la viabilité et la rentabilité sociale des pêcheries en utilisant des prix fictifs qui tiennent compte de la véritable rareté des facteurs de production, pour calculer les coûts et les bénéfices. Etant donné la facon dont les facteurs de production sont actuellement répartis dans la plupart des pays en développement et la surcapitalisation de la grande pêche qu'engendrent les distorsions des prix et la liberté d'accès, un tel examen aboutira inévitablement à l'attribution de ressources supplémentaires aux petites pêcheries, oubliées dans le cadre du regime de la libre accessibilite en raison de leur incapacite a se joindre a la course aux ressources lointaines. Bien entendu, cette affectation des ressources entre les deux pêcheries s'accompagne d'une part d'un probleme technique, a savoir qu'il faudra établir un certain équilibre entre la mortalite dans la pêcherie littorale et dans la pêcheries du large, et suppose d'autrepart une décision politique, à savoir comment distribuer les rentes engendées compte tenu des objectifs généraux de développement du pays.
Le soutien institutionnel penche souvent en faveur de la pêche industrielle en raison (a) de son efficacité en apparence supérieure et, partant, de sa “contribution” plus importante à la croissance économique; (b) de son aptitude à se concentrer dans un petit nombre de points de débarquement, ce qui permet des économies d'échelle en ce qui concerne l'installation d'infrastructures telles que facilités de debarquement, routes, etc. et l'exécution de programmes d'assistance; (c) la place qu'elle occupe, son influence politique et sa force économique; et (d) une préférence générale à l'égard de la grande pêche dans le cadre du régime de libre accessibilité. Par contre, les pêcheurs artisanaux sont géographiquement dispersés et isolés, politiquement dépourvus d'organisation et sans force. en raison de leur stagnation technologique et de leur caractère d'activite economique de repli, les petites pêches semblent satisfaire rarement aux critères d'investissement classiques. Mais si, dans la liste des priorités des décideurs, l'objectif distribution occupe une place aussi élevée que l'objectif efficacité, les bénéfices destinés aux artisans pêcheurs et autres groupes à faible revenu devront être pondérés au moyen de notions de distribution appropriées. Bien entendu, dans la poursuite d'objectif distribution, l'efficacité ne devra pas être oubliée: entre différents projets d'investissement public donnant un résultat analogue sur le plan de la distribution, il faudra choisir celui qui sacrifiera le moins d'efficacité.
Dans la section précédente, nous avons examiné les limitations physiques et économiques, concrètes ou théoriques, de la ressource du point de vue de l'ensemble de la pêcherie. dans la réalité, cependant, il peut y avoir, concernant la ressource, des limitations encore plus rigoureuses imposées par des facteurs institutionnels et historiques.
Jusqu'à tout récemment, les pêcheries mondiales ont été des ressources librement accessibles, en ce sens que quiconque souhaitait s'adonner à la pêche était libre de le faire. Dans le cadre du nouveau régime des océans, la libre accessibilité à l'intérieur de la ZEE d'un pays donné est restreinte aux ressortissants du pays en question. Les gens sont attirés par la pêche parce qu'elle leur offre la perspective d'un gain supérieur à celui que leur procureraient d'autres activités économiques, pour plus ou moins le même effort 1. Comment cela est-il possible?
Si l'alternative à la pêche est l'agriculture, l'intéressé, en plus du capital et du travail qu'il doit fournir, doit acheter ou louer la ressource naturelle (la terre). pour la pêche, par contre, il a librement accès à la ressource naturelle (fond de pêche et poisson) et donc, contrairement au cultivateur, n'a pas besoin de payer de loyer à un quelconque “propriétaire marin” ; il peut garder ce loyer pour lui-même, ce qui est une facon de “s'approprier” les ressources et devenir une sorte de propriétarie. contrairement au propriétaire terrien toutefois, il ne peut empêcher autrui de s'approprier la même ressource. Même s'il pouvait empêcher d'autres personnes d'opérer sur le même fond de pêche, il ne peut guère empêcher le poisson de se déplacer et d'être exploité sur d'autres fonds de pêche. C'est comme cela que les premiers arrives sur une pecherie vierge peuvont recolter des rentes substantielles jusqu'à ce que d'autres, attirés par la même perspective, surpeuplent la pêcherie et que la ressource limitée soit divisée en un si grand nombre de parts que la plupart des pêcheurs ne gagnent rien de plus que s'ils s'étaient livrés en premier lieu à l'agriculture (ou à toute autre activité qui s'offrait à eux). un petit nombre de pêcheurs feront peut-être encore quelques profits s'ils sont plus doués que la moyenne, ou s'ils disposent d'une technologie plus perfectionnée, mais il ne s'agit plus de rentes de ressource mais de rentes d'aptitude ou de quasi-rentes assurées par l'adoption rapide de techniques nouvelles. Les pêcheurs qui subissent des pertes pourraient, par definition, obtenir un meilleur revenu en dehors de la pêche et dès qu'ils trouvent un bon acquéreur pour leur bateau et leurs engins et un nouveau travail pour eux-mêmes, ils se retireront. A longue échéance et dans des conditions statiques, il sera difficile de trouver des pêcheurs gagnant plus ou moins que ce qu'ils peuvent gagner dans d'autres activités: il n'y aura aucune raison pour que ceux qui se trouvent déjè sur la pêcherie l'abandonnent, ni pour ceux qui n'y sont pas y entrent.
Qu'est-ce qui ne va pas dans cet “heureux” état de choses? A vrai dire, chacun recoit tout ce à quoi il a droit en vertu du système 1. pourtant, quelque chose se perd. si les pêcheurs ne gagnent pas plus que ce qu'ils pourraient gagner ailleurs, si le gouvernement ne percoit rien de la pêcherie et si la société en général n'en tire pas de profits particuliers2. quel intérêt un pays a–t–il alors à avoir une pêcherie maritime, comparé a un pays prive de littoral? si tous les secteurs de l'économie fonctionnaient suivant les mèmes principes (libre accès et, partant, pas de valeur ajoutée), il n'y aurait que peu, voire pas du tout, de capitaux à investir dans le développement économique et social du pays.
Le bénéfice que la société tire de toute activité économique (agriculture, industrie, peche) est maximal au niveau d'effort (emploi de capital et de travail) qui assure la plus grande différence possible entre la valeur du produit et le coût de l'effort (intrants). Quand la propriété privée est un droit incontesté, et que les marchés sont suffisamment compétitifs (comme dans l'agriculture), les initiatives de l'opérateur individuel (par exemple, le cultivateur) pour essayer de maximiser son propre revenu conduisent (également) à la maximisation du bénéfice économique pour la société dans son ensemble, même si cela n'était pas dans ses intentions. Dans la pêche par contre, étant donné qu'il n'y a pas de droits de propriété assurés (libre accessibilité), les initiatives des pêcheurs en vue de maximiser leur revenu personnel n'entraînent pas la maximisation du bénéfice économique pour la société mais sa complète dissipation. Tant que les revenus dépasseront les coûts (bénéfice économique positif), les pêcheurs en place intensifieront leur effort et de nouveaux pêcheurs arriveront, jusqu'à ce que les coûts aient sensiblement monté et que la ressource ait diminué (ou que sa composition se soit modifiée) de telle façon que la plus value nette produite par la pêcherie tombe à zéro, les revenus couvrant tout juste les coûts (figure 12).

Figure 12 Le bénéfice économique maximal (MEY) ne peut prévaloir en tant qu'équillibre à long terme dans une pécherie dont l'accès est libre . Tant qu'il y aura une plus value à réaliser, de nouveaux arrivants seront attirés et l'effort s'intensifiera jusqu'à ce que le profit devienne nul ou que l'équilibre de libre accès (OAE) soit atteint pour le niveau d'effort EOAE.
De l'analyse qui précède, on peut tirer trois conclusions d'ordre politique: (a) une pêcherie dont l'accés est libre contribue peu ou pas du tout au développement économique du pays, toute plus-value par elle engendrée étant auto-destructrice en raison des arrivées supplémentaires qu'elle attire; (b) des modifications favorables des conditions économiques, ou les efforts déployés en vue de développer davantage la pêcherie ou d'aider les pêcheurs ne font que multiplier les entrées, donc aggraver l'épuisement de la ressource ou modifier défavorablement sa composition; et (c) une expansion de la base de ressource (par exemple ZEE).
Notre modèle bioéconomique de la figure 12 devrait prëdire que, au moins à long terme, aucun pêcheur ne gagnera de revenus inférieurs (ou supérieurs) à ses coûts d'opportunité, ce qui signifie que la moyenne des pêcheurs ne sera pas plus mal lotie que d'autres groupes socio-économiques similaires du pays. Toutefois, il existe une dissymétrie fondamentale dans la dynamique des entrées et des sorties. Au cours d'une année bonne pour la pêche et/ou mauvaise pour les autres secteurs, beaucoup de personnes étrangères à la pêche n'ayant pas de revenus assurés (cultivateurs sans terre, travilleurs sous-employés, etc.) seront attirés par la pêcherie. Il n'y a pas de raison, bien sûr, pour que le “juste” nombre1soit attiré; cela dépend non seulement de l'importance du gain en perspective, mais aussi des conditions régnant en dehors de la pêcherie. Le phénomèe est analogue à celui des migrations rurales-urbaines; la création d'un seul emploi en ville attire plusieurs immigrants.
1 Le nombre de pêcheurs nécessaires pour amener la pêcherie à un équilibre de libre accès
L'accès à la mer n'implique pas nécessairement l'accès à la ressource; il peut exister des obstacles économiques à l'accès ou à l'entrée d'effectifs, tels que les capitaux pour acheter le bateau et les engins, et les compétences pour les manoeuvrer. Néanmoins, l'arrivée massive d'espèces tropicales dans les zones côtières et l'extrême difficulté qu'il y a à faire respecter les réglementations interdisant l'emploi de méthodes de pêche destructives (poison, dynamite, filets à maille fine sur les nourriceries, etc.) équivalent à un faible coût d'entrée pour le privé. Par exemple, la dépense en capital pour un bateau non motorisé et un engin, en Thaïlande, en 1978, ne dépassait pas US$ 40, et US$ 60 aux Philippines.
Par contre, il n'est pas aussi facile de sortir de la pêcherie. Au fil des ans, le pêcheur accumule un important matériel de pêche et autre, il perd certaines compétences et en acquiert de nouvelles: il abandonne d'anciennes relations et habitudes et s'en crée de nouvelles; ce qui fait que quitter la pêche signifie davantage pour lui changer de mode de vie que changer simplement d'occupation. Tout d'abord, sur une pêcherie surexploitée, il ne lui sera pas facile de liquider son matériel de pêche. Deuxièmement, son endettement chronique et les engagements qu'il a contractés de ce fait envers les maréyeurs ou les prêteurs, comme beaucoup d'artisans pêcheurs, l'obligent à continuer de pêcher et entravent sa mobilité. Troisièmement, les prtits pêcheurs, isolés au sein de collectivités éloignées, ne sont pas toujours suffisamment informés de l'endroit où ils pourraient trouver des emplois plus lucratifs, ni de la nature de ces emplois. Quatrièmement, cela prend du temps de trouver un nouvel emploi, une nouvelle résidence et de rafraîchir des capacités oubliées depuis longtemps; ce temps, couvent, les petits pêcheurs ne l'ont pas car, vu la baisse du revenu par unité d'effort, ils gagnent tout juste leur subsistance. Cinquièmement, il peut y avoir des obstacles à l'accès à d'autres occupations. Sixièemement, étant donné que les activités de pêche sont, pour la plupart de ces petits artisans, intégrées avec d'autres activités à terre (ni les unes ni les autres ne leur assurant de façon suffisante de quio vivre), abandonner la pêche signifie renoncer à toutes les autres activités à terre, changement que les pêcheurs décrivent invariblement comme un “déracinement”. Enfin, et c'est peut-être la raison qui compte le plus, les collectivités traditionnelles de pêcheurs ont un mode de vie et une culture propres qui se plient difficilement aux exigences des emplois industriels et aux activités africoles de rapport (c'est pourquoi les pêcheurs font parfois de médiocres pisciculteurs)1
Donc, soit parce qu'un trop grand nombre de pêcheurs ont été attirés par la pêcherie quand elle était rentable, soit que la rentabilité ait baissé à la suite de changements des conditions économiques (ou bioécologiques), il est très courant de trouver des artisans pêcheurs qui gagnent des revenus considérablement inférieurs à leurs coûts d'opportunité. Comme il a été démontré dans de récentes études, par exemple, on a constaté dans toute la Thaïlande, les Philippines et la Malaisie2, que les artisans pêcheurs étaient parmi les groupes socio-économiques les plus défaviorsés, que leurs revenus étaient bien inférieurs aux moyennes nationales respectives et même à ce qu'ils pourraient gagner dans d'autres activités. Cela implique: (a) une relative pauvreté et un manque de mobilité et (b) une plus-value négative, donc une contribution négative des pêches au développement économique national. En Thaïlande, on a observé que la plupart des petites pêcheries et certaines des moyennes (1978) avaient des rentes de ressource négatives, c'est-à-dire des pertes pouvant atteindre US$ 2 500 par unité de pêche et par an, selon le type d'engin et l'endroit. A la même époque environ, on enregistrait des rentes négatives aux Philippines (spécialement parmi la pêche motorisée) et en Malaisie (en particulier sur la côte ouest).
En revanche, dans certaines petites pêcheries de Sri Lanka, des barrières efficaces à l'entrée - les collectivités de pêcheurs étant étroitement fermées - permettent de capter d'importantes rentes de ressource, (voir Fernando et al., 1982). Les personnes étrangères à la collectivité ne sont pas autorisées à accéder à la pêcherie, qui est considéréres comme la propriété de la collectivité. Aucun étranger n'est admis à accoster une embarcation de pêche le long d'un rivage “appartenant” à la collectivité. Les équipages non plus ne sont pas recrutés à l'extérieur, tant que la main-d'oeuvre reste nettement au-dessus des coûts d'opportunité, et il en sera ainsi longtemps que les liens communautaires seront forts et qu'il n'y aura pas de menaces d'empiètement de la part d'une pêche industrielle.
Nous pouvons donc conclure que la liberté d'accès, quand elle s'ajoute à l'isolement et à la dissémination des collectivités de pêcheurs et aux caractéristiques socio-culturelles des pêcheurs artisanaux, peut conduire non seulement à la dissipation d'un bénéfice économique pour l'ensemble de la société, mais aussi à l'appauvrissement des pêcheurs eux-mêmes. Le manque de mobilité professionnelle et géographique peut être le résultat d'un isolement prolongé, d'un faible niveau d'instruction, de l'âge avancé, de préférence pour un mode de vie particulier, de tabous culturels, de restrictions liées aux castes, ou simplement de l'impossibilité pour l'intéressé de liquider son matériel. Le plus souvent, toutefois, la pauvreté absolue ou relative des pêcheurs artisanaux s'explique par l'absence d'alternatives suffisamment attrayantes pour justifier le coût d'un changement d'activité et le coût infiniment plus élevé d'une réinstallation dans un environnement social différent.
Ici, il faut prendre en considération deux éléments apparentés: (a) le chômage dans les secteurs autres que la pêche, et (b) la main-d'oeuvre “excédentaire” et l'absence d'emplois autres que la pêche au sein des collectivités de pêcheurs eux-mêmes. Comme nous l'avons vu au chapitre 2, un contexte de chômage chronique ou structurel s'accompagne d'un faible coût d'opportunité pour la main-d'oeuvre. Inévitablement, les secteurs dans lesquels la ressource est d'accès libre reflêtent les conditions qui règnent dans le reste de l'économie. Si des emplois intéressants se créent en dehors de la pêche, cela entraînera un exode de ressources (capital et main-d'oeuvre) de la pêche vers d'autres secteurs. C'est ainsi que certains pays de la mer Rouge et de l'Afrique de l'est ont des problèmes pour faire fonctionner leurs pêches car les compagnies pétrolières offrent de meilleures conditions d'emploi (Ben-Yami, comm. pers.). Si le chômage et le manque de terre s'aggravent dans le reste de l'économie, on peut s'attendre à ce que l'inverse se produise: il y aura afflux net de main-d'oeuvre dans les secteurs où il existe des ressources librement accessibles, comme la pêche. Naturellement, les nouveaux arrivants, ne possèdent que peu ou pas de capital et aucune expérience, se livreront à la pêche côtière et iront grossir les rangs des pêcheurs artisanaux. On a des quantités de preuves qui indiquent que la pêche est une activité de repli. Ainsi, Pollnac et Sutinen (1979) rapportent qu'en Afrique de l'est “la pêche est considérée comme une activité de repli… Les gens pêchent quand ils ne peuvent pratiquer l'agriculture” (p.59). De son côté, Nagata (1980) signale que après la mise en place de la législation sur le chalutage (à fort coefficient de capital) en Malaisie (1965), un certain nombre de travailleurs de la mer déplacés “finirent par échouer sur les petites pêcheries, dont l'entrée est relativement facile” (p.4). On trouve un autre exemple encore dans Cordell (1973) qui rapporte que, dans le nord-est du Brésil, les travilleurs mis à pied sur les plantations de cocotiers, se mettent à la pêche à la pirogue faute de meilleurs possibilités: et ce, en un moment où les collectivités qui pratiquaient ce type de pêche abandonnent leurs fonds traditionnels (estuaires) pour la pêche dans les marécages, refoulées par la progression de technologies plus avancées. En ce qui concerne l'Asie du sud-est, des rapports de Larsson et de ses collaborateurs (1975), de Collier et de ses collaborateurs (1977) signalent que le nombre des petits pêcheurs à tendance à augmenter en Malaisie et en Indonésie, respectivement. Nous pouvons donc conclure qu'une diminution des possibilités d'emploi en dehors de la pêche réduit le coût d'opportunité de la pêche, augmente la dépendance à l'égard de la pêche, décourage les départs et encourage de nouvelles arrivées, ce qui conduit à un ultérieur épuisement de la ressource et, partant, à des limitations encore plus contraignantes de ce point de vue.
Que dire de l'emploi autre que la pêche dans les collectivités de pêcheurs elles-mêmes? Les collectivités qui s'adonnent à la pêche se trouvent dans des zones où les activités terrestres sont limitées et où les liens de communication et de transport avec le reste du pays sont insuffisants. Cette situation est encore exacerbée par la tendance qu'ont les pêcheurs artisanaux à ne regarder que la mer et à ne guère s'intéresser aux affaries du pays (en Thaïlande, par exemple, les pêcheurs en général ont à plusieurs reprises refusé de payer des impôts, arguant qu'ils profitent peu des services publics et des infrastructures sociales). Il est vrai que, souvent, cet isolement leur est en partie imposé par lemanque d'intérêt de la part des politiciens et des administrations, qu'elles soient des pêches su autres. Les pêcheurs artisanaux sont souvent trop dispersés et politiqument et économiquement trop faibles, pour défendre en coulisse leurs intérêts1 L'abîme qui sépare les collectivités de petits pêcheurs du reste du pays apparaît à l'évidence dans l'insuffisance de l'infrastructure destinée à soutenir la pêche et le l'emploi en dehors de la pêche. Pourtant, invariablement, les pêcheurs artisanaux tirent une partie, faible mais essentielle, de leurs revenus d'activités autres que la pêche, telles que l'agriculture, le petit négoce, et le commerce. Ces occupations (ainsi que certaines activités se déroulant à terre mais liées à la pêche, telles que le raccommodage des filets, le séchang ou la transgormation du poisson) résorbent les considérables fluctuations qu'enregistrent les activités de la pêche proprement dite par suite des conditions d'environnement (variations météorologiques, fluctuations saisonnières, mauvais engins de pêche, etc.).
Etant donné, toutefois, que ces occupations à terre supposent pour le moins de la terre et des marchés, elles se heurtent également à des limitations concrètent inhérentes aux dimensions et à la productivité restreintes de la bande côtières initialement occupée par la collectivité, et aux relations de transport et autres que celle-ci entretient avec le reste du pays et qui sont chaque fois médioccres. La croissance démographique de la collectivité et les éventuels apports migratoires (quand la pêche est encore rentable) élargissent le marché local, mais les ressources (poisson et terre) étant fixes et la formation de capital ou l'amélioration de la productivité insignifiantes, le pouvoir d'achat reste limité, safu en péridoes de captures exceptionnelles. L'expansion des flottilles et la motorisation des bateaux de pêche ont considérablement progressé ces drenièes années, ce qui représente à la fois une accumulation de capital (ou du moins un accès au crédit) et un reclassement technologique. Mais une bonne partie de la motorisation accomplie récemment n'a pas produit le résultat attendu car elle s'est faite dans des zones où la ressource était déjà “surexploitée” et cette nouvelle extension du rayon d'action de la petite pêche a entraîné des conflits avec la pêche hauturière.
Ainsi, d'une certaine manière, les collectivités de pêche artisanale sont à la fois bloquées du côté de la terre et bloquées du côté de la mer, les ressources dont elles disposent étant d'une fixité sans égale: poisson, terre, marchés et relations avec le monde extérieur. Dans beaucoup de pays, il est possible que l'afflux de personnes de l'extérieur se tarissent prartiquement par suite du fléchissement des revenus escomptés de la pêche, mais les populations des collectivités de pêcheurs continuent de croître. Le résultat en est que le rapport ressource-homme diminue constamment et que le niveau de vie connaît aucune amélioration. Cependant, l'exode vers les zones métropolitaines est rarement une bénédiction pour les pays en développement, déjà aux prises avec un chômage urbain très étendu et dotés d'une infrastructure sociale insuffisante pour faire front aux migrations campagnes-villes.
Comme bien peu a été fait dans le passé pour promouvoir les collectivités de pêcheurs (par exemple fournissant l'infrastructure nécessaire, en favorisant de nouvelles activités), mise à part une certaine assistance strictement liée à la pêche (motorisation des pirogues), il existe très probablement d'immenses possibilités dans ce domaine. Promouvoir le tourisme, l'artisanat et l'aquaculture côtière sont évidemment des solutions susceptibles de remplacer ou de compléter la pêche, mais d'autres activités actuellement localisées en milieu urbain seraient tout aussi viables dans les zones côtières, si l'on pourvoyait à l'indispensable infrastructure. A Trat, en Thaïlande, par exemple, on dit que les pêcheurs ont doublement bénéficié de l'implantation d'une usine de traitement du poisson dans leur province: (a) ils obtiennent un prix plus élevé pour leurs captures, et (b) de nouvelles possibilités d'emploi se sont créées pour d'autres membres de leurs familles.
La complémentarité de la pêche et d'activités autres que la pêche et basées à terre a des incidences sur le développement et l'aménagement. Le développement des collectivités de pêche ne doit pas nécessairement se limiter à la seule ressource ichtyologique mais peut (et dans bien des cas doit) intégrer ces autres activités. Par exemple, la motorisation des bateaux de pêche peut ne pas se justifier si l'on considère la base de ressource seule, mais la possibilité d'utiliser les bateaux pour le transport, le commerce ou le tourisme quand la pêche est mauvaise (par exemple, pendant la mousson) peut justifier l'investissement. Il faut veiller cependant à développer ces autres possibilités si elles sont viables et n'existent pas, mais en même temps contrôler l'effort pour protéger la ressource contre une éventuelle surpêche. Les activités extérieures à la pêche doivent aussi être prises en considération dès lors qu'il existe un risque que le développement halieutique envisagé, au lieu d'élargir l'éventail des possibilités offertes à la collectivité de pêcheurs, remplace simplement une activité non halieutique viable par de nouvelles possibilités de pêche. Par exemple, si quand la pêche rend mal, les pêcheurs pratiquent l'agriculture, l'attribution de ressources supplémentaires à une collectivité de pêcheurs risque de se faire au détriment de l'agriculture. De toute mainère, quand on évalue les avantages de projets de développement des pêches, il faut aussi tenir compte de leurs incidences, positives ou négatives, sur les activités autres que la pêche.
L'existence ou l'absence d'autres possibilités d'emploi a également des répercussions sur l'aménagement des pêcheries. Le contrôle et la réduction de l'effort de pêche (y compris l'auto-aménagement) sont plus faciles à mettre en oeuvre, et peuvent l'être plus rapidement dans les collectivités qui disposent de possibilités variées. S'il n'existe pas d'emploi possibles en dehors de la pêche mais qu'il existe une base de ressource (terre, forêts, ressources minières, environnement naturel, ect.) permettant de telles activitées, l'aménagement des pêches devra aller de pair avec le développement des secteurs non halieutiques. Souvent, il y a place aussi pour un développement halieutique qui n'est pas la pêche, c'est-à-dire pour une amélioration de l'utilisation, du traitement et de la commercialisation des captures, qui créera une certaine plus-value ou du moins améliorera les conditions socio-économiques des pêcheurs et permettra d'introduire des programmes d'aménagement. Les coûts d'application sont relativement bas quand il existe des alternatives à la pêche; ils sont prohibitifs quand la pêche est la seule et unique source d'emploi et de revenu.