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4.  EFFETS PROBLABLES DES INTERVENTIONS HUMAINES

4.1  Variations des paramètres économiques

Dans des conditions économiques et bioécologiques constantes, une pêcherie d'accès libre atteindra un équilibre lorsque l'effort et la capture correspondante se situeront à un niveau tel que le profit pour la pêcherie dans son ensemble sera nul même si certains pêcheurs, ayant des coûts inférieurs, peuvent encore gagner quelques rentes d'efficacité. Etant donné que la plus-value ou les pertes constituent la force dynamique du système, s'ils sont absents il n'y aura aucun changement ni du niveau d'effort ni de la capture, c'est-à-dire qu'un équilibre s'instaurera (voir figure 12).

Le monde réel n'étant pas un système statique mais dynamique, un tel équilibre est davantage une tendance qu'une réalité. Les coûts des intrants (carburant, filets, etc.) enregistrent souvent une tendance à la hausse cependant que le progrès technique fonctionne de façon à rendre l'emploi desdits intrants plus efficace, éliminant les moins efficaces quand les limites de la ressource sont atteintes. Dans l'ensemble, les coûts peuvent monter ou descendre selon l'importance relative de la raréfaction, de l'inflation et du progrés technique. On pourrait s'attendre à ce que les prix des intrants évoluent de façon régulière, et à ce que le progrès technique en revanche modifie brusquement l'efficacité d'utilisation de ces intrants. Depuis la crise de l'énergie, toutefois, les prix du carburant ont grimpé par à-coups assez accentués, ce qui a empêché les processus d'ajustement de s'accomplir en douceur.

Si le coût de la pêche augmente, les unités de pêche marginales subiront des pertes qui les obligeront à quitter l'industrie. Le nombre des unités de pêche et l'effort total exercé par la pêcherie dans son ensemble devraient donc fléchir quand les coûts de la pêche augmentent1. Les captures baisseront à court terme. A long terme, elles tomberont si la pêcherie est biologiquement sous-explitée (voir figure 14) et augmenteront si la pêcherie est biologiquement surezploitée (voir figure 13). Des réductions des coûts de la pêche résultant de l'introduction d'une technologie nouvelle auraient les effets inverses. Néanmoins, aucun bénéfice à long terme ne peut résuliter, pour les pêcheurs ou pour la société, d'une amélioration technologique en régime de libre accessibilité.

1 Ce résultat, bien entendu, dépend des objectifs et des motivations des pêcheurs (voir section 2.3). Si les pêcheurs ne maximisent pas leur revenu net mais s'efforcent d'atteindre un niveau donné de revenu net, des hausses des coûts ou des baisses des prix du poisson ou des captures peuvent se traduire, au moins temporairement, par un accroissement de l'effort jusqu'à ce que les pêcheurs se voient contraints par les réalités nouvelles à réviser en baisse leurs espérances

Figure 13

Figure 13 Effets d'une hausse des coûts de la pêche dans une pêcherie biologiquement surexploitée: hausse du coût (a') - pertes temporaires (b') - sortie (c') jusqu 'à ce qu'un nouvel équilibre de libre accessibilité (TR = TC) s'établisse; pas d'effets à long terme sur les revenus des pêcheurs ni sur la plus-value, mais augmentation des captures

Figure 14

Figure 14 Effets d'une hausse des coûts de la pêche dans une pêcherie biologiquement sous-exploitée: identiques à ceux de la figure 13, sauf que les captures tombent. Les coûts de la pêche peuvent monter jusqu'au point oû la pêcherie cesse d'être rentable et où l'effort et la capture sont réduits à zéro. Cela peut même arriver dans une pêcherie biologiquement sur exploitée, si les coûts montent suffisamment

Les prix du poisson varient à la suite de déplacements de l'offre ou de la demande. Avec une demande donnée, une mauvaise capture se traduira par une hausse des prix, et une capture abondante par une chute des prix. Avec une offre donnée, une demande en hausse (croissance démographique ou amélioration des revenus) fera monter les prix. Avec des coûts invariés, une augmentation des prix du poisson se traduira par une plus-value qui provoquera de nouvelles arrivées sur la pêcherie ainsi qu'une intensification de l'effort de pêche, jusqu'à ce que le profit soit entièrement dissipés et qu'un nouvel équilibre s'établisse à un niveau d'effort supérieur (voir figure 15). Les captures augmenteront à court terme, mais tomberont à long terme si la pêcherie est biologiquement surexploitée. Des fluctuation journalières ou saisonnières des prix peuvent influer ou non sur l'effort d'équilibre selon qu'il soit plus ou moins facile de partir et de revenir (notamment de la possibilité d'employer ailleurs main d'oeuvre et capital).

Figure 15

Figure 15 Effets d'une hausse du prix du poisson. Hausse du prix (a') - profit passager (b') - entrée (c'), jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre de libre accessibilité (TR' = TC) s'établisse. Pas d'effets à long terme sur le revenu des pêcheurs. La plus-value continue d'être nulle. Si un trop grand nombre de nouveaux pêcheurs sont attirés par le profit temporaire et entrent dans la pêcherie, les pêcheurs en place risquent de subir des pertes s'ils se montrent moins efficaces et moins mobiles que les nouveaux arrivants

Les modification du maillage et autres systèmes de régulation qui ont pour résultat d'améliorer la productivité des ressources, donc la production totale et, dans l'immédiat, le taux de capture individuel sans influer sur les coûts de la pêche, auront un effet identique. A long terme, la régulation du maillage n'améliorera pas les revenus individuels ni la rente économique totale, à moins que des mesures ne soient de même prises pour empêcher la pêcherie de glisser vers un nouvel équilibre à un niveau d'effort supérieur. On ne saurait donc considérer la réglementation de la maille et autres mesures concernant la sélectivité des engins comme une alternative à la régulation quantitative de la pêche.

Sur les petites pêcheries plurispécifiques, les effets des variations des prix et des coûts ne sont probablement pas aussi nets. Tout d'abord, en raison de la dissymétre fondamentale que nous avons déjà signalée entre entrée et sortie (la seconde étant souvent plus difficile que la première), une évolution favorable des coûts ou des prix suivie de changements défavorables pour résultat qu'un plus grand nombre de pêcheurs gagneront des revenus inférieurs à leurs coûts d'opportunité. Par définition, l'absence de mobilité est synonyme d'incapacité à réagir à des modifications des conditions économiques. Si la mobilité en direction de la pêcherie est plus forte que la mobilité centrifuge, des changements favorables peuvent leur être néfastes. En second lieu, sur les pêcheries plurispé cifiques, des variations de l'effort de pêche résultant d'une évolution de paramètres économiques n'entraîneront pas nécessairement ou uniquement l'évolution quantitative de la capture à laquelle on s'attend, mais un changement de la composition. Si la pêcherie approvisionne une large part du marché, la modification de la composition des captures entraînera secondairement un changement des prix du poisson, qui atténuera l'effet initial. Une baisse des coûts ou une hausse des prix peuvent rendre rentable (voire souhaitable sur le plan social) “l' extinction” de certaines espèces1.

La conséquence politique la plus importante à ce titre est que, si l'on ne met pas de restrictions à l'entrée, des baisses de prix des intrants de la pêche, les améliorations technologiques et la hausse du prix du poisson ne bénéficieront que passagèrement aux pêcheurs. A longue échéance, ceux-ci ne peuvent escomptre gagner davantage que leurs coûts d'opportunité. En fait, un changement avantageux au départ (baisse des coûts, hausse des prix du poisson) peut en dernière analyse nuire aux pêcheurs s'il favorise l'arrivée d'un “nombre excessif” de nouveaux venus qui, une fois sur la pêcherie, auront du mal à en partir même s'ils subissent des pertes (voir tableau 2).

De même, une expansion de la base de ressources par manipulation du maillage, du type d'engin et de la répartition géographique des opérations de pêche, ou simplement par l'attribution de ressources accrues à la pêcherie entraînera une intensification de l'effort de pêche et n'aura pas d'effets durables sur les revenus des pêcheurs tant que la ressource sera librement accessible. Une expansion de la base de ressource est donc analogue à une hausse du prix du poisson et peut être, elle aussi, représentée schématiquement par un déplacement vers le haut de la courbe de la rente totale (voir figure 15). Sans une régulation de l'effort de pêche, toute amélioration de l'utilisation des captures, ou de l'efficacité du système de commercialisation, aura des effets analogues: élévation temporaire des revenus, suivie d'une intensificaiton de l'effort, et retour aux niveaux de revenus antérieurs qui, à long terme, sont exclusivement déterminés par les coûts d'opportunité. La seule façon d'induire une augmentation durable des revenus de la pêche consiste soit à limiter l'effort moyennant un aménagement de la pêcherie, soit à relever le coût d'opportunité des pêcheurs par un développement non halieutique (création d'autres emplois). Le développement des pêches ne peut jouer un rôle que s'il est mis en oeuvre après ou en même temps que l'aménagement des pêcheries.

4.2  Programme d'assistance

La nécessité d'une aide gouvernementale aux artisans pêcheurs se pose dans au moins trois cas: premièrement, quand la pêcherie est, pour une raison ou une autre, économiquement sous-exploitée, le gouvernement peut tenter de corriger d'éventuelles défaillances du marché et supprimer certaines contraintes qui entravent le développement ultérieur de la pêcherie par une aide au développement (motorisation des bateaux, introduction d'innovations, subventions, etc.). Deuxièmement, quand les pêcheurs gagnent moins que leurs coûts d'opportunité, le gouvernement peut essayer d'identifier la cause de ce phénomène - immobilité géographique ou professionnelle - et fournir une aide sous forme de recyclage et réinstallation en d'autres lieux. Troisièmement, quand le coût d'opportunité des pêcheurs (et d'autres travailleurs) est inacceptablement bas (par exemple au-dessous du seuil de pauvreté reconnu par le gouvernement), ou faible comparé à celui d'autres catégories professionnelles, le gouvernement peut tenter d'améliorer leur situation socio-économique par une aide au développement ou une assistance sociale.

Essentiellement, l'aide du gouvernement aux artisans pêcheurs entre dans deux grandes catégories: (a) l'assistance qui vise à corriger ou atténuer les effets d'imperfections du marché, ou à éliminer certains obstacles à la croissance et, partant, à accroître l'efficacité de la pêcherie et de l'économie en géneral, et (b) l'assistance qui vise à redistribuer le revenu d'autres groupes socio-économiques aux pêcheurs artisanaux, donc à réduire les inégalités socioéconomiques. Bien que des améliorations de la distribution puissent résulter d'une meilleure efficacité, il convient de faire la distinction entre ces améliorations et celles qui résultent d'objectifs délibérément axés sur la distribution et dont la réalisation s'accomplit en sacrifiant l'efficacité. Dans la première catégorie, nous pouvons ranger la création d'infrastructures, la rationalisation de l'utilisation du poisson et de la commercialisation, la recherche et la vulgarisation, la promotion d'associations liées à la pêche, la correction de distorsions des prix relatifs, etc.; dans la seconde, nous pouvons inclure l'affectation de ressources ichtyologique supplémentaires1.

1 L'extinction biologique d'une espèce est physiquement difficile et économiquement sans profit. L'extinction économique, par contre, au sens de la quassi-disparition d'une espèce déterminée dans les captures, n'est pas rare dans les pêcheries plurispécifiques

Tableau 2

Développement et aménagement des petite pêcheries: contraintes, objectifs et résultats (une estimation qualitative provisioire)
TYPE D'INTERVENTION coût d'application de l'intervention CONTRAINTES OBJECTIFS ET RESULTATS
Ressource contraignante Ressource non contraignante
DEVELOPPEMENT ANENAGENENT Economique Politique Objections de la part des pêcheurs Faible rayon d'action Espèces multiples à cycle biologique court Ressources librement accessibles Engins multiples, disperses Conflits avec d'acutes pecheries Distorsions du marche financier Faible niveaud'instruction et de compétences Faible mobilité Excédent de main-d'oeuvre/Absence d'autres emplois Apport de protéines Emploi Revenu Effets sociaux Intégration Plus-value brute Fplu-value nette Coût moyen de la pêche Innovation Disponibilités/Exportations alimentaires Emploi Revenu Effets sociaux Intégration Plus-value brute Plus-value nette
FE) UN )
1. Subvention poisson Aucun aménagement H L L   × ×             ♀- ? 0 - 0 - n/a + 0 + + 0 - ?
2. Subvention carburant Aucun aménagment H M L ×   × ×           ♀- ? 0 - 0 - n/a + 0 + + 0 - ?
3. Motorisation Aucun aménagement H L L     × × ×   ×     ♀- ? ? ? 0 - n/a + 0 + + 0 ? ?
4. Crédit Aucun aménagement H L L ?   × ×     ×     ? ? 0 ? 0 - n/a ? 0 ? + 0 ? ? ?
5. Commercialisation/infrastructure Aucun aménagement M/H M/L L     × ×           ♀- ? 0 + 0 (-) n/a + 0 + + 0 + ?
6. Technologie après capture Aucun aménagement M L L   × ×             (+) ? 0 0 0 (-) n/a + 0 + + 0 - ?
7. Promotion des cooperatives Aucun aménagement ? M M     × ×     ×     ? ? ? ? 0 - n/a ? 0 ? ? 0 ? ? ?
8. Affectation de resources Aucun aménagement ? M L ×   ×   × ×   ×   ? ? ? 0 0 n/a ? 0 ? ? 0 ? ? ?
9. Réinstallation Aucun aménagement H H H     ? ×     × × × (+) (+) (+) ♀- + 0 - n/a + 0   (-) - + ? ?
10. Emploi remplacement/ complément Aucun aménagement H M L     ? ×     × ×   (+) (+) + + + 0 - n/a - 0 + + 0 + ? ?
1. Subvention poisson “Entrée limitée” (régulation l'effort de efficace) H                       0 0 + ← or → + 0 n/a + 0 + + ← or → + ?
2. Subvention carburant " " M                       0 - +     + 0 n/a + 0 + +     + ?
3. Motorisation " " M-H                       0 - ?     ? ? n/a + 0 + +     + +
4. Crédit " " M                       ? ? (+)     (+) (+) n/a (+) 0 (+) (+)     (+) (+)
5. Commercialisation/infrastructure " " M/H                       0 ? +     + + n/a + 0 + +     + +
6. Technologie après capture " " M                       0 ? +     + + n/a + 0 + +     + +
7. Promotion de cooperatives " " ?                       0 ? ?     ? ? n/a ? 0 ? ?     + +
8. Affectation de resources " " ?                       + + +     + ? n/a ? 0 ? ?     ? ?
9. Réinstallation " " H                       - ? +/?     + ? n/a - 0 - (-)     (-) (-)
10. Emploi remplacement complément " " H                       - + +     + + n/a - 0 + +     + +
1. Aucun développement Contingents de capture M L M   × × × × ×       o + - - (-) ? 0 - + + LEGENDL:

+ accroissement à long terme

0/+ accroissement à court

-   diminution à long terne

diminution à court terme

0 effet nui

? effet ambigu

() effet possible mais non certain

X limitation contraignante

H fort

M moyen

L faible

FE plein emploi

LH cnômage
2. Aucun développement Zones/saisons fermeture M L M × × × × ×     × × o + o ? o (-) ? 0 - + +
3. Aucun développement Régulation engins H M M × × × × ×       × o + o ? o ? ? 0 - + -
4. Aucun développement Régullation maillage H L M × × × × ×         o + ? o ? ? 0 - ? ?
5. Aucun développement Interdiction du chalutage H H L/H × × × × ×     × ? o ? ? ♀/o ♀/o - o 0 - (+) 0
6. Aucun développement Limitation du nombre de bateaux M-H H (H)     × × ?     × × o ? ? o - - ? o 0 - + +
7. Aucun développement Taxes effort/capture H H H       ×     × × × o + o ? o ? - ? + (+) - +
8. Aucun développement Permis (gratuits) H M L       ×     (X) (X) (X) + + + + o + 0 - 0 +
9. Aucun développement Mise aux enchères de droits de propriété L H H       ? × × × × × + (-) 0/- - ? + + - +
10. Aucun développement Droits communautaires L M L         ×       ? + (+) + + ? (+) (+) - (+)

Les subventions de toutes sortes (pour le poisson, le carburant, les moteurs de bateaux, etc.), ainsi que le crédit et les encouragements en faveur de la motorisation visent souvent tant l'efficiacité que la distribution, mais atteignent rarement l'un ou l'autre de ces objectifs, en partie à cause de la liberté d'accès et en partie à cause des distorsions qu'elles introduisent dans les mécanismes commerciaux. Pour qu'une élévation donnée du revenu des pêcheurs puisse se maintenir, il faudrait que le montant de la subvention augmente constamment, simplement pour annuler l'intensification d'effort ainsi induite, politique évidemment vouée à l'échec puisque plus vite les subventions augmenteront plus vite l'effort s'intensifiera. L'objectif distribution des subventions augmenteront plus vite façon plus durable, et à bien moindre coût, en procédant à des transferts sociaux directs aux pêcheurs “en place”. Dans ce cas au moins, il n'est pas difficile de prévoir que nombre de non pêcheurs essaieront de se faire passer pour des pêcheurs.

Pour choisir une forme appropriée d'aide au développement, il faut appliquer un certain nombre de critères: (1) l'aide doit profiter aux pêcheurs et non leur nuire; (2) elle doit être axée sur des facteurs de produciton que les pêcheurs ne peuvent pas fournir euxmêmes; (3) elle doit être telle que la pêcherie puisse finalement en dépasser le besoin; (4) elle doit avoir un rapport coût-efficacité élevé; et (5) elle ne doit introduire dans les mécnismes commerciaux que le strict minimum de distorsions. Nous allons examiner brièvement chacun de ces critères, dans l'ordre énoncé ci-dessus.

Le premier critère, à savoir que l'aide au développement ne doit en aucun cas nuire aux pêcheurs, n'est pas aussi banal qu'il en a l'air. Il suppose que l'on prévoit les effets aussi bien passagers qu'à long terme de l'intervention. Par exemple, la motorisation des pirogues dans une pêcherie surexploitée, si elle ne s'accompagne pas de l'attribution de ressources supplémentaires, risque au bout du compte, d'aggraver la situation des pêcheurs en accroissant leur dépendance à l'égard d'intrants achetés dont le prix échappe à leur contrôle. C'est ainsi que, dans certaines parties des Philippines, le crédit à la mécanisation, accordé dans de bonnes intentions, n'a aidé les pêcheurs qu'un moment; avec le temps, les unités de pêche motorisées sont devenues de moins en moins rentables à mesure qu'augmentaient les prix du carburant. D'après une étude récente, les propriétaires de petits bateaux à moteur auraient un revenu moyne de US$ 362, contre US$ 520 pour un bateau sans moteur (Librero et al., sous presse). La Malaisie présente un cas analogue en ce sens que les premiers succès de la mécanisation sont devenus une charge, maintenant que de nombreux bateaux motorisés gagnent des revenus inférieurs à leurs coûts d'opportunité (Fredericks et al., sous presse). De même, dans une pêcherie librement accessible et caractérisée par l'immobilité, le fait de subventionner les prix du poisson et les coûts des intrants peut se traduire par une rentabilité temporaire, des entrées excessives et, à long terme, une baisse des revenus tirés de la pêche par les pêcheurs en place à des niveaux inférieurs à ceux précédant l'intervention.

Le second critère à appliquer au choix de la forme d'intervention appropriée est que l'aide au développement doit être axée sur les facteurs de production que les pêcheurs ne peuvent fournir ou acheter eux-mêmes, soit que des économies d'échelle entrent en jeu, soit en raison simplement de leur coût par rapport aux revenus des pêcheurs. Par exemple, la mise en place d'infrastructures telles que les installations de débarquement, les routes, les marchés, relève du domaine public; on n'attend pas d'un pêcheur qu'il fournisse luimême ces installations et, même s'il le pouvait, elles seraient encore assurées par l'Etat en raison des énormes économies d'échelle qu'elles permettent d'une part et de leur carac tère de “bien public” d'autre part1. A l'autre extrême, il y a certains facteurs de production, comme le carburant, la glace et les filets, qui sont biens privés, et qu'il appartient au pêcheur lui-même de fournir. A mi-chemin, on trouve les biens d'équipement, comme le bateau et le moteur, dont les coûts sont élevés respectivement aux revenus des pêcheurs et pour lesquels une assistance limitée peut se justifier, spécialement si le marché financier ne fonctionne pas comme il devrait. Le problème qui se pose avec les subventions à la motorisation, comme avec tout autre type de subvention, est qu'il est facile de les introduire et très difficile de les retirer. A Sri Lanka, par exemple, l'importation et la distribution de bateaux motorisés à des prix subventionnés se justifiaient peut-être dans les années soixante et au début des années soixante-dix, mais non de nos jours. Non seulement en raison du coût du carburant importé, mais aussi parce que la pêcherie est tout à fait rentable (voir Fernando et al., sous presse) et que les pêcheurs pourraient économiser pour acheter ou remplacer leurs bateaux. En fait, une partie des subventions accordées à la pêche “pourraient” être remplacée par des taxes pour capter les (ou une partie des) rentes de ressource ainsi créées afin: (a) de réguler l'entrée et (b) de fournir une aide au développement pour les secteurs moins développés de la pêcherie, dans la mesure où les limitations inhérentes à la ressource le permettent. Il est reconnu, toutefois, que la suppression des subventions et la création de taxes sont politiquement très difficiles, sinon impossibles. Les subventions imposent donc à la société un fardeau plus ou moins définitif, ce dont il faut tenir compte avant de les introduire.

1A moins que les ressources supplémentaires puissent être exploitée plus efficacement (du point de vue de la société) par les pécheries artisanales à fort coefficient de main-d'oeuvre que par la grande pêche à fort coefficient de capital, auquel cas c'est l'efficacité qui exige la reaffectation des ressources

Cela étant, la troisième considération importante dont il faut tenir compte quand on envisage d'accorder une aide au développement, c'est la capacité potentielle de la pêcherie de dépasser ce besoin d'assistance et la capacité de l'Etat de la retirer quand on juge qu'elle ne répond plus à son objectif. Il est bien connu qu'il est difficile de se passer des subventions, car les bénéficiaires s'y habituent et ne sont pas préparés à affronter les forces du marché. Dans le cas de la pêche, les subventions encouragent les entrées bien au-delà du niveau correspondant au libre accès, et leur suppression exigerait une réduction considérable de l'effort et de l'emploi, qui n'est pas toujours politiquement acceptable.

Le quatrième critère concernant le choix d'une forme appropriée d'aide au développement est que, entre un certain nombre de solutions possibles, il convient de choisir celle dont le rapport coût-efficacité est le plus élevé, c'est-à-dire le programme d'assistance qui permet d'atteindre un objectif ou une série d'objectifs donnés pour le moindre coût. Ainsi, si l'adoption d'une nouvelle technologie (moteurs de bateaux, filets en nylon) est profitable mais que les pêcheurs ne l'adopte pas parce qu'ils ne savent pas qu'elle existe, ou parce qu'ils n'ont pas confiance dans sa rentabilité, la forme d'assistance à choisir du point de vue du rapport coût-efficacité ne consiste pas à offrir gratuitement la nouvelle technologie aux pêcheurs, mais à leur fournir l'information et la vulgarisation voulues. De même, si le poisson est relativement mal payé parce que médiocrement utilisé, ou parce que les marges de commercialisation sont importantes, la forme d'assistance la plus intéressante du point de vue du rapport coût-efficacité ne consiste pas à mettre en place un programme de soutien des prix ou de prix subventionnés, mais à rationnaliser l'utilisation et la commercialisation du poisson.

Un critère connexe est que l'intervention doit viser à accorder l'assistance “maximum” possible aux pêcheurs avec le minimum de distorsion des mécanismes commerciaux. Par exemple, au lieu de subventionner le crédit ou les moteurs de bateaux, il sera parfois plus opportun d'éliminer les distorsions du marché financier (telles que les subventions implicites aux pêcheurs industriels) qui se traduisent par une compétition déloyale entre pêcheurs artisanaux et pêcheurs industriels. Ce n'est qu'après avoir corrigé les distorsions des prix relatifs du capital et de la main-d'oeuvre en fonction de leur vraie rareté (capital rare, main-d' oeuvre abondante) que les problèmes des artisans pêcheurs pourront être replacés dans leur juste perspective. Etant donné les politiques qui prévalent actuellement, à savoir sous-estimation du prix du capital et sur-estimation du prix de la main d'oeuvre, les artisans pêcheurs, dépourvus de garanties et quasiment dépourvus de compétence hormis la pêche, n'ont guère accès (au capital, donc) aux ressources halieutiques et aucun accès à l'emploi en dehors de la pêcherie. Donner aux artisans pêcheurs la possibilité d'emprunter sur les mêmes marchés financiers que les pêcheurs industriels, mais avec des échéances de remboursement et des formalités auxquelles ils peuvent satisfaire, et leur allouer des ressources ichtyologiques supplémentaires tout en restreignant les conditions d'entrée1 feraient plus pour leur niveau de vie que toutes les subventions imaginables en régime de libre accessibilité.

1 Un bien public est, par définition, un bien offert à tous un chacun en ce sens que, pour produire ledit bien à l'intention d'un unique consommateur, il faut le produire pour tous les consommateurs. La consommation d'un bien public par un individu, contrairement à celle d'un bien privé, ne diminue en rien à sa disponibilité pour les autres. Bien que la production d'un bien public comporte un coût d'opportunité, du point de vue des quantités de biens privés et autres biens publics passés, sa consommation (en deçà du surpeuplement) comporte un coût d'opportunité nul. Pour plus de détails sur cette défaillance des marchés et sur diverses autres, consulter Panayotou, 1982

Quand tous les critères énumérés ci-dessus concernant le choix de formes d'aide au développement sont mis en application, il apparaît évident que l'Etat ne doit pas intervenir directement dans les opérations de pêche en subventionnant les intrants, en soutenant les prix du poisson ou en favorisant des programmes de motorisation. Compte tenu des limitations (caractère fluide et dispersé des pêcheries, ressource limitée, liberté d'accès, conflits avec la grande pêche, et mobilité restreinte), il est probable que toute intervention de ce genre: (a) se révèlera très coûteuse et difficile à révoquer; (b) nuira aux pêcheurs, à longue échéance, au lieu de les aider; (c) entraînera d'ultérieures distorsions des marchés et l'épuisement des ressources; et (d) laissera la société avec un plus gros problème et moins de ressources et de moyens pour l'affronter. L'aide au développement doit, en revanche, se donner pour objet de créer un environnement approprié, dans lequel les artisans pêcheurs puissent opérer dans le cadre d'une concurrence plus raisonnable, entre eux et à l'égard de la grande pêche.

Si, dans la pêcherie, il existe un potentiel encore inexploité compris dans le rayon d'action des pêcheurs artisanaux, l'aide au développement peut prendre la forme d'une motorisation progressive des bateaux ou de subventions appliquées sélectivement aux intrants si le marché n'obtient pas les résultats voulus et que le gouvernement ne peut améliorer le fonctionnement du marché. Cependant, le bénéfice social de telles interventions directes doit couvrir la totalité du coût social qu'elles comportent. Si, par contre, le potentiel de la pêcherie est déjà pleinement exploité, l'aide au développement devra prendre la forme de la création de nouvelles possibilités d'emplois. Comme nous l'avons vu dans la section précédente, si les conditions d'entrée ne font pas l'objet de restrictions, l'aide accordée à la pêche, quand les pêcheurs opèrent sur une pêcherie pleinement (ou sur-) exploitée, est à longue échéance vouée à l'échec. A court terme, cependant, quand on ne dispose d'aucune autre solution, des mesures de sauvetage pourront en quelque sorte se justifier. Ce peut être une solution “optimale” que de sur-exploiter une pêcherie pour se donner le temps de mettre au point d'autres solutions en dehors de la pêcherie2. Ce genre de mesures à court terme doit, toutefois, être planifié dans une perspective à long terme. En outre, si on veut que l'aide au développement ait plus qu'un impact temporaire, elle doit être accompagnée d'un aménagement de la pêcherie appliqué avec efficacité.

Sans une certaine régulation de l'effort, l'effet de l'aide accordée aux pêcheries se révèlera tôt ou tard dérisoire pour ce qui est des conditions socio-économiques des pêcheurs et des intérêts à long terme de la société. Comme le montre le tableau 2, quand la contrainte inhérente à la ressource est impérative, l'aide n'assurera qu'une augmentation passagère suivie d'une diminution à long terme des captures, et une amélioration provisoire des revenus de la pêche au prix d'une réduction permanente de la plus-value nette de la pêcherie (déjà nulle avant l'intervention). L'effet sur l'emploi est ambigu vu que tout progrès de l'emploi résultant d'une intensification de l'effort sera contrebalancé par des réductions de l'emploi secondaire dues à la diminution des captures. En régime de libre accessibilité et quand la contrainte inhérente à la ressource est impérative, seule la création d'emplois aura des effets à long terme. Si la contrainte n'est pas impérative, l'aide au développement halieutique sous forme soit de subventions soit d'infrastructures peut se traduire par des accroissements à long terme des captures et de l'emploi, mais non du revenu ou de la plus-value, dont les variations sont soit temporaires soit ambiguës. Comme on peut le voir au tableau 2, l'aide au développement halieutique n'a d'effets durables que quand l'effort de pêche est réglementé en particulier si, d'autre part, la ressource n'est pas contraignante. Dans ces conditions, aussi bien l'intervention directe, au moyen de subventions, que l'intervention indirecte par la création d'un environnement favorable (infrastructure, meilleure utilisation des captures, commercialisation plus efficace, etc.) fonctionnent également, mais les critères de “coût-efficacité”, de “facile révocation” et de “distorsion minimum” font pencher la balance en faveur de la seconde. Ameliorer l'environnement dans lequel opère la petite pêche est une solution efficace même si la ressource est contraignante, à condition que l'effort soit maîtrisé. Toutefois, dans une situtation caractérisée par des limitations déterminantes de la ressource et par un excédent de main-d' oeuvre au sein de la collectivité de pêche, la création d'emplois complémentaires ou de remplacement (ou, faute de telles possibilités, la réinstallation progressive) devient une condition sine qua non du reclassement des petites pêcheries et du relèvement de collectivités de pêche dans le marasme.

1 Restreindre l'entrée signifie qu'on institute des limites effectives à l'effort de pêche et s'applique donc à la fois à la main-d'oeuvre et au capital, dans toutes leurs combinaisons et configurations possibles. Il n'est aucunement suffisant de ne contrôler que le nombre de pêcheurs ou le nombre des bateaux de pêche

2 Ce peut être, cependant, une façon très coûteuse de gagner du temps si cette solution doit entraîner une situation irréversible, telle que l'effondrement de certaines espèces de valeur élevée, éventualité à envisager dans le cas des pêcheries plurispécifiques (voir chapitre 2)


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